l’Afrique et le changement climatique : une introduction

Les Africains considèrent qu’ils n’ont pas contribué au changement climatique mais qu’ils sont les premiers à en subir les conséquences les plus lourdes[i]. Dans cette série d'articles, nous nous proposons d’apporter un éclairage sur le changement climatique, ses impacts en Afrique, ses enjeux. Quelles sont les stratégies d’adaptation?


Dans ce premier article, commençons par expliquer la variabilité du climat et l’effet de serre global. 

AU COMMENCEMENT

Oxfam AfricaQuelques jalons pour se fixer les idées: La Terre telle que nous la connaissons s’est formée il y a 4,6 milliards d’années. Il y a 2 milliards d’années, un processus qui avait conduit à l’arrivée massive de l’oxygène dans l’atmosphère terrestre primitive, aboutit à la formation des premières vies «oxygénées». Depuis, la composition de l’atmosphère terrestre, cette couche gazeuse qui entoure la surface du globe, a connu d’intenses variations, liées aux activités géologiques et astronomiques. Les conséquences pour l’ensemble du globe étaient des alternances de périodes de refroidissement intenses dites glacières et d’autres de réchauffement global. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ces périodes ont occasionné la disparition de certaines espèces et l’apparition et/ou l’évolution d’autres. Leurs vestiges formeront plus tard les hydrocarbures. A l’aide des informations qu’ils recèlent, les scientifiques ont mis en évidence et étudié une variabilité naturelle du climat à différentes échelles spatio-temporelles. Le climat par définition explique les conditions de l'atmosphère au-dessus d'un lieu à moyen et long terme (à la différence de la météorologie qui s'intéresse au court terme).

Il y a seulement 200 000 ans, c’est-à-dire très récemment à l’échelle de l’évolution globale, apparaît l’homo sapiens que l’on peut qualifier d’ancêtre de l’humain actuel. A une échelle infiniment plus petite, il y a 260 ans, la révolution industrielle a lieu. Commence alors une période d’exploitation en masse des ressources terrestres qui se poursuit de nos jours. Cela a-t-il un impact sur le climat?

L’EFFET DE SERRE

L’air est constitué essentiellement de deux gaz (Azote 78%, oxygène (dioxygène) 21%). Parmi la très faible quantité d’autres gaz présents, il y a les gaz à effet de serre (GES) dont le fameux gaz carbonique (CO2). Leurs conséquences, en revanche sur la vie sont très importantes. Ces gaz n'empêchent pas la lumière du soleil d'arriver jusqu'à nous. Ainsi, la journée, le soleil chauffe la surface du globe. La nuit, cette dernière restitue une partie de la chaleur sous forme de rayonnement infrarouge. Les GES empêchent ce rayonnement de repartir vers l'espace. Ils font ainsi office de "couvercle" en retenant l'énergie, maintenant une température élevée près du sol. C’est l’effet de serre naturel, qui assure ainsi une température clémente à la surface (plus).

Cependant, plus la concentration des GES augmente, plus ces derniers captent l’énergie, réchauffant ainsi l’atmosphère. Depuis la révolution industrielle, la production de l’énergie, le fonctionnement du système industriel repose essentiellement sur la combustion des ressources fossiles: pétrole, gaz et charbon; brulés ils émettent des gaz à effet de serre supplémentaire dans l’atmosphère. A l’effet de serre naturel, s’ajoute alors un effet de serre d’origine humaine. L’équilibre du système est rompu entrainant entre autres une élévation de la température globale[ii].

On n’a jamais vu un phénomène naturel aussi accéléré. Au rythme actuel, la tendance du réchauffement climatique risque d’être irréversible à l’échelle humaine bouleversant complètement le mode de vie actuel[iii]. En Afrique de l’ouest par exemple, le climat est caractérisé par une migration saisonnière des précipitations de l’équateur vers les régions du Sahel ; celles-ci débutent en mai sur la côte guinéenne, gagnent le Sahel en août et redescendent vers le golfe de Guinée en novembre. Ce processus est et sera de plus en plus perturbé, entraînant des conséquences socio économiques et environnementales importantes.

PAS RESPONSABLE? L’AIR N’A PAS DE FRONTIERE…POUR L’INSTANT

Du fait de sa faible industrialisation et de son retard de développement, l’Afrique ne contribue que très peu au total des émissions de gaz à effet de serre.

Source: globalwarmingart

Conscients du changement climatique et préoccupés par ses effets, les États ont adopté la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CNUCC) en 1992 à Rio de Janeiro. Cette convention reconnaît la responsabilité commune mais différenciée des États et prône le principe de précaution. Sur les bases de la CNUCC, le protocole de Kyoto, un accord international légalement contraignant pour les pays industrialisés – jugés plus responsables –  a mis en place un mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Signé en 1997, il n’entrera en vigueur qu’en 2005. Des pays historiquement pollueurs tels que les Etats Unis refusent toutefois de le ratifier. Initialement valable jusqu’en 2012, le protocole restera en vigueur jusqu’en 2017; car les négociations pour trouver un accord post-kyoto n’ont pas aboutis. Pourquoi?

Dans les prochains articles nous analyserons les mécanismes mis en place par le protocole de Kyoto et nous verrons ce que l’Afrique en a tiré. Afin de mieux évaluer les impacts du changement climatique en Afrique, nous examinerons également les projections climatiques. Si ces dernières divergent d’une région à une autre y compris à l’intérieur du continent, alors quelle position africaine faudrait-il défendre dans les négociations climatiques?

Notons que d’un point de vue climatique, l’air ne connaît pas les frontières géographiques; les GES se mélangent rapidement dans l’atmosphère. Toute émission de GES  d’où qu’elle vienne est potentiellement nuisible partout. Inversement les réductions d’émissions faites de n’importe quel point auront un effet sur l’ensemble. 

Djamal Halawa

 

Crédits photo : Piotr Fajfer / Oxfam International Utilisation sous licence CC 2.0


[i] Voir les discours significatifs prononcés par d’éminentes personnalités africaines (site)

 

 

 

 

 

[ii]    Noter qu’il y a eu des Controverses_sur_le_réchauffement_climatique dont certains ont fait échos dans l’opinion publique. Toutefois nous pensons que cela reste du domaine des querelles scientifiques et qu’il ne change pas le consensus sur la réalité du changement global et la nécessité d’adaptation. Au besoin un article sera consacré à cet effet.

