Comment expliquer la persistance des inégalités entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud ?

Plus de vingt ans après la fin de l’Apartheid et l’élection de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud demeure marquée par les stigmates de la ségrégation et des discriminations raciales.  La deuxième économie d’Afrique en termes de PIB (1) est aujourd’hui également « la société la plus inégalitaire du monde » selon l’expression de l’économiste sud-africain Haroon Bhorat, et présente un coefficient de Gini de 0,69 (2).

Dès 1994 des politiques volontaristes visant à réduire les inégalités ont été mises en place et l’Afrique du Sud a enregistré un taux de croissance permettant de faire reculer la pauvreté (3). Toutefois, les fruits de la croissance n’ont pas permis de modifier la structure des revenus et de réduire les inégalités entre noirs et blancs.

Si l’analyse économique des inégalités retient rarement le critère ethnique comme variable d’étude il convient compte-tenu de l’histoire de l’Afrique du Sud et de son passé ségrégationniste, d’évaluer la faiblesse des capabilités (4) dont dispose la population noire de ce pays pour rendre compte des discriminations structurelles qu’elle continue à subir de nos jours.

 

  1. Vingt ans après la fin de l’apartheid, les inégalités demeurent et menacent le développement économique du pays

 

  1. Inégalité de salaire, de patrimoine et de capital humain

Un rapport publié en 2015 par l’Institut national des statistiques sud-africain (5) rendait compte de l’inquiétante persistance des inégalités de revenu en Afrique du Sud. En effet, ce document révèle qu’avec en moyenne 6444 dollars par an les foyers noirs disposent toutes choses égales par ailleurs, d’un revenu moyen cinq fois inférieur à celui des foyers blancs qui plafonne à 30 800 dollars annuel.

Par ailleurs ces inégalités salariales sont amplifiées par les inégalités de patrimoines. En effet l’accès à la propriété foncière a longtemps été interdit aux populations noires reléguées en périphérie du Cap et de Johannesburg les ghettos lors de l’Apartheid.

Enfin, le système scolaire sud-africain est extrêmement polarisé. L’enseignement public et gratuit de ce pays compte parmi les plus défaillants du monde. Une enquête menée par le Boston Consulting Group montrait ainsi en 2015 que la majorité des enseignants ne disposaient pas du niveau requis en mathématique (6) ! Or les enfants issus des familles les moins aisées sont les principaux élèves des écoles publiques. Ils ne bénéficient donc pas d’une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans les écoles privées plus coûteuses. Dès lors d’après la théorie du « signal » élaborée par Spence, pour un même nombre d’années d’études un lycéen ayant effectué toute sa scolarité dans un établissement sud-africain public et un lycéen ayant exclusivement fréquenté un établissement privé n’enverront pas le même signal à un potentiel employeur.

 

  1. Les tensions ethniques et sociales freinent le développement économique

 

Minée par les inégalités, l’Afrique du Sud est régulièrement en proie à des crises sociales majeures. En août 2012 les grèves parties de la mine de platine de Marikana ont causé la mort de trente-quatre  manifestants et se sont propagées vers d’autres secteurs industriels tels que l’or, le minerai de fer, le charbon et le chrome. Les pertes engendrées par ces échauffourées ont été estimées à plus d’un milliard de dollars tandis que le taux de croissance de l’économie sud-africaine a diminué de 0,9% lors du deuxième trimestre de l’année 2013. (7)

Outre ces affrontements marxistes et traditionnels liés au rapport de force à l’œuvre entre les détenteurs des moyens de production et les travailleurs, on observe également une augmentation des risques liés au sous-emploi. En 1993 C. Juhn révélait dans une étude l’existence d’une corrélation entre l’inégalité des salaires aux Etats-Unis et la recrudescence de la délinquance. En effet, à partir des années 1970, les populations noires américaines ont connu une massive sortie de la population active qui est allée de paire avec une nette augmentation de la population carcérale. Dans le cas sud-africain, le sous-emploi des travailleurs noirs les moins qualifiés a notamment été causé par les rigidités sur le marché de l’emploi (8).

Les structures syndicales héritées de l’apartheid sont restées très prégnantes et ont continué à influer sur le marché du travail sud-africain. Ainsi, l’instauration d’un salaire minimum trop élevé s’est faite au détriment des travailleurs les moins qualifiés qui n’ont pas pu profiter de la croissance économique et se sont massivement tournés vers les activités illégales ou informelles. Dans une enquête publiée en 2013 et intitulée “Job destruction in the South African clothing industry: How an unholy alliance of organised labour, the state and some firms is undermining labour-intensive growth”, Nicoli Nattrass et Jeremy Seekings témoignent des effets néfastes de l’action syndicale sur l’emploi dans les secteurs à faible intensité capitalistique comme l’industrie textile.

 

  1. De la redistribution à l’amélioration des « capabilités »

 

  1. Les tentatives de solution

Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain n’a eu de cesse de développer des programmes de subvention et de redistribution fiscale. Toutefois ces solutions agissent en aval sur les conséquences de l’inégalité en capital humain mais ne permettent pas en amont d’accroître les capabilités des populations les plus démunies.

Pour l’heure le gouvernement sud-africain a préféré les solutions visant à corriger les effets des inégalités plutôt que d’engager des réformes touchant aux causes structurelles et historiques de ces inégalités.

 

  1. Recommandations : lutte contre les discriminations, politique de formation et mixité urbaine

La lutte contre les discriminations sur le marché du travail doit faire l’objet d’une politique publique afin de réduire les inégalités. Dans une enquête sur les inégalités économiques aux Etats-Unis, Phelps et Arrow analysent les discriminations en vigueur contre les noirs dans les années 1970. Les deux économistes ont ainsi montré que du fait des préjugés raciaux ancrés lors de l’époque ségrégationniste,  les employeurs anticipent que certains groupes ont objectivement moins de chances que les autres d’être productifs. Les anticipations des employeurs et les comportements engendrés par ces anticipations peuvent conduire à une persistance des inégalités de capital humain. En transposant cette analyse à l’Afrique du Sud post-ségrégationniste on comprend dès lors que la réduction des inégalités passera par une lutte active contre les discriminations à l’embauche notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, à l’instauration de missions de testing, et à la prise de sanctions exemplaires contre les employeurs se rendant coupables de discrimination.

 

Par ailleurs, une politique de formation volontariste permettra d’unifier le système scolaire sud-africain et de le rendre plus égalitaire. La théorie du signal de Spence, affirme que les employeurs attendent des informations précises sur la qualité du diplôme et non pas seulement sur le nombre d’années d’étude. Dès lors l’octroi de subvention aux écoles publiques et une meilleure formation des personnels enseignant dans ces établissements permettra de réduire significativement les écarts en termes de capital humain et d’accès au marché de l’emploi.

 

Une refonte de l’enseignement public ne saurait se passer d’une politique urbaine audacieuse. En effet, le rapport Coleman publié en 1966 par l’administration américaine faisait état d’un échec des politiques publiques visant à augmenter les moyens des écoles des quartiers défavorisés, ainsi que d’une insertion médiocre sur le marché du travail. Plusieurs commentateurs du rapport ont rappelé que les résultats médiocres ne sont pas seulement imputables au fait que le milieu social détermine la réussite scolaire mais aussi à la composition des classes (peu d’émulation entre les élèves…). Le quartier d’habitation influe sur la réussite scolaire. Les externalités locales, au niveau micro-économique de la salle de classe, ont un effet global sur la dynamique des inégalités. Dans ces conditions, l’instauration d’une carte scolaire apparaît comme une solution pour favoriser la mixité sociale et ethnique tout en réglant le problème de la ségrégation urbaine qui sévit toujours en Afrique du Sud et est un vestige du régime de l’apartheid.

 

Daphnée Setondji

Sources

  1. http://afrique.lepoint.fr/economie/ou-va-l-afrique-du-sud-19-08-2014-1857787_2258.php
  2.  Haroon Bhorat, Fighting poverty: Labour markets and inequality in South Africa, 2001.
  3. http://www.rfi.fr/afrique/20170128-afrique-sud-inegalites-salaires-statitstiques-blancs-noirs-foyers-pauvres
  4.  Eric Monnet, La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme
  5. http://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-champion-des-inegalites-de-revenus-478113.html
  6. http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2605-29246-lafrique-du-sud-occupe-le-2eme-rang-mondial-dans-le-domaine-des-inegalites-de-revenus
  7. http://www.slate.fr/story/80853/retombees-apartheid
  8. C. Juhn “Wage Inequality and the Rise in Returns to Skill”, 1993

Le vieillissement est-il devenu un risque au Maroc ?

