Gaspillage des cerveaux au delà de la fuite des cerveaux

fuite_cerveauxBeaucoup de pays Africains investissent dans la formation de leurs élites (en offrant des bourses) sans pourtant obtenir les retours sur investissements escomptés, car rares sont les diplômés africains bénéficiaires  de ces bourses des États qui retournent effectivement exercer dans leur pays d'origine ; la plupart préférant travailler dans leur pays hôte ou ailleurs dans le monde. Ce qu'on appelle communément la "fuite des cerveaux" ou « exode des cerveaux ». On note par exemple qu’entre 1990 et 2000, la migration des diplômés de l'enseignement supérieur a augmenté de 123 % en Afrique de l'Ouest contre 53 % pour les non-qualifiés. Abdeslam Marfouk, chercheur à l'université de Louvain estime que plus de dix pays africains ont plus de 40 % de leur main-d'œuvre hautement qualifiée hors de leur pays : 67 % au Cap-Vert, 63 % en Gambie, 53 % en Sierra Leone, etc. et que près d'un chercheur africain sur deux réside en Europe.[i]

L’effet pervers de cette fuite de cerveau est le « brain waste » ou « gaspillage de cerveaux ». Il s’agit des compétences qui sont sous-appréciées et sous-utilisées. Cela est fréquent dans tous les pays, mais les immigrés dans les pays développés sont les plus touchés. Selon Joëlle Paquet (2010)[ii], s’il est vrai que les travailleurs immigrés qualifiés peuvent  théoriquement améliorer leurs revenus et leur bien-être dans leur pays d’accueil ; cette augmentation est cependant limitée par les problèmes d’intégration auxquels font face certains immigrants. Caglar Ozden, économiste à la Banque Mondiale, constate qu’aux Etats-Unis, les migrants qualifiés ne parviennent pas souvent à trouver des emplois correspondant à leur niveau d’instruction.[iii]

 

«Brain Waste » absolu et « Brain Waste » relatif

En général, à niveau d’instruction égal, les immigrants dans les pays développés occupent des emplois moins compétitifs que les « autochtones ». Cependant, il faut distinguer le «Brain Waste » absolu et le « Brain Waste » relatif. Le «Brain Waste » absolu correspond aux travailleurs qualifiés exerçant le métier d’ouvrier ou d’autres métiers non qualifiés. Selon Souhila Benali, 6% des immigrés algériens « qualifiés » exercent le métier d’ouvrier en France. Le « Brain Waste » relatif, c’est la situation qui équivaut à la déqualification des diplômés, en les affectant à des postes de niveaux inférieurs à leurs qualifications. Un nombre important non mesurable d’immigrés serait dans ce cas.[iv]

 

Pourquoi les immigrants sont affectés par le gaspillage des cerveaux ?

Beaucoup de pays comme le Canada exigent une compétence élevée afin d’obtenir une immigration. Le programme de travailleurs qualifiés se base sur un système de points. Le candidat à l’immigration doit satisfaire une certaine compétence basée sur les diplômes, les expériences de travail, les spécialités qui procurent des points. Cependant, le pays d’accueil ne dispose pas toujours ou pas assez des métiers correspondant aux compétences des immigrés. En outre, les diplômes et les qualifications professionnelles de nombreux migrants ne sont pas reconnus. Joëlle Paquet (2010)[v] explique le gaspillage des cerveaux par le fait que les diplômes et les qualifications professionnelles de nombreux migrants ne sont pas reconnus, en particulier lorsque ceux-ci proviennent de pays en développement. Certains immigrants sont obligés de refaire une formation dans le pays d’accueil afin d’espérer un métier correspondant à leurs compétences.

La langue constitue, dans bien de cas, un facteur entrainant ce gaspillage des cerveaux. Selon Maurice Schiff, économiste à la Banque mondiale, il ressort des données relatives aux États-Unis que les migrants scolarisés venant de l’Inde ou du Royaume-Uni ont plus de chances de trouver des emplois correspondant à leur niveau de compétence aux États-Unis. « L’une des principales raisons qui expliquent cette situation est la langue. Les diplômés d’université de l’Inde et du Royaume-Uni s’expriment en anglais, ce qui leur confère bien entendu un grand avantage lorsqu’ils arrivent aux États-Unis », précise Maurice Shiff.[vi]

Aussi, faut-il signaler que certains emplois qualifiés sont réservés exclusivement aux  citoyens : ces emplois excluent les immigrants non citoyens et pour d’autres emplois, la priorité est accordée aux citoyens. Il est admis qu’il y’a une grande concurrence pour l’obtention des travaux qualifiés. Cette grande concurrence conjuguée avec la non priorité dans les emplois peut entraîner un gaspillage des cerveaux des immigrants dans les pays développés.

 

Que faire avant de s’engager pour une immigration ?

Il faut cependant noter que le gaspillage des cerveaux n’est pas seulement l’apanage des immigrants dans les pays développés. Le gaspillage des cerveaux existe même dans les pays en développement, les pays d’origine des immigrants et serait l’une des causes de l’immigration et qui décourage le retour de certains immigrants vers leur pays d’origine. L’une des causes majeures du gaspillage des cerveaux des immigrants est le manque d’informations. Beaucoup de travailleurs qualifiés s’engagent dans le processus d’immigration sans réellement connaître l’environnement du point de chute. Il est du devoir de tout candidat qualifié à l’immigration de bien observer l’environnement du point d’accueil avant de s’engager.