 

 

 

 

 

[iii] Voir la littérature sur le changement climatique http://www.un.org/fr/climatechange/reports.shtml Nous reviendrons sur ces aspects dans les prochains articles de cet opus notamment en étudiant le rapport du GIEC

 

 

 

 

 

Faire de la sauvegarde du Lac Tchad un exemple de coopération africaine

À l’heure du cinquantenaire de l’Union Africaine, il est utile de rappeler que les défis communs aux africains ne manquent pas. Sous nos yeux, au cœur de la bande sahélienne se joue un drame touchant 30 millions d’individus: la disparition du seul grand lac de la région. Des chercheurs de l'Institut de Recherche et de Développement affirment qu’il aurait perdu 75% de sa superficie ces 40 dernières années. Face à cette situation, comment pourrait s'organiser la sauvegarde du lac Tchad? Où en sommes-nous avec les projets annoncés? Quelle leçon de coopération pourrions-nous en tirer? Rencontre avec l’ambassadeur de la cause, Emile H. Malet, directeur de la Revue PASSAGES et du Forum Mondial Du Développement Durable, et fondateur du think thank ADAPes, espace de réflexion sur des questions de relations internationales liées à l'énergie et à l’environnement.

  • Pr. Malet, pourquoi avez-vous accepté d’être l’ambassadeur itinérant pour la sauvegarde du lac Tchad et en quoi consiste votre mission ?

Emile MaletJ’ai accepté la proposition d’être ambassadeur itinérant pour la sauvegarde du lac Tchad à la suite du 8e Forum Mondial du Développement Durable (FMDD) qui s’est déroulé à N’djaména en octobre 2010. Cela m’a été proposé par le Président de la République du Tchad Idriss Déby Itno parce qu’il a considéré que le lac Tchad devait avoir une forme de représentation diplomatique afin de mieux faire connaitre les urgences de développement de ce territoire en même temps que la précarité qui le menaçait. Organisateur de ce forum, j’ai accepté avec enthousiasme cette proposition.

Depuis, je m’attèle par les moyens que j’ai, c’est à dire par la revue PASSAGES et par tout notre système de communication, à faire connaitre les problèmes de cette région: assèchement, déforestation, pollution, migration anarchique, sous développement, manque d’électrification. Bref c’est une région qui est un très bel espace naturel mais qui accumule les difficultés socio-économiques et culturelles. À cela s’ajoute depuis quelques années une instabilité grandissante à cause des groupes fanatiques et terroristes. Tout celà rend la situation du lac Tchad préoccupante.

  • Quels sont les projets engagés dans le cadre de la sauvegarde du Lac Tchad?

Il y a des projets d’infrastructures globaux et des projets de sauvegarde immédiate.

Il est nécecssaire de restaurer toutes les infrastructures de la région, mais cela n’a pas été fait. Il faut trouver des accords entre tous les pays qui bordent le lac pour permettre de l’irriguer avec un niveau d’eau convenable. Nous n’en sommes pas là. Le lac Tchad manque toujours d’eau. Il y a des projets de dérivation mais ils ne sont pas financés. Sur un principe au moins, tout le monde est d'accord : il n’y a pas assez d’eau et il en faudrait plus. Mais comment faire? À ce niveau, il n’y a pour le moment ni d’accord opérationnel entre les différents Etats, ni de concours international qui permettrait cela.

Par exemple, pour qu’une dérivation éventuelle amène un niveau d’eau convenable – et soit efficiente – il faudrait totalement réaménager la région. Il y a une déforestation qui crée de l’assèchement et déstabilise le sol. Il est donc urgent de la stopper, voire de réimplanter des arbres en quantité, dessiner des routes, réaménager les plans d’eau, etc. Il y a des zones exondées qu’il faut traiter. Il faut  réserver certaines activités à l’agriculture d’autres à la pêche, à l’élevage. Il y a un travail de réaménagement global qui doit se faire.

Lac Tchad 2À coté de ces projets d’infrastructures globaux, il y a des projets divers qui sont financés. Le fond pour l’environnement mondial, par exemple, accorde des dotations financières de plusieurs millions de dollars à chacun des pays du bassin pour améliorer les échanges agricoles, l’élevage, la pêche etc. Le Cameroun par exemple reçoit de l’argent pour optimiser les récoltes autour du lac, le Tchad pour aménager les routes qui sont de son coté. De la même manière, il y a des projets éducatifs pour sensibiliser la population au développement durable. L’Union Africaine (UA) à travers la Banque Africaine de Développement (BAD) participe aussi à ces activités de développement.

Tout cela est bien mais reste insuffisant. Je crois que le lac Tchad est une urgence humanitaire et à ce titre doit faire l’objet d’un consensus de tous les pays qui le bordent  (Cameroun, Niger, Nigéria, RCA, Tchad et la Libye qui fait partie de la commission du bassin du lac Tchad (CBLT)) mais aussi de l’ensemble des pays africains. Il faut que l’ensemble des pays africains considèrent que le lac Tchad est une priorité humanitaire parce que dans l’histoire, un endroit où il y a de l’eau est une source de vie et par conséquent une source de développement. Et s’il y avait une conjonction régionale, voire africaine, pour que le lac Tchad soit une sorte “d’incubateur économique“, cela profiterait à toute l’Afrique parce que ce qu’on fait sur cette région, on peut le faire au niveau des bassins du Niger, du Congo. Aussi, cela pourrait déboucher sur des coopérations régionales.

L’un des gros problèmes est la question de sécurité des populations. Le terrorisme, les rébellions, le radicalisme religieux contribuent à déstabiliser et à insécuriser la région. Mais autour du lac Tchad les populations sont déjà totalement insécurisées par les conditions de vie. Elles sont précaires : il n’y a pas de véritable habitation, pas d’eau potable, pas de moyens de scolariser les enfants: il y a donc une conjonction de facteurs défavorables.

  • Vu l’urgence de la situation, pourquoi il n’y a toujours pas d’accord effectif entre les Etats ?

Il n y a pas d’accord entre les Etats parce que les intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Les pays considèrent que l’amélioration de l’ensemble de la région du lac Tchad est une bonne chose, mais ils sont eux mêmes insécurisés et instables. Il y a eu tout récemment un changement de régime en Centrafrique. De même, l’instabilité en Libye affecte les autres pays du fait des milices armées venues de ce pays. Le TchLac Tchad 1ad est amené à prêter main forte aux troupes françaises au Mali; il est ainsi engagé dans une lutte interne. Le Cameroun comme le Nigéria font aussi l’objet d'attaque de milices terroristes et de mouvements fondamentalistes. Tous ces pays sont soumis à une instabilité liée à des raisons stratégiques ou économiques et, par conséquent, ils ne considèrent pas le lac Tchad comme une priorité, bien qu’ils reconnaissent tous qu’il y ait une urgence humanitaire. Le Tchad évidemment est beaucoup plus enclin à accorder une priorité à la sauvegarde du lac.

  • Quel rôle peut jouer la société civile ?

