Goodluck President Buhari !

-Le peuple du Nigeria a tranché ! Muhammadu Buhari vient de remporter la présidentielle contre le sortant Goodluck Jonathan. La victoire de Buhari est un symbole de la volonté exprimée par le peuple nigérian de goûter au changement. Même si l'élan populaire s'est agrégé sur le charisme et les promesses d'un homme de 72 ans.

Après plusieurs défaites successives, Buhari accède enfin à la magistrature suprême par la voie des urnes. C'est une belle victoire que remporte cet ancien général, réputé homme de poigne, converti à la démocratie (aime-t-il le clamer) après une première expérience de 20 mois à la tête de l’État suite à un coup d’État.

Goodluck Jonathan devait partir. Il est parti non sans se frayer un petit passage dans l'histoire pour avoir passé le – peu traditionnel – coup de fil à l'adversaire pour reconnaître sa défaite.

Jonathan aura été un dirigeant de plus dans la longue liste de dirigeants ayant conduit le Nigeria dans le désastre. Cet homme aura représenté jusqu'à la caricature le dirigeant politique, irresponsable, incompétent et peu soucieux du destin de son pays ou de la souffrance de ses concitoyens.

L'alternance institutionnelle est la respiration naturelle de la démocratie

Malgré les peurs et les prédictions négatives, le Nigeria est parvenu à organiser un scrutin transparent et démocratique. Cela est à mettre à l'actif de l’État et surtout de Attahiru Jega, l'impressionnant président de l'INEC, la commission électorale du pays.

Après six coups d’États, des violences post électorales dramatiques, le pays vient de connaître sa première alternance démocratique. C'est à l'issue de trois tentatives avortées que Muhammadu Buhari devient enfin le président du Nigeria et met fin à seize années de règne sans partage du PDP (Parti Démocratique Populaire).

Les difficultés commencent pour le président Buhari. Il a remporté la bataille électorale mais il lui reste à gagner la guerre de transformation radicale du Nigeria qui prend les allures d'un scandale mondial tellement les paradoxes y sont nombreux et souvent incompréhensibles.

Première puissance économique africaine et première démographie, le Nigeria n'en demeure pas moins un pays englué dans un climat social gangrené par la corruption, la pauvreté et la précarité des populations. La chute des cours du pétrole place davantage le pays dans une situation économique sous tension car la croissance du PIB, issue notamment des revenus du pétrole, n'est guère inclusive et laisse à la marge des millions de personnes. Deux tiers des Nigérians vivent en deçà du seuil absolu de pauvreté avec moins de un dollar par jour.

Les chantiers de Muhammadu Buhari

Goodluck a perdu la présidentielle parce qu'il avait auparavant perdu la confiance de la majorité des Nigerians sur sa capacité à apporter une réponse efficace au défi posé par la puissante secte Boko Haram. La gestion catastrophique du dossier des centaines de jeunes filles enlevées à Chibok en est la parfaite illustration.

Les défaites militaires de l'armée nigériane et son incapacité à protéger les populations des massacres de la secte sont symboliques d'une absence d’État qui puisse assurer le minimum sécuritaire à une population livrée à elle-même face aux abominations des hommes de Shekau. Sur ces pages j'ai déjà mentionné le comportement scandaleux d'Aso Rock lors du massacre de 2000 personnes à Baga.

Pis, les Nigérians n'ont pas seulement perdu confiance vis-à-vis de l’État qui a pour mission de les protéger, ils ont aussi le sentiment d'avoir perdu la dignité que confère la capacité à relever les défis qui se sont dressés face à eux. Les récentes victoires sur la secte dans le Nord du pays sont survenues grâce à l'engagement des troupes camerounaise, tchadienne et nigérienne (pays pourtant largement plus pauvres que le Nigeria) aux cotés de la soldatesque nigériane.