Les candidats à l’immigration doivent se renseigner des possibilités d’emplois qualifiés dans les pays d’accueil potentiels. Ils pourront se renseigner auprès de plusieurs immigrants déjà installés pour diversifier les sources de renseignement. Il est conseillé également aux candidats qualifiés à l’immigration, une fois engagés, de prendre une disponibilité de service si possible au lieu d’une démission afin de ne pas fermer la porte pour un retour potentiel. Ainsi, une fois installé dans le pays d’accueil,  à la fin du délai de la disponibilité de service, le candidat pourra arbitrer entre sa situation actuelle et sa situation précédente afin d’éviter le gaspillage des cerveaux.

 

Que doivent faire les pays pour empêcher des gaspillages de cerveaux de leurs émigrants ?

Pour éviter les gaspillages de cerveaux, les États africains doivent procurer des bourses conditionnelles, mais aussi combattre les gaspillages des cerveaux dans leur propre pays. Ces bourses conditionnelles doivent être effectives et accessibles à tout le monde. Ainsi, les États doivent non seulement garantir des emplois pour les diplômés, mais aussi créer une situation favorable pour le retour des diplômés. En même temps qu'on investit dans le capital humain, il faudra investir aussi en capital physique pouvant favoriser l’accueil des diplômés. Aussi, pour faciliter le retour des migrants et leur insertion dans leur société d’origine, les États doivent tout faire pour garantir un emploi aux migrants diplômés après leur retour à l’instar de certains pays asiatiques et latino-américains.

 

 

Ali Yedan

 


[ii] PAQUET, Joëlle. Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée. Québec, Laboratoire d’étude sur les politiques publiques et la mondialisation, ENAP, 2010, 16 p. (Rapport évolutif. Analyse des impacts de la mondialisation sur l’économie au Québec; Rapport 8)

 

[v] PAQUET, Joëlle. Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée. Québec, Laboratoire d’étude sur les politiques publiques et la mondialisation, ENAP, 2010, 16 p. (Rapport évolutif. Analyse des impacts de la mondialisation sur l’économie au Québec; Rapport 8)

 

Quand le retour de la diaspora est un atout socio-économique !

giving-back-urban-playgirlDepuis quelques années, on assiste à un retour définitif, parfois forcé, des africains établis à l’extérieur, notamment au sein de la jeune diaspora. Si la migration des africains a toujours constitué un défi et une « perte » pour l’Afrique ; il faudrait peut-être voir dans ce phénomène une opportunité pour l’Afrique et créer des conditions incitatives pour que davantage d’africains de la diaspora se décident à revenir sur le continent, encore en proie à quelques maux qui tempèrent la dynamique de son développement.

Longtemps décriées parce que « vidant » l’Afrique de ces cerveaux et de sa main d’œuvre, les politiques migratoires des pays occidentaux ont souvent constitué une opportunité « financière » pour de nombreuses familles dans les pays africains. Ces africains installés à l’extérieur, transfèrent des fonds importants vers leur pays d’origine pour soutenir la consommation. Selon la Banque Mondiale, les transferts de fonds vers l'Afrique Subsaharienne, sont évalués à 401 milliards de dollars en 2012[i][ii][iii]. Des travaux de la BCEAO pour l’UEMOA indiquent que ces fonds servent essentiellement à satisfaire les besoins de consommation et à l’amélioration des conditions de vie de ménage, à financer la construction des écoles et des districts de santé.[iv][v] Dans ce contexte, l’aspect « connaissance » a été longtemps occulté, n’incitant donc pas à une mise en place de programmes ou outres mesures incitatives pour favoriser le retour des migrants. Cependant, tout porte à croire que le retour physique des africains de la diaspora a beaucoup plus d’impacts sur l’économie du continent que les fonds qu’ils transfèrent.

Beaucoup de formations politiques et syndicales ont été créées grâce aux anciens émigrés une fois de retour dans leur pays d’origine. Ces formations ont été à l’origine d’une amélioration de la bonne gouvernance, d’une amélioration des conditions de vie du travail et des ménages dans beaucoup de pays. Selon Joëlle Paquet (2010)[vi], les migrants de retour, ayant été au contact avec des pratiques démocratiques, stimulent indirectement l’évolution des pratiques politiques dans leur pays d’origine, participant ainsi à la progression des réformes démocratiques. En effet, en Afrique, ce sont des migrants de retour qui ont favorisé l’indépendance de plusieurs pays. En Italie, par exemple, ce sont les ex-italiens de la diapora qui ont facilié la lutte contre le fascisme. Les migrants de retour ont été très actifs dans la démocratisation au Maroc. En effet, la lutte pour la citoyenneté, la démocratie, la liberté, la répartition des richesses et la justice sociale, la dignité, le travail pour tous au Maroc a été l’œuvre du mouvement du 20 février. Ce mouvement a bénéficé du soutien financier, moral et physique des organisations associatives de marocains de la diaspora et certains des jeunes issus de l’émigration ont rejoint les manifestants au niveau national ou provincial.[vii]

