Acquisitions foncières en Afrique : que disent les contrats ?

S’appuyant sur l’analyse juridique de 12 contrats d’acquisition foncière dans différents pays d’Afrique, Lorenzo Cotula traite des dimensions contractuelles sur lesquelles l’opinion devrait absolument avoir un droit de regard et il entend promouvoir un débat public éclairé à leur sujet. Cet article présente une version succinte de la problématique et des résultats de ce chercheur, spécialiste des questions foncières dans les pays en développement.


12568FIIEDCes dernières années, l’agrobusiness, les fonds d’investissement et les organismes gouvernementaux ont acquis des droits à long terme sur de vastes étendues de terres africaines. Les préoccupations des pouvoirs publics concernant la sécurité alimentaire et énergétique et le fait que le secteur privé anticipe une croissance de la rentabilité agricole sous-tendent une grande partie des récents investissements dans l’agriculture.

Outre la législation nationale et internationale en vigueur, ce sont les contrats qui définissent les termes d’un projet d’investissement et la façon dont les risques, coûts et avantages sont répartis. Qui a l’autorité de signer le contrat et au moyen de quel processus sont parmi les considérations qui influencent fortement la mesure dans laquelle les populations peuvent se faire entendre. Et les termes de l’acquisition peuvent avoir des répercussions profondes et durables sur l’agriculture et la sécurité alimentaire des pays hôtes.

Manque de transparence et méconnaissance des nécessités locales

Pourtant, on sait très peu de choses sur les conditions exactes des acquisitions foncières. Les négociations se déroulent le plus souvent à huis clos. Il est rare que les exploitants agricoles locaux aient leur mot à dire dans ces négociations. Peu de contrats sont mis à la disposition du public.

Ce rapport revient sur 12 contrats d’acquisition foncière et leurs cadres juridiques plus vastes. Il se place dans une perspective de développement durable – l’équilibre délicat et évolutif des considérations sociales, environnementales et économiques. De ce point de vue, pour les pays hôtes, attirer des investissements n’est pas une fin en soi mais plutôt un moyen d’arriver à une fin. Au final, l’objectif est d’améliorer les conditions de vie tout en protégeant l’environnement. Du fait de cet éclairage, les questions clés abordées dans le rapport ont trait à la participation dans le processus contractuel, à l’équité économique entre l’investisseur et le pays hôte, à la répartition des risques, coûts et avantages au sein du pays hôte, au degré d’intégration des préoccupations sociales et environnementales, et à la mesure dans laquelle l’équilibre entre les considérations économiques, sociales et environnementales peut évoluer au fil de contrats souvent conclus sur de longues durées.

Au regard de ces questions, il y a des réelles préoccupations que certains contrats à la base des récentes acquisitions foncières ne soient pas à la hauteur de leur objectif. Un nombre de contrats passés en revue semblent être des documents brefs et peu spécifiques qui octroient des droits à long terme sur de vastes étendues de terres et, dans certains cas, des droits prioritaires sur l’eau, en échange – semblerait-il – de maigres recettes publiques et/ou de vagues promesses d’investissements et/ou d’emplois. De surcroît, nombre de ces acquisitions sont négociées dans des contextes juridiques où les sauvegardes pour défendre les intérêts locaux sont fragiles, et certains contrats ne semblent pas consacrer suffisamment d’attention aux enjeux sociaux et environnementaux. De ce fait, on court un risque que les populations locales internalisent les coûts sans profiter correctement des avantages, et que les enjeux environnementaux ne soient pas convenablement pris en compte.

Quelques bons élèves

Quelques contrats renferment de meilleures conditions. Par exemple, un contrat d’acquisition au Cameroun propose des revenus plus élevés et mieux répartis, tandis qu’un contrat au Mali implique un partenariat sophistiqué avec le gouvernement hôte et les agriculteurs locaux et applique des normes environnementales et sociales internationales. Trois contrats conclus avec le Liberia se distinguent par leur durée plus souple, leur identification plus claire des terrains faisant l’objet de la transaction, des engagements plus précis de la part de l’investisseur en termes d’emplois, de formation, d’achats locaux et de transformation locale, la plus grande attention qu’ils accordent à la sécurité alimentaire locale et leurs sauvegardes sociales et environnementales plus rigoureuses. Les contrats libériens ont été ratifiés par le parlement et sont disponibles en ligne.

Au Liberia, un leadership politique déterminé, une solide équipe gouvernementale de négociation, une assistance juridique de classe mondiale, un recours efficace à l’analyse financière, et une (re)négociation simultanée des contrats agricoles et miniers (qui a nourri une fertilisation croisée bénéfique) ont permis d’arriver à un tel résultat. Les agences de développement peuvent jouer un rôle important pour aider les gouvernements hôtes à accéder au soutien dont ils ont besoin pour renforcer leurs capacités.

Toutefois, quels que puissent être les termes du contrat, le processus est aussi crucial. Dans plusieurs pays, le contrôle centralisé sur le foncier crée des risques que la population locale soit marginalisée de la prise de décisions. Certains des contrats examinés comprennent la consultation et des accords avec les communautés locales, mais c’est le gouvernement qui a souvent les cartes en main pour ce qui concerne les procédures d’affectation de terres et de passation de contrats.

