Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

weo

             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

weof

Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Le développement du capital humain comme facteur de croissance économique et de progrès social : cas du Sénégal

Microsofts-education-project-in-Senegal.Sur des marchés où les biens, les services, les capitaux et les technologies circulent et s’échangent librement, les ressources humaines  constituent l’un des facteurs permettant de  marquer la différence entre les performances des pays. Dès lors, la politique éducative participe structurellement à la politique économique, car  elle contribue à déterminer l’avenir à moyen terme du pays. En d’autres termes, l’éducation permet l’accumulation du capital humain ce qui stimule la productivité du travail et accélère la croissance économique – le capital humain est un est un facteur important de la croissance endogène (Robert Lucas). Au Sénégal, même si le système éducatif est considéré comme l’un des meilleurs dans la sous-région ouest africaine, il reste encore beaucoup à faire pour le rendre performant. C’est ainsi que dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE), où des réformes structurelles sont entamées et s’étalent sur la durée, le gouvernement sénégalais a décidé de construire un système éducatif capable de répondre aux exigences de développement du pays en faisant de l’éducation un point clé de ce plan. Cet article se propose de revenir sur les réformes en cours pour améliorer la qualité du système éducatif au Sénégal.

1. Un système malade de ses précédentes réformes non abouties

Toute analyse exige d’abord un état des lieux du système éducatif sénégalais. Comme dans la plupart des pays africains francophones, celui-ci a peu progressé en dépit des efforts fournis par les différents gouvernements successifs. Le monde de l’enseignement et de l’éducation sénégalais souffre toujours d’un manque criant de moyens. Et les grèves incessantes des enseignants ou des étudiants dans le but de réclamer de meilleures conditions de travail n’ont rien donné : leurs situations demeurent inchangées.

A la surpopulation des amphithéâtres causée par un système d’orientation défaillant s’ajoute un manque d’infrastructures éducatives avec la vétusté des bâtiments universitaires, sans oublier les lycées et les collèges. Ces problèmes sont davantage accentués dans les régions éloignées de la capitale du pays, c’est-à-dire le Sénégal profond, à l’exemple de la région de Matam et de Tambacounda où le manque de professeurs et d’éducateurs est devenu un problème banal au fil des années. On y note aussi un faible taux d’alphabétisation, particulièrement chez les filles. Toute politique éducative ou réforme du système éducatif doit donc prendre en compte l’ensemble  des défaillances de celui-ci. Pour remédier, à tous ces problèmes, l’état sénégalais dans le cadre du PSE a mis en place le PAQUET, un programme de réforme du système éducatif.

2. Le Programme d'Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence (PAQUET)

Le PAQUET (2013-2025) est le programme mis en place dans le cadre du PSE afin d’améliorer le système éducatif et constituera le socle de la politique nationale en matière d’éducation et de formation   . Il a été élaboré avec la collaboration de nombreux acteurs du système éducatif, tel que le ministère de l’éducation nationale et les inspections académiques, mais aussi les collectivités locales, les organisations de la société civile, les syndicats d’enseignants ainsi que les partenaires techniques et financiers. Ce programme se décompose en différents points à savoir :

  • mettre en place un cycle fondamental d'éducation de base de 10 ans ;
  • éradiquer l'analphabétisme et promouvoir les langues nationales ;
  • développer une offre d’enseignement supérieur diversifié et de qualité ;
  • renforcer l’utilisation des TIC dans les enseignements (interconnexion des établissements d’enseignement supérieur) ;
  • développer une gouvernance efficace, efficiente et inclusive du système éducatif ;
  • promouvoir la formation professionnelle orientée vers le marché de l'emploi ;
  • etc.