Le gain le plus significatif que produit le retour des migrants est le transfert de compétences. En fait, pour avoir passé du temps à l’étranger et ayant été exposés au fonctionnement des entreprises dans d’autres contextes, les migrants acquièrent des expériences significatives et peuvent contribuer à la diffusion des connaissances qu’ils ont pu accumuler. Selon Joëlle Paquet (2010)[viii], les retours, temporaires ou durables des migrants dans leur pays d’origine, de même que les contacts entretenus avec les membres de la famille demeurés au pays, permettent la diffusion de nouvelles idées, compétences et expériences. Ces transferts de connaissances peuvent contribuer à améliorer la productivité des activités traditionnelles, de même que les pratiques sanitaires et la nutrition. Même si grâce aux nouvelles technologies, le transfert des connaissances se fait rapidement, les pays africains ont davantage de bénéfices si les jeunes rentraient dans leur pays d'origine après avoir acquis des compétences à l'étranger. Selon un rapport de l’OCDE (2008), « Ces ressources des migrations de retour peuvent être de trois types. Premièrement, les migrants rapportent avec eux l’éducation et l’expérience professionnelle acquises à l’étranger. Deuxièmement, ils peuvent revenir avec du capital financier, constitué par l’épargne accumulée lors du séjour à l’étranger, et qui peut être rapatriée sous une forme plus ou moins liquide. Enfin, ils disposent d’un capital social spécifique lié à leur expérience migratoire. »

De toute évidence, la migration ne doit plus paraitre comme un obstacle au développement des pays africains mais plutôt comme une opportunité à la mesure où il favorise le transfert de connaissances et des compétences, mais aussi donne accès à des ressources financières externes et influence l’environnement socio-politique. A titre d’exemple, les Pays-Bas s'efforcent de promouvoir l'« afflux des cerveaux » en encourageant les migrants à retourner temporairement dans leurs pays d'origine afin d'y contribuer au développement.[ix] D’autres pays en Afrique comme le Cap Vert ont bénéficié de ces retours. En effet, selon un rapport de l’OCDE (2008), « au Cap-Vert, où jusqu’à récemment il n’y avait pas d’établissement d’éducation supérieure, l’accès à l’éducation est un des motifs de la migration, notamment vers le Portugal. Dans ce cadre, on observe que 16 % des migrants de retour ont un diplôme du supérieur, alors que ce chiffre est de l’ordre de 1 % parmi ceux qui n’ont pas émigré (De La Barre, 2007). Dans ces conditions les migrations de retour génèrent des gains en capital humain pour l’ensemble de l’économie, qui peuvent, dans certains cas, plus que compenser la perte de capital humain initialement imputable à l’émigration (Batista et al., 2007). Pour autant, cette situation est conditionnée à l’existence d’opportunités d’emploi motivant le retour des travailleurs qualifiés. »[x] Dans ce contexte, il conviendrait de mettre en place des mesures incitatives visant à tirer davantage profit de cet externalité, qui semble positive, pour les pays africains.

Pour faciliter le retour des migrants et leur insertion dans leur société d’origine, les États doivent toujours garantir un emploi aux migrants diplômés après leur retour à l’instar de certains pays asiatiques et latino-américains. En effet, « depuis ces dernières années, plusieurs pays d'Asie font concurrence au reste du monde pour attirer le talent et les travailleurs qualifiés. L'Inde et la Chine ont consacré des ressources financières importantes pour inciter le retour de certains de leurs plus grands talents à l'étranger en offrant des incitatifs, des emplois bien rémunérés, un statut socio-économique élevé et des possibilités de développement personnel. La Chine a établi une politique nationale de développement des ressources humaines, qui comprend des initiatives comme le Programme des 1000 talents. Lancé en 2008 pour attirer 2000 professeurs d'universités et d'instituts de recherche étrangers sur une période de dix ans, le programme a jusqu'à présent réussi à en recruter 4000. D'autres pays tels que le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et le Vietnam, commencent eux aussi à investir de manière significative dans de nouvelles politiques visant à attirer les expatriés et les travailleurs qualifiés. Le Vietnam, par exemple, aurait dépensé plus de 7 millions de dollars à cette fin. Les différents changements politiques comprennent des incitatifs fiscaux, des compensations financières, l'augmentation du nombre d'écoles internationales, ainsi que la réforme des critères d'obtention de visa et de résidence permanente. La tendance migratoire en sens inverse sera sans doute complémentaire aux efforts de l'Asie pour recruter et conserver le talent. »[xi] « Au Chili, au Costa Rica et au Brésil, les migrants de retour sont clairement surreprésentés dans les professions les plus qualifiées et sous-représentés dans les métiers les moins qualifiés. »[xii] Ainsi, les États doivent commencer à faire la "cours"  à leurs "enfants", vivant à l'extérieur. La course pour trouver les talents porteurs de développement est déjà lancé et l'Afrique semble encore à la traine, alors qu'elle dispose d'avantages comparatifs en la matière. 

Ali Yedan


[vi] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010

 

[viii] Joëlle Paquet (2010), Favoriser le développement économique des pays d’origine des immigrants : une responsabilité partagée, L’impact de la mondialisation sur l’économie au Québec – Rapport 8, Août 2010

 

[xi] De la fuite à l'afflux des cerveaux : la migration en sens inverse en Asie

 

La mendicité des enfants, un défi pour le développement de l’Afrique

talibe-senegal-avril-2009-225x300Il sont nombreux ces jeunes garçons âgés de 5 à 15 ans errant dans les rues et autres lieux publics, s'exposant à tous les dangers  et passant leur temps à mendier. Appelés « Talibés » au Sénégal, « Garibou » au Burkina Faso, Mali ou Côte d’Ivoire, ils sont présents dans plusieurs pays africains. Ce phénomène de mendicité des enfants prend de plus en plus d’ampleur. Selon le PARRER, près 7 600 enfants trainaient dans les rues de Dakar en février 2010. L’organisation américaine de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch, HRW) estime que près 100 000 enfants mendiants circulaient dans les rues du Sénégal en 2009-2010. Ces enfants, vivant loin de leurs parents, sont dans un état de manque absolu, tant sur le plan nutritionnel, vestimentaire qu'hygiénique. En dépit de tout ceci, le phénomène s’amplifie et l’on rencontre de plus en plus d'enfants mendiants dans les villes africaines : situation qui soulève des interrogations quant à ce qui permet à ce phénomène de perdurer en Afrique et son impact sur le développement du continent.