Au cours de l’été 2016, les débats parlementaires relatifs à la réforme du système de retraite marocain ont mis au jour les faiblesses d’un système d’assurance vieillesse qui peine à faire face à la transition démographique que connait actuellement ce pays. 

Tandis que dans la société traditionnelle marocaine, le vieillissement concernait la sphère privée et mettait en jeu des logiques de solidarité familiale, la mise en place du système de protection sociale tout au long du XXème siècle, a permis de mutualiser les risques liés au vieillissement et d’améliorer la prise en charge des personnes âgées.

Toutefois depuis le début des années 2000 le vieillissement croissant de la population et la dégradation du ratio de dépendance démographique menacent l’assurance vieillesse car le nombre de cotisants ne suffit pas à financer les retraites des personnes âgées dont le nombre ne cesse de croître. Dès lors, le vieillissement est-il devenu un risque au Maroc ?

 

  1. Les risques induits par le vieillissement ont progressivement été mutualisés et pris en charge par la société marocaine.

 

  1. Redéfinition des solidarités privées

La théorie du cycle de vie développée en 1954 par Modigliani et Aldo décrit la vieillesse comme le troisième et ultime temps de la vie de l’individu. Au cours de cette période, l’épargne est utilisée par l’agent comme une trésorerie lui permettant de maintenir le niveau de consommation dont il disposait lors de sa période d’activité. En effet, le vieillissement s’accompagne pour les individus d’une disparition des revenus d’activité et d’un risque de pauvreté si l’épargne a été insuffisante lors de la période d’activité et si le système de protection sociale ne couvre pas l’ensemble de la population.  

Au Maroc la paupérisation croissante des personnes âgées est ainsi devenue un problème d’intérêt général dont rend compte le rapport sur l’Entraide Nationale publié en 2006. En effet, le rapport souligne la persistance de solidarités privées ainsi que la dépendance de nombreuses personnes âgées à l’entraide familiale et intergénérationnelle. Cette tendance montre qu’en l’absence de couverture universelle, les personnes âgées n’ayant jamais été salariées ou n’ayant jamais été rattachées à une caisse nationale d’assurance vieillesse – anciens agriculteurs,  anciens vendeurs sur le marché informel par exemple – ne bénéficient d’aucune protection et sont fortement exposées aux risques liés aux vieillissement tels que la pauvreté ou les maladies.

 

  1. La mutualisation des risques a abouti à la création d’un système de retraite bismarckien qui peine aujourd’hui à faire face à la dégradation du ratio de dépendance

 

L’actuel système de retraite marocain est de nature bismarckienne et la mutualisation des risques ne concerne que les travailleurs du secteur formel.  En effet, le système d’assurance sociale est pour l’heure contributif,  exclusivement  basé sur le salariat et organisé en quatre branches distinctes :

  • Caisse Nationale de Sécurité Sociale pour les salariés du secteur privé
  • Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite
  • Caisse Marocaine des retraites consacrée aux salariés des administrations publiques
  • Régime collectif d’allocation de retraite en faveur des agents contractuels employés par les administrations publiques.

Les prélèvements effectués sur les salaires des actifs permettent de financer les retraites et pensions des personnes âgées. Toutefois ce système assurantiel repose sur la stabilité du ratio de dépendance. Le Haut Commissariat au Plan rappelait dans son rapport de décembre 2012 que  le ratio démographique global des caisses de retraite est passé de 15 actifs pour un retraité en 1980 à 5,8 actifs en 1993 et à 3,9 actifs en 2009.

 

  1. La transition démographique menace la pérennité de ce système et la réforme de 2016

 

  1. Le gouvernement marocain tente depuis 2009 d’enrayer l’effondrement du système de santé

 

Dans une enquête consacrée au vieillissement de la population marocaine et commandée en 2006 par le Gouvernement marocain, les deux auteurs Youssef Courbage (INED) et l’historien Emmanuel Todd  indiquent  que la transition démographique du Maroc, qui a commencé dès 1975, soit bien avant tous les autres Etats africains, touche actuellement à sa fin. 

En effet, les prévisions démographiques laissent présager une profonde mutation de la pyramide des âges d’ici 2050. D’après les projections publiées par le Haut Commissariat au Plan le 20 décembre 2012, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus passerait ainsi de 2,7 millions en 2010 à 10,1 millions en 2050. Cette évolution porterait donc à 24,5% la part des personnes de plus de 60 ans dans la société contre respectivement 7,2%  et  8,1% en 1960 et 2004. Sans réforme du système de retraite par répartition ces évolutions conduiraient à une dégradation des déficits des quatre caisses nationales d’assurance vieillesse.

 En 2009 le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité a mis en place une Stratégie nationale pour les personnes âgées afin de lutter contre l’exclusion et la pauvreté croissantes des personnes âgées.  Par ailleurs, la réforme la plus importante est intervenue  le 19 juillet  2016 avec l’adoption au Parlement marocain, de l’allongement de la durée de cotisation portant l’âge du départ à la retraite à 63 ans. Dans le même temps, les cotisations ont été augmentées et le montant des pensions réduit. Cette réforme paramétrique douloureuse pour les salariés a polarisé l’opinion publique et donné lieu à un bras de fer entre les partenaires sociaux et le gouvernement marocain.

  1. Recommandations

La  solution  à la dégradation du ratio de dépendance ne doit pas être exclusivement centrée sur les paramètres du système de retraite (durée de cotisation, âge de départ à la retraite, montant des pensions, etc). En effet, les politiques d’emploi sont également un levier pertinent permettant d’agir sur le nombre de cotisants. Les avantages fiscaux en faveur de l’emploi des jeunes permettraient par exemple d’augmenter le taux d’emploi et donc le nombre d’actifs.

En outre, le gouvernement  marocain gagnerait à développer les politiques de formation et de soutien à la recherche. Grâce aux dispositifs de formation tout au cours de la vie active, la productivité du travail augmenterait et ces gains de productivité permettraient de pallier la diminution de la part d’actifs dans la population totale.

 

Daphnée Setondji

 

Sources

  • Courbage, Y et todd, E, (2007), Nouveaux horizons démographiques en Méditérannée.
  • Faruqee, H. and Tamirisa, N., (2006), Macroeconomic Effects and Policy Challenges of Population Aging, No 06/95, IMF Working Papers, International Monetary Fund.
  • http://www.huffpostmaghreb.com/2016/07/20/retraite-loi-maroc_n_11080492.html
  • Rapport du Haut Commissariat au Plan intitulé  « Vieillissement de la population marocaine : Effets sur la situation financière du système de retraite et sur l’évolution macroéconomique » (2012).

L’intégration financière en Afrique: encore un long chemin à parcourir!

mf2L’intégration financière désigne l’ensemble des processus liant les marchés financiers d’un pays à ceux d’autres pays de la même région ou de reste du monde.  Le fonctionnement optimal des marchés financiers est la condition préalable à l’accroissement des échanges, à la répartition efficace des facteurs de production et à la diversification du risque.  Sur le continent africain, le marché des capitaux souffre pour l’heure d’un manque de liquidité et d’une faible capitalisation. De plus, la vision à court terme qui prévaut en matière d’instruments financiers et de financement bancaire nuit à la stabilisation du marché financier continental. En outre, le manque d’intégration des marchés financiers ne permet pas aux autorités bancaires régionales de disposer d’instruments de politiques monétaire et budgétaire efficaces de régulation des marchés.

S’il est admis que les marchés financiers contribuent positivement à la croissance économique comme le montre les travaux de Rousseau et Sylla (2001), ils restent encore très peu développés en Afrique. Pour y remédier, les communautés économiques régionales (CER) en Afrique ont ainsi fait de la consolidation des marchés financiers et de la mise en commun des ressources financières le fer de lance de leur action. Dans le cadre d’un marché régional africain parfaitement intégré, les réseaux bancaires nationaux et les places boursières seraient constamment interconnectés, ce qui favoriserait une meilleure allocation régionale du crédit et de l’épargne en faveur des investissements les plus performants. Cela suppose un desserrement des contraintes liées à la libre circulation des capitaux ainsi qu’une harmonisation des règles financières et fiscales au sein d’un même sous-groupe régional. Une telle intégration permettrait aux pays africains  les moins compétitifs d’accéder aux marchés financiers des communautés économiques régionales et de financer leur développement économique.