Certains de ces points ont déjà plus ou moins été spécifiés dans une réforme précédente, le PDEF (Le Programme Décennal de l’Éducation et de la Formation), programme qui  devait à l’origine corriger les lacunes observées dans le système éducatif. Parmi ses objectifs figuraient notamment l’introduction de l’enseignement des langues nationales dans les programmes scolaires ainsi que la mise en place des Cases des Tout-petits, un nouveau modèle de prise en charge de la petite enfance. Ces éléments apportent certes un renouveau au système éducatif, mais ne règlent pas le fond du problème : à tous les niveaux, la qualité de l’éducation demeure hétérogène et reste un privilège réservé à une  certaine partie de la population. Or, dans un pays où le nombre d’habitants augmente 2,8 % par année et le nombre d’enfants en âge d’être scolarisé progresse de façon similaire, des dispositions ou précautions plus sérieuses doivent être prises.

Ainsi, afin de faire de la mise en œuvre du PAQUET un succès, les autorités sénégalaises doivent avant tout se concentrer sérieusement  sur l’accès à l’éducation. Ceci passe par la construction de nouvelles salles de classes, l’investissement dans la formation et le salaire des enseignants, la mise à disposition de matériel didactique et l’extension de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, partout sur le territoire – des mesures qui permettraient d’améliorer la gestion de l’enseignement et de renforcer sa qualité à tous les niveaux.

3. L’adaptation de l’enseignement supérieur aux besoins du marché du travail et le recours à la formation professionnelle et continue

Il faut noter qu’aujourd’hui le pourcentage des jeunes en situation de chômage de longue durée est de 74% pour les diplômés du supérieur, 52% chez les diplômés du secondaire, 62% pour ceux qui ont le niveau primaire et 41% pour ceux qui n’ont aucun niveau d’instruction d’après les chiffres du ministère de l’éducation

Par conséquent, le gouvernement doit, d’une part identifier le secteur clé et porteur d’emploi ainsi que les domaines– et d’autre part y créer ou implanter des pôles d’excellence afin d’adapter l’enseignement supérieur au besoin du marché. De plus, dans un monde où le marché de l’emploi est en perpétuelle progression, la formation professionnelle et continue doit occuper une place importante dans le système éducatif. Plus exactement, l’objectif doit être de former les étudiants et de les préparer à des situations professionnelles futures  à travers la mise en place d’enseignements spécifiques et ciblés ou adaptés au marché local et les secteurs vers lesquels se tournent le pays à travers les réformes structurelles engagées dans le PSE. En outre, la disponibilité de ces ressources humaines, à savoir les techniciens et ingénieurs locaux, favorise le recours aux nouvelles technologies, augmente l’employabilité des individus et améliore la productivité et la compétitivité des entreprises locales.

L’Université doit également être impliquée dans le domaine de l’entrepreneuriat ou de la création d’entreprise. Et cet aspect entrepreneuriat, qui est devenu crucial de nos jours avec la tension sur le marché de l’emploi, a été négligé dans le PAQUET. En effet aucun des axes du PAQUET ne fait référence à l’entrepreneuriat. Or, aujourd’hui, l’entrepreneuriat est considéré comme un important vecteur de croissance, et cela s’explique notamment par son incidence sur l’insertion professionnelle des jeunes et la création d’emplois. Ainsi , lorsque l’enseignement comporte  un  apprentissage  à  l’entreprenariat,  les  probabilités  de  création  de  nouvelles  entreprises  et  d’exercice   d’un   travail   indépendant   s’accroissent, tandis   que   les   récompenses   économiques   et   la   satisfaction personnelle des individus ayant créé leur entreprise augmentent (Kauffman Center Charney et Libecap, 2000) .

En définitive, le rôle joué par l’éducation dans les pays en développement est très important dans le processus de développement économique et social, et ce au même titre que l’amélioration de la productivité du travail, l’amélioration de la condition de santé et de nutrition, la réduction des disparités et des inégalités entre les différents groupes de la société notamment les inégalités liées au genre, les inégalités entre les riches et les pauvres ou encore  entre zones urbaines et rurales. Mais l’éducation, plus encore, est essentielle pour réduire les inégalités en accordant plus de chances aux groupes les plus vulnérables, renforcer la cohésion sociale et pour la construction d’une société plus démocratique. De façon objective, cet objectif est réaliste au Sénégal dans les deux décennies à venir, si sa réforme éducative (le PAQUET) est menée à bon escient. A l'inverse, elle resterait un travail de Sisyphe.