Les causes de la mendicité des enfants 

Il est considéré très généralement que la réligion, notamment l'Islam, entretient et encourage la mendicité en insistant sur les bienfaits de l'aumône. S’il y’a de nombreux mérites à pratiquer l'aumône, il faut préciser cependant que l'Islam interdit de mendier sauf en cas de situation critique, ce qui n'est pas le cas de nombreux mendiants et plus particulièrement les enfants. De fait, l'aumône est un acte de générosité exercé volontairement pour soutenir un nécessiteux alors que la mendicité est le fait de faire appel à cette générosité. Si les deux s'assimilent aussi aisément et créent la confusion c'est bien parce que les uns (les mendiants) ont des besoins et les autres (bienfaiteurs) ressentent le besoin de donner mais la distinction se situe dans le fait que l'aumône ne s'adresse pas qu'aux mendiants. C'est cette confusion qui entretient la mendicité en Afrique ; les uns voulant vivre de l'aumône des autres. C'est le cas de ces enfants qui représentent "l'apat idéal" pour bénéficier de la générosité des autres.

Certains géniteurs croyant donner une éducation religieuse à leurs enfants, les envoient chez des maîtres coraniques, sans y ajouter les moyens pour les prendre en charge. D’autres parents, ne pouvant assurer la charge de leurs descendances les confient à des maîtres coraniques, comme pour les mettre au service de la religion, qui pourra les prendre en charge. Cependant, ces maîtres coraniques n’ont que très peu de moyens, d’autant plus que l’école coranique n’est ni une entité publique, qui pourraient recevoir des subventions de l’administration publique et ne s’assimile pas à une entité d’enseignement privé qui exigerait en contrepartie une contribution financière des parents – qui d’ailleurs n’y inscrivent leurs enfants que parce que manquant de moyens. Ainsi, certains de ces maîtres coraniques envoient dans les rues, les apprenants pour quémander leurs pains quotidiens. Si le principe en soi n’est pas condamnable et peut être considéré comme juste, il a été complètement perverti au point de créer ce système.

Autrefois, ces jeunes apprenants servaient, sous le même principe, dans les champs de leur maître, qui assurait leur prise en charge complète à partir des revenus tirés des récoltes. La mendicité n’était que temporaire, faisant appel à la générosité de la société et constituait une façon d’instruire sur l’humilité. Les enfants se consacraient pleinement à leurs études. Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé : ces jeunes enfants consacrent la plupart de leur temps à la rue, moins à leurs études et le fruit de leur risque enrichit leurs enseignants et sert moins à leur prise en charge.

La mendicité des enfants, un problème de société, qui remet en cause le développement de l’Afrique

Le problème des enfants mendiants est au delà d’un simple problème de société, un défi colossal pour le développement socio-économique des pays. Dans le passé, l’insertion sur le marché du travail n’exigeant pas un niveau de scolarité élevé, ces enfants ayant atteint l’âge de travailler pouvaient facilement avoir accès à un emploi, certes pas ceux nécessitant une compétence technique avérée mais ils devenaient des entrepreneurs, notamment dans le commerce. En fait, le passage auprès d’un enseignant islamique leur permet d’acquérir des compétences managériales dès le bas âge étant amené à travailler et d’autres vertus qui leur seront bien utiles pour créer une entreprise, gérer un commerce ou exceller dans les travaux qui leur sont confiés. La perversité du système qui a fait de ces enfants des mendiants que des apprenants, fait qu’ils sont en marge du marché du travail très compétitif et requiert un minimum de qualification professionnelle.  Si même les diplômés ont du mal à s’insérer sur le marché du travail, la situation semble plus difficile pour les non diplômés. Ils sont ainsi orientés systématiquement vers le secteur informel ou dans des secteurs qui ne procurent à l’État qu'un revenu substantiel, avec des emplois précaires et une couverture sociale inexistante. Nombreux deviennent des commerçants ambulant, des ouvriers, des chauffeurs de taxi ou apprentis des transports traditionnels en commun des villes. Les meilleurs d’entre eux deviennent des marabouts, des maîtres d’arabe ou encore des enseignants. Certains exercent dans l'agriculture. D'autres, qui ont à la faveur de l'âge et un peu de ressources financières, apprennent un métier dans l'informel : soit la mécanique, la peinture, la menuiserie, etc. La plupart de ces activités, non seulement ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté, mais contribue à maitenir une bonne partie de l'économie africaine dans l'informel.

La grande partie de ces jeunes mendiants se retrouve sans emploi ou incapable d'entreprendre quelque activité. Certains d'entre eux se convertissent à la délinquance, se targuant d'être des "Robin des bois" urbains et usant de n’importe quels moyens pour avoir du revenu fussent-ils licites ou pas, compremettant ainsi la sécurité dans les zones urbaines.

Il est tout à fait clair que le manque d’éducation d’une tranche importante de la population consitutée de ces jeunes enfants, a des conséquences socio-économiques négatives importantes dans la société. Ces populations non éduquées, en plus de constituer une base électorale vide, ignorant les principales lois du pays, reçoivent mal ou comprennent mal les sensibilisations. En effet, face à des épidémies ou certains problèmes sociaux, les États auront beaucoup plus du mal à les sensibiliser. Dans un contexte où l’Afrique a réellement besoin de toutes ses capacités, notamment en ressources humaines qualifiées, un nombre important d’une population non éduquée serait un coup dur pour le développement.