Lors de la conférence “Réussir l’intégration financière de l’Afrique” organisée par la Banque de France  en mai 2014, Ronald Mc Kinnon a souligné la volatilité des mouvements de capitaux récemment investis dans les pays émergents. Cette volatilité peut fragiliser les états africains particulièrement sensibles à l’évolution du niveau général des prix des matières premières.

Pour Richard Agenor, chercheur associé à l’Université de Manchester, le principal enjeu de l’intégration financière de l’Afrique est de parvenir à faire converger les économies régionales afin de permettre une mobilisation de l’épargne internationale vers des investissements de développement économique.  En palliant à l’insuffisance de l’épargne interne,  l’intégration financière permettra de rendre plus efficace l’allocation des financements et de renforcer le cadre de l’accès aux services financiers.

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Dans ce contexte le développement des banques transfrontières incitera à une meilleure coordination des superviseurs ainsi qu’à une plus grande convergence des règlementations financières. Le renforcement des cadres règlementaires régionaux et nationaux reposera sur une modernisation structurelle et le développement des innovations financières telles que la finance islamique, la microfinance ou le mobile banking.

La Bourse régionale des Valeurs Mobilières: un pas vers l’intégration financière de l’Afrique ?

On dénombre aujourd’hui plus de vingt bourses des valeurs sur le continent africain. La région ouest-africaine fait d’ailleurs figure de pionnière avec la création de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) constituée de huit pays d’Afrique de l’Ouest. Ces groupements permettent aux places boursières africaines d’atteindre une masse de flux financiers importants et d’attirer les investissements privés tout en gagnant en visibilité sur le marché financier mondial. En outre, une telle fusion pose les jalons pour la mise en place d’une Autorité de régulation boursière régionale et ainsi une harmonisation de la règlementation en matière de cotation et d’échanges.

Plusieurs pays – dont le Botswana, le Ghana et le Nigeria – se sont ainsi engagés dans la voie des privatisations d’entreprises publiques et des reformes structurelles afin de stimuler leurs marchés boursiers. L’étude publiée par Magnusson et Wydick en 2002 démontrait  ainsi, grâce à une analyse économétrique portant sur l’incidence des prix sur les données disponibles relatives aux entreprises et à l’environnement financier, que l’efficacité des marchés financiers du Nigeria et du Botswana est actuellement comparable à celles des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine.

Par ailleurs, parallèlement à la performance de la bourse sud-africaine qui se classe au premier rang en Afrique en terme de capitalisation de montant des échanges et de nombre de sociétés cotées[1], la BRVM créée à Abidjan en 1998 permet aux États membres (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) et aux opérateurs étrangers d’échanger des titres financiers. Cette place boursière permet aussi la cotation des entreprises transfrontalières.  En effet, il faudrait dans les années à venir multiplier les cotations croisées permettant aux États membres de multiplier les cotations multilatérales au sein d’une même CER sans toutefois renoncer aux organismes de régulation nationaux.  Grâce aux cotations croisées, des introductions en bourse hors du cadre strict des frontières nationales seraient possibles. De même, les entreprises transnationales pourraient développer simultanément des cotations de leurs titres sur toutes les places boursières du continent. Enfin, les investisseurs privés tireraient également profit de ce système transnational qui leur permettrait de mobiliser des ressources hors des frontières de leur pays de résidence.  L’acte constitutif de l’Union Africaine (2000) a ainsi fait de la mise en place d’un marché boursier panafricain, l’un de ses principaux objectifs.

Daphnée Sétondji


[1] CEA African Security Exchange Association Year Book 20014, African Stock Market Review PNUD

 

Quelle contribution des femmes africaines au développement du continent ?

cristina1Femme et africaine : un héritage social et économique de mauvais augure au regard des représentations culturelles, des réalités sociologiques et des pratiques discriminatoires en vigueur sur le marché du travail ou du capital ; pourtant les travaux[1] démontrant que l’égalité des sexes est un des piliers du développement économique de l’Afrique se multiplient.

Dans l’étude Women in Africa publiée en 2013, l’OCDE estimait que les femmes constituent 70% de la main d’œuvre agricole du continent et concourraient à la production de 90% des denrées alimentaires.  En outre, se plaçant au-delà de la moyenne recensée dans toutes les autres régions constituant l’OCDE,  les femmes africaines produisent 61,9% des biens économiques. Cette production majoritairement informelle, agricole et non salariée donne lieu à une segmentation du marché du travail africain et à une sous-représentation record des femmes dans le salariat et le secteur non agricole (8,5% à l’échelle du continent). Ce constat est d’autant plus alarmant que la tertiarisation de l’économie africaine – reposant sur l’essor des secteurs du numérique, des télécoms ou des services financiers – pourrait conduire à un phénomène de progrès technologique biaisé[2] en défaveur des femmes peu investies en capital humain.

Les barrières à l’entrée sur le marché du travail dont souffrent les femmes sont de plusieurs natures et ont déjà été analysées au prisme de la morale, de la culture ou des droits fondamentaux. Toutefois, force est de constater que par-delà ces considérations légitimes et incontestables ; l’Afrique n’a également aucun intérêt économique à se passer de la compétence de plus de la moitié de sa population dans les secteurs secondaires et tertiaires. Une défaillance des institutions et du marché peut contribuer à expliquer l’éviction nuisible des femmes dans les secteurs secondaire et tertiaire.

Le présent article proposera d’abord un panorama du cadre institutionnel régissant l’activité économique des femmes en Afrique, en revenant sur les mesures entreprises pour l’améliorer ; puis discutera les limites de ces politiques publiques et les perspectives d’évolution.

Qualifiées ou non, les femmes africaines contribuent à la croissance du continent malgré de nombreux obstacles structurels 

La plupart des études montrent que les échanges internationaux ont un impact négatif mais faible sur l’emploi. Ce solde négatif se concentre principalement sur les emplois les moins qualifiés, majoritairement occupés par les femmes en Afrique. A titre d’exemple, d’après l’INSEE en 2011, les échanges industriels de la France avec les PED ont abouti à un déficit de 330 000 emplois. Sans investissement urgent dans la main d’œuvre féminine peu qualifiée, les Etats africains risquent donc de voir croître le taux de chômage alors même que le volume d’investissement dans les secteurs porteurs de croissance augmente. L’éviction des femmes non qualifiées sur le marché du travail formel ne se traduit pourtant pas par une inactivité totale mais donne lieu à un renforcement du marché informel qui s’accompagne parfois de succès sur le long terme comme le montre l’exemple des « Nana Benz » togolaises ayant fait fortune dans le commerce informel des tissus wax de la période coloniale aux années 2000[3].

Concernant les femmes qualifiées, les barrières sont majoritairement d’ordre institutionnel et juridique. En effet, le code familial en vigueur dans plusieurs Etats africains génère des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité des marchés en limitant la répartition équitable des parts d’héritage entre descendants féminins et masculins lors des successions ou en restreignant l’accès des femmes au crédit bancaire. En outre, l’iniquité des droits de propriété foncière constitue une entrave à l’entrepreneuriat des femmes et évince un grand nombre d’entre elles des différents marchés. L’imperfection du marché du travail et le faible accès à l’offre de capital génèrent une asymétrie entre les femmes et les structures demandeuses de main d’œuvre en mesure de fixer des salaires nominaux dérisoires. Pour faire face à cela, les entreprises de micro-crédit se sont développées à destination des populations les plus vulnérables et les plus éloignées du secteur bancaire comme le démontre la chercheuse Annelise Sery dans Le micro-crédit : l’empowerment des femmes ivoiriennes.

Réfondre le cadre institutionnel de l’activité économique des femmes africaines

Conscients du danger que constitue l’éviction des femmes, plusieurs Etats Africains ont initié un débat sur la parité. Ainsi, le 14 mai 2010, l’Assemblée nationale sénégalaise adoptait-elle une loi de parité homme-femme dans les listes électorales dans un pays où les femmes représentent 52% de la population. Cette nouvelle donne électorale devrait permettre une refonte du code familial. Par ailleurs, au Maroc dont la Constitution de 2011 s’engage à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, la ville de Marrakech a abrité au mois de novembre 2014 le Global Entrepreneurship Summit visant particulièrement à promouvoir les activités économiques régionales et locales des femmes.  En effet, si ce  pays est actuellement  un moteur de la croissance africaine ; la participation des femmes à l’économie avait pourtant drastiquement chuté de 30% en 1999 à 25% en 2012[4]. L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 n’a certes pas supprimé les inégalités économiques mais a contribué à mettre en lumière le débat sur la parité, qui s’est notamment institutionnalisé avec la création de la Haute Autorité de la Parité.