Hamidou Cissé

Pour un avion africain dans le ciel africain

aire-afriqueLe 28 mars 1961, onze États africains qui venaient à peine d’accéder à la souveraineté internationale signaient à Yaoundé un traité portant création de la compagnie multinationale Air Afrique. Un acte d’une haute portée, à la fois historique, politique et économique, qui marque le début d’une fabuleuse envolée. Le mythique Air Afrique qui allait survoler les cieux des cinq continents durant plusieurs années véhiculait la volonté de tout un continent à occuper une place importante sur le marché mondial de l’aviation civile commerciale. Il symbolisait aussi le début d’une intégration sous-régionale en reliant quelques-unes des métropoles ou capitales du continent.

Malgré sa chute, due à des difficultés diverses et variées, liées notamment à sa gestion, cette compagnie dite « continentale » a joué un rôle primordial dans la vie économique du continent africain de 1961 au 27 avril 2002, date de sa mise en liquidation.

Et depuis l’atterrissage forcé d’Air Afrique, on voit s’envoler, depuis les tarmacs africains, différentes compagnies aériennes tantôt nationales tantôt régionales, qui, peinant à émerger, à accroitre leurs activités, finissent par disparaître – à l’instar d’Air Sénégal et Sénégal Airlines, très probablement – avant d’être remplacées par d’autres. Cette situation induit plusieurs interrogations, notamment sur la possibilité de voir émerger du continent une compagnie à l’image de l’ancienne air Afrique.

1. Qu’est-ce qui explique la défaillance des compagnies africaines ?

Les compagnies aériennes africaines sont confrontées à des difficultés de plusieurs natures, principalement, le prix du carburant et des services, l'insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et la concurrence venant des compagnies aériennes non-africaines. En effet, face aux devises du marché international, notamment le dollar et l’euro, la faiblesse des monnaies locales permet difficilement d’investir dans la flotte et de procéder à l’achat de carburants, voire à l’entretien des machines, notamment quand ces achats sont effectués dans un pays du « nord », ainsi que de parer au coût de la dette si celle-ci n’est pas contractée localement. De plus, ces compagnies nationales ont difficilement accès au leasing – opération de crédit-bail – et voient leurs possibilités d’investissement brimées par le FMI et la Banque mondiale. Les avions volent peu (alors que les coûts variables liés au vol sont moins élevés que les coûts fixes liés à la possession des avions), ce qui empêche les économies d’échelle pourtant nécessaires pour limiter les coûts d’exploitation unitaires. En outre, les flottes sont trop souvent composées de vieux avions surdimensionnés par rapport aux besoins locaux. De plus, la politique fiscale de certains pays (visant quelque fois à favoriser le décollage de la compagnie nationale locale au détriment de celles des pays voisins) contribuent à renchérir les coûts de transport, ce qui n’incite pas particulièrement la demande et obère la dynamique de ce marché.

Pour faire face à ces problèmes, les Etats Africains doivent créer un marché unique de transport aérien permettant une meilleure connexion des pays et des régions d’Afrique à travers une industrie viable du transport aérien. En d’autres termes, les marchés nationaux sont trop étroits pour permettre à une compagnie nationale d’émerger et de croître face à la concurrence des compagnies étrangères. Ces dessertes nationales (voire même certaines dessertes intra-africaines) souffrent toutes à la fois d’une demande limitée par le faible niveau de développement, de la faible intégration économique et politique des pays et de certaines contraintes de la régulation étatique. Ces facteurs sont renforcés par les difficultés économiques que traversent certains États ainsi que par la limitation des dépenses publiques sous le poids des institutions internationales et du délabrement socio-économique, sans parler des guerres et crises politiques.

Certaines de ces compagnies nationales disparaissent donc peu de temps après leur création, faute de rentabilité et de soutien étatique, tandis que d’autres vivotent ou n’ont pu se maintenir qu’au prix d’une ouverture de capital aux investisseurs étrangers ou privés.