Des tentatives de solutions encore infructueuses

La situation des enfants mendiants a amené certaines entités à les prendre en compte parmi les enfants en situation particulièrement difficile et à chercher des stratégies en vue d’améliorer leurs conditions de vie et d’apprentissage.
Ainsi, à Dakar, le programme d’aide aux enfants mendiants, dénommé « Talibé Sunshine », compte lancer une campagne de sensibilisation en direction de l’opinion nationale, afin d'attirer l'attention sur la condition insoutenable des enfants de la rue. A Saint Louis, l'Association Jardin d'espoir sensibilise les talibés sur l'hygiène de base.

Au Mali, pour assurer la réinsertion des enfants de rue, l’association Soudoubahaba, piloté par le Haut Conseil islamique du Mali, a commencé la construction d’un complexe scolaire à Bamako dans le but de fournir un cadre propice pour acceillir les enfants se trouvant dans cette situation. Au Burkina Faso, l'Association Gournaam-Survie se donne pour leitmotiv d'apprendre aux talibés « à lier le bois au bois » et à gagner dignement leur vie. Cette Association a pour objectifs de renforcer les acquis antérieurs des jeunes talibés en les alphabétisant et en leur apprenant les règles morales de la vie. En plus des organismes et associations, certains gouvernements ont voulu régler le problème par la force, en prenant des dispositions légales contre la mendicité. Ces efforts demeurent infructueux. Ils se heurtent à une forte résistance des populations. Par exemple, en 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta de rendre illégale la mendicité en ville mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

Force est de remarquer que malgré toutes les tentatives pour éradiquer le phénomène, le nombre des enfants mendiants ne diminue point et leurs conditions ne s’améliorent guère. Le problème majeur demeure le fait que les populations ne saisissent par l’enjeu du phénomène et les dommages qu’il cause à la société. Pour régler la question, les gouvernements devraient envisager des campagnes de sensibilisation ciblés à l’endroit des populations portant le potentiel d’impliquer leurs enfants dans cette pratique. Il faudrait pour ce faire entreprendre des enquêtes permettant de cibler les populations concernées. Pour être efficace, les équipes de sensibilisation doivent intégrer des responsables religieux et des autorités locales et/ou coutumier comme le chef du village ou le chef du quartier. Ce dialogue avant l'introduction de quelque législation, permettrait aux populations de s’approprier la loi et d’assurer son application et de lever cet obstacle supplémentaire au développement socio-économique de l’Afrique. L'idée ne serait pas de mettre fin à ce système d'apprentissage traditionnelle, mais de l'encadrer et d'éviter qu'il constitue un point noir dans l'équation du développement des enfants et plus particulièrement celui des enfants.

Ali Yedan

Lire aussi :

Talibés du Sénégal, un problème de société.

Problématique du travail des enfants en Afrique

200253513-001Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), est considéré comme travail des enfants, les travaux effectués par des filles et des garçons en deçà de l'âge minimum requis pour les exercer.

Au niveau international, la réaction au travail des enfants est ancienne. Dès 1919, l'OIT adopta une convention internationale sur l’âge minimum dans l’industrie (fixé à 14 ans). En 1973, une convention porte sur tous les secteurs d’activité et fixe l’âge minimum d’admission à l'emploi à 15 ans et par exception à 14 ans pour les pays dont « l’économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées »[i]Cependant les statistiques montrent que cette convention n’est pas respectée à travers le monde. Selon le rapport de l’OIT, en 2004, près de 220 millions (soit 1 sur 7) d'enfants  âgés de 5 à 17 ans étaient astreints à un travail. 126 millions des enfants qui travaillent effectuent des travaux dits dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites.

Le travail des enfants n’a pas cependant les mêmes caractéristiques selon les régions du monde. L'Afrique sub-saharienne continue d’être la région avec la plus forte incidence du travail des enfants (59 millions, plus de 21% en 2012 selon OIT-IPEC, 2013).

Les données de l'OIT indiquent que plus de 40% des enfants africains travaillent – ce qui représente près du double des enfants qui travaillent en Asie.[ii]

Au niveau des experts africains, d'aucuns n'y voient aucun problème, tandis que d'autres en revanche pensent qu'il s'agit d'un problème beaucoup plus sérieux en Afrique que nulle part ailleurs au monde[iii].

Dans quels domaines travaillent-ils ?

Selon le dernier rapport de l'OIT, la plupart des enfants de 5 à 14 ans travaillent dans le secteur informel, sans protection légale ou réglementaire, 69% des enfants économiquement actifs travaillent dans l’agriculture, 22% dans le secteur des services, et 9% dans l’industrie.

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En Afrique, plus précisément en Afrique de l'Ouest, le travail des enfants consiste le plus souvent pour les jeunes filles à être domestiques ou commerçantes ambulants et pour les jeunes garçons à être apprentis mécaniciens, bergers, cultivateurs ou autres.

Travail des enfants : effets négatifs sur les enfants et sur les parents

Il est clair qu'en général, le travail des enfants, soustrait ces derniers à leur jeunesse, mais pourrait aussi compromettre leur avenir. Selon l'OIT, beaucoup d'enfants qui travaillent courent des risques pour leur santé et leur vie et compromettent leurs chances de devenir des adultes « productifs ». Toujours selon l'OIT, il s'agit d'une atteinte aux droits des enfants, à leur enfance, et d’un gaspillage de leurs potentialités de formation. Il en résulte un irrémédiable handicap au développement.