Légalité et légitimité

Par conséquent, même dans les contrats les mieux négociés, l’écart entre la légalité (aux termes de laquelle le gouvernement détient officiellement les terres et peut les distribuer à des investisseurs) et la légitimité (aux termes de laquelle les populations locales estiment que les terres qu’elles exploitent depuis des générations leur appartiennent) expose les groupes locaux à un risque d’expropriation et les investisseurs à celui de la contestation. Plus généralement, les contrats ne constituent qu’un côté de la médaille. Ils ne fonctionnent que s’ils sont correctement mis en oeuvre – de bons contrats peuvent néanmoins donner lieu à des mauvais investissements, et des investissements peuvent produire des bénéfices même si les contrats sont faibles.

 Les contrats sont souvent négociés dans des délais très brefs et dans un contexte de pouvoirs de négociation inégaux. Au lieu de conclure hâtivement des acquisitions foncières, les gouvernements devraient promouvoir un débat public transparent et vigoureux sur l’avenir de l’agriculture dans leur pays. Les organisations de producteurs doivent être au cœur de ce débat et le droit de regard de la société civile pourra contribuer à ce que le regain d’intérêt envers l’agriculture œuvre en faveur d’un développement durable et inclusif. Les recherches peuvent contribuer à fournir une base empirique pour ces processus et il est espéré que ce rapport constituera un pas dans ce sens.

L’étude complète est téléchargeable en version française ou anglaise sur cette page du site de l’IIED.

Lorenzo Cotula

International institute for Environment and Development


 

Porter un nouveau regard sur le bilan d’Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal

wadeL’inauguration de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio, le 1er Août 2013, offre l’occasion de revenir sur le bilan d’Abdoulaye Wade à la présidence du Sénégal. Qu’il me soit permis ici d’exprimer ma reconnaissance à Maitre Abdoulaye Wade, à Madame Aminata NIANE et à tous les fonctionnaires Sénégalais qui ont contribué à donner corps à ce projet. J’exprime, pour ce qui me concerne, ma fierté d’avoir été témoin de cette œuvre grandiose. 


Je dois préciser, avant d’aller plus loin, que comme beaucoup de Sénégalais, je me suis farouchement opposé au Président Abdoulaye Wade. A la hauteur de mes moyens, je me suis énergiquement battu pour son départ. Les amis avec qui j’étais à Daniel Brottier et à la place de l’indépendance le 22 juin 2011 et devant les grilles de l’Assemblée Nationale le 23 juin 2011 eux ne m’accuseront pas de collusion avec le PDS. 

Seulement, je suis triste de la caricature aujourd’hui faite d’un homme qui a consacré sa vie à l’Afrique et au Sénégal. Abdoulaye Wade, à partir de la fin de son premier mandat en particulier, a progressivement commencé à ensevelir les rêves que tout un peuple avait placé en lui. Il est d’ailleurs curieux de constater que même sur le plan macro-économique, la dégradation des agrégats économiques a commencé avec ses velléités de succession monarchique, à partir de 2005-2006. L’immensité de l’espoir que le peuple Sénégalais avait placé en lui en 2000 et, à l’opposé, la banalisation extrême que le régime, sous le magistère de Wade, avait fait subir à nos institutions, peuvent, par conséquent largement expliquer la colère et la réaction toutes deux légitimes des Sénégalais(e)s le 23 juin 2011 et en février 2012. Abdoulaye Wade a donc mérité la sanction démocratique des Sénégalais(e)s en février 2012. 

Cependant, réduire l’homme Abdoulaye  Wade à un monstre qui n’a apporté que malheurs au Sénégal est une négation de l’histoire. Ma conviction personnelle est que Wade n’a pas été sanctionné à cause de son bilan économique. Toute chose égale par ailleurs, le bilan économique qui a valu à Senghor et à Abdou DIOUF plusieurs réélections est, sans aucun doute possible,  moins glorifiant que la décennie de gouvernance du Président Abdoulaye Wade. 

Sous son règne, entre 2000 et 2012, le budget du Sénégal est passé de 516 milliards à 2200 milliards de FCFA, le niveau d’endettement de 165% du PIB à 37,3% du PIB, les avoirs extérieurs sont passés de 88,7 milliards à 1974 milliards FCFA.

L’audacieuse réforme sur la fiscalité des entreprises en faisant passer l’IS de 35% à 25%, le délai de création d’entreprise de 58 Jours à 2 Jours valant au passage au Sénégal d’être classé en 2009 parmi les meilleurs réformateurs mondiaux dans le Doing Business de la même année. Le volume d’investissement privé, sous l’impulsion de l’APIX, est passé de 467 Milliards FCFA en 2000 à 1394,6 Milliards en 2012 FCFA.

Sur le plan de l’éducation, les performances sont tout aussi  illustratives : sur la même période, les écoles élémentaires sont passées de 94 à 1220,  le nombre de collèges de 220 á 912, les lycées de 4.338 á 7.537 et les cases de tout petit de 0 á 499  sans compter les Centres Universitaires Régionaux créés pour désengorger les Universités de Dakar et Saint Louis….[1]

Il est évident qu’avec moins de gabegie, et davantage de rationalité économique et de sobriété dans sa gestion, Abdoulaye Wade aurait pu faire beaucoup plus sur le plan économique mais fondamentalement Abdoulaye Wade n’a pas été sanctionné pour son bilan économique. 