2. Faut-il faire appel aux fonds privés ?

Contrairement au fonds public, le recours des opérateurs du transport aérien aux sources de financement privé permet l’acquisition d’aéronefs plus modernes, plus économiques, plus fiables et respectueux de l’environnement. De surcroit, il permet de résoudre les problèmes d’interdiction de vols en dehors de l’Afrique dont sont sujettes la plupart des compagnies africaines, tout comme les problèmes liés au blocage au sol pour des raisons de surendettement, à l’instar de l’Airbus de Congo Airways : celui-ci a en effet été bloqué au sol par la justice Irlandaise le 21 Août 2015 en raison d’un conflit entre l’Etat Congolais et la société américaine Miminco LLC.

Le projet de mise en place dans la zone CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale) d’une compagnie régionale, initié en 2002, a finalement été abandonné du fait que les Etats impliqués dans ce projet n’arrivaient pas à mobiliser les financements nécessaires pour la concrétisation de celui-ci.

L’exemple de la compagnie ASKY illustre bien la nécessité d’ouvrir le secteur à des opérateurs privés. ASKY est une compagnie aérienne panafricaine basée à Lomé (Togo) et détenue à majorité par des privés. Créée en 2007, cette dernière couvre actuellement 23 destinations réparties dans 20 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ceci facilite la promotion des affaires, du commerce et du tourisme, ainsi que les échanges culturels intra-africains ou du moins entre les différents pays desservis.

3. De la nécessité d’un secteur aérien africain compétitif

Le transport aérien étant un catalyseur de la croissance économique, la perspective d’un ciel ouvert en Afrique offrirait d’énormes avantages, en permettant la création de nombreux emplois, notamment pour les jeunes générations. Le réseau relierait les États africains aux marchés régionaux et mondiaux, favorisant le tourisme ainsi que la circulation des personnes, des marchandises et d'autres activités commerciales essentielles.

En ce qui concerne la libre circulation des personnes, la réduction de moitié de taxes passagères et sûreté, la suppression du droit de timbre et du visa sont des décisions importantes visant à rendre la destination plus compétitive. Ces mesures permettent de baisser le prix des billets et d’attirer, en plus des tours opérateurs, un public étranger issu de la diaspora africaine. Qui plus est, la suppression de visa entre les pays africains ne peut que favoriser l’intégration des peuples, les échanges culturels et l’épanouissement d’une jeunesse africaine avide de liberté et de partage. En somme, développer l’industrie de l’aviation en Afrique pourrait être l’une des forces motrices de l’intégration régionale sur le continent.

Enfin, rappelons que l’Afrique a adopté la Déclaration de Yamoussoukro relative à une nouvelle politique aéronautique africaine en octobre 1988, ainsi que la Décision relative à la libéralisation de l'accès des marchés du transport aérien en Afrique en novembre 1999. Cependant, la mise en œuvre de cette politique de libéralisation reste timide. En dépit de l’existence de cette décision, le secteur du transport aérien en Afrique demeure encore confronté à de nombreux défis. L’avenir et la survie du transport aérien africain restent liés à la coopération dans tous les domaines, à savoir : technique, commercial, administratif, ainsi qu’à un environnement législatif et réglementaire harmonisé.

Hamidou Cissé

Quel est l’apport du numérique au processus de développement de l’Afrique ?

carte-afrique-insdustrie-nouvelle-technologie-developpementAujourd'hui, l'économie numérique occupe une place importante dans le marché mondial, d'une part, grâce à l'omniprésence des TIC (technologies d'informations et de communication) dans tous les secteurs d'activité et d'autre part, grâce au dynamisme qui lui est spécifique. Ainsi, pour tout pays cherchant à gagner en compétitivité, il est important d’être en phase avec ces technologies, voire d'y investir.