Mais pourquoi les parents laissent-ils leurs enfants travailler ?

Des études ont montré que la famille d’origine de l’enfant a une grande part de responsabilité. En effet, compte tenu du manque de revenus suffisants pour subvenir aux besoins de la famille, les parents sont souvent contraints de faire travailler leurs enfants dans le but d’augmenter et de diversifier les sources de revenus. En milieu rural, les enfants sont considérés comme une main d'œuvre pour les travaux champêtres. Ces parents, sans le savoir, détournent l'avenir de leurs enfants, qui auraient pu se spécialiser dans l’agronomie et contribuer de façon efficiente à valoriser les terres. La société africaine accorde une grande valeur aux enfants travaillant à la maison ou au champ familial. Cela n'est donc pas perçu comme "nuisible" ou comme une question de bien-être économique.

Certains parents considèrent qu'en envoyant les enfants à l'école, il y a un double frais : les dépenses liées à la scolarité et la perte de la contribution de l'enfant en tant que main d’œuvre. Ce raisonnement ne tient pas compte du fait qu’un enfant bien formé devient un adulte suffisamment rémunéré pouvant prendre en charge les dépenses de ses parents. De ce fait, selon la perception de certains, le travail devient en réalité une perte, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour ses parents.

Certains enfants cumulent le travail et les études. Ils travaillent pendant les soirées, les fins de semaine, les congés ou les vacances pour participer aux dépenses de la famille y compris les dépenses scolaires. Ceci semble efficace dans les cas où l'enfant a des dispositions lui permettant d’assimiler assez rapidement ses cours. Néanmoins, il aura perdu une partie importante de sa jeunesse, celle de s'amuser, une phase qui revêt d’une grande importance dans le développement d’un enfant.

Certaines jeunes filles migrent vers la ville en quête de travail pour aider leurs parents et épargner pour leur futur mariage.

Est-il toujours mauvais de faire travailler les enfants ?

En Afrique où les enfants n'ont pas tous leurs droits fondamentaux, où beaucoup de familles n'ont pas les moyens de subvenir aux besoins des enfants, où la vraie éducation ne concerne pas toujours tous les enfants et où le chômage est très élevé, peut-on interdire de façon stricte le travail des enfants ?

Des travaux dangereux comme enfants soldats, prostitution, pornographie, travail forcé, trafics et activités illicites doivent être interdits de façon ferme et stricte. Cependant interdire le travail à un enfant qui n’est pas instruit est plus préjudiciable. Ce dernier étant laissé oisif serait plus porté à s’orienter dans la délinquance. Si le travail des jeunes filles comme domestique paraît non formatif, les travaux d'apprentis des jeunes garçons constituent pour ces derniers un moyen d’apprendre un métier et devenir plus tard des adultes « productifs », et donc, il serait absurde de l'interdire même s'il n'est pas à encourager. Ainsi, faire travailler les enfants n’est pas si problématique tant que ces derniers exercent dans un environnement sain et leur sont confiées des activités à leur portée.

Il ne faut pas perdre de vue que les parents, surtout, en zone rurale ne font travailler les enfants que parce qu’ils n’ont pas les moyens de les inscrire dans une institution d’éducation. Partant de ce constat, doit-on forcer les parents à un faible revenu de renoncer à faire travailler leurs enfants et investir dans l’éducation de ces derniers, avec moins de certitude sur la rentabilité de cet investissement ?

Quelles recommandations pour l'Afrique ?

Les gouvernements devrait indexer la scolarité aux revenus des parents ou la rendre gratuite, tout au moins le niveau primaire et permettant aux enfants de bénéficier d’un minimum d’instruction avant de s’orienter si les moyens ne sont pas disponibles pour une poursuite des études. Ils pourraient aussi mettre à la disposition des enfants issus de familles défavorisées des subventions ou des bourses afin de permettre à ces derniers de renforcer le capital humain. Toutefois cette réforme devrait s’accompagner d’autres mesures sociales permettant aux parents, qui se considéreraient comme léser par l’inscription de leurs enfants à l’école de compenser cette perte de « mains d’œuvre » gratuite. On pourrait s’inspirer de la bourse familiale du Brésil, qui offre pour chaque enfant scolarisé et vacciné, une somme forfaitaire (..) en plus d’un appui dans le domaine agricole. Le Sénégal tente de mettre en place un programme similaire, qui certes n’aura pas la portée brésilienne mais qui est une initiative qui au-delà de son objectif de réduction de la pauvreté permettrait d’éviter le travail des enfants.

Des formations professionnelles pourraient être aussi envisagées pour former les enfants qui n’arrivent pas à s’insérer dans le dispositif classique de formation. Ceci permettrait d’une part d’éviter que les enfants ne soient exposés à des abus (très fréquent dans le secteur informel de l’apprentissage) mais de les introduire aux notions d’entrepreneuriat et de gestion. Il pourrait s’agir de centres de formation spécialisés aux métiers de mécaniciens, de charpentiers ou de gouvernante.

Le rôle des ONG et de la Société Civile ne doit pas être négligé dans le dispositif, dans ce sens que toutes ces structures permettent d’alimenter le débat public autour de la question et de définir sur la base d’un consensus national les directives à suivre en ce qui concerne le travail des enfants.

