Aïcha Dème : portrait d’une agitatrice culturelle

Aïcha Dème agitatrice culturelle
Aicha Deme, agitatrice culturelle. Source Africultures.

Aïcha Dème se définit comme une activiste ou une agitatrice culturelle. À Dakar, où se côtoient allègrement, sans forcément se toucher, le gratin local et les gens issus de la banlieue, tous également nourris à grands coups d’afflux culturels émanant des quatre coins du monde, elle se débat, depuis pratiquement une décennie, après avoir sacrifié son emploi de l’époque, pour assouvir sa passion de l’art, de la culture, et du divertissement. Portrait d’une figure incontournable de l’univers culturel sénégalais.

Si le grand public la connaît très peu – il s’agit là d’une personne discrète qui préfère rester derrière les projecteurs, les témoignages de sympathie et de reconnaissance de la part des professionnels du milieu affluent. Ancienne professionnelle de l’informatique, c’est en 2009 qu’elle se décide à changer de voie pour s’orienter dans la promotion d’une culture sénégalaise très peu présente sur la toile. Armée de son expérience de passionnée qui avait assisté à un grand nombre d’événements culturels[1], et qui cherchait compulsivement à rassembler des infos sur les sujets, elle réussit très rapidement à se faire un carnet d’adresses et à acquérir une certaine légitimité dans le milieu. C’est ainsi qu’elle a eu l’idée d’un agenda en ligne, ayant compris la force que représentaient les nouveaux outils de communication dans cette entreprise. Elle crée donc AgenDakar, le premier portail sénégalais entièrement dédié à la culture, sous la forme d’un hub permettant de recenser les évènements et productions artistiques dans la presqu’île et au-delà. Sur le même site, elle a pendant longtemps tenu un journal de bord, signé Aïe-Chat, son avatar félin, dans lequel elle croquait, avec bienveillance, le monde culturel dakarois, partageait ses expériences, ses coups de cœur, donnait ses impressions après les rencontres, concerts et autres festivals de la région, en ponctuant ses articles de « Miaou » légers et bien sentis.

Elle est aujourd’hui très active sur les réseaux sociaux, où nous avons pu abondamment échanger. « Dakar vibre, Dakar bouillonne, et Dakar déborde de créativité, répète-t-elle inlassablement. Je considère que c’est un devoir de mettre cela en lumière, et en plus j’adore le faire. C’est complètement grisant et je pense que personne n’a jamais été aussi heureux que moi de changer de métier ».

 Quand, de façon terre à terre, je lui rappelle que la pauvreté frappe la majorité des habitants de la région, ce qui laisse assez peu de place à toute initiative culturelle, elle me corrige : « Le Dakar culturel s'extirpe comme il peut de la misère. La créativité est bien présente, et les jeunes sont débrouillards. Le Dakar le plus créatif, le plus actif et le plus vibrant, c'est celui qui connaît le plus la misère. C'est celui de la culture urbaine, celui de la banlieue ». Puis elle rajoute, lucide : « Bien sûr, quand on parle culture, il y a toujours cette niche, ces trucs de bourgeois où on retrouve les mêmes personnes entre expositions, danse contemporaine et autres… Mais tu trouveras des expos dingues au cœur de la Médina, avec des vernissages agrémentés de « gerte caaf » et « café Touba »[2], ainsi que des initiatives incroyables menées par les gens de la banlieue ». Elle prend l’exemple du Festa2H, d’africulturban : « Ce festival a été créé il y a dix ans maintenant, avec dix personnes et zéro de budget. Aujourd'hui, ils sont mille à y être affiliés, avec un budget de 150 000 euros pour chaque édition. Ils ont créé des emplois, formé des jeunes, ont des projets avec des détenus pour leur réinsertion. Ils font bouger des montagnes avec un dynamisme et un professionnalisme remarquables. Ils ont aussi formé les premières femmes « graffistes » et DJs au Sénégal ». À l’évocation du frein que peuvent constituer les prétendues valeurs sénégalaises que sont le « masla »[3] et autres, elle répond de façon catégorique :

« Ce sont des gens directs et carrés, qui ont envie d’aller vite, et bien. Amadou Fall BÂ, le directeur de Festa2H, par exemple, est un modèle d’efficacité. Il est réputé dans Dakar pour répondre à tous ses mails même à 4 heures du matin », conclut-elle, badine.