Depuis l'introduction des TIC en Afrique à la fin des années 1990, le marché numérique n'a cessé de s'accroître. Ayant dépassé le statut de niche de marché, il est aujourd'hui l'un des marchés le plus convoités par les grandes entreprises internationales du secteur tel que Google (avec sa branche Google Afrique), Facebook, etc. En plus de permettre l’arrivée de ces géants de l’internet sur le continent, les TIC offrent aux jeunes Africains une opportunité nouvelle dans le domaine de entrepreneuriat. Ceux-ci en ont conscience et ont flairés le potentiel de ces technologies. Ils n'hésitent plus à se lancer dans l'aventure du numérique, que ce soit dans l'e-commerce, l'e-banque, le mobile-banking ou dans tous ses services dérivés.

Malgré des problèmes d'infrastructures et des systèmes dont la performance reste précaire, et la répartition au sein du territoire, inégale, on assiste à l'éclosion de plusieurs start-up Made in Africa depuis les années 2000. Des start-up qui, pour la plupart, ont pour objectif de faciliter le quotidien des Africains en favorisant l'accès à l'information ainsi qu’aux divertissements, mais aussi de montrer un autre visage de l’Afrique, allant à l’encontre du discours pessimiste habituel de certains médias internationaux.

En ce qui concerne l'e-commerce, l'entreprise Nigériane Jumia, créée en 2012, est considérée depuis trois ans comme le premier détaillant du Nigeria. Un marché qu'elle partage avec konga.com et DealDey.com, deux entreprises créées par Sim Shagaya . Néanmoins, Jumia connaît plus de succès que ces deux dernières et dispose des entrepôts dans huit autres pays, à savoir l'Égypte, le Maroc, le Kenya, la Côte-d'Ivoire, l'Ouganda, le Ghana, le Cameroun et le Royaume-Uni. Ceci fait d'elle, aujourd'hui, un géant d'e-commerce en Afrique.

En outre, on ne peut parler d'e-commerce sans aborder les innovations dans le mode de paiement, notamment le mobile-banking (appelé aussi m-banque). Bien que le mobile-banking soit spécifique à l’Afrique, le succès qu’il remporte attire la convoitise des grands opérateurs de téléphonie tels qu’Orange et MTN. Ceux-ci se heurtent cependant à quelques problèmes d’ordre sociétal : "Il y a eu beaucoup de difficultés voire d'échecs dans ce secteur, à l'exception de M-Pesa. Pour que ça marche, il faut un pays qui ait la réglementation propice ainsi qu'un renversement culturel car il y a des cultures dans lesquelles l'argent c'est le cash", souligne Georges Ferré, consultant chez Roland Berger.

M-Pesa est un système de micro financement et de transfert d'argent par téléphone mobile, lancé en 2007 par Vodafone pour Safaricom et Vodacom. Depuis, il est aussi présent au Kenya, en Tanzanie et en Afrique du sud pour ce qui est de l'Afrique. A ce jour, fort de son succès, l'entreprise est parvenue à varier ses services en permettant à tous ses clients de payer leurs factures d'électricité ou de téléphonie sans plus avoir à se déplacer dans les services prévus à cet effet, leur évitant ainsi des queues interminables. M-Pesa leur permet aussi de payer leurs courses ou de déposer ou de retirer de l'argent grâce à un compte ou porte-monnaie électronique qui est associé à leur numéro de mobile. Ces opérations peuvent être effectuées dans une des 60 000 agences que compte le Kenya, qu’il s’agisse d’épiceries, des pharmacies, des tabacs des petits commerces etc. Ces agences travaillent avec M-pesa et sont payées par ce dernier pour chaque opération effectuée. Ce système pallie l'absence d’organismes financiers dans les zones les plus reculées ou rurales ayant une couverture de téléphonie. Il apporte aussi une certaine sécurité à ses utilisateurs et un gain de temps en ce qui concerne le payement de leurs factures. Enfin, il permet surtout d'entamer un processus de formalisation d'une économie jadis informelle.

Bien installé depuis quelques années dans une partie de l'Afrique de l'Est, le groupe de vient signer un accord avec le groupe MTN leur permettant de couvrir d'autres pays comme la République démocratique du Congo, l'Ouganda, le Rwanda, la Zambie et le Mozambique.