Par ailleurs, dans l’actif du bilan du Président Wade, il est juste d’inscrire son combat de plusieurs décennies pour l’Afrique. Ce n’est peut-être pas le lieu de discuter du fonds de son livre Un Destin pour l’Afrique, mais en 1959 déjà, avant les indépendances, le Président Wade a publi

La « bibliodiveristé » au service de l’Afrique subsaharienne

La Journée internationale de la bibliodiversité lancée en 2010 par des éditeurs indépendants d’Amérique latine, célèbre chaque année dans des pays du monde entier cette « diversité culturelle appliquée au monde du livre. En écho à la biodiversité, elle fait référence à une nécessaire diversité des productions éditoriales mises à la disposition des lecteurs». L'essayiste et économiste Sanou Mbaye revient sur son importance dans le cadre de l'Afrique subsaharienne


logo_jourb-300x223Le continent africain compte déjà plus d’un milliard d’habitants. Ils seront deux milliards en 2050 parmi lesquels plus d’un milliard seront en âge de travailler. La grande gageure sera la formation de cette jeunesse pour répondre aux multiples défis auxquels fait face la région.

Il est de coutume de ne percevoir dans la multitude africaine que la dimension de la pauvreté et des exactions dont sont victimes les populations noires. Et c’est à l’économique que renvoient les images qui en témoignent. Il est alors de bon aloi de parler de développement et de lutte contre la pauvreté quand il s’agit de supputer les solutions à apporter aux problèmes récurrents de ces populations. Pourtant s’il est vrai que la production de biens et services est un préalable au développement économique, celui-ci n’en demeure pas moins tributaire des hommes auxquels il appartient d’impulser ce processus et ils ne pourront le faire à leurs bénéfices et pour leur épanouissement qu’en puisant dans leur patrimoine culturel commun. D’où l’importance du livre, l’outil premier pour faire des valeurs culturelles de la civilisation noire une plateforme de reconnaissance identitaire, de solidarité et de reconquête du moi de l’Africain après les négations ségrégationnistes des années de plomb de l’histoire traumatique qui a été la sienne tout au long des siècles d’esclavage et de conquêtes coloniales.

C’est à la lumière de cette exigence qu’il faut priser une action et un héritage. L’action est celle des éditeurs indépendants. Dans l’ère de la mondialisation où la production et le commerce du livre obéissent aux lois du marché, ils le rendent accessible au plus grand nombre. Quant à l’héritage, il est celui du poète et de l’académicien Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, chantre de la Négritude, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs de la civilisation noire dont il entendait faire les fondations d’une renaissance culturelle et économique de l’homme noir. Il avait fait de la politique de diffusion du savoir à travers l’enseignement et la lecture son cheval de bataille en promouvant l’édition, la promotion artistique, la création de bibliothèques et l’exonération de taxe de la production et du négoce du livre. Les prix Nobel de paix, de littérature et d’économie d’origine africaine et bien d’autres auteurs noirs connus ou anonymes, publiés ou dans l’attente et l’espoir de l’être un jour honorent également ce legs à travers le roman, l’essai, la poésie, l’information, l’image, les arts, les lettres et bien d’autres encore.

Cette action des éditeurs indépendants et cet héritage créatif sont d’autant plus d’actualité que pour la première fois, depuis un demi-siècle, l’Afrique est en passe de célébrer un renversement des rôles. Durant la décennie passée, le nombre des consommateurs de la classe moyenne – ceux qui dépensent 2 à 20 dollars par jour -, a augmenté de plus de 60 %, pour atteindre 313 millions. Ce nombre ira s’agrandissant car dans la décennie à venir, l’Afrique sera le seul continent où la population continuera de croître. L’essor de la classe moyenne et sa nouvelle propension à consommer des livres et à s’adonner aux choses de l’esprit représentent le plus puissant moteur de la croissance culturelle et du renouveau identitaire qui doivent être le socle de tout développement économique pour qu’il soit durable et qu’il contribue au bien être réel des populations.

Cependant, pour que cette toute nouvelle embellie se traduise en progrès sociaux, en création d’emplois et en amélioration du niveau de vie des populations, les pays africains devront poursuivre leur développement matériel en diversifiant leurs activités économiques et en créant de la valeur ajoutée. Pour ce faire, ils devront mettre en place des politiques d’industrialisation appropriées pour la transformation locale des matériaux en produits finis et semi-finis afin de préserver leur environnement, un capital qui leur est propre mais qui relève aussi du patrimoine écologique de l’humanité dont la propre survie est menacée par les exactions d’un capitalisme mondial prédateur et destructeur.

Prendre conscience et revendiquer sa propre identité tout en ayant conscience de sa dimension universelle, voilà le défi qui ne peut être relevé qu’à travers un programme éducatif transformationnel de la jeunesse africaine. Cela nous ramène encore une fois de plus à l’importance du livre, de son édition et de son accessibilité aux populations concernées. Car c’est par la lecture qu’on forme les âmes en les ouvrant à l’autre, aux nouvelles idées et à de nouveaux horizons, aux rêves, à l’innovation et à la créativité.