Quand je note que, finalement, la culture au Sénégal souffre surtout de l’indigence des relais entre les acteurs du monde artistique et le grand public, elle réagit : « Justement, j’allais te dire que c’est là que se situe notre rôle. Tout le monde n’a pas conscience du travail qu’abattent ces gens, mon combat, c’est de le faire savoir, de montrer cette Afrique créative qui bouge et fait bouger les lignes de Johannesburg à Nouakchott ». Car l’œuvre de Aïcha est essentiellement panafricaine. Elle est aujourd’hui vice-présidente de « Music in Africa », une plate-forme continentale qui permet, entre autres, de faciliter les échanges culturels entre pays.

Concernant AgenDakar, Aïsha a passé la main. Elle se consacre notamment à son agence d’ingénierie culturelle, qui propose divers services sur des plates-formes variées. Elle est intervenue dans plusieurs talks de par le monde afin de présenter l’entrepreneuriat culturel – si cher à son idole Angélique KIDJO qu’elle a eu la chance d’interviewer ; et a aussi lancé, entre autres initiatives, la vague CultureMakers afin « de mettre en lumière tous les trésors culturels partout en Afrique ».

Vous pourrez trouver toute son actualité sur son site personnel, vitrine polyvalente, où il est possible de retrouver ses anciennes chroniques, même si, freudienne, elle déclare vouloir tuer le Chat, symbole d’une vie passée.

 


[1] Plus d’une centaine de concerts, notamment.

[2] Apéritifs sénégalais

[3] L’art dispensable et bien sénégalais du compromis

Abdoulaye Wade: Chronique d’un clown triste…

Me-Abdoulaye-Wade-Macky-SallVacances. Congés. Autrement dit, je me suis déconnecté complètement des Internets et des réseaux sociaux pour profiter de la grisaille de Paris, ainsi que de la rudesse et de la froideur de ses habitants.

Seulement, c’est sous-estimer le pouvoir d’attraction qu’exerce la toile (particulièrement chez un misanthrope reconnu qui ne vit que devant l’écran), et, mardi 24 février, alors qu’apparaissaient les premiers symptômes du manque occasionné (tremblements, filet de bave, tics), je rallumai mon PC. Premier contact, vidéo choc : Abdoulaye WADE s’en prend à l’actuel président du Sénégal, le traitant d’anthropophage, de descendant d’esclaves, entre autres joyeusetés. Pris d’horreur, je refermai immédiatement la machine (un magnifique PC de gamer, avis à ceux qui seraient prêts à m’affronter en ligne sur Rayman Legends ou PES 2015).

Malgré ma pathétique digression montrant l’étendue de mon addiction, cher lecteur, tu (ne fais pas de manières) ne sembles pas surpris de la sortie de Maître (sérieusement ?) Abdoulaye WADE. Comment te donner tort ? La veulerie de l’attaque à laquelle il s’est livré fait ressurgir l’un des graves maux dont souffre notre société : la complaisance vis-à-vis d’un système inique de castes, essentiellement basé sur la délation, et qui mine la société sénégalaise au quotidien. La population laisse faire au nom de la sacro-sainte « tradition » servant à sauvegarder des « valeurs », valeurs qui, ironiquement, s’évaporent quand « Monseigneur CFA » entre en jeu.

Il est donc tout à fait déplorable de voir « l’homme le plus diplômé du Caire au Cap » (c’est lui qui le dit) se faire le miroir de la face la plus méprisable facette de la société sénégalaise. Ce que je trouve personnellement regrettable, c’est que, connaissant la bête, cette sortie ne m’ait pas surpris. Est-il nécessaire de revenir sur tout le mal qu’Abdoulaye Wade a fait au Sénégal ? Dois-je vraiment rappeler le gouffre économique dans lequel, grandement aidé par le reste des vautours du PDS, il a plongé le pays ? La fracture technologique subie, le bradage des sociétés publiques, le dévoiement des institutions nationales et diplomatiques, ainsi que les ententes avec certains leaders « religieux » ont fait beaucoup de mal, plongeant le Sénégal dans le chaos ; ce qui poussa la jeunesse désabusée à descendre dans la rue pour refuser toute modification de la constitution qui lui eût permis de gagner les élections présidentielles de 2012 au premier tour en réunissant seulement 25% des suffrages, et qui eût facilité la transmission du pouvoir à son dauphin, son fils Karim Wade. Karim, à qui il avait confié, entre autres, un poste de conseiller spécial, à qui il avait donné les clés de l’organisation de la très juteuse Agence Nationale de l’Organisation de la Conférence Islamique, Karim qui sera nommé par son père (retiens ton souffle), ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures.