La société civile a un rôle fondamental à jouer pour améliorer la situation précaire des populations, mais, pour ce faire, il est important que les Etats soient en mesure de gouverner de manière stable leurs territoires et notamment les parties limitrophes du lac Tchad. Si les Etats ne sont pas en mesure d’exercer une gouvernance respectueuse et efficiente, le travail des ONG devient difficile. Pour le moment, les questions sécuritaires et stratégiques font que le lac Tchad n’est pas une priorité d’action pour les Etats, ce qui complique grandement le travail des ONG. Elles ont aussi un rôle important à jouer sur le plan éducatif. Je pense qu’il faut pousser les populations à avoir un comportement responsable ; par exemple, éviter de couper le bois à la base, arrêter les dérivations sauvages des cours d’eau… Les ONG peuvent aider les populations à mieux se former à l’agriculture, l’élevage et la pêche.

  • En dehors du désaccord entre les pays, quels sont les autres facteurs qui bloquent le financement des projets ?

La question de financement est conditionnée par certains critères socioculturels; les institutions ne sont prêtes à apporter leur concours qu’à la condition qu’il y ait un retour d’expérience satisfaisant. Or, quand on constate que les Etats de la région ne se mettent pas d’accord pour la coopération, que la déforestation continue, et que le développement comme les financements n’arrivent pas. Cela dit, et c’est là que le bât blesse: il y a des financements disponibles qui ne sont pas utilisés parce qu’il est impossible d’évaluer les travaux qui seraient faits à partir de ces contributions. Par ailleurs, il est vrai, du fait de la crise économique, que l’aide public au développement  (APD) des pays occidentaux a baissé, qu’il y a moins d’argent pour les actions de développement.

  • Qu’en est-il des financements dits innovants?

Ces financements sont orientés pour les activités répertoriées et étiquetées "développement durable". Or, il est très difficile d’engager par exemple un programme d’énergie renouvelable dans des territoires qui sont désertifiés et sans aucune ressource, parce que, plus vous allez vers des solutions écologiquement responsables, plus vous engagez des nouvelles technologies, et plus les populations doivent être éduquées dans cette voie. Le financement innovant va là où il trouve les conditions satisfaisant ce label écologique qui, malheureusement, n’est pas encore présent parce qu’on constate un retard socioculturel considérable autour du lac Tchad.

  • Auriez-vous un appel à lancer ?

Il faut tout entreprendre en même temps. Il faut que les Etats africains aient une meilleure gouvernance, il faut qu’ils fassent que la societé civile soit plus éduquée, mieux formée et ait accès à plus de responsabilité. En même temps que cet effort des Etats africains, il faut que les institutions internationales soient plus généreuses en financement et en projet. Par ailleurs, il faut qu’il y ait un accompagnement international au niveau des investissements, un accompagnement social, une certaine formation des populations; il ne faut pas simplement investir dans des projets et les laisser en déshérence. Il faut une conjonction de meilleure gouvernance locale et de plus de générosité dans les financements internationaux. La situation géostratégique doit s’améliorer. Dès qu’il y a insécurité, les investissements sont stoppés. Il faut donc arriver à une conjonction de plusieurs actions : plus de sécurité, une meilleure gouvernance, plus de générosité et que tout ça soit coordonné pour avancer vers un développement durable, et éviter ce qu’on a fait jusqu’à présent: un égoïsme des Etats ou des individus et qui se fait au détriment du bien commun. Mais si un jour nous arrivions, au niveau du lac Tchad, à cette gouvernance améliorée et à ce que la communauté internationale considère que c’est une urgence, à ce moment nous pourrons voir se développer un incubateur de développement et de prospérité qui serait non seulement un bien pour les pays limitrophes, mais aussi un exemple pour toute l’Afrique. C’est comme ça que les continents se sont développés: des poches de développement ont irradié l’ensemble des territoires.

Je pense qu’il faut faire émerger des solutions d’espoir. Les gens voyant qu’il y a des fleurs qui apparaissent quelque part, considèrent qu'elles peuvent aussi avoir leur place dans leur jardin; et, petit à petit, de nouvelles actions postives sont générées. Je crois qu’il faut donner confiance aux gens. Le développement, c’est aussi une question de confiance.

  • Un dernier mot pour la jeunesse africaine

Le continent africain a une pyramide démographique inversée par rapport celle de l’Europe, c’est à dire qu’il y a plus de jeunes en Afrique. C’est à la fois un facteur d’optimisme et de préoccupation. Un facteur d’optimisme parce que plus de jeunes signifie plus de vie, d’actions à venir, de perspective. C’est une préoccupation parce que l’Afrique aujourd’hui a fait des grand progrès au niveau de l’éducation et de la formation avec beaucoup de diplômés mais aussi beaucoup de chômage. Elle doit se prendre en main et ne peut pas, sur la question sociale, tout attendre des pays du nord qui eux aussi sont en grande difficulté économique. L’Europe, les USA, le Canada et tous ces pays qui avaient besoin d’une forte immigration notamment de jeunes diplômés, la restreignent aujourd’hui parce qu’ils sont confrontés au chômage. Réfléchir à cet aspect du problème et trouver des débouchés à toute la jeunesse, et notamment aux jeunes diplômés devrait être une préoccupation majeure.

Entretien avec Louis Boisgibault, Président de VALMERE

M. Boisgibault, pourriez-vous nous présenter votre parcours et expliquer pourquoi vous vous intéressez à l’Afrique?

BoisgibaultJe suis diplômé d’un Master de Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine avant d’effectuer le MBA de HEC avec un programme d’échange à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Je suis du reste membre du Wharton club of Africa, responsable du secteur énergie et de la France.

J’ai fait ma carrière dans le secteur de l’énergie à la fois du coté bancaire, chez EDF et GDF-Suez à Londres. Convaincu par le développement des énergies renouvelables, j’ai créé, d’une part, la société VALMERE quand je suis revenu en France et, d’autre part, j’ai commencé les enseignements en énergies renouvelables et efficacité énergétique au Master Energie Finance Carbone de Paris Dauphine, à Supelec, l’Ensta Paris-Tech et l’Ecole Polytechnique (Master REST) et au certificat énergie d'HEC.

J’ai rapidement compris qu’il y avait un énorme potentiel pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en Afrique et qu’il fallait se préparer à développer cette filière sur ce continent également.

Quels est selon vous ce potentiel en énergies renouvelables?

D’une part, géographiquement l’Afrique dispose des conditions favorables. Au niveau des cours d’eau déjà. Des grandes infrastructures en sont sorties tels que le barrage d’Assouan. Un potentiel hydraulique à ne pas oublier. Il y a également le vent, avec les alizés qui soufflent constamment sur les côtes marocaines, par exemple, et le soleil qui est disponible partout. Ces richesses peuvent être exploitées dans la mesure du possible pour compléter les énergies traditionnelles.