Le premier chantier de Muhammadu Buhari est de trouver une solution à Boko Haram. A ce propos, il promet d'armer les militaires nigérians, d'améliorer leur formation et de mieux renforcer le volet renseignement. S'il est attendu au tournant des actes concrets, son discours ferme peut d'ores et déjà rassurer sur une réelle prise en charge du fléau Boko Haram dont la récente allégeance à Daech est plus qu’inquiétante. De la nouvelle orientation sécuritaire nigériane vis-à-vis des terroristes dépend l'issue de toute cette zone du continent dont l'équilibre est menacé. Sans un Nigeria (épicentre de la menace Boko Haram) fort et engagé vis-vis des hommes de Shekau il est illusoire d'arriver à anéantir la secte dans la sous-région.

L'autre urgence pour le nouveau numéro Un nigérian est celle de la construction d'une véritable unité socle d'un destin commun qui fait défaut au Nigeria. Et à beaucoup d'autres pays africains. En 2011, les résultats électoraux avait confirmé la division du pays entre un nord musulman et un sud chrétien. En 2015, la pitoyable présidence Jonathan a – de façon involontaire – donné un semblant d'atténuation de la division du pays entre un Sud chrétien et un Nord musulman et ses États où règne l'application de la Charia.

Si Jonathan réussi la « prouesse » de perdre des États traditionnellement hostiles à un candidat du Nord, les chiffres du scrutin du 28 mars montrent encore la prégnance d'une rupture résiduelle d'une absence de nation à laquelle il faudra trouver une solution qui sera certes longue et douloureuse. Outre, les chiffres soviétiques du vainqueur dans les États du Nord notamment à Kano et Zamfara, les scores stratosphériques de Jonathan dans les États d'Abia, de Rivers, du Delta et de Bayelsa annoncent clairement qu'il sera difficile pour Buhari d'être le président de tous les Nigérians. Il lui faudra, par le courage des actes et le sens des symboles, réussir à amorcer le processus d'une véritable unité nationale.

Heureusement que le discours de l'ancien général a changé sur la Charia dont il n'était pas contre l'application sur tout le territoire national en 2011. En campagne il a dorénavant assuré qu'il garantirait la liberté de culte pour chaque nigérian. Des actes clairs en faveur de la laïcité harmonieuse du pays serait un grand pas en avant.

L'Afrique de l'Ouest a besoin d'un Nigeria fort, offensif économiquement et distingué politiquement. Il a un leadership à assumer dans la sous-région d'abord, puis sur le continent ensuite en vue de servir de locomotive et d'exemple à une nouvelle ambition hégémonique africaine. Peut-on compter sur President Buhari ? Wait and see.

 

Hamidou ANNE

 

Stéphane Tiki, le nègre couché

ST

On se sent forcément concerné quand on suit les déboires du camerounais Stéphane Tiki en France. Arrivé dans l'Hexagone en 2006, Tiki ne se suffisait pas apparemment de son statut d'étudiant camerounais de la Sorbonne. Il décide de s'engager en politique, à l'UMP jusqu'à en devenir récemment le président du mouvement des jeunes. Une « belle » histoire comme on sait nous en vendre en Afrique, d'un fils du continent qui aurait réussi à se faire une place au soleil de l'Occident. Sauf que la machine se grippe. Un journal français informe que Stéphane n'a pas la nationalité française et pire qu'il est même sans-papiers. Le comble pour quelqu'un qui dirige une instance du plus grand parti de la droite française. Dans un communiqué laconique, Tiki annonce sa démission le temps de l'aboutissement de sa procédure de naturalisation ; procédure qui finalement n'existait que dans son esprit mais nulle part sur la table de l'administration française.

Je ne suis ni pour, ni contre la double nationalité. J'ai une attitude de stricte neutralité, voire un désintérêt, sur le sujet. J'ai constaté en Europe, chez plusieurs africains issus de l'immigration, un questionnement identitaire permanent. Au rêve de l'idéalisation de l’Éden du « bled » succède le désenchantement du rejet. A la tentative d'expression d'une normale occidentalité se fige le mur du rappel permanent des origines. Mais le cas Tiki est symptomatique d'un autre état dans lequel une frange de la jeunesse africaine se laisse enfermer. Elle cherche à s'approprier une société qui n'est pas la sienne. Dans quel dessein ?