Ali Yedan


[i] Jean-Baptiste Racine (2005) La problématique du travail des enfants à l’épreuve de la mondialisation de l’économie

 

 

 

[ii] Banque Mondiale, novembre 2011, Le travail des enfants en Afrique : Problématique et défis

 

 

 

 

Les bourses conditionnelles sont-elles une solution à la fuite des cerveaux ?

cerveaux_uneInvestir dans la formation, c’est investir dans le capital humain, or le capital humain est un facteur clé du développement économique d’un pays, puisqu’il accroît la productivité des individus. Cependant, beaucoup de pays Africains investissent dans des formations sans pourtant avoir les fruits ou les retombées de ces investissements, car beaucoup de diplômés partent travailler ailleurs ou ne retournent pas travailler dans leur pays d'origine. Ce qu'on appelle communément la "fuite des cerveaux". A partir du modèle économique de Becker (1962), nous analysons les raisons de la fuite des cerveaux et proposons des solutions pour les pays africains afin qu’ils jouissent mieux des retombés de leurs investissements dans l’éducation.

Quelques chiffres sur la fuite des cerveaux

Entre 1990 et 2000, la migration des diplômés de l'enseignement supérieur a augmenté de 123 % en Afrique de l'Ouest contre 53 % pour les non-qualifiés. Abdeslam Marfouk, chercheur à l'université de Louvain estime que plus de dix pays africains ont plus de 40 % de leur main-d'œuvre hautement qualifiée hors de leur pays : 67 % au Cap-Vert, 63 % en Gambie, 53 % en Sierra Leone… Et près d'un chercheur africain sur deux réside en Europe.[1]

Les principaux types de formation et leurs coûts

Becker (1962) distingue deux types de formation : la formation générale et la formation spécifique. Faisant référence à l'entreprise, la formation est dite générale quand elle permet d'augmenter la productivité de toute entreprise, tandis que la formation spécifique n'augmente que la productivité d’une entreprise particulière.

Par ailleurs, selon Lazear[2] (2009), Une approche plus large permet de considérer que toutes les formations sont générales sauf que le poids accordé aux différentes composantes d’une formation diffère d’une entreprise à une autre. Ainsi, dans la suite, nous considérons uniquement la formation générale de Becker (1962).

Les formations exigent non seulement des coûts directs qui sont des frais de formation, d'équipement, de transport, mais aussi des coûts indirects qui sont les fatigues et les stress liés à la formation, ce qu'on aurait gagné si l’on travaillait au lieu de suivre une formation. Ces coûts sont payés soit par l'individu, soit par l'entreprise ou l’État. Les conclusions de Becker (1962) dépendent de qui paiera les coûts de la formation. Elles diffèrent aussi selon que la formation soit générale ou spécifique.

Une explication à la fuite des cerveaux

S'appuyant sur des modèles économiques dans une situation de concurrence parfaite, Becker (1962) conclut que les entreprises ou les gouvernements sont incités à investir seulement dans l’éducation des personnes dont les coûts directs sont plus élevés que les coûts indirects de formation. Or ce sont justement dans les régions en développement, comme l’Afrique que les coûts indirects sont plus faibles. Ainsi, les États ou les entreprises sont incités à investir dans la formation des individus.

Cependant, l’effet positif de la formation sur la productivité des diplômés engendrent une augmentation de leur rémunération post-formation. Ainsi, les régions en développement où les incitations à investir dans la formation des personnes sont élevées ne sont plus attractives pour les diplômés. Les fuites des cerveaux proviennent ainsi des cas où les États paient les formations à l’étranger mais ne sont pas en mesure de supporter l’incrément salarial engendré par l’augmentation de la productivité du diplômé. Toutefois, l’importance du phénomène dépend de la nature de la formation. Les formations générales étant plus affectées que les formations spécifiques.

Quelles solutions pour diminuer la fuite des cerveaux ? En laissant chaque individu prendre en charge financièrement l’ensemble de son cursus scolaire, la question de la fuite des cerveaux n’est plus pertinente, puisque chacun choisirait librement de travailler là où il est mieux rémunéré sans faire supporter à son pays d’origine des coûts sociaux. Toutefois, cette solution n'est pas adaptée aux pays d'Afrique Subsaharienne, car elle empêcherait bon nombre d’individus d’avoir accès à l’éducation, puisque selon les données de la Banque Mondiale, en Afrique Subsaharienne, 48,5% de la population vit dans l'extrême pauvreté soit moins de 1,25$ par jour et 69,9% de la population vit avec moins de 2$ par jour en 2010. Ainsi, ce cas deviendrait une discrimination dans la formation en faveur des classes favorisées. Comme corolaire, certains étudiants excellents seront exclus des formations.

Les bourses conditionnelles sont-elles pertinentes ?

L'autre solution, c’est l’octroi de bourses conditionnelles. On accorde des bourses à condition que l'étudiant retourne travailler dans son pays d'origine, sinon celui-ci rembourse tous les frais engagé par l'État pour sa formation. Cette bourse conditionnelle qui doit être effective et accessible à tout le monde. En général, beaucoup d'étudiants signent des engagements pour une bourse, mais après, ni eux, ni les gouvernements ne tiennent à leur engagement. Certains étudiants, après leur formation, partent travailler ailleurs, mais le plus récurrent est que les États ne garantissent pas toujours un emploi après la formation malgré l’attribution d’une bourse conditionnelle. Ainsi, les États doivent non seulement garantir des emplois pour les diplômés, mais aussi créer une situation favorable pour le retour des diplômés. En même temps qu'on investit en capital humain, il faudra investir aussi en capital physique pouvant favoriser l’accueil des diplômés.