Enfin, le développement du micro-crédit  doit être  développé et encadré afin de permettre l’essor d’une protoindustrie permettant aux mères de famille de travailler à domicile, tout en entraînant  l’ensemble du système bancaire africain dans un cercle vertueux profitable tant aux actionnaires qu’aux populations vulnérables telles que les femmes. Transnationaux et échappant aux impératifs religieux et culturels limitant le droit des femmes dans les différents Etats africains, les organismes internationaux bancaires et financiers ont un rôle à jouer dans le renforcement de la participation des femmes à l’économie du continent. A ce titre les initiatives telles que celle imaginée par la Banque Africaine de Développement en octobre 2010, consistant à créer un « prix féminin de l’innovation en Afrique » ne doivent pas rester lettre morte mais donner lieu à des réalisations concrètes et volontaristes pour encourager l’entrepreneuriat féminin.

Pour l’heure, les femmes peu qualifiées sont le pilier de la production agricole en Afrique. Toutefois les perspectives de croissance et la tertiarisation des économies nationales rendent urgente la suppression des barrières l’entrée sur les marchés du travail secondaire et tertiaire auxquelles font face ces-dernières. Ainsi, une politique volontariste de refonte des codes familiaux et d’équité de l’accès au crédit bancaire doit être initiée à l’échelle du continent. Enfin, les initiatives émanant de grands organismes internationaux et visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin permettront à l’Afrique de se doter de leader femmes et d’accroître la parité au sein des milieux dirigeants.

Daphnée Sétondji


[1] Cf Women in Africa publié par le Centre du Developpement de l’OCDE.

[2] Etude de Katz et Murphy en 1992 Changes in relative wadges, 1963 -1987 : supply and demand factors

[3] Cf Travaux de Amselle en 2001.

[4]Word Bank Poverty, adjustment and growth, Royaume du Maroc 2013. 

Projet BEPS et harmonisation des administrations fiscales en Afrique: quel bilan et quelles perspectives?

Tax calculator and penLe rapport Oxfam intitulé “Money talks: Africa at the G7”[1] et publié le 2 juin 2015 dénonçait les manipulations des prix du transfert opérés par les firmes multinationales afin d’échapper a toute taxation sur le continent. Ainsi, les économies nationales africaines auraient-elles subies un manque à gagner de 5,4 milliards d’euros pour l’année 2010. L’optimisation fiscale est actuellement un problème international qui menace les finances publiques de tous les Etats et donne lieu tant a des réflexes égoïstes favorisant le dumping fiscal qu’a des tentatives de coordination et de convergence des taux. Le but du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) lancé par l’OCDE en 2014 est d’apporter une réponse mondialisée aux problèmes engendrés par “l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices”[2]. Cinq groupes régionaux ont ainsi été chargés d’élaborer des planifications fiscales permettant de combler les brèches existant entre les règles fiscales nationales, dont profitent pour l’heure les multinationales. Concernant l’Afrique, le groupe de travail nommé ATAF (Forum sur l’Administration fiscale en Afrique, fondé en  2009) a tenu un atelier BEPS les 10 et 11 décembre 2014 à Paris. L’ATAF ayant pour mission de coordonner toutes les initiatives régionales en matière de réforme fiscale afin de protéger le continent des montages fiscaux agressifs, quatre chantiers opérationnels principaux ont été désignés lors du sommet:

  • la lutte contre l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers (Action 4 du Plan d’action BEPS);
  • la prévention de l’utilisation frauduleuse des conventions fiscales (Action 6 et 7)
  • l’encadrement des prix de transfert (Action 8, 9, 10);
  • la mise en place de déclarations nationales et périodiques concernant les prix de transfert (Action 13).

Ces quatre objectifs vont dans le sens des reformes engagées sur le continent depuis deux décennies. Le renforcement et la coordination des administrations fiscales sont en effet considérés depuis le milieu des années 1990 comme les leviers du développement des économies nationales africaines. Le présent article proposera une analyse comparée de l’évolution des recettes fiscales dans plusieurs pays d’Afrique  puis les efforts régionaux impulsés par l’ATAF en matière de renforcement de la gouvernance fiscale seront évoqués.

L’évolution comparée des recettes fiscales depuis la création  de l’ATAF en 2009 montre que celle-ci n’a pas suffi à combler la disparition structurelle des taxes sur le commerce international et à harmoniser les législations fiscales africaines…

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Les années 1980 ont été marquées par la libéralisation du commerce international et la diminution drastique des recettes fiscales tarifaires. Pour faire face à cela, les Etats africains ont accentué la pression exercée sur le marché intérieur en augmentant les taxes sur la consommation. La Banque de France estime ainsi que les recettes fiscales issues du commerce international dans la zone UEMOA sont passées de 8% du PIB en milieu des années 1980 à 4%  en 2008. Elles n’atteignaient plus que 3% du PIB en zone CEMAC en 2010[3].

La transition fiscale africaine a donné lieu à une augmentation de la fiscalité indirecte (TVA notamment) et a accru la dépendance des économies africaines a l’égard des recettes fiscales issues de la production pétrolière. La création de zones de libre-échange donnant lieu à la suppression des barrières tarifaires entre les membres d’une même zone a certes généré une extension des marches d’exportation en développement des économies d’échelles mais ces zones comportent également des failles qui permettent actuellement à certaines entreprises d’optimiser le traitement fiscal de leurs activités sur le continent en s’appuyant sur les prix de transfert.

Ainsi, une entreprise détenant des succursales dans plusieurs Etats d’une même zone peut-il réaliser des transactions intrafirme qui ne sont pas soumises aux mêmes règles fiscales que les transactions effectuées par les entreprises indépendantes sur le marché. En effectuant des « transactions dites contrôlées »,  les entreprises disposant de succursales peuvent minorer et majorer artificiellement les prix et transférer les bases imposables d’un pays à l’autre de la zone sans être inquiètes et en bénéficiant des conventions relatives à la double-imposition. L’OCDE cherche depuis les années 2000 à généraliser le « principe de pleine concurrence » permettant aux administrations fiscales de coopérer et de comparer la rémunération des transactions contrôlées transfrontalières à la rémunération des transactions classiques toute choses égales par ailleurs. A l’échelle africaine, c’est l’ATAF qui sera chargé de renforcer ce dispositif dans les années a venir.

… mais des reformes récentes témoignent d’un effort coordonné de modernisation de la gestion de l’administration fiscale soutenu par l’ATAF : les cas du Mali, du Sénégal et du Togo.

L’amélioration des performances de l’administration fiscale passe par la rationalisation et l’instauration d’une logique d’objectifs et non de moyens au sein des entités chargées du recouvrement de l’impôt. Le cas du Mali, engagé depuis 2010 dans une modernisation de son administration fiscale est éloquent et s’est traduit par une augmentation des recettes fiscales du pays, qui sont passées de 14,4 à 15,5% du PIB de 2011 à 2016.[4] Cette remontée fait suite à près de 20 ans de chute des recettes fiscales du fait de la libéralisation commerciale et de la baisse corollaire des taxes sur le commerce international[5]. En effet, la Direction Générale des Impôts malienne a  renoncé en 2010, avec l’accompagnement de l’ATAF, au découpage des services en fonction des types d’impôts (TVA, taxe foncière, IS…) ou des différentes étapes de collectes (immatriculation, gestion, recouvrement, contrôle, contentieux…) pour proposer des interlocuteurs fiscaux uniques à chaque catégorie homogène de contribuables (PME, grandes entreprises, particuliers).

 Ce mode d’organisation instaure une relation service-client ainsi que la mise en place d’indicateurs de performance tels que la qualité du service (évaluation des systèmes de déclaration), l’efficience des moyens de production (développement d’un système informatique intégré de gestion) et l’efficacité socio-économique de la gestion (suivi précis du rendement de chaque impôt en fonction de sa base). La réorganisation centrant l’administration fiscale malienne sur la relation service-client permet également d’octroyer une plus grande autonomie aux fonctionnaires de la DGI qui gagnent en responsabilité en marge de manœuvre dans la gestion des ressources. En effet, si leur travail s’apparentait auparavant à un travail à la chaine et générait des doublons le nouveau système permet de faire des agents de la DGI des responsables de projets plus indépendants et plus au fait des attentes des usagers ; mais également directement responsables devant les juridictions financières en cas de fraude. L’administration fiscale peut également désormais établir en amont une cartographie des risques de fraude par catégories de contribuables et ainsi renforcer la performance des contrôles (cf. infra).