Il est aussi d’évidence historique que les peuples ne s’épanouissent qu’avec des régimes qui garantissent le respect de leurs droits fondamentaux. Ce sont les écrits qui forment le corps social aux libertés d’expression et aux valeurs démocratiques. Ce sont aussi les écrits qui irriguent les canaux de diffusion du savoir que sont les établissements d’enseignement et les organes d’information.

Ainsi la « bibliodiversité » est au commencement et à la fin du processus de développement actuel de l’Afrique, que toutes les statistiques décrivent comme le nouvel eldorado de la croissance économique mondiale de la manière dont la Chine l’a été il y a trente ans.

Sanou Mbaye

Repris sous Licence CC 3.0


Sanou Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la Banque africaine de développement, est un banquier d'affaires sénégalais et l'auteur de L'Afrique au secours de l'Afrique, Les editions de l'Atelier, 2009, 160pp.

Pour en savoir plus sur la Journée Internationale de la biodiverité.

Obama et l’africapitalisme

Obama l’Africapitaliste : Créer un Modèle de développement du secteur privé que le monde puisse suivre, par Tony O. Elumelu*

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LAGOS, Nigeria, 9 juillet 2013/African Press Organization (APO)/ – Editorial de Tony O. Elumelu*, entrepreneur, philanthrope et président de Heirs Holdings Limited :

La semaine dernière, c’était la première fois, à mon souvenir, qu’un président des États-Unis venait en Afrique avec en tête de son ordre du jour l’investissement et comme priorité les rencontres avec les chefs d’entreprise du continent, qui sont les véritables moteurs du développement. Le président Obama devrait être félicité pour sa vision, et pour avoir donné la preuve la plus évidente que les règles d’investissement en Afrique sont réellement en train de changer. 

L’ère de l’assistance se termine. Le type d’aide dont a le plus besoin l’Afrique, et qui devrait avoir la priorité, est l’aide à l’entreprise. Je suis convaincu que le secteur privé africain a le pouvoir de transformer le continent grâce à des investissements de capitaux sur le long terme, générant à la fois une prospérité économique et une richesse sociale. J’appelle ce développement « Africapitalisme », et sans aucun doute, il porte la plus grande promesse pour le développement durable de l’Afrique.

Il était donc encourageant de voir des entreprises africaines impliquées, finançant et investissant en tant que partenaires, et s’assurant que l’Afrique affirme son rôle dans cette opportunité.

Je peux déjà ressentir l’effet du nouveau dialogue d’Obama avec l’Afrique. Dans les entretiens auxquels j’ai répondus pour les médias qui couvraient ce voyage, l’aide et la corruption n’étaient, heureusement, pas le point central. Les journalistes traitaient des sujets avec des mots tels que « capital », « investissement » et « commerce ».

Les effets de ce changement seront immenses.

L’électricité est le plus grand obstacle au développement du continent, et c’est donc l’investissement le plus catalytique et le plus stratégique que l’on puisse faire en Afrique. C’est pourquoi l’axe choisi par le président Obama arrive au bon moment… et est si nécessaire. Si l’on double notre capacité de production d’électricité, cela doublera le PIB de l’Afrique, et nous conduira vers une croissance durable, menée localement. Étant donné son importance économique, le secteur de l’électricité présente aussi une opportunité d’investissement attractive pour les investisseurs à long terme : comme la concurrence est faible, les retours, quand ils arriveront, seront très élevés. Ce sera similaire aux retours qu’ont obtenus les premiers investisseurs dans les télécommunications africaines, avant que le secteur ne devienne saturé et extrêmement concurrentiel.

En tant qu’investisseur, je crois aux bonnes affaires et aux bonnes actions. Investir dans le secteur de l’électricité répond à ces deux critères. C’est pourquoi Heirs Holdings s’est engagée à investir 2,5 milliards USD pour étendre notre centrale électrique nigériane nouvellement acquise à Ughelli, ainsi que pour développer de nouveaux projets de réhabilitation et de construction dans toute l’Afrique.

Mais combler le déficit énergétique de l’Afrique nécessite des investissements sur le long terme et d’énormes dépenses : il en coûtera 1 milliard de dollars simplement pour acheter la centrale d’Ughelli et l’amener à sa capacité installée totale de 1 000 mégawatts. Étant donné les immenses besoins en capitaux de l’Afrique pour le secteur de l’électricité, une initiative telle que Power Africa est essentielle pour réunir les investisseurs internationaux et les institutions financières afin de soutenir le paradigme électrique en mutation du continent.

Le Nigeria était l’un des seule sept pays compris dans le programme ; des pays au premier plan de la réforme électrique en Afrique. Le processus de privatisation de classe internationale mené personnellement par le président Goodluck Jonathan démontre que le Nigeria mérite cette place. Et cela signifie que le secteur électrique du Nigeria aura accès à des conditions préférentielles et à une emphase sans précédent des bailleurs de fonds cherchant à réaliser leurs engagements publics dans le cadre de l’initiative Power Africa. Power Africa offre aussi un modèle aux 47 pays africains qui n’appartenaient pas à la liste pilote initiale. Le continent n’arrivera à combler son déficit énergétique que si davantage de dirigeants africains réforment rapidement leurs politiques et encouragent ce type d’investissements du secteur privé.