D’autre part le constat est relativement simple. On observe une population qui augmente de manière importante et un problème d’accès à l’énergie récurrent. Les statistiques de la banque mondiale notamment montrent clairement que l’Afrique est le continent où la population a le moins d’accès à l’énergie. Il faut noter que le délestage qui engendre la colère des populations peut être un enjeu politique majeur comme lors des dernières élections présidentielles au Sénégal.

Certains pays ont des ressources pétrolières et gazières importantes mais elles sont jusque là entourées d’une sorte de “malédiction“ et n’ont pas assez profité à la population.

Energie Solaire FukushimaDans votre livre «l’énergie solaire après Fukushima: La nouvelle donne», vous défendez la thèse selon laquelle les énergies renouvelables sont une évidence et qu’elles finiront par s’imposer?

Je défends cette thèse, notamment pour l’Afrique mais elles ne vont pas remplacer les autres sources classiques. Elles viennent en complément et devraient progressivement se développer pour prendre une place prépondérante. Un enjeu important pour l’Afrique est lié aux équipements. L’Afrique ne produit pas encore suffisamment de panneaux solaires, d’éoliennes, de turbines, d'onduleurs…L’enjeu est de les acheter (à la Chine, à l’Union Européenne) et d'organiser la logistique, le stockage, la construction dans les meilleures conditions possibles.

Le coût d’investissement des projets d’énergies renouvelables est considéré comme important et les sources de financement sont rares. Ne pensez vous pas ce sont des freins à cette évidence?

Le coût d’investissement est certes important mais je tiens à dire que pour construire une centrale thermique au fioul ou une plate-forme pétrolière par exemple, le coût est aussi élevé. C’est donc un problème récurrent pour tous les projets énergétiques. L’avantage dans le cas des énergies renouvelables est qu’on peut développer des micro projets moins onéreux tout comme de très grands projets tels qu’à Ouarzazate au Maroc. Lorsqu’il n’y a pas de réseau de distribution d’électricité, des micro projets peuvent fournir l’électricité aux villages qui ne sont pas connectés.

La recherche de financement est bien sur déterminante, à la fois en capital et en dette. Dans l’union européenne par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques de soutien avec des tarifs de rachat avantageux qui permettent de vendre l’électricité produite à un tarif bonifié garanti pendant 20 ans. C’est un mécanisme pour lever des fonds et financer des projets par de la dette à 80%. En Roumanie, un système de certificat vert est mis en place pour les producteurs d’énergies vertes. Le meilleur cadre réglementaire doit être mis en place dans les pays d'Afrique.

Je précise que le Président de la Société Africaine pour les Biocarburants et les Energies Renouvelables (SABER, ABREC en anglais), basée à Lomé, a apprécié mon ouvrage qui a été présenté à l'African Power Forum en septembre 2012 à Marrakech. Il vient de passer une commande à l'éditeur pour diffuser cent exemplaires en Afrique de l'Ouest. VALMERE se positionne pour aider SABER à réussir sa levée de fonds de plusieurs centaines de millions d'euros et ses investissements dans des projets innovants africains. On prévoit des actions de communication autour de l'ouvrage pour inciter les entrepreneurs africains à signaler leurs projets.

Quelle évaluation faites-vous des pays qui ont lancé des grands projets d’énergies renouvelables? Faut t il attendre un retour d’expérience suffisant avant de généraliser?

Il faut s’y lancer tout de suite mais prudemment. Les pays n’ont pas les mêmes réserves en pétrole et en gaz et par conséquent pas les mêmes stratégies. Je prends l’exemple de l'Algérie et du Maroc, de la Côte d’Ivoire et du Togo, les premiers riches en hydrocarbures, pas les seconds. On peut bénéficier des expériences d’autres pays mais on ne doit pas simplement copier le modèle mais l'adapter : petits projets tels que les lampadaires solaires,  photovoltaïque pour villages isolés et plus grands projets.

Qu’en est-il maintenant de l’efficacité énergétique en Afrique?

Elle est peut être plus importante que la question des énergies renouvelables. Dans le cadre de mon enseignement, j’ai demandé cette année à deux étudiantes de faire un mémoire sur l’efficacité énergétique au Togo et je les ai mises en contact avec le ministère de l’énergie. On peut penser que l’efficacité énergétique ne concerne que les pays riches qui gaspillent beaucoup et se demander si c’est un sujet qui concerne l’Afrique. Nous avons constaté que le Togo avait démarré un programme d’efficacité énergétique assez intéressant notamment pour les éclairages publics à Lomé. Des réflexions sont faites pour améliorer la consommation d’énergie lors des cuissons. Je suis intervenu à Tétouan au Maroc sur la consommation des bâtiments publics et des éclairages publics. Une telle ville dépense plus d’un million d’€/an dans l’éclairage public, et la consommation électrique des stades de football pour les nocturnes peut être un enjeu.

Il faut réfléchir à la fois aux normes thermiques plus efficaces pour la construction, aux transports et à l’industrie.

Il ya un volet des gaz à effet de serre?

Les pays africains, dans le cadre du protocole de Kyoto pour l’atténuation du changement climatique, sont classés hors annexe 1 c’est-à-dire qu’ils n’ont pas d’objectif contraignant en matière de réduction des émissions des gaz à effet de serre. Cependant aux différentes conférences sur le climat, ils ont fait preuve de leurs grands intérêts pour ces discussions et pour trouver les meilleurs pratiques. Ils ont fait leurs communications nationales aux Nations Unies et ont montré des progrès très intéressants.

Enfin un volet formation?

La formation à tous les niveaux est importante pour développer les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Une formation continue pour les fonctionnaires, souvent formatés pétroles et nucléaires. Une formation adaptée pour les techniciens et les ingénieurs. Ma recommandation serait de les assurer dans le cadre des universités existantes et non de créer de nouveaux instituts déconnectés des dispositifs existants.

Je souhaite que tous vos lecteurs se mobilisent autour de ces sujets, en créant des groupes de travail, d'échanges. Je veux alimenter les réflexions par des publications pertinentes, des enseignements, des missions de conseil et développer les partenariats innovants euro-africains.

Énergie en Afrique : Lumière sur les défis du secteur et les opportunités

Cet article est la synthèse de la conférence sur l'énergie en Afrique organisée par Terangaweb-l’Afrique des idées en partenariat avec Global Career Company lors du forum Careers in Africa à Paris le 13 Avril 2013. Il s’agit des points-clés des interventions de messieurs Bernard Duhamel et Thierry Téné sur les défis et les opportunités du secteur énergétique en Afrique.

Un défi de taille aux réponses multiples

Prévisions de l'évolution de la demande énergétique dans le mondeAvec une croissance annuelle de la population de 2,5%, une croissance économique de l’ordre de 6%,  un taux d’urbanisation d’un point tous les deux ans (41% d'urbanisation actuellement, 60% en 2060), l’Afrique est dynamique sur tous les plans. Cela est associé à une industrialisation et à une augmentation du niveau de vie, et se traduit nécessairement par une demande énergétique de plus en plus forte.