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Source : Presentation CIFAM IMF 2014

Le Sénégal et le Cameroun ont également suivi les recommandations du FMI et de l’ATAF en matière de rationalisation opérationnelle. Le Sénégal a ainsi mis en place en 2013 une Direction des Grandes Entreprises (DGE) succédant au Centre des Grandes Entreprises fonde en 2001 pour fournir aux grandes firmes nationales et multinationales un interlocuteur unique en matière d’imposition. Dans le même temps, le Cameroun créait des 2004 une DGE à compétence nationale à Yaoundé pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard FCFA. Ces initiatives nationales œuvrent à la convergence des règles fiscales nationales en Afrique et préparent le terrain pour une coordination accrue en matière de lutte contre l’optimisation fiscale. Enfin, le Togo a opté pour une gestion plus souple et donc plus adaptée aux réalités locales en développant les agences et les services fiscaux décentralisés.

Depuis sa création, l’ATAF accompagne la modernisation des administrations fiscales africaines mais dans de nombreux cas, cet accompagnement s’avère encore timide et ne donne pas lieu à une force coercitive à même d’imposer une véritable coopération décisive en matière de lutte contre l’évasion fiscale. La fiscalité étant l’un des piliers du développement des économies nationales africaines, l’ATAF doit urgemment centrer ses efforts sur la formation des inspecteurs des impôts et des fonctionnaires des différentes DGI. L’ATAF devrait dans les prochaines années disposer d’un plus grand leadership et fusionner avec l’AFROSAI (l'Organisation africaine des institutions supérieures de contrôle des finances publiques) qui bien souvent évoque les mêmes problématiques qu’elle. Pour l’heure, les enjeux de la nouvelle gestion publique  basée sur la logique de performance et l’établissement de contrats d’objectif, restent embryonnaires en Afrique mais les initiatives existent et continueront à se développer grâce à la circulation des idées et des bonnes pratiques entre les différentes administrations.

What financial contribution do African Women make to the development of the continent?

Woman, African: These are two words that equal an ominous social and economic heritage in relation to cultural representations, sociological realities and discriminatory practices that we see in the work and capital market. However, a growing number of studies reveal that gender equality is one of the pillars of economic development in Africa. [1]

In the study, Women in Africa published in 2013, the OECD estimated that women constituted 70% of the agricultural work force in Africa and are involved in the production of 90% of foodstuffs. In addition, it was found that African women produce 61.9% of the economic goods. This number exceeded the average percentage reported in all the regions that make up the OECD. This activity, mainly independent, informal and agricultural has given rise to segmentation in the African labour market and a high under-representation of women in the workforce and the agricultural sector (8.5% across the continent). This revelation is even more important than the expansion of the tertiary sector of the African economy (the rise of the digital/ICT, telecoms and financial sectors), as the latter can lead to a biased technical progress to the detriment of women who are not part of the human capital. [2]  .

 

The market barriers that women experience are in different forms and have been analyzed through the morality, cultural and fundamental rights lens. However, it is important to recognize that beyond these unquestionable and legitimate factors, Africa has no economic interest in using the skills of this group that occupies more than half of its population in the secondary and tertiary sectors. The failure of the market and institutions can help to explain the displacement of women in the secondary and tertiary sectors.

 

This article aims to give an overview of the institutional context of economic activities of women in Africa. We will take a look at the measures taken to improve these activities and then the limits of these public policies. Then we will analyze the prospects for development.

 

Firstly, qualified or not, African women contribute to the growth of the continent despite many structural impediments

Many studies have shown that international trade has a negative but low impact on employment. This negative impact is usually found in activities with a less qualified workforce. In Africa, the latter is made up of mainly women. For example, according to l’INSEE, in 2011, industrial trade between France and developing countries led to a deficit of 330 000 jobs. Without urgent investment in the low-skilled female work force, African nations will run the risk of increasing the rate of unemployment, while the volume of investments in high growth sectors increases. The displacement of low-skilled women from the formal market does not however translate into total inactivity but results in the strengthening of the informal market which is accompanied sometimes by long-tem success. For example « Nana Benz », a group of Togolese women, who made a fortune from the sale of wax prints on the informal market during the colonial times up until the 2000s.[3]

On the other hand, the barriers for skilled female workers are mainly institutional and legal. The Family Code that is being implemented in many African nations generates harmful distortions in the market, in that, it limits the equitable transfer of inheritance between female and male descendants during the sharing of estates and restricts women’s access to bank credit. Also, the unfairness of land ownership rights constitutes an obstacle to women entrepreneurship. It drives a lot of them out of the different markets. The imperfection of the labour market and the low access to capital creates an asymmetry between women and structures which demand the use of a workforce in order to fix meager nominal wages. To combat this, microfinance enterprises started to provide credit to vulnerable populations and those far from the banking sector. This is shown in the study carried out by the researcher, Annelise Sery in Micro-credit: Empowering Ivoirian Women

 

Secondly, we must restructure the institutional framework of the economic activities of African women

Conscious of the dangers that the displacement of women constitute, many African states have opened the grounds for a debate on gender equality. On the 14th of May, 2010, the Senegalese National Assembly adopted a law on the equality of men and women. This was done in a country where women make up 52% of the population. This new law should lead to an amendment of the Family Code. Also, in Morocco, where the 2011 constitution opposes any discrimination on the grounds of gender, one its towns, Marrakech, hosted the Global Entrepreneurship Summit in November 2014. The aim of this program was to promote the regional and local economic activities of women. 

However, even though this country is a key growth driver in Africa, women participation in the economy fell from 30% in 1999 to 25% in 2012[4. Article 19 of the 2011 Moroccan constitution did not particularly address the economic inequalities but brought the debate on gender equality to the limelight. This was institutionalized by the creation of the High Authority on gender equality.

Ultimately, micro financing should be properly developed, so that a proto-industrialization can occur, which can allow mothers to work from home. This will lead to an inclusion of the African banking system in a virtuous cycle, which will profit shareholders and vulnerable populations such as women. International banking and financial organizations also have a role to play in the increased participation of women in the African economy as they are transnational and are not subject to religious or local factors that limit the rights of women in different African countries

 

As such, initiatives such as that of the African Development Bank’s ‘‘Prize for Women Innovators’’ created in October 2010 should not just be a slogan but must give way to proactive and specific action to encourage female entrepreneurship. For now, low-skilled women are the pillars of agricultural production in Africa. Nevertheless, growth prospects and the expansion of the tertiary sector of individual African economies is giving rise to an urgent need to remove the entry barriers into the secondary and tertiary labour market for women to gain access. On the other hand, a proactive policy should be implemented to restructure the Family Code all around the continent.

 

Finally, initiatives by international organizations that aim to promote women entrepreneurship will allow Africa to groom its women leaders and increase gender equality in government circles.

Translated by Onyinyechi Ananaba

[1] Cf Women in Africa publié par le Centre du Developpement de l’OCDE.

[2] Katz et Murphy, 1992 Changes in relative wadges, 1963 -1987 : supply and demand factors

[3]  Amselle, 2001.

[4]Word Bank Poverty, adjustment and growth, Royaume du Maroc 2013. 

 

Qui pour sauver l’économie du Nigéria ?

628x-1Le Nigéria – première économie africaine avec un PIB de 522 milliards de dollars en 2014 et une population s’élevant à 167 millions d’habitants –  subit actuellement une crise monétaire couplée à un déficit budgétaire croissant. Une crise que les autorités tentent de juguler et qui met le pays sous la rampe des projecteurs. A l'occassion de sa revue article VI, le FMI a proposé une série de mesures pour aider le pays à surmonter cette situation. L’article IV des statuts du FMI dispose que le Fonds doit exercer une surveillance sur les politiques de changes des Etats membres et adopter des principes spécifiques pour guider leur politique monétaire. Les travaux du FMI pour l’année 2014 ont été cruciaux pour le pays et les observateurs et investisseurs internationaux y ont été particulièrement attentifs. 

Les travaux de l’organisation internationale ont permis de traiter différentes questions économiques telles que la stabilité des finances publiques, les réformes structurelles entreprises, l’état du système bancaire et financier et les grandes tendances macroéconomiques. En décembre 2014, Lagos et Abudja ont ainsi reçu la visite de la délégation du FMI, qui a dessiné les contours d’une politique d’austérité en fixant les priorités suivantes[1] :

  • Politiques conjoncturelles pour faire face aux déséquilibres de court-terme,
  • Mise en place d’objectifs relatifs à la stabilité macroéconomique,
  • Soutien à la croissance inclusive,
  • Baisse de la pauvreté et des inégalités.