En tant qu’entrepreneur, je sais qu’attirer les capitaux n’est pas et n’a jamais été le problème. J’ai toujours pensé que si les politiques et l’environnement étaient adéquats, les investissements afflueraient en Afrique. Les investisseurs ont besoin de savoir que l’état de droit et la protection des droits de propriété sont assurés : c’est l’une des exigences les plus importantes pour les capitaux. C’est pourquoi j’invite les grands dirigeants du monde comme le président Obama à convaincre davantage de dirigeants africains que le développement par l’investissement nécessite des politiques plus favorables aux investisseurs. Je constate chez les dirigeants africains une volonté de saisir ces opportunités, mais ils ont besoin de soutien et dans certains cas de conseils. Si leur vision est claire, ils ne savent pas toujours comment y arriver.

Le président rwandais Paul Kagame est un autre modèle positif pour le continent ; un dirigeant africain progressiste qui fait preuve à la fois de vision et d’engagement. Le Rwanda se classe désormais plus haut que tout autre pays d’Afrique subsaharienne en matière de compétitivité mondiale, et se positionne au troisième rang pour l’Afrique en général. Le président Kagame et son équipe ont su créer un environnement propice dont les investisseurs ne peuvent que rêver ailleurs en Afrique. Pour cette raison, Heirs Holdings, Berggruen Holdings et 50 Ventures ont choisi le Rwanda pour y installer la Bourse de l’Afrique de l’Est (East Africa Commodity Exchange, EAX), qui ouvrira le 15 juillet.

L’EAX apportera des liquidités, de la transparence et donnera aux agriculteurs le pouvoir de fixer les prix, tout en réduisant les risques des prêts pour les banques. L’effet sera de créer une richesse sociale dans les communautés locales et de soutenir le développement dans la région. À l’instar des investissements dans le secteur de l’électricité, l’EAX montre l’Africapitalisme en action, en soulignant l’immense rôle de développement du secteur privé africain. Quand j’ai rencontré le président Kagame l’année dernière, il a immédiatement compris l’importance d’une bourse de matières premières pour la région de l’Afrique de l’Est, et il a fortement appuyé sa création. Le gouvernement rwandais a tenu toutes ses promesses, ce qui a permis à notre groupe d’investisseurs de tenir les siennes : la bonne équipe d’investissement, associée à un gouvernement favorable, améliorera la vie des fermiers dans toute la région.

En suivant ces modèles (Power Africa et l’EAX), nous pouvons transformer toute l’économie africaine, en commençant par le secteur de l’électricité. Un jour, les 70 % d’Africains qui n’ont actuellement pas accès à une électricité abordable, tiendront pour acquis qu’ils peuvent appuyer sur un interrupteur et transformer leurs maisons, leurs bureaux et leurs écoles. Et ils se souviendront de la visite d’Obama. Parce qu’avec une implication du secteur privée dorénavant garantie, ce jour sera bientôt une réalité.

En Tanzanie, j’ai serré la main d’un africapitaliste, qui se trouve aussi être l’homme le plus puissant du monde. C’était un événement extrêmement important pour moi, qui ai investi toute ma vie en Afrique, et je suis convaincu que la visite d’Obama a été un événement tout aussi significatif pour l’Afrique. Elle va recentrer l’attention du monde sur l’investissement en Afrique. Elle change déjà les perceptions et mobilise les investisseurs internationaux. Elle changera même la vision de nombreux investisseurs africains, qui réaliseront que nous devons montrer le chemin. Parce que si nous nous affirmons et montrons de la confiance envers notre continent en dirigeant nos économies vers des investissements à long terme en Afrique, d’autres suivront. C’est l’un des piliers de l’Africapitalisme : les Africains pour l’Afrique.

La visite d’Obama était un jalon, attendu depuis longtemps, et dont l’effet durera. Elle confirme que l’ère de l’assistance se termine. Il est temps à présent que le secteur privé prenne la main.

*Tony Elumelu (http://tonyelumelu.com) est un entrepreneur, un philanthrope et le président de Heirs Holdings Limited (http://heirsholdings.com), une société d’investissements panafricaine. Il est l’ancien PDG du Groupe United Bank for Africa (http://www.ubagroup.com) et le président actuel de Transcorp
(http://www.transcorpnigeria.com). Vous pouvez le suivre sur Twitter à @TonyOElumelu (https://twitter.com/tonyoelumelu). 

Distribué par l’Organisation de la Presse Africaine pour Heirs Holdings.

Pour plus de renseignements :

Moky Makura

Heirs Holdings

E-mail : moky.makura@heirsholdings.com

Tél. : +234-1-277-4641

SOURCE

Heirs Holdings

Le coût de l’enclavement – Un périple sur les routes d’Afrique

Deux économistes de la Banque Mondiale ont accompagné Albert, chauffeur Burkinabé au long des 750 kilomètres qui séparent Ouagadougou et Tema. Ce prériple est l'occasion de rendre compte des difficultés administratives et des faiblesses infratsructurelles en Afrique de l'Ouest. A ce témoignage, Terangaweb joint un bref mais assez parlant ensemble de graphiques sur l'état des infrastructures en Afrique.