Il se trouve heureusement que l’Afrique dispose des sources d’énergie nécessaires pour y répondre : pétrole, charbon, gaz, nucléaire, géothermie, hydraulique, solaire, éolien et biomasse.

Actuellement le charbon et  le nucléaire sont surtout exploités en Afrique du Sud. L’essentiel de la production énergétique, sur le continent est d’origine fossile.

Les autres sources, à part l’hydroélectricité ne sont que très faiblement exploitées. Elles sont considérées comme chères et encore en phase de maturation technologique. Cela est vrai pour la technologie du solaire thermique à concentration (CSP) notamment, même si le coût du photovoltaïque est en baisse et que le continent dispose d’un gisement solaire très important.

La biomasse est elle aussi une bonne alternative lorsqu’on ne cible pas les cultures vivrières. Elle peut être utilisé dans des plateformes multifonctionnelles à l’échelle d’un village par exemple ou pour l’éclairage urbain.

Avec les cotes Atlantiques et de la Mer rouge, les couloirs du vent au Sahara sont une source importante d'énergie éolienne. Son industrie est mature et elle a atteint la parité avec les sources classiques en termes de coût d’exploitation. Toutefois le problème principal avec ces énergies alternatives est leur intermittence. Il faut un mix énergétique d'importants aménagements de façon à obtenir des réseaux performants et/ou interconnectés de façon à en moduler la production en fonction des fluctuations de la demande. La Géothermie quant à elle a un potentiel de 14GW notamment dans la vallée de rift.

Energy Demand Africa

Evolution de la demande énergétique en afrique d'ici 2040 (Exxon Mobile). Le Btu (British thermal unit) est une unité de mesure. La consommation énergétique d'un ménage nord-américainmoyen s'élève à 400.000 BTU par jour. Un quadrillion correspond à 1000 milliards.

Une crise de production ?

Le grand constat est le faible taux d’exploitation du potentiel hydroélectrique alors qu’il y a d’énormes gisements pour tout type de structure (grands barrages, moyens, mini…). La crise n’est pas uniquement celle de la production. Même lorsque les installations existent, elles sont inefficacement exploitées. L’exemple des grands barrages d’INGA (RDC) – potentiel de 40GW capable d’alimenter toute la sous-région mais dont la moitié des turbines est en panne, résume l’ampleur du problème. L’absence de maintenance des infrastructures existantes est un facteur important. Une crise en amont donc.

Se pose également la question des ressources humaines et du manque de compétences spécifiques à ce secteur. Et cela se vérifie à tous les niveaux: ingénieurs, techniciens, cadres, juristes…

Si la consommation électrique actuelle par tête d’habitant est très basse (à peine 150 KWh/ pers/an dans les pays sahéliens et moins de 1000 KWh/ pers/an), on peut s’interroger sur la capacité d’absorption : Est-elle liée au faible développement économique, ou à une production défaillante (pour des équivalences en termes de consommation électrique "ordinaire" de termes tels que kilowatt, gigawatt, etc. se reporter à cette fiche)

Il se trouve aussi que la demande en énergie est importante dans les régions densément peuplées (Afrique de l’est, Egypte). Ainsi, le développement énergétique en Afrique doit être pensé dans le cadre de programme de développement "intégrés". On ne peut pas uniquement se focaliser sur la production. L’expérience du Rwanda dans l’extension du réseau, en s’assurant de l’implication effective de l’ensemble des acteurs (gouvernement, des agences de développement, acteurs locaux, citoyens…) est une réussite.

Cesser les subventions…développer des alternatives

L’énergie coûte très cher et l’électricité particulièrement est inaccessible à une grande partie de la population pauvre. Elle est aussi curieusement trop subventionnée. Les subventions de l’énergie fossile coûte plus de 400 milliards de $ par an. En 2008 lorsque le baril du pétrole à atteint 147 $, elles étaient de 600 milliards $. Ces subventions faussent les calculs économiques et la rentabilité des investissements. Elles sont un facteur freinant le développement de l’énergie contrairement à la croyance populaire qui voudrait qu'une baisse des prix soit indispensable à l'amélioration de l'accès à l'énergie en Afrique. L’expérience montre que les consommateurs sont plus sensibles à un approvisionnement régulier qu’à un tarif bas. Cela relativise-t-il la cherté des énergies alternatives ?

Electricity generation

On ne pourra pas construire rapidement les infrastructures nécessaires à l’interconnexion des réseaux avec un prix de baril de pétrole très élevé pour pouvoir répondre à l’exigence de la demande énergétique. L’augmentation du prix du baril de pétrole entraine la compétitivité des énergies alternatives. Il faut agir pour les exploiter au maximum et localement si possible. 1 MW d’hydroélectricité coûte 1 à 3 millions de $ selon les régions du continent. Ces alternatives sont in fine plus rentables que les énergies fossiles maintenues sous la perfusion des subventions.

Quels plans ?

Les subventions annuelles de l’énergie fossile représentent le coût global pour assurer l’indépendance énergétique en Afrique dans les 20 prochaines années. La mobilisation des ressources passe d’abord par un assainissement du cadre réglementaire et un renforcement des capacités. Certains pays ont des plans de développement énergétique. Ces stratégies ne sont pas encore approfondies pour être efficace. C’est au niveau sous régionale qu’il ya un manque de coordination. Pourtant à cause des ressources souvent communes notamment pour l’hydroélectricité il est nécessaire de s’entendre sur des réglementations communes. C’est la garantie pour mobiliser les investissements privés ou développer des partenariats publics privés PPP. La mise en place des portefeuilles-projets à l’exemple du Maroc pour les énergies renouvelables offre une visibilité et une attractivité aux investisseurs.

Il faut avoir une vision globale et mettre le point sur la formation. Former toutes les compétences nécessaires à la réalisation mais aussi au suivi des projets structurants que  de lancer des grands projets entièrement réalisés de l’extérieur et qui échouent fatalement faute de cette prise en compte.

Et pour finir….RSE, fraude et efficacité énergétique

Pour lutter contre la fraude et répondre à la demande, une entreprise énergétique au Brésil échange des bons de consommation électrique contre des déchets ramenés par les ménages qu’elle valorise par la suite. C’est un exemple de la RSE d’une entreprise énergétique.

Pourquoi regarder seulement la production ? Il ya d’énormes efforts à faire en efficacité énergétique. En agissant sur les matériaux de construction, en regardant la consommation des bâtiments publics par exemple on aperçoit le potentiel énorme dans l’amélioration de la consommation énergétique en Afrique.