Le présent article (très technique) reviendra dans un premier temps sur les recommandations préconisées par le FMI pour aider la première économie africaine à surmonter le contre-choc pétrolier ; puis les limites de ces solutions seront analysées dans un second temps, à la lumière des spécificités institutionnelles et des précédentes crises monétaires et financières traversées par le Nigeria. 

Le plan du FMI pour sortir le Nigéria de l’impasse : rigueur budgétaire et diversification des activités économiques.

Les concertations se sont tenues dans un climat économique et politique incertain. En effet, comme d’autres Etats africains, majoritairement exportateurs de pétrole, le Nigéria fait actuellement face à un choc exogène. La chute du court du baril conduit à une dégradation de la balance commerciale et à une diminution des recettes publiques. L’incertitude liée à la l’évolution future des prix du pétrole accroît l’aversion au risque des investisseurs étrangers et menace les prévisions de croissance pour l’année 2015, révisées de 6,4 à 5,5% par la Ministre de l’Economie et des finances, Ngozi Okonjo-Iwealan lors de la présentation du budget au Parlement. De plus, la pression sur le Naira[2] s’est accrue avec la baisse des recettes pétrolières et l’augmentation des sorties de capitaux. Le gouverneur de la banque centrale, Godwin Emefiele, a ainsi annoncé une dévaluation du Naira pour faire face à la diminution des réserves nigérianes en devises étrangères.

Pour contrer ces effets les autorités nigérianes étaient représentées lors des discussions par des membres du secteur privé, le gouverneur de la Central Bank of Nigeria, et la Ministre de l’Economie et des finances. Cette dernière, ancienne vice-présidente de la Banque Mondiale, perçoit la chute du court du baril de pétrole comme une opportunité garantissant la diversification de l’économie nigérienne, pour l’heure, trop dépendante du pétrole dont la vente représente près de 70% des recettes de l’Etat.  La ministre estime également qu’une baisse des dépenses publiques sur le long terme est nécessaire.

Ce sont donc les jalons d’un plan de rigueur que les experts internationaux et le gouvernement nigérian ont posé.

L’enjeu pour le Nigéria : tirer parti de ces recommandations en les adaptant à ses spécificités institutionnelles et économiques.

Le Nigéria dispose d’une faible marge de manœuvre en matière de réduction de la dépense publique et de tampons budgétaires. Ces leviers avaient été deux des principaux piliers de l’économie nigériane lors de la crise de 2009. A cette époque, l’Excess Crude Acount (ECA)[3] du pays qui s’élevait, à 21 milliards de dollars contre 3 milliards aujourd’hui, avait permis à l’Etat d’éviter une crise de liquidité. De plus, lors de la crise financière précédente, le gouvernement avait pu mener une politique budgétaire expansionniste reposant sur le Fiscal Responsability Act (FRA) dont l’objectif était d’assainir les finances publiques et de ramener le déficit public sous la barre des 3% sans nuire à l’investissement public. Parallèlement, la politique monétaire se concentrait sur une cible d’inflation inférieure à 10% en menant une politique de contraction de la masse monétaire qui ne portait pas atteinte à l’accès au crédit grâce à l’afflux de capitaux. Aujourd’hui, au contraire, du fait de la nouvelle donne macroéconomique, la politique de hausse des taux menée par la Central Bank of Nigeria conduit à une hausse du coût du crédit nuisible à l’investissement.

Par ailleurs, le fédéralisme budgétaire du Nigéria nécessite d’adopter une vision consolidée de la situation macroéconomique du pays. Le système institutionnel nigérian repose sur trois paliers que sont le gouvernement fédéral, le gouvernement des Etats et les gouvernements locaux. La répartition des recettes pétrolières entre ces trois strates est définie par un organe constitutionnel, la Commission de répartition et d’allocation des dépenses et des recettes. Ce système qui veille à la répartition des recettes entre régions pétrolières et régions non pétrolières, tend à accroître la dépendance des régions non dotés en hydrocarbure qui, préfèrent souvent se contenter de cette manne financière au lieu de développer leur avantage comparatif dans des secteurs divers. Face à ce constat, une modernisation du système financier public est requise pour assurer la soutenabilité des finances publiques tant au niveau fédéral qu’au niveau local. Le FMI a rappelé que l’ensemble des mesures prises au niveau de la fédération en 2009 doivent être étendues aux Etats fédéraux de 2015 à 2017 afin de mieux encadrer les risques.

Enfin, le plan de rigueur comporte un volet fiscal contesté dans la mesure où la hausse programmée de la Taxe sur la Valeur Ajoutée constituerait une double peine pour les entreprises faisant déjà face à d’importants problèmes de ravitaillement énergétique. La remise en cause des crédits d’impôts achève de fragiliser le secteur pétrolier en faisant perdre aux sociétés pétrolières pionnières les avantages dont elles bénéficiaient[4].

Le FMI accompagne actuellement le Nigéria pour l’aider à surmonter la crise monétaire et budgétaire déclenchée par l’effondrement des prix du pétrole. Parmi les mesures figurent des recommandations traditionnelles visant à assainir les finances publiques et à stabiliser le taux de change et l’inflation. Si ces réformes ont permis à l’économie nigériane de traverser la crise financière internationale de 2009, elles montrent aujourd’hui leurs limites et mettent en lumière la nécessité pour le Nigéria – pays fédéral largement dépendant de ses exportations pétrolières – d’adopter une vision plus consolidée de ses finances publiques tout en développant les avantages comparatifs dont il dispose (dans l'industrie, dans le cinéma, dans l'agriculture; etc.).

Daphnée Sétondji


[1] Cf IMF Staff Concludes 2014 Article IV – Mission to Nigeria

 

[2] Monnaie nigériane.

 

[3] Compte crée en 2004, alimenté grâce au surplus de recettes pétrolières. Il équivaut à la différence entre le prix de référence du baril fixé par le Parlement et son  prix effectif sur les marchés internationaux

 

[4] Cf Article publié par l’agence Ecofin le 18 décembre 2014.

 

Renforcer la sécurité fiscale pour contribuer au développement des PME africaines

fiscaliteLa mondialisation des économies rend les entrepreneurs toujours plus demandeurs de sécurité juridique. La capacité à maîtriser le risque et l’incertitude liés au traitement fiscal applicable aux affaires projetées  est un déterminant essentiel dans la décision d’investir dans un Etat et ce, surtout pour les petits et moyens entrepreneurs dont les coûts d’entrée sur un marché et les coûts irrécupérables sont plus élevés. Primordiale, la sécurité fiscale agit donc comme un gage de prévisibilité et ravive la confiance des investisseurs dans des Etats où l’instabilité politique est l’une des causes majeurs de sous-développement.

Or les Etats africains, qui auraient précisément besoin d’un cadre fiscal stable sont depuis peu caractérisés par une véritable inflation des normes fiscales qui conduit à un manque d’efficacité de l’administration fiscale et à une fuite des capitaux.  La Banque Mondiale a publié, en novembre 2013, en partenariat avec le cabinet PwC (Paying Taxes 2014 : The global picture),  un rapport révélant le phénomène de « surfiscalité » dont souffre de nombreux opérateurs économiques en Afrique. Les petites et moyennes entreprises africaines présentaient, en effet, un record en matière de normes et du taux d’imposition global qui s’élève à 52,9% contre 43,1% pour la moyenne mondiale en 2013. En février 2013, c’est le rapport Sweet Nothings de l’ONG ActionAid qui dénonçait la concurrence fiscale déloyale à laquelle se livrerait l’île Maurice depuis le milieu des années 2000. Paradis fiscal insulaire, l’île priverait ainsi l’Afrique continentale d’une partie de ses recettes fiscales en attirant les placements des grandes firmes capables de contourner les administrations fiscales trop complexes du continent en ayant recours à des montages fiscaux agressifs et optimisateurs. Pour faire face à ces multiples menaces, les Etats africains pris dans un cercle vicieux, accélèrent considérablement depuis deux ans leur train de réformes fiscales, au risque de négliger parfois le principe de sécurité fiscale et de nuire au développement des PME qui se trouvent dépassées par l’inflation législative en matière d’impôt des sociétés.

La situation de ces PME rappelle le fait que l’attractivité d’un territoire ne dépend pas uniquement de la mise en place d’une « fiscalité minimale ou zéro » mais également de la stabilité des lois qui l’encadrent.  Le présent article vise à s’interroger sur les moyens dont disposent les économies africaines pour concilier une politique fiscale efficace et attractive avec la nécessaire stabilisation de l’environnement juridique des PME.