 


landlocked-blog_roadL’axe Ouagadougou-Accra-Tema, qui part de Ouagadougou, au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, traverse Accra, la bouillonnante capitale du Ghana, pour atteindre la ville portuaire de Tema, est l’un des corridors routiers les plus connus d’Afrique. [N]ous avons accompagné Albert, un chauffeur burkinabé de 50 ans, le temps d’un périple long de 750 kilomètres. Notre objectif ? Rendre compte des lourdeurs administratives qui accompagnent le passage des frontières et entravent le commerce et dénoncer le lourd préjudice économique que subissent les pays enclavés. Il nous a fallu 17 heures pour effectuer ce trajet, au lieu des sept heures prévisibles compte tenu de la distance à parcourir. Nous avons franchi une frontière et 20 postes de contrôle.

Les troubles des pays enclavés

Il y a 37 ans, les dirigeants de 16 pays ont instauré une zone régionale de libre-échange, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAS). Cette organisation a pris des mesures visant à réduire les obstacles au commerce. Les droits de douane ont certes été significativement revus à la baisse, mais d’autres obstacles demeurent, qui nuisent aux pays enclavés : leurs échanges commerciaux sont de ce fait inférieurs de 30 % en moyenne à ceux des pays côtiers, alors qu’ils comptent parmi les États les plus pauvres de la planète. Les prix à l’importation sont plus élevés et les pays enclavés reçoivent également moins d’investissements directs étrangers avec, pour conséquence, une croissance économique plus faible, moins d’emplois et une population plus pauvre — L’économiste Jean-Francois Arvis et ses collègues ont d’ailleurs rédigé un rapport intéressant à ce sujet [PDF- Anglais].

Il faut donc, de toute urgence, trouver des solutions pour aider ces pays à participer pleinement aux échanges mondiaux de biens et de services. En entreprenant ce voyage, nous voulions notamment constater par nous-mêmes les difficultés auxquelles se heurtent les activités commerciales, afin de pouvoir en tenir compte dans la suite de nos travaux sur la compétitivité de la région.

Lourdeurs administratives

Sur une route à voie unique et à travers des régions peu peuplées, le trajet qui nous a menés de Ouaga jusqu’à la frontière avec le Ghana a été étonnamment facile. Deux heures et demie après avoir quitté la ville, nous nous sommes arrêtés au poste de gendarmerie burkinabé, où notre chauffeur a fait viser son passeport. Le trafic était dense à la frontière, et nous avancions à une allure d’escargot vers le point de passage. Là, des files de dizaines de camions attendaient leur tour.

Une fois sur le sol ghanéen, nous nous sommes arrêtés pour faire contrôler nos passeports puis pour faire valider nos documents, ce qui nécessite l’obtention de trois visas, apposés par trois bureaux différents. Cela nous a pris une heure et demie… Les routiers auraient trouvé ça rapide, eux qui doivent souvent patienter plusieurs heures, voire, dans les cas extrêmes, plusieurs jours, à la frontière avec leur marchandise.

Nous avons ensuite poursuivi notre route dans le nord du Ghana, où la végétation est incontestablement plus verte et les habitations et les villages nettement plus riches. Cette région a bénéficié d’efforts particuliers pour faciliter les transports. La chaussée est en bon état, les voies suffisamment larges et la signalisation est claire. À Tamale, aux alentours de midi, nous avons pu voir que se tenait ce dimanche un marché animé.

En quittant la ville, nous avons vu des camions surchargés de marchandises. Comme nous, ces camions, qui empruntent l’axe Ouagadougou-Accra-Tema, doivent franchir pas moins de 20 postes de contrôle douanier ou de police, certains semblant avoir été implantés de manière totalement arbitraire. Selon les chauffeurs, en moyenne, les retards pris à la frontière et aux postes de contrôle peuvent allonger leur voyage d’une journée et demie. Beaucoup sont alors obligés de passer la nuit à dormir sous leur camion.

Infrastructures inadaptées

La traversée de Kumasi, deuxième ville du Ghana, nous a également pris une heure et demie. Les routes dans cette région sont pour la plupart en excellent état, à l’exception des 40 derniers kilomètres qui séparent Apedwa d’Accra. Sur ce tronçon, la chaussée n’est pas revêtue et des nids-de-poule gros comme des cratères ralentissent la progression, qui devient cahotante et difficile. En bordure de route, nous avons vu de nombreux camions arrêtés pour une réparation ; d’autres menaçaient de percuter notre véhicule en slalomant dangereusement de droite à gauche pour éviter les cratères.

Après 16 heures de route et une halte pour le déjeuner, la dernière heure de notre trajet nous a conduits d’Accra à Tema, le plus important des deux ports du Ghana. Chaque année, quelques 2 000 ouvriers chargent et déchargent les 10 millions de tonnes de marchandises qui transitent par ce port.

Malgré une certaine organisation et une gestion apparemment opérationnelle, une escale au port de Tema requiert de venir à bout de procédures administratives complexes. Selon les statistiques, il faut en moyenne 19 jours pour faire déplacer un conteneur de 20 pieds entre le port et un terminal dans les terres. Au total, notre trajet depuis Ouagadougou jusqu’au port ghanéen de Tema aura duré 17 heures, sur des routes cahoteuses et aura été entrecoupé de multiples arrêts. Pour les chauffeurs de camions, il peut facilement durer jusqu’à 48 heures.