Karim qui, aujourd’hui, est poursuivi pour enrichissement illicite, et qui risque 7 ans de prison ferme, et plus de 380 millions d’euros d’amende. J’aurais pu donc croire que c’est le père, blessé dans sa chair, mû par l’amour filial, qui, dans un dernier râle, se cabre pour défendre le fils injustement attaqué. Mais les révélations des assassins de Maître Babacar SÈYE, les bouffonneries médiatiques Wadiennes qui ont duré douze ans, d’anciennes mesquineries et basses attaques menées par le vieux Président, font que je refuse d’y croire.

Je me refuse tout autant à lui témoigner de l’indulgence du fait de son grand âge, même si, comme le disait le bien-nommé Docteur Jerry Artree, professeur à l’université de Columbia : « la vieillesse est un naufrage »… Je refermai donc ma machine, et ne consentis à la rouvrir que le surlendemain, quand les convulsions reprirent et que mes paupières se mirent à trembler toutes seules.

Je parcourus quelques articles, et tombai sur la réaction de Macky SALL face aux attaques de Wade. Ayant choisi la carte de l’humour et de l’indifférence, le Président actuel du Sénégal a fait preuve d’une grandeur que je ne soupçonnais pas de sa part. Les réactions en substance des commentateurs sénégalais sur le web, fustigeant la sortie de Wade, me firent aussi le plus grand bien. J’allais donc célébrer mon regain de foi en l’humanité, quand je vis une robe qui déchirait les Internets en deux. Était-elle bleue et noire, ou blanche et dorée ? Je refermai à nouveau mon PC, me levai, me dirigeai vers les toilettes, me blottis derrière le bidet… Et me mis à pleurer. Je pleure encore.

P.S. : La robe est blanche et dorée.

Souleymane LY

[Brochure] L’Afrique au regard de ses romanciers

L’Afrique contemporaine est l’objet de nombreux récits : celui des économistes, des sociologues, des démographes, des militants politiques, des historiens, des journalistes, des investisseurs… Ces récits occupent l’espace médiatique et académique, ils façonnent notre vision du continent africain. Le récit que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine, parce que parcellisé, protéiforme, hors cadre conventionnel, est lui peu audible. Pourtant, son importance est cruciale. Comme le soulignait Hermann Broch, les romans produisent des effets de vérité qui échappent à tous les autres systèmes d’interprétation et de représentation du monde. Depuis un peu plus de deux ans déjà, nos chroniqueurs littéraires rendent compte de ce regard particulier que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine. Une période de l’histoire qui s’est caractérisée par une mutation sociale accélérée, qui ne s’est pas faite sans violence. Une situation que reflètent les thématiques abordées par les romanciers, et que transcrit ce document."

L'Afrique au regard de ses romanciers

Case Départ

« Case Départ » est un film que je n’avais pas du tout l’intention de voir, en cette période où un racisme pernicieux suinte de blagues pas drôles, mais qui reviennent de plus en plus souvent au nom de la liberté d’expression, et dont on doit rire de peur de se voir reprocher son manque d’humour. Je craignais que ce film ne reprenne tous les clichés du genre, avec des blagues grasses à chaque scène, ou, au contraire, avec de petites blagounettes consensuelles qui feraient glousser quelques esprits bien-pensants, sans réellement aller au fond du sujet. Je me disais qu’à la limite je le verrai sur TF1, quand il sera rediffusé pour la douzième fois un dimanche soir pluvieux, si je n’ai rien à faire. Mais quelques retours positifs sur le film me poussèrent à aller le voir. C’est ainsi donc que je me retrouvai dans une salle de cinéma, coincé entre un jeune couple et un trio de kékés qui ont passé tout le film à chahuter – ces cinq charmantes personnes réussiront d’ailleurs l’exploit de se battre entre eux en plein film, ce qui m’a coûté deux minutes de concentration à un moment important de l’intrigue… Tout ça pour dire que je m’attendais donc à voir un navet, mais ce fut un peu plus compliqué que ça.