 

 


Bernard Duhamel: Consultant Sécurité Energétique – Energies Renouvelables (UA, ACP) et Vice President de l’ADEA (Association pour le Développement de l’Energie en Afrique).  Thierry Téné: Co-fondateur de l'Institut Afrique RSE et Directeur de A2D Conseil

 

 

 

 

 

Sources (illustrations) : Exxon Mobil The Outlook for Energy: A View to 2040

IEA Energy Africa Statistics on the Web: http://www.iea.org/stats/index.asp

 

 

 

 

 

La grande muraille verte du Sahel

muraille verteLe constat alarmant est bien connu : 43% des terres africaines se trouvent dans des zones arides ou semi-arides favorables à la désertification qui touche particulièrement la zone sahélienne. 11 Etats de cette région semi-désertique (Mauritanie, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Éthiopie, Érythrée et Djibouti) se sont associés en 2007 pour lancer l’Initiative Africaine – Grande Muraille Verte (IAGMV). S’agit-il seulement, comme peut le laisser supposer son appellation, d’une bande de verdure de 15 km de large sur les 7000 km reliant Dakar à Djibouti ? Bien que le projet vise au reboisement de plus de 15 millions d'hectares, l’approche est beaucoup plus subtile et ambitieuse, comme l’expliquait le professeur Abdoulaye Dia, secrétaire exécutif de l’Agence Panafricaine de la Muraille Verte basée à N’Djaména : « ce n’est pas un rideau d’arbre que nous devons sans cesse replanter […] l'objectif est plutôt d'atténuer les effets de la désertification par une approche de développement intégré. Ce qui signifie qu'en plus des plantes nous allons créer un ensemble d'activités agro-sylvo-pastorales génératrices de revenus. » L'approche devrait différer suivant les particularités géographiques : certaines terres totalement dénudées doivent être reboisées et des zones à protéger pour que le couvert végétal se conserve ou soit enrichi.

Pour mettre en oeuvre cette ambition, l’IAGMV adopte une approche globale et multisectorielle qui associe le savoir–faire local, les techniques développées par les populations pour faire face aux sécheresses récurrentes, avec les connaissances scientifiques les plus novatrices. Son action repose principalement sur l’identification et la promotion de pratiques de gestion durable des terres, le renforcement des services socio-économiques de base et l’autonomisation durable des populations rurales. Les espèces plantées dans une région doivent présenter un intérêt pour sa population et avoir les caractéristiques de résistance à la sécheresse. Plus de 200 espèces de plantes pouvant pousser dans des zones de 100 à 400 millimètres de pluviométrie ont été identifiées. L’IAGMV encourage l’agriculture familiale en opposition à l’agriculture intensive pour permettre aux populations leur autosuffisance alimentaire et des jardins polyvalents seront développés pour générer des revenus complémentaires et limiter ainsi l’exode rural.

Ce projet se veut l’exemple de l’émergence d’un leadership africain dans la prise en charge de ses défis environnementaux. Bien que la problématique de financement ne soit pas entièrement réglée et le coût exact difficile à estimer, timidement mais sûrement le projet de muraille verte au Sahel se matérialise. Une partie des financements doit être assurée par les Etats parties prenantes de l'initiative et le reste par leurs partenaires classiques. Deux ans seulement après la mise en place de l’Agence Panafricaine de la Muraille Verte (juin 2010), censée mettre en œuvre la GMV et coordonner l’ensemble des actions, aucun bilan d'étape n’a été rendu public. Néanmoins certains Etats sont plus avancés avec des grands chantiers déjà lancés. Au Sénégal plus de 20 000 hectares de terres sahéliennes ont été reboisées et au Tchad la ceinture verte autour de la capitale s’est considérablement élargie avec plusieurs milliers de pépinières mises en place pour alimenter des campagnes régulières de reboisement. 

A l'horizon 2025, la jeune pousse devrait avoir donné un arbre fleuri. L’IAGMV devrait avoir freiné l’avancée de la désertification et restauré les zones arides et semi-aride sahélo-sahariennes. A terme, elle ne devrait ni plus ni moins que transformer les étendues arides du Sahel en véritables ‘pôles ruraux de production et de développement durable’, où l’insécurité alimentaire et la pauvreté endémique ne seront que des lointains souvenirs. Les enjeux sont considérables et les exemples de projets ambitieux lancés dans ce cadre abondent. L'important est de persévérer dans cet effort et de maintenir haut les ambitions de ce projet panafricain. 

 

Djamal Halawa

Pour en savoir plus :

La Grande Muraille Verte. Capitalisation des recherches et valorisation des savoirs locaux, ed. IRD 2012            

Le projet majeur africain de la Grande Muraille Verte. Concepts et mise en œuvre, ed. IRD 2010

http://www.grandemurailleverte.org/

Ces manuscrits qui ne racontent pas leur histoire

L’Afrique est le temple de l’oralité a-t-on martelé. L’histoire africaine repose en grande partie sur des récits oraux, peu de témoignages écrits. Les griots sont notamment les seuls dépositaires de notre mémoire. J’ai même cru entendre que je ne suis pas rentré dans l’histoire…

Depuis que le nord du Mali est contrôlé par les extrémistes islamistes, on parle d’une certaine menace qui plane sur les manuscrits de Tombouctou. Ces manuscrits sont des textes rédigés en arabe et en langues locales (des langues notamment peules transcrites en alphabet arabe) sur des omoplates de chameaux, des peaux de moutons, de l'écorce et parfois du papier dont les plus anciens datent des XIIe et XIIIe siècles et les plus récents du XVIIIe ou XIXe siècle. Ils sont à l’exemple de la mémoire collective africaine dispersés un peu partout. A Tombouctou et ses environs, d’où leurs noms mais aussi dans tout le grand Sahara. Leur nombre fait débat. Ce sont des dizaines, voire des centaines de milliers de documents dont on estime que seulement 1% sont traduits et 10% catalogués. Ceux qui sont répertoriés sont en partie conservés dans des bibliothèques privés notamment à Tombouctou .

Il y a une rupture entre une élite de l’Afrique subsaharienne essentiellement francophone ou anglophone et une partie de sa mémoire écrite dans une langue dans laquelle elle n’a pas été formée. S’il y a une connexion avec le savoir issue de ces « siècles des lumières africains », elle s’est faite principalement par le biais des écoles religieuses. Dans la lignée de leurs références, on trouve les érudits de l’époque. Or ces fameux manuscrits ne sont pas que des écrits religieux. Ils vont de traités de médecine, de gouvernance, aux récits de société, des correspondances, des factures de commerce…témoignage d’une certaine civilisation. Les populations qui ont en leur possession ces documents sont en grande partie illettrées. Elles ont des attaches quasi-mystiques avec ces documents légués par leurs ancêtres même lorsqu’elles ne comprennent pas ce qui y est rédigé. Pour peu qu’on tienne compte de leur susceptibilité, on comprend pourquoi ces populations hésitent à étaler leurs « trésors » et les difficultés rencontrées dans la récupération de ces manuscrits. D’ailleurs un dilemme se pose dans la situation actuelle : faut il parler de ces manuscrits et leurs valeurs au risque d’attiser les convoitises et susciter des trafics de tout genre? Faut-il se taire au risque de les voir détruits ou brûlés par ces fondamentalistes maîtres des lieux capables de les décréter hérétiques? Au delà, il y a une certitude. Ces écrits recouvrent un pan de l’Histoire. Ils doivent être exploités et nous raconter une partie de notre histoire complètement oubliée ou occultée. 