Si l’on veut simplifier les trajets sur cet axe commercial de première importance, il faudrait réduire le nombre de points de contrôle, revoir la politique régionale et mettre en place des initiatives de facilitation des échanges qui suppriment les goulets d’étranglement. La Banque mondiale s’emploie à collaborer avec les pays d’Afrique et à trouver des solutions grâce au partage de connaissances et à la réalisation de projets associant infrastructures portuaires et réforme des politiques.

 

Ali Zafar  & Valerie Nussenblatt

Blogs.WorldBank.Org

Reproduction sous licence CC 2.0

 


Pour prolonger le sujet : Etat des Infrastructures en Afrique – Idées Générales (Terangaweb – Juillet 2013)

La politique étrangère de l’Afrique du Sud : entre idéalisme et realpolitik

Plus que tout autre pays, l'Afrique du Sud devrait être un défenseur et un promoteur des droits de l’homme en raison de son passé. Le pays a le potentiel d’être à l’avant-garde du combat pour un ordre international plus démocratique.

 


Dans un article écrit pour Foreign Affairs en 1993, Nelson Mandela, qui était à l’époque chef de l’ANC et futur Président, a articulé la politique étrangère de l'ANC dans une Afrique du Sud post-apartheid. Son message visionnaire disait : «que les questions des droits de l'homme sont au cœur des relations internationales et vont au-delà du fait politique pour englober le domaine économique, social et environnemental ; que des solutions équitables et durables aux problèmes de l'humanité ne peuvent venir que par la promotion de la démocratie dans le monde ; que les considérations de justice et de respect du droit international devraient guider les relations entre les nations; que la paix est l'objectif que tous les pays devraient s'efforcer de suivre et lorsque celle-ci échoue, que ce soient les mécanismes basés sur le consensus international et la non violence …. Que les préoccupations et les intérêts du continent africain devraient être reflétés dans nos choix de politique étrangère ... ».

Depuis 1994, l'Afrique du Sud a joué un rôle croissant sur le continent et dans le monde. Le pays fut par deux fois élu membre non-permanent du Conseil de sécurité ; Il fait parti des pays de l’IBSA et plus récemment des BRICS ; Au sein de l'Union Africaine, son rôle en tant que médiateur et contributeur aux forces chargées du maintien de la paix sur le continent s’est accru de manière exponentielle.

La politique étrangère de l'Afrique du Sud a la difficile tâche de satisfaire les attentes en matière de leadership dans le domaine de droits de l’homme (et son envie de jouer ce rôle sur la scène mondiale) et l’inévitable nécessité de realpolitik dans un paysage géopolitique aux rapports de forces en constante évolution. De plus les ambitions propres à l’Afrique du Sud, comme leader en Afrique et comme leader africain dans le monde, amène ses dirigeants à définir leur politique et leurs alliances de manière prudente et ce sur chaque problématique.

Zuma au Benin

 

Alors que sa puissance et son influence continuent de s’affirmer, les priorités et les objectifs de la politique étrangère de Pretoria font l’objet d’une attention croissante, et parfois de critiques sévères, y compris de l’icône de la lutte contre l’apartheid, l’archevêque Tutu, qui a remis en question le bilan du pays en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité, en soulignant notamment les efforts entrepris pour faire en sorte que le Zimbabwe ne figure pas à l’ordre du jour du Conseil. Ces critiques ont peut-être été plus appuyées en raison des attentes particulières envers l’Afrique du Sud post-1994 ; des attentes liées à son propre passé dans le domaine des droits de l’homme et à l’arrivée au pouvoir d’un parti de libération qui a produit 3 lauréats du prix Nobel et qui a donné naissance au leadership moral de modèles comme Mandela et l’archevêque Tutu. La politique étrangère d’une Afrique du Sud démocratique était censée être à l’avant- garde, particulièrement dans les domaines de la justice sociale et des droits de l’homme. Ce sont des attentes que d’autres pays émergents comme le Brésil, la Turquie ou l’Inde par exemple n’ont pas eu à satisfaire.

Bien que l'Afrique du Sud puisse ne pas être totalement à l’aise au sein de certains groupes de pays émergents comme les BRICS, elle partage un même désir commun de remodeler les dynamiques actuelles du pouvoir mondial, notamment la volonté d’inciter une réforme du Conseil de sécurité pour le rendre plus représentatif et démocratique. Cette volonté de remodeler les dynamiques de pouvoir et de défier le statu quo a inclus la remise en question de la communication sur les droits de l’homme qui met en avant certaines situations au détriment d’autres. Pourquoi, par exemple, l'opinion mondiale ne se mobilise pas autour des violations des droits de l’homme au Sahara Occidental ou à Guantanamo Bay de la même manière qu’elle le fait lorsque des intérêts bien établis sont en cause. Dans le débat annuel du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental qui eu lieu l'année dernière, l’ambassadeur d’Afrique du Sud accusa le Conseil de double standard, en soulignant le contraste entre la réponse apportée au Printemps arabe avec le refus de permettre un mécanisme permanent de surveillance des droits de l’homme dans la région et l’accusant d’une «approche sélective des droits de l'homme». Ceci est en accord avec une critique plus générale émanant de Pretoria envers ceux qui détiennent le pouvoir sur la scène internationale et le fait qu’ils utilisent les droits de l’homme comme prétexte afin de poursuivre des intérêts nationaux, les invoquant dans certains cas tout en les ignorant dans d'autres.