Est-ce l'amour puissant et sincère pour le pays d'accueil comme le clame Stéphane Tiki ? Ou le besoin de vivre de façon plus sereine face à la rigueur des démarches administratives ? Qui a été étudiant africain en France connaît la rudesse de certains soirs d'hiver où la chaleur du pays natal semble si lointain. Aucun français ne peut mesurer la solitude de l'étudiant sur qui tous les regards se tournent en soirée quand la playlist sort des sonorités africaines, antillaises (peu importe). « Tu es africain, vous avez le rythme dans le sang, vous…»

Je peux comprendre le besoin d'affirmation, de gommer ses différences (même son accent pour Tiki). Mais l'intégration ne peut absolument signifier la négation de soi -même. J'ai vu certains hurler au complexe, voire au manque de respect du jeune homme vis-à-vis de l'Afrique et des Africains. Non, Stéphane n'a manqué de respect qu'à Tiki. A personne d'autre.

Le voir sur des vidéos parler de « compatriotes », de « service civique à rétablir » et de son envie de servir via un « mandat électif », m'a fait sourire d'abord. Puis, j'ai été triste. Enfin, cela m'a vraiment glacé. Pourquoi s'infliger cet exercice permanent de mensonge et de dissimulation de son identité ?

En tous les cas, des injures aux railleries, Stéphane Tiki a vu sa jeune carrière de dirigeant politique tourner (définitivement ?) court. Le garçon, au-delà de la schizophrénie et de l’opportunisme, était aussi un modèle du mensonge. Après s'être insurgé sur les réseaux sociaux contre le droit de vote pour les étrangers hors UE et approuvé la reconduite à la frontière d'une kosovare sans papiers avec toute sa famille, Tiki vit un douloureux retour normal de l'ascenseur.

Toute cette semaine, j'ai été assez actif sur internet pour fouiner dans la vie de Tiki et sa carrière politique. Les articles, vidéos et publications sur les réseaux sociaux que j'ai consultés montrent que le jeune homme s'est englué depuis des années dans une spirale du mensonge et de la manipulation. Mais mes recherches m'ont aussi convaincu qu'il a du talent, du dynamisme, de la capacité d'animation et de mobilisation et beaucoup d'énergie.

Quel serait l'apport de ce jeune homme à son pays ? L'opposition camerounaise, face aux 32 ans de pouvoir de Paul Biya a certainement besoin du talent politique de Stéphane Tiki. Au lieu de faire le Noir de service auprès des racistes de la Droite forte, Tiki rendrait un énorme service à son pays, à la vitalité démocratique de ce pays qu'il ne cesse de renier depuis une décennie déjà.

Stéphane demandait que les étrangers en situation irrégulière soient reconduits à la frontière « conformément à la loi ». Il ne faut pas que les autorités françaises lui appliquent le même traitement. Il ne se remettrait pas d'une vie loin de la rue de Vaugirard, de ses camarades de parti et de ses « compatriotes ».

Hamidou Anne

Six promeneurs [pas] si seuls…

Macky Sall et Faure Gn_ParisLa participation de six Chefs d’Etat africains à la marche parisienne qui a suivi les récents actes terroristes en France a été largement critiquée sur le continent. Ils ont été traités de laquais de la France, peu émus par exemple par le massacre de 2000 personnes au Nigéria mais prompts à répondre à l’appel de leur « maître » François Hollande.

Je comprends leur émotion face à la mort tragique d’innocents journalistes sous les balles de barbares. Qu’ils aillent à Paris marcher ou condamner de leurs bureaux les actes terroristes m’importent peu au final. De toutes les façons, nos Chefs d’Etat dépensent si souvent l’argent du contribuable pour des sottises… Même si leurs motivations sont ailleurs, je leur accorde cette fois le bénéfice du doute. Les pauvres en prennent tellement que si, pour une fois, on peut les prendre au mot…

Pour être clair, qui veut marcher, aille le faire. Si cela peut aider certains à perdre du poids, c’est déjà cela de gagné !