« Case Départ », c’est l’histoire de deux frères antillais vivant en France, Joël et Régis, qui ne se sont pas vus depuis vingt ans et qui ont pris des chemins opposés dans la vie. Joël, interprété par Thomas Ngijol, est un jeune oisif fraîchement sorti de prison qui vit chez sa mère, passe son temps à pester contre un système dont il s’exclut au nom de la « cause noire », et rackette la meilleure amie de sa fille pour payer l’amende que lui ont collé les contrôleurs de bus. Régis – Fabrice Éboué, de son coté, est un conseiller municipal propre sur lui, qui se veut « assimilé », et qui pour le coup, n’hésite pas à déguster du cantal avec son pinard à table, rabroue les Africains qui viennent piquer le travail des français, rit des blagues douteuses du maire de sa commune, mettant ainsi son couple en péril, sa femme ne le reconnaissant plus. Les deux frères sont convoqués aux Antilles par leur vieux père mourant qui leur confie le trésor de la famille, la lettre d’affranchissement de leur ancêtre esclave. Dépité, les deux hommes déchirent la lettre et, frappés d’une malédiction, se retrouvent catapultés au XVIIIème siècle, confrontés à l’esclavage et aux réalités de l’époque…

Autant le dire tout de suite, le film m’a affreusement ennuyé pendant les trente premières minutes, lorsque les deux protagonistes sont encore en 2011. Les scènes censées animer mes exigeantes zygomatiques souffraient d’un terrible air de « déjà-vu » On n’assiste là qu’à une succession de poncifs habituels sur les jeunes des cités et les petits « nègres assimilés ». Par contre, dès lors qu’ils débarquent en 1780, le rythme du film change, les gags s’enchaînent ; ils ne sont pas toujours du meilleur goût, mais le décalage entre les deux personnages et l’époque reste hilarant !

Au-delà de l’humour et de certaines vannes à rallonge – notamment une scène immonde d’aide à la procréation à la sauce « XVIIIème siècle » – qui témoignent de l’inexpérience de l’équipe, le spectateur arrive à saisir les messages qui lui sont destinés ; Ngijol et Éboué prennent vite leur aise devant la caméra, et torpillent tous les poncifs qu’ils ont pourtant allègrement distillés au début du long-métrage, avec un sadisme parfois jouissif. À la fois acteurs, scénaristes et coréalisateurs du film, on leur pardonne alors plus aisément le jeu d’acteur parfois très cabotin, les gros plans redondants et les inutiles plans rapprochés façon blockbuster hollywoodien, les scènes ennuyeuses qui durent une éternité – l’agonie de leur père – et quelques incohérences qui témoignent d’un certain manque de rigueur dans l’écriture. La végétation cubaine – lieu du tournage– est magnifique, et fait bénéficier au film une certaine crédibilité. À cela s’ajoute une très belle bande originale. On aurait pu craindre le pire, car, à la réalisation, ils sont assistés par Lionel Steketee, qui en France aura travaillé sur des navets aussi innommables que Lucky Luke –avec Lambert Wilson, Fatal – avec Mickaël Youn… Mais finalement, le trio tire bien son épingle du jeu.

Le projet des deux anciens membres du Jamel Comedy Club était ambitieux, et ils s’en sortent plutôt pas mal. Bien sûr, « Case Départ » aura souffert de l’inexpérience de ses auteurs, mais ne trahit à leur réputation d’humoristes caustiques porteurs de message. Ngijol et Éboué font une entrée plutôt honorable dans le monde du cinéma, en espérant qu’ils restent sur la même lancée, tout en affinant leur jeu et leur écriture au fil du temps. Démentant la fameuse loi de la « première fois », l’expérience se révèle bien moins pénible, moins douloureuse que prévue – non, je vous vois venir, je n’ai pas participé au scénario du film…

Souleymane LY