En Afrique de l'Ouest, l'Orange-money, installé au Sénégal et en Côte d'Ivoire, a été conçu dans la même optique que le système de M-pesa. Néanmoins, cette entreprise n’est pas aussi développé que son homologue, freinée à cause de son mode de fonctionnement spécifique. Contrairement à M-Pesa, Orange money s'appuie sur des banques, comme par exemple Bicis, une condition imposée par la BCEAO pour garantir la liquidité des fonds. Concrètement, cela oblige tout client à posséder, en plus d'un compte de mobile chez son opérateur, un compte bancaire. Et sachant que le taux de bancarisation dans cette région est de 5 à 10% de la population selon les pays, le champ d'action d'orange money ne peut être que limité.

A l'image de l’important développement du mobile banking, les médias d’information et de divertissement font eux aussi l’objet d’une prolifération partout sur le continent. Ces médias opèrent surtout sur Internet, à l’instar d'iRoko TV, une plateforme qui propose un service d’abonnement en ligne aux nouveaux films nigérians et ghanéens pour un abonnement mensuel de 5 dollars. Elle compte aujourd’hui de plus 500 000 abonnés.

Travaillant avec des producteurs de Nollywood, la scène cinématographique nigériane, le site propose un catalogue impressionnant de films : Nollywood est en effet la troisième plus grosse production cinématographique au monde, en termes de quantité, derrière Bollywood et Hollywood. IRoko TV est donc l'entreprise qui a rendu l’industrie du film nigérian accessible à la diaspora africaine. Ayant fixé un prix d'abonnement à la fois abordable et rentable en terme de qualité et de quantité de films pour ses clients, assurant une bonne distribution de films africains (nigérians et ghanéens) à travers le continent et le monde, elle réduit le problème de piratage qui secoue Nollywood, incarnation du cinéma africain. Alors que le piratage pousse cette industrie à une mort lente et douloureuse au détriment des comédiens et réalisateurs africains, l’entreprise paie ses producteurs chaque fois qu’un film est distribué. Elle leur permet ainsi de gagner un salaire sur leur travail pouvant servir d'investissement pour la réalisation d'autres films.

Parler des TIC, c'est parler aussi des réseaux sociaux. Facebook, twitter pour ne pas citer les plus connus, ont joué un rôle politique important au sein du continent ces dernières années : tous les mouvements civils récents sont nés sur la toile avant de grandir dans la rue. Aujourd’hui, les réseaux sociaux occupent une place importante dans les relations familiales, amicales et professionnelles. L’Afrique a, elle aussi, son propre réseau social. L'exemple de Saya, surnommé « le whatsApp Africain de 2G», est la preuve que les jeunes Africains peuvent aussi exceller dans ce domaine, en développant un produit jusqu'à l'exporter ou, par la suite, le vendre à une multinationale. Robert Lamptey et Badu Boahen, tous deux formés en Afrique, créent Saya en 2011, et développent ainsi un système de chat s’appuyant sur les réseaux 2G, où les données sont transférées par SMS. D'abord active au Ghana, dont les deux fondateurs sont originaires, Saya a vite étendu ses activités au Nigeria, au Kenya et dans une trentaine d’autres pays en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient, dépassant les 80 millions d’utilisateurs actifs. L'entreprise a finalement été rachetée en août 2014 par Kirusa, une entreprise américaine de services télécoms, qui laisse néanmoins les rênes aux deux fondateurs africains.

Aujourd’hui, la révolution numérique permet également d’établir un diagnostic via une application. Cette application révolutionnaire nous vient d'Ouganda et porte le nom de Matibabu, qui signifie centre médical en swahili. Elle a été développée en 2013 par quatre amis étudiants en informatique de l’Université de Makerere à Kampala, dont Brian Gitta. L’application permet de diagnostiquer le paludisme sans prise de sang grâce un procédé scientifique: le doigt de l’utilisateur est inséré dans le matiscope – un appareil portable fait sur commande qui doit être relié à un smartphone. L’application utilise une lumière rouge pour pénétrer dans la peau et détecter les globules rouges .Ce matériel informatique dispose d’une diode émettrice de lumière et d’un capteur de lumière. Il transmet ainsi les résultats de test sur le téléphone de l’utilisateur pour un traitement mais ceux-ci peuvent être aussi directement partagés avec le médecin du malade. Les résultats sont immédiats. Cette application constitue donc une avancée salutaire quand on connaît le nombre de décès causés par cette maladie en Afrique.