Un train de réformes fiscales soutenu : opportunité ou danger ?

Le rapport annuel Doing Business[1] publié par la Banque Mondiale en 2015 a salué l’Afrique pour son volontarisme et ses efforts en matière de réformes en faveur du développement des affaires et notamment via le levier fiscal. « Nos données montrent que l'Afrique subsaharienne a enregistré le plus grand nombre de réformes sur 2013/14 ayant facilité le climat des affaires, avec 75 réformes sur les 230 recensées à travers le monde » souligne Melissa Johns, spécialiste des indicateurs mondiaux à la Banque mondiale, dans un communiqué de l’organisation.

Le Bénin, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, le Sénégal et le Togo font partie des pays ayant les plus progressé dans le monde l’an passé en matière de facilitation des affaires. Force est de constater que ces pays se sont engagés dans une frénésie de réformes fiscales depuis 2014 et que la tendance devrait se confirmer en 2015. La Côte d’Ivoire avait ainsi mis en place une Commission de la réforme fiscale en septembre 2014, qui vient de remettre au premier ministre un rapport intitulé « Réformer le système fiscal et douanier pour soutenir le développement de la Côte d’Ivoire ». Dans le même temps, en marge du dévoilement de l’édition 2015 du rapport Doing Business, le sénégalais Mamadou Lamine Bâ, ex-directeur de l’environnement des affaires et de l’Agence pour la promotion des investissements et des grands travaux  (APIX) se félicitait  du fait qu’une quarantaine de mesures fiscales destinées à améliorer l’environnement des affaires au Sénégal soit devenue effective sur la période 2013-2015. Si ces avancées sont louables, bien souvent ces mesures sont prises par décret et hors du cadre de la loi de finance annuelle ce qui conduit à un enchevêtrement des normes fiscales et à un problème de stabilité du cadre juridique qui varie au gré des intérêts économiques des champions nationaux.

Une réforme de la fiscalité des entreprises à deux vitesses : le cas récent du Cameroun

Les Etats africains, désireux de voir se développer leurs grandes entreprises redessinent parfois la fiscalité des sociétés dans la précipitation,sans tenir compte des intérêts des PME. Le cas du Cameroun est à ce titre éloquent. Dans ce pays, la loi de finances pour l’année 2015 a été marquée par une réduction de cinq points du taux de l’impôt sur les sociétés, le faisant ainsi passer de 35 à 30%. Lors des débats parlementaires, les partisans de cette réforme – principalement la grande chambre syndicale Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) –  estimaient que la baisse de ce taux d’imposition se traduirait par une hausse des investissements et une libération de la croissance nationale. Pourtant, force est de constater que la mesure a obtenu un accueil mitigé de la part des directeurs de petites et moyennes entreprises. Ces derniers craignaient, à raison que cette mesure coûteuse ait pour corollaire la hausse inopinée du taux d’acompte qui permet aux entreprises en difficulté voire déficitaires d’alléger leur charge fiscale en s’acquittant de l’impôt sur les sociétés par acomptes de 1% du chiffre d’affaires mensuel. Ce dispositif qui concernait jusqu’ici  70% des entreprises camerounaises est désormais considéré comme une « source d’évasion fiscale » selon le ministère des Finances.

 La loi de finances pour l’année 2015 prévoit donc d’instaurer un taux flottant variant entre 2 et  3% par décret pendant une période transitoire. Cette décision – en plus d’instaurer un cadre juridique fragile – a d’ores et déjà pesé sur les PME camerounaises concernées qui voient pour certaines leur charge fiscale doubler voire tripler tandis que d’autres, ne pouvant faire face à ces coûts sont désormais en litige avec l’administration fiscale, comme le rapporte le Président du syndicat patronal Entreprise du Cameroun, Protais Ayangma Amang[2].

Le rescrit fiscal[3] : un outil de contractualisation nécessitant confiance et contrôle.

Pour faire face à ces défis, plusieurs Etats africains se sont dotés du précieux outil que constitue le rescrit fiscal depuis le début des années 2000. Ce dispositif permet à tout investisseur de solliciter préalablement auprès de l’administration, un avis au sujet du régime fiscal applicable aux opérations qu’il prévoit de réaliser. L’investisseur peut donc opposer en cas de contrôle fiscal ou de litige, la réponse, fournie en amont par l’administration fiscale. Le Cameroun a ainsi institué le rescrit dans le cadre de la loi de finances pour l’exercice 2008. En Algérie, le rescrit fiscal est introduit en loi fiscale, plus précisément au sein d’un nouveau titre, inséré au code des procédures fiscales par la loi de finances 2012. De même les trois grands pays de l’Afrique anglophone que sont le Nigeria, le Ghana et le Kenya s’en sont également emparés.

Pourtant, la généralisation du rescrit fiscal en Afrique ne saurait se passer d’un contrôle strict des procédures. En effet s’il est un levier puissant de sécurité juridique importé du droit fiscal européen, le rescrit fiscal peut également être un outil de fraude active lorsque l’administration fiscale ne se contente pas de donner un avis sur une opération mais conclut un accord fiscal secret avec une entreprise, comme l’affaire LuxLeaks l’a révélé en Europe à la fin de l’année 2014. A ce titre, le rescrit s’il n’est pas encadré, pourrait avoir des effets dévastateurs en Afrique et tendre à accentuer encore plus l’écart existant entre les firmes multinationales capables de conclure des accords avantageux avec les administrations fiscales locales et les PME moins informées et lésées.

Le rescrit fiscal demeure – à la condition sine qua non d’être étroitement contrôlé  une chance pour les PME africaines qui contrairement aux grandes entreprises n’ont pas les moyens de consulter un cabinet de conseil ou un avocat fiscaliste : il leur permettra d’évoluer dans un environnement fiscal plus transparent et de communiquer de façon apaisée avec l’administration fiscale.

Les Etats africains ne peuvent pas faire l’économie de l’instauration d’un régime fiscal stable et relativement prévisible. L’enjeu pour le continent est de concilier l’objectif de facilitation du climat des affaires encouragé par les organisations internationales et le respect du principe de sécurité fiscale, notamment pour les PME. Ces-dernières sont actuellement parmi les plus imposées du monde et leur environnement instable a tendance à s’aggraver avec l’essor actuelle des réformes dans les pays africains. Des règles de bonne conduite des réformes fiscales pourraient permettre d’assurer la stabilité nécessaire au développement équitable de l’activité économique : monopole de la loi de finances annuelle en matière de législation fiscale, généralisation et encadrement du rescrit fiscal, mise en place d’un observatoire national de la réforme fiscale associant représentant des grandes entreprises et des PME, etc.

Daphnée Sétondji


[1]Doing Business Report, World Bank 2015

[2]  Interview accordée au magazine Jeune Afrique le 5 décembre 2014.

[3] Demande d’avis à l’administration fiscal avant la réalisation d’une opération

Un regard sur la stratégie commerciale des Etats-Unis en Afrique subsaharienne

obama-ouattaraA l’occasion du sommet Etats-Unis – Afrique qui s’est tenu le 5 août 2014 à Washington en compagnie de plus de 50 chefs d’Etat et de gouvernement africains, le président américain Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 33 milliards de dollars réalisé conjointement par des sociétés privées américaines et par l’aide publique au développement, d’ici la fin de son mandat prévue pour janvier 2017.  Ce plan de grande envergure vise principalement l’extension de la zone d’influence économique américaine dans des secteurs en plein essor en Afrique tels que la construction, les énergies propres, la banque et les technologies de l'information. Cet article se propose de dresser le bilan et les perspectives de la stratégie économique commerciale mise en place par l’adminsitration Obama en Afrique subsaharienne.

La réforme de l’AGOA au cœur de l’accroissement des échanges commerciaux bilatéraux dès 2015.

Lors de la conférence, le président Obama a assuré vouloir réformer au cours de l’année 2015 l’un des principaux vecteurs de commerce entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis : l’AGOA (African Growth and Opportunity Act). Cette loi adoptée par le Congrès américain et par l’administration Clinton le 18 mai 2000, et non révisée depuis lors, a permis de favoriser les échanges en accordant des avantages commerciaux à plus de 6 500 produits africains. Ainsi, « en dix ans, les importations américaines en provenance des pays d'Afrique admis à bénéficier de l'AGOA se sont accrues de 300 %, passant de 21 milliards de dollars en 2000 à 86 milliards », rappelait Rasa Whitaker, représentante adjointe au commerce extérieur, chargée de l'Afrique subsaharienne dans les administrations Clinton puis Bush ; lors d’un entretien accordé le 16 juin 2010 à America.gov. Toutefois, l’AGOA arrivant à échéance le 30 septembre 2015, une refonte de l’accord s’avère nécessaire et a été promise par le président Obama.