Ce point sert à rappeler qu'il n'y a pas de «politique étrangère des droits de l’homme» et que le fait d’évaluer une telle politique uniquement sur la base d’une problématique est biaisé sur le plan analytique. Il est plus approprié de fournir une analyse contextuelle de l'objectif général d’un Etat en matière de droits de l'homme, en reconnaissant la cohérence là où elle existe, mais en se concentrant sur ​​les tendances qui peuvent être révélatrices des priorités. Cela peut aider à comprendre à quoi le nouvel ordre mondial peut ressembler si les puissances émergentes continuent de voir leur influence croître sur la scène mondiale.

En évaluant la politique étrangère de l'Afrique du Sud, en particulier en ce qui concerne les questions de guerre et de paix, il faut comprendre que ce pays appréhende ses relations internationales à travers le prisme de sa propre histoire consistant à parvenir à une solution négociée dans laquelle la recherche de la paix et de la justice sont des impératifs qui se renforcent mutuellement. Il ne faut donc pas s'étonner que dans les cas où l’Afrique du Sud a été la plus sévèrement jugée, elle a poursuivi une politique de recherche de solution négociée. En Libye, bien que l'Afrique du Sud ait voté en faveur des deux résolutions du Conseil de sécurité 1970 et 1973, la zone d'exclusion aérienne et le renvoi à la CPI, elle a continué à chercher une solution négociée dans le cadre d'un panel de haut niveau de l'UA qu'elle a dirigé. De même en Syrie, alors que sa position au Conseil de sécurité en 2012 a été largement critiquée, l'approche adoptée, à tort ou à raison, est le reflet d’un effort incessant visant à trouver des solutions négociées à des conflits apparemment insolubles.

L'approche de l'Afrique du Sud à la Cour Pénale Internationale montre la manière dont elle tente de concilier les impératifs des différents groupes, ses propres engagements en matière de droits de l'homme et ses objectifs d’ordre plus général tels que la gouvernance mondiale.

Dans ses déclarations devant le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale et l'Assemblée des États Parties au Statut de Rome, l'Afrique du Sud a souvent mis en avant l'importance de la lutte contre l'impunité et la contribution importante apportée par la CPI pour renforcer la responsabilisation et encourager d'autres États à devenir signataires du Statut de Rome tout en soulignant les questions telles que le financement et la non-coopération qui entravent le travail de la Cour. Dans le même temps, l'Afrique du Sud a soulevé des préoccupations au sujet de la politique suivie par la CPI et le manque de cohérence comme étant une menace pour la légitimité et l'efficacité de la Cour elle-même en s’interrogeant sur les intentions cachées.

L'Afrique du Sud a toujours soutenu la Cour, mais a également appelé à un processus à deux voies dans des situations telles que le Darfour qui permettrait à la fois une voie de la justice et de la responsabilité ainsi qu’une voie politique pour traiter de questions plus larges dont celles concernant une paix durable. C'est dans ce contexte qu'elle a appelé à un report de l’article 16 au sujet de la situation au Darfour, visant également à respecter les efforts régionaux pour résoudre les conflits.

La gestion des relations avec le président soudanais Béchir montre combien il peut parfois être délicat pour l’Afrique du Sud de trouver un équilibre entre certaines contradictions. Alors que le président Béchir fut invité à l’investiture du président Zuma en 2009, il aurait également été informé via les canaux diplomatiques non officiels ne pas y assister avant qu’il ne soit annoncé qu'un mandat d'arrêt avait été émis et qu’il serait utilisé au cas où il poserait le pied sur le sol sud-africain.

Cette solution permis à l’Afrique du Sud de remplir ses obligations, de relever l'indépendance de son système judiciaire et de maintenir ses relations diplomatiques avec un chef d'Etat et sa capacité à entrer dans un processus de médiation et de résolution de conflit. De même, tout en ne soutenant pas les objections de l'Union Africaine sur le fait que le tribunal visait à «cibler les africains», l'Afrique du Sud a incité le Conseil de sécurité à accepter la demande émise par l’UA de report du mandat d’arrêt contre Béchir.

Il est peut-être trop tôt pour faire le bilan d'un pays qui est encore en train de négocier un rôle croissant sur ​​la scène internationale. Ce que nous savons, c'est que les éléments clés de la politique étrangère prévus par l'ancien président Mandela en 1993 demeurent en place : la promotion d'un ordre du jour africain, de la paix, de solutions négociées et le respect des droits de l'homme en tant que composante essentielle des objectifs visés par la politique étrangère de L’Afrique du Sud. Malgré certaines contradictions et incohérences, le désir fondamental de contester le pouvoir établi pour un ordre international plus démocratique est clairement perceptible. Ceci peut en soi déjà être considéré comme un ordre du jour en faveur des droits de l’homme.

 

Dire Tladi & Nahla Valji

Pour Open Global Rights

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Sur les auteurs

Dire Tladi est Conseiller Juridique Principal (droit international) au ministère des Relations internationales et de la coopération sud-africain.

Nahla Valji est spécialiste des questions d'état de droit et de justice à ONU Femmes, agence de l'ONU oeuvrant  pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes.

 

Pour aller plus loin

 

Reproduction de l'article sous licence Creative Commons

Illustration : Visite officielle du Président Jacob Zuma au Bénin

Licence CC – Flickr @GovernmentZA