Des efforts sont faits pour valoriser et exploiter ces documents. Avec beaucoup de volonté, des grandes familles ont mis à la disposition des chercheurs des manuscrits qu’elles possédaient ou qu’elles ont récupérés et conservés dans leurs bibliothèques privées. L’Université de Bamako dispose d’un département en langue arabe qui peut fournir des étudiants capables de travailler sur ces manuscrits. Quelques fondations américaines notamment et très peu d’Universités s’intéressent à la question. Ces efforts sont à encourager.

C’est une formidable opportunité de travail intellectuel qui s’offre à nous. Il ne s’agit pas d’un trésor malien mais d’une richesse africaine et mondiale. A l’exemple de ce qui existe déjà, au niveau régional, les pays du Maghreb et les pays subsahariens peuvent renforcer davantage leur coopération dans le domaine universitaire en formant les compétences nécessaires pour faire la traduction et le traitement de ces documents. A cette prise en main de la question par les africains s’ajouteront les efforts à l’échelle globale. Le plus important est de dire à tout écolier et écolière, collégien et collégienne, lycéen et lycéenne de chaque pays d’Afrique, toi aussi tu as une belle histoire écrite et orale dont même l'impétueux vent du Sahara n’a pu effacer la trace. C’est ainsi que naîtront le désir de la découverte, la prise de conscience et l’enthousiasme de s’approprier sa propre histoire.

Habib Koité a chanté « Tombouctou, le puits de l’espoir ». Tu es aussi un puits de savoir et tes enfants veulent boire de ton eau.

Djamal HALAWA

N’Djamena, une ville qui se modernise dans la douleur

Sous le soleil écrasant de ce mois de juin, il n’y a pas beaucoup d’âmes qui circulent à midi aux alentours de l’aéroport international Hassan Djamous, pourtant situé en pleine capitale du Tchad. Rien à voir avec l’agitation de la salle de débarquement où des douaniers s’activent fébrilement à fouiller les bagages des passagers. Les environs de l’aéroport se résument à un immense terrain vague. Qui imaginerait qu’il y a à peine deux ans cet endroit abritait les locaux de l’école de la gendarmerie nationale, un camp militaire ainsi que la prison d’arrêt centrale ?

Place de la Nation, N'Djamena

Sorti de l’aéroport, le voyageur peut s’engager dans la mythique avenue Charles de Gaulle, bordée d’une rangée de banques et de grands restaurants et qui débouche sur la désormais célèbre Place de la nation. Elle se trouve juste en face de la présidence de la République protégée farouchement par les bérets rouges de la garde présidentielle. Cette place où se déroulent les grands hommages républicains se veut à la hauteur des nouvelles ambitions des autorités tchadiennes. Elle s’étend sur plusieurs hectares et a été construite à coup de milliards de franc CFA pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance du Tchad en 2010. Faute de jardin public ou de parc digne de ce nom dans la ville, elle est devenue le rendez vous des balades amoureuses du crépuscule.

A peine un kilomètre plus bas, en passant devant l’unique cinéma de la capitale tchadienne, « la Normandie », qui renait de ses cendres, l’on tombe sur le tout nouveau complexe hospitalier de la mère et de l’enfant et sur les bâtiments flambant neuf de la Faculté de médecine. Dire qu’en ces lieux et places se trouvait Gardolé, le plus vieux quartier de la ville… Tout un symbole pour décrire les déguerpissements et expropriations qui accompagnent la réalisation de ces ouvrages urbains. Autant d’opérations d’aménagement passées en force dont on peut imaginer les bouleversements engendrés. En à peine cinq ans, le visage de la ville a complètement changé. Des nouveaux bâtiments sortent de terre : hôpitaux, facultés d’université, ministères, hôtels, lycées… en grande partie réalisés sous la bannière des « grands projets présidentiels» et financés par les fonds issus des revenus du pétrole. Tous les grands axes sont rebitumés et de nouvelles rues, bordées de tous types de commerces, apparaissent.

Le million d’habitants de la capitale tchadienne se lève très tôt. Le plus souvent à moto, casque de rigueur, les travailleurs et les écoliers commencent leur journée dès 7h du matin. Les principales activités commerciales sont informelles. Les deux grands marchés de la ville (le marché central et le marché à mil) ne cessent de grossir et de s’étendre pour engloutir presque toutes les habitations environnantes. Les murs de clôture des habitations sont remplacés par les arcades des nouveaux commerces et l’intérieur transformé en dépôt de marchandises. La démolition il y a deux mois du troisième marché, le marché de quartier de Dembé, ne semble pas décourager les commerçants dans leurs entreprises. Déguerpissement du centre ville, expropriations, démolitions, relogement, indemnisations…ou pas. La marche vers la modernisation de la ville est menée à rythme cadencé et forcé. C’est dit- t- on le prix du progrès. Mais cette dynamique se fait sans réelle concertation ni information des habitants. Elle se fait même avec violence. Et la violence, cette ville en a connu.

Ville martyre, elle est née d’une guerre et en a connu plein d’autres. En 1900, trois colonnes de l’armée française ont convergé sur les rives du fleuve Chari, pour combattre et vaincre un esclavagiste et tyran venu du soudan (Rabah Fadlallah, 1842-1900) avec ses mercenaires qui sévissaient dans la région. Après avoir abattu Rabah, le commandant François J.A. Lamy installa son camp à coté du fleuve et de trois villages. La bourgade qui se développe se nomme Fort Lamy jusqu’en 1973 et le retour « des pères de la nation » à la notion d’authenticité. La capitale fut alors renommée Ndjamena. Ce qui signifie littéralement en arabe tchadien « nous nous reposons » ou « on en a fini » (avec la violence, les guerres…). Mais le martyr de la ville continue, avec la guerre civile de 1979, la dictature des années 80 et son lot de disparus et de victimes, et plus récemment avec les deux attaques rebelles en 2006 et 2008. Depuis, N’Djaména semble jeter aux oubliettes ce passé. Elle fait peau neuve, n’hésitant pas effacer ce qui pourrait faire figure de lieux de mémoire ou de monuments historiques, les remplaçant par des nouveaux. Résolument tournée vers l’avenir et avec l’ambition de devenir la « vitrine de la sous région ».