Dans sa mouture originale, l’accord présente plusieurs caractéristiques qui selon l’avis du représentant du Commerce américain Micheal Froman ne sont plus adaptés à l’Afrique de 2014. En effet, l’administration Obama devrait présenter cet été un accord non plus unilatéral et global mais des avantages personnalisés conclus entre les partenaires commerciaux africains et américains au sein d’une même branche à l’instar des accords développés depuis le 1er octobre 2014 entre les Etats membres de l’Union Européene et l’Afrique subsaharienne : les Economic Partenership Agreements (EPAs).

La concomitance des accords EPAs et du partenariat AGOA pose problème tant les stratégies des acteurs en présence sont divergentes. Tandis que les Etats-Unis cherchent avec AGOA à instaurer depuis 2000 un programme commercial préférentiel unilatéral pour favoriser le développement économique et accéder plus facilement au marché africain, l’Union Européenne quant à elle, cherche à dominer le marché en s’appuyant sur des accords préférentiels bilatéraux et sur la clause de la nation la plus favorisée. L’administration Obama et la commission du Commerce du Congrès ont donc jusqu’au 30 septembre 2015 pour revoir les modalités d’un accord qui n’a que péniblement fait ses preuves depuis l’an 2000. En effet, si, pour les 10 ans de l’AGOA, les rapports de l’OMC présentés à l’occasion du forum African Growth and Opportunity Act en juin 2011 à Lusaka faisaient état d’un triplement des échanges commerciaux en valeur; les flux semblaient pourtant prendre un sens unique. Ainsi, tandis que les importations américaines d’hydrocarbure en provenance d’Agola et du Nigéria (ses deux principaux partenaires africains) bondissaient de 40% entre 2009 et 2010,  on observait une chute de 48% des exportations du secteur textile africain vers les Etats-Unis en 2009, puis de 20% pour l’année 2010.   Plus récemment, le rapport annuel de U.S. Dept. of Commerce publié en janvier 2014 montrait que les importations américaines en provenance d’Afrique subsaharienne en 2014 avaient diminué de 32% par rapport à l’année précédente mais également que la part des hydrocarbures africains dans les importations énergétiques américaines  a diminué de 51% sur la même période. La situation est d’autant plus déséquilibrée que dans le même temps les exportations américaines en faveur de l’Ethiopie et du Kenya ont respectivement augmenté de 151 et 152% sous l’impulsion des exportations enregistrées dans le domaine aéronautique.   

Réformé et étendu à un plus grand nombre de produits,  l’accord pourrait à ce titre aider les Etats-Unis à contrer l’offensive commerciale menée depuis le milieu des années 1990 par la Chine en Afrique subsaharienne. En effet, dans un l’article « L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, la chercheuse Assiatou Diallo rappelait que le géant asiatique était en 2013 le premier partenaire commercial du continent africain avec des échanges en valeur s’élevant à 210 milliards de dollars contre seulement 85 milliards pour les Etats-Unis.

L’électrification de l’Afrique : le programme « Power Africa ».

L’objectif du programme Power Africa, lancé dès juillet 2013 par l’agence fédérale pour le développement USaid, est de doubler l’accès à l’électricité de la population africaine. A moyen terme, c’est plus de 60 millions de foyers et de petits commerces qui devraient bénéficier des 30 000 mégawatts supplémentaires à produire d’ici 2018. Au cours du sommet d’août 2014, le président Obama a précisé les contours de ce programme qu’il a complété par de nouvelles annonces.

Le montant total de ce programme qui doit s’élever à 26 milliards de dollars sera supporté par la Banque Mondiale, le gouvernement suédois et le secteur privé américain mené par trois de ses fleurons : General Electric, Coca-Cola et Mariott. Ces trois géants de l’industrie américaine ont déjà annoncé un concours financier en faveur de l’électrification de l’Afrique à hauteur de 14 milliards de dollars d’ici 2017. Pourtant les observateurs locaux sont pessimistes. Stephen Hayes président du Corporate Council on Africa, l’organisme fédérant les entreprises américaines présentes en Afrique, déplore la faible réactivité entre l’étape de l’identification des sites et celle de la finalisation des contrats. Il regrette également la méfiance structurel du mécanisme bancaire Ex-Im Bank of America qui demeure extrêmement dépendant de l’avis des agences de notations avant l’octroi de lignes crédits en faveur d’Etats africains.

En outre, si au cours du sommet bilatéral d’août 2014, le président Obama s’est réjoui de constater que le programme Power Africa avait déjà rempli 25% de ses objectifs en permettant de raccorder au réseau électrique près de vingt millions de foyers ; une enquête publiée par le site internet Reuter le 28 novembre 2014 a révélé que les chiffres et les méthodes de calcul contenus dans le rapport annuel du programme sont contestables dans la mesure où ils prennent en compte des résultats de projets non finalisés ou lancés avant le début du programme.

Les investissements directs des Etats-Unis vers l’Afrique : un enjeu géopolitique.

Depuis 2009, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique et les investissements directs de la Chine en Afrique ont augmenté de 44% rien que pour l’année 2013, comme s’en félicitait le président chinois Xi Jinping le 20 février 2014 au cours d’une cérémonie au Grand Palais du Peuple à Pékin à laquelle était convié son homologue sénégalais Macky Sall. Ce positionnement permet à la Chine de maîtriser et de garantir ses approvisionnements en matières premières et génère la convoitise du concurrent américain. Ainsi, le président Obama a tenu à rappeler que « sur l’ensemble des produits que les Etats-Unis exportent à travers le monde, seul 1% va vers l’Afrique sub-saharienne ». L’administration américaine est consciente que la faiblesse des liens commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique – dont les prévisions de croissance du FMI pour 2015 s’élèvent à 5,8% – pourraient à moyen terme, détériorer la balance commerciale et l’influence économique des Américains.

La faible part des IDE américains en faveur de l’Afrique subsaharienne a fait l’objet de travaux du Congrès dès 2008 avec le rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond », de Danielle Langton commandé par le Congrès. Il ressort de cette étude que les Etats-Unis ont pour l’heure des relations commerciales très ciblées avec l’Afrique dans la mesure ils constituent le premier importateur de pétrole Africain (soit 30% des exportations du continent). Le secteur des hydrocarbures est le principal gisement d’investissement avec des consortiums tels que Anadarko au Liberia. 

Si le président Obama n’a pas clairement affiché son intention de concurrencer le phénomène de Chinafrique, son volontarisme témoigne d’une véritable stratégie de positionnement des Etats-Unis en Afrique subsaharienne. Le plan d’investissement annoncé ainsi que la prochaine réforme de l’AGOA pourraient permettre aux Américains de gagner de nouveaux marchés en Afrique et de concurrencer les partenariats commerciaux établis par l’Europe.

L’Afrique subsaharienne, quant à elle, gagnerait à négocier des accords préférentiels dans les branches où son avantage comparatif est pour l’instant peu compétitif et menacé, à l’instar du textile qui subit la concurrence asiatique et peine à s’exporter. En demeurant dépendant des seules exportations pétrolières vers les Etats-Unis, le continent prend le risque de voir sa balance commerciale se dégrader au gré des variations du baril de pétrole tout au long de l’année 2015. L’exemple de Madagascar qui a mis l’accent sur les exportations de l’industrie textile depuis sa réintégration dans l’AGOA depuis décembre 2014, est éloquent. Ainsi, selon Robert Yamate, l’ambassadeur américain, qui s’est exprimé le 3 mars 2015 lors d’une rencontre avec le ministre de l’Industrie et du développement du secteur privé, Narson Rafidimanana ; les exportations en textile de Mada­gascar vers les États-Unis s’élèvent depuis décembre 2014 à un million de dollars et elles ne devraient cesser de croître.

Daphnée Sétondji

Références 

U.S. Trade with sub-Saharan Africa, January-December 2014

« L’Afrique face aux partenaires commerciaux : quelles options pour le continent » paru en août 2013 dans la revue International Center for Trade an Substanaible Development, par Assiatou Diallo

Danielle Langton. Rapport « US Trade and Investment  Relationship with Subsaharian Africa : The African Growth and Opportunity Act and Beyond ».