Comme le résume Abdoulaye Salifou, directeur délégué à la politique scientifique à l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) "Sans laboratoires dignes de ce nom, sans pôle d'excellence et avec des salaires dix, voire vingt fois inférieurs à ceux proposés dans les universités du Nord, on ne peut pas s'étonner de cette saignée des compétences"[3] : investir seulement dans la formation, c'est former pour d'autres.

Yedan Ali

 


[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/09/28/des-pistes-pour-contrer-la-fuite-des-cerveaux-africains_1416988_3244.html

 

 

 

[2] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940

 

 

 

[3] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940

 

 

 

Chômage des jeunes : Adapter l’offre à la demande d’emploi ?

emploi_jeuneLe chômage des jeunes touche beaucoup de pays en développement et plus particulièrement l’Afrique où les jeunes de 15 à 24 ans représentent 20,2% de la population. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), dans certains pays les jeunes peuvent représenter jusqu’à 36 % de la population totale en âge de travailler et 3 personnes au chômage sur 5 en Afrique sont des jeunes.[1] Cependant, poursuit l’OIT, en réduisant de moitié le taux de chômage des jeunes dans le monde, on pourrait accroitre l’économie mondiale de 2 250 à 3 500 milliards de dollars; et 20% de cette croissance aurait lieu en Afrique subsaharienne. Ainsi, la problématique de l'emploi des jeunes est au cœur de nombreux débats au sein de l’opinion publique. Si de nombreux gouvernements et organismes font des efforts pour améliorer l'emploi des jeunes en Afrique, beaucoup de défis restent à relever.

Tandis que certains chercheurs considèrent que la démographie africaine est à la base du problème parce que la population croît plus vite que la production, il nous semble que la cause du déficit d'emploi se trouve ailleurs, car la croissance démographique peut être source de croissance économique et de création d'emplois. Même si la croissance démographique pourrait être une entrave, elle ne peut être contrôlée qu’à long terme. Dès lors, une forte croissance économique et une adéquation de l’offre de travail à la demande sont suffisantes pour réduire le chômage des jeunes. Puisque les perspectives de croissance économique de l’Afrique sont bonnes, il reste donc à s’assurer que les compétences proposées par les jeunes correspondent bien au besoin des entreprises.[2]

D’abord, il faut noter que les économies africaines génèrent trop peu d’emplois face à une demande qui explose. C’est le cas au bénin par exemple où sur la période allant de 2003 à 2008, les offres d’emplois ont globalement baissé alors que les demandes  n’ont fait qu’augmenter. Ainsi, les emplois créés ne sont pas suffisants pour répondre à la demande des jeunes en recherche d’emploi.

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Source : INNOVATIVE SECONDARY EDUCATION FOR SKILLS ENHANCEMENT (ISESE), 2012

Ensuite, pour réduire le chômage, il faut non seulement utiliser efficacement la croissance économique pour augmenter l'offre d'emploi par les entreprises; mais aussi adapter la demande à l'offre du travail. Cela passe surtout par le niveau d’éducation et la qualité du diplôme.

En effet, selon un rapport de Results for Development Institute (R4D) publié en 2012, l’éducation et la scolarisation sont des déterminants de la réussite sur le marché du travail. Par exemple, au Burkina Faso et au Bénin, la plupart des grandes entreprises exigent, en plus de la motivation, le savoir lire et écrire même s’il s’agit d’un ouvrier. En plus, selon ce même rapport, le diplôme est un critère important sur le marché du travail. Au Sénégal par exemple, 75 % des entreprises enquêtées privilégient les connaissances générales théoriques contre 25 % qui mettent en avant l’aspect pratique ou psychomoteur. Par ailleurs, les entreprises ont tendance à privilégier l'expérience. Ainsi, les stages de perfectionnement ou les emplois précaires peuvent augmenter les chances de trouver un emploi ; car les premières années passées sur le marché du travail, les compétences développées et l’expérience accumulée sont déterminantes pour le développement professionnel futur des jeunes.

En général, l’amélioration du niveau d’éducation contribue à réduire le risque de chômage. Les principaux résultats statistiques indiquent que ce sont surtout les non scolarisés sont au chômage. Au niveau individuel, plus le niveau d'éducation est élevé, moins on est confronté au déficit d'emplois même si les plus scolarisés sont souvent obligés d’accepter des postes qui requièrent moins de compétences. De plus, la chance d'avoir un emploi le plus vite possible dépend de la qualité de la formation et du domaine d'étude. Très souvent, plus la formation est exigeante ou compétitive, plus la chance d'avoir un emploi est élevée. C’est le cas des formations en statistiques, par exemple.

Malgré leur déficit d'emplois, les économies africaines ont souvent recours à des spécialistes étrangers, fautes de compétences locales. C’est la preuve que le fossé entre l’offre et la demande d’emploi n’est pas seulement dû à un déficit de l’offre d’emploi mais aussi à l’inadéquation des formations. Ainsi, les Etats africains gagneraient à mieux redynamiser leur offre de formation pour répondre aux besoins du marché du travail.

En outre, pour adapter la demande à l'offre d'emploi, nous proposons les mesures ci-dessous pour lesquelles il est nécessaire d’entamer une réflexion plus approfondie sur leur mise en œuvre pratique :

  • Responsabiliser les jeunes,
  • Récompenser et motiver les jeunes entrepreneurs,
  • Surveiller et conseiller les élèves exclus,
  • Mettre en place un programme de formation technique ou pratique dès l'école secondaire.

Yedan Ali

 

 

 

 

 


[1] En référence à une note du Population Reference Bureau.

 

 

 

 

[2] Il est vrai que la nature des secteurs porteurs de la croissance est importante pour que la croissance soit génératrice d’emplois.