Malheureusement, l'Afrique ne souffre pas que de maladies tropicales, mais aussi de l'image qu'on diffuse d’elle à longueur de journées à l'étranger. C'est donc dans l'objectif de montrer une autre image ou autre une réalité de l'Afrique que Yeelenpix, la première banque d'images mondiale à destination de l'Afrique, a vu le jour. Yeelenpix est créée par l’Ivoirien Moussa Fofana et avec deux de ses amis, Alex Yaovi POBLAH et Maguette MBOW. Aujourd'hui, l'entreprise collabore avec des photographes africains de talent. A travers les services qu'elle propose à ses clients (des agences de promotion, la presse…), l'entreprise vise à accompagner le réveil du continent en mettant en lumière l'Afrique d'aujourd'hui: sa variété de paysages, sa population multiple, sa diversité économique à l'échelle de l'actualité internationale.

Avec les TIC, on assiste à la création de diverses entreprises ainsi que de Technoparks pour les héberger, tels que celui de Casablanca, de Rabat et bientôt celui de Tanger, à l'image de celles ou ceux des pays développés. Ces petites entreprises constituent des moteurs essentiels pour la croissance économique, la création d'emplois et la réduction de la pauvreté en Afrique. La gestion des talents est, quant à elle, un élément essentiel pour la réussite de ces PME.

En parlant de talents, on remarque aussi un important reflux migratoire définitif de la part de ceux qui s’étaient établis en dehors du continent, vers leur pays d’origine. Ils reviennent ainsi pour créer leurs entreprises et n'hésitent pas à partager les expériences et les connaissances qu'ils ont acquises à l’étranger, notamment dans le secteur des TIC.

Pour cela, Il existe des entreprises qui leur facilitent la tâche, telle que Jokkolabs, qui met à disposition un espace de travail partagé dans une atmosphère communautaire. Elle accueille tout entrepreneur qui cherche à développer son réseau, rencontrer de nouveaux collaborateurs, échanger sur ses pratiques et développer ses projets professionnels, personnels ou associatifs. Son créateur est Karim Sy, un franco-libano-malien, lui-même rentré du Canada après ses études. Aujourd'hui, Jokkolabs dispose de locaux dans presque les toutes capitales des États d’Afrique de l'Ouest.

Pour ce qui est la création des projets de ces jeunes entrepreneurs fraîchement débarqués sur un marché africain, encore promoteur, des sociétés comme Africanbib jouent un rôle d'incubateur. Africa 2.0, une organisation de la société civile panafricaine, évolue aussi dans ce sens-là.

En somme, Africanbib, tout comme Africa 2.0, sont des entreprises qui accompagnent les jeunes entrepreneurs Africains dans leur création de projet. Elles les aident dans leur financement, dans leur installations et surtout les informent de la réalité du marché africain, afin qu'ils puissent mener à bien la création de leurs entreprises. Mais ces jeunes entrepreneurs se retrouvent néanmoins diminués par la lenteur et la lourdeur des démarches administratives.

En offrant de nouveaux marchés permettant la création de multiples niches d'emplois, les TIC constituent donc aujourd'hui l'une des voies les plus incontournables du développement de l'Afrique: le développement local. Cependant, tout n'est pas encore gagné pour les entreprises du numérique. Leur développent dépend en effet de la prise d'initiative des gouvernements africains: ce n'est qu'à travers la mise en place de réformes permettant d'attirer la diaspora et de faciliter la vie des entrepreneurs que le marché numérique africain pourra connaître un réel essor.

Hamidou CISSE

Sources :

Dr Cheikh Saad Boub Kamara, Afrique:Espérance « Essai ».Harmattan,2011.ISBN: 978-2-296-5586964

M-pesa, Jumia,Wikipédia, Jokkolabs, Africa24, AfricaTopSuccess