Djamal HALAWA

Quelle évolution à 50 ans des ressources naturelles de l’Afrique ?

Le développement de l'Afrique pour les décennies à venir sera déterminé par l’évolution d’un certain nombre de facteurs globaux, qu’ils soient humains ou physiques, et des politiques adoptées en réponse à ces changements. Selon une étude de la banque africaine de développement (BAD), l’Afrique est confrontée à trois formes de changements de son environnement physique : le changement climatique, l’évolution des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables du continent et la disponibilité des terres et de l'eau sur le continent. Comment ces changements se dessinent-ils et quelles sont leurs conséquences ?

Alors qu’elle n’a guère contribué au réchauffement climatique, l’Afrique est très vulnérable à ses impacts à cause de sa faible capacité d’adaptation. Couplé aux catastrophes naturelles (sécheresse, inondations, variabilité des précipitations) qui touchent déjà la plupart des pays africains, le réchauffement climatique est très néfaste pour le développement socio-économique, la stabilité et le bien-être de la population africaine. Les modèles climatiques projettent une augmentation de température moyenne de 3° C à 4 ° C d'ici la fin du siècle en Afrique. Même en ce qui concerne les précipitations avec leur forte variabilité spatio-temporelle, un consensus semble se dégager : On observera une humidification de l’Afrique orientale et dans une moindre mesure de l’Afrique de l'Ouest et un assèchement plus important du Sahara et du Sud de l’Afrique. Enfin l'élévation de niveau de la mer affecterait les iles, les zones côtières et les deltas. Un mètre du niveau de mer en plus se traduirait par des pertes sévères dans l'agriculture littorale, ainsi que la submersion des certaines infrastructures économiques et occasionnerait des déplacements des populations.

Une grande partie de ressources de base de l'Afrique est sous-utilisée. Selon la BAD, il est probable que l'Afrique abrite environ 30% des réserves minérales de la planète (40% de l'or mondial, 60% du cobalt, 72% du chrome et 65% des diamants). Compte tenu de la hausse des prix des matières premières et de la forte croissance économique notamment de la Chine, les investissements augmenteraient dans ce secteur ainsi que dans les infrastructures connexes pour sécuriser l’approvisionnement en matières premières. Des nouvelles mines ouvriront pour les nouveaux types de produits pour lesquels il faudra des métaux spécifiques, tandis que la baisse des teneurs en minerais dans les produits, le recyclage et la substitution entraîneront la fermeture d'autres mines. Certains pays bénéficieront de ces changements, tandis que d'autres, autrefois fortement tributaires des recettes minières et minérales, devront se diversifier dans d'autres secteurs.

Concernant son environnement naturel, l’Afrique a perdu plus de 4 millions d'hectares de forêts par an (trois fois plus que la moyenne mondiale) de 1990 à 2005. La déforestation est plus rapide en Afrique de l'Ouest (où 80% de la forêt d'origine humide a été défrichée) et à Madagascar, mais elle est également présente en Afrique centrale. La conversion des terres à l'agriculture (60%), la récolte du bois et l'exploitation commerciale illégale ou mal contrôlée de la forêt sont les sources de cette déforestation. Pour les écosystèmes marins, la plus grande menace est la surexploitation par la pêche artisanale et la pêche industrielle. Les espèces sont en train de s'épuiser à un rythme qui fait de l'effondrement de la pêche une possibilité d'ici à 2060. Dans la plupart des zones, la pêche s'est révélée difficile à réglementer. Beaucoup de propriétaires de flottes étrangères n'ont pas d'accords avec les États côtiers en Afrique. Ces flottes pêchent soit illégalement dans les eaux territoriales qui sont en grande partie sans surveillance.

Enfin en ce qui concerne la disponibilité des terres et de l’eau, environ 21% de la superficie totale de l'Afrique est adaptée à la culture mais les experts s'accordent à dire que les sols de l'Afrique sub-saharienne sont les plus dégradés du monde. Les causes principales sont l'érosion et l'épuisement des minéraux (la perte de nutriment vitaux du sol). Avec l'augmentation de la pression démographique, il est probable que ces dégradations s’accélèrent et certains experts agricoles estiment que cela entrainerait des baisses de rendement de 17 à 30% en 2020, voire 50% dans les 30 à 50 ans.

L'Afrique est l’un des continents les plus secs. Environ 82% de ses terres sont classées comme arides ou semi-arides et elle ne dispose que de 9% des ressources mondiales en eaux renouvelables. Les pays nord-africains sont fortement tributaires des eaux souterraines, et de nombreux pays sont en train de pomper ces eaux souterraines plus vite qu'elles ne peuvent se renouveler. La consommation d'eau augmentera pour les usages domestiques, l’irrigation et l’industrie. En Afrique subsaharienne, le pompage d'eau et la consommation totale d'eau augmenteront au moins jusqu'en 2025. Étant donné les tendances actuelles de croissance de la population et les modes d'utilisation de l'eau, les résultats des recherches indiquent qu'un certain nombre de pays vont dépasser les limites de leurs capacités terrestres des ressources en eau d'ici 2025. Les projections indiquent que le nombre de personnes vivant dans les zones de stress hydrique en Afrique concernera 35 à 45% du total de la population continentale en 2055, même en l'absence de changement climatique. Les populations en situation de risques écologiques devraient être de 350 à 600 million de personnes.

Les incertitudes qui entourent cette vision de l'Afrique en 2060 sont bien sûr énormes, mais une chose semble claire: ces tendances appellent des réponses politiques fortes. La BAD qui a effectué cette étude pour tracer la voie de la croissance inclusive insiste sur les évolutions politique et institutionnelle qui doivent accompagner ces évolutions physiques.
En 2060, un grand nombre des ressources minières actuelles seront épuisées et les stocks de ressources renouvelables pourraient être sérieusement appauvris. Ceci ne veut pas nécessairement dire une baisse globale de revenus des ressources naturelles pour l'Afrique, mais plutôt des nouvelles possibilités à la fois en termes d'emplacement et de composition des ressources. Pour les pays qui ont épuisé leurs ressources naturelles, il se posera la question de transition du modèle économique. D’autres feront de nouvelles découvertes et suivront l'évolution des structures globales de la demande. Pour ces économies, le défi majeur sera de savoir comment faire face à la volatilité des marchés et gérer leurs nouvelles ressources pour le développement à long terme. Pour faire face à ces défis, il faut des efforts concertés et des approches communes. Compte tenu de la piètre performance de l’Afrique pour la gestion de ses ressources naturelles, un changement majeur d'approche des politiques économiques actuelles en direction d’une stratégie de croissance endogène et inclusive est nécessaire.

Djamal M. HALAWA