Au-delà de la participation des présidents précités à la marche de Paris du 11 janvier, l’intérêt réside dans la suite à donner à l’acte. Quelle leçon en tireront nos « promeneurs du dimanche » après les larmes de Boni Yayi et la mine grave d’IBK ?

L’opinion publique africaine doit même saluer la présence expresse de ses présidents car dorénavant ils ne peuvent plus rester sourds aux appels pour le renforcement de la liberté d’expression et la garantie de l’existence d’une presse libre et indépendante chez eux.

Bongo, Faure et leurs compères ont reçu une leçon magistrale en une après-midi. François Hollande a marché sous le froid pour rendre hommage à des journalistes assassinés. Or, dans les pays de nos « marcheurs », l’état de la presse n’est pas reluisant. De façon globale, les journalistes demeurent souvent une cible privilégiée en Afrique.

Par exemple entre 2013 et 2014, neuf journalistes ont été assassinés en Somalie, selon RSF (Reporters Sans Frontières). La liste des journalistes tués sur le continent rappelle que le combat pour la liberté de la presse est plus qu’actuelle et doit nécessiter des efforts quasi quotidiens. « Journalistes incarcérés. Journalistes assassinés. Les voix des sans voix tuées. » Blondy parlait à nos consciences.  

Les fantômes de Deyda Haidara, Norbert Zongo, Robert Chamwami Shalubuto , Sofiane Chourabi, Nadhir Guetari et tant d’autres femmes et hommes de média morts résonnent encore dans nos mémoires. Souvent dans l’impunité la plus totale. Cette impunité des crimes est une seconde mort des victimes.

Profitant de l’actualité, j’ai encore vu les enfants de Don Quichotte du web s’insurger contre le « deux poids deux mesures » et se draper du manteau d’activistes ardents défenseurs d’une Afrique sans cesse « déshumanisée ». Ils m’ennuient à un point…

Je leur demande, à ceux-là, s’ils avaient dénoncé l’assassinat au Cameroun du blogueur Eric Lembele du fait de son orientation sexuelle ? Qui a mené une campagne pour demander au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire dont on n’identifiera sans doute jamais les auteurs ? Les « pédés » ont moins de droit à la vie que les victimes de Baga ? Leur reniez-vous leur simple humanité ? Liberté d’expression me dites-vous ? Chiche !

Alors, si après cette marche, nos présidents si prompts à défendre sur les rives de la Seine la liberté d’expression ne s’érigent plus en rempart contre tous les actes de fragilisation de la démocratie chez eux, ils auront été les auteurs d’une farce de mauvais goût.

J'espère qu'après avoir marché avec 3 millions de personnes, ils vont lutter davantage pour la liberté de la presse en Afrique. C’est le minimum qu’on pourra désormais leur demander.

Apparemment c'est mal parti. Après avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier, Macky Sall a interdit au Sénégal la distribution du numéro de Charlie Hebdo qui a suivi l'attentat. Où est la logique ? Cette contradiction est juste fascinante et renseigne sur l'état d'indigence intellectuelle de cette classe politique. 

De Samir Kassir au Liban à Zongo au Burkina, la presse demeure une cible à abattre. Quand les ennemis de la liberté veulent commettre leur forfait en silence et loin des regards, ils s’en prennent d’abord aux témoins du temps qui passe, ceux qui informent, témoignent et forgent ainsi la conscience de l’opinion. Dans l’Algérie des années 90, les journalistes payèrent un lourd tribut à la terreur du GIA.

Aujourd’hui, défendre le chroniqueur Kamel Daoud victime d’une fatwa lancée par un idiot est un devoir au même titre que s’insurger contre toutes les menaces à la liberté de conscience et d’expression. Défendre la liberté de la presse, son droit à la provocation, à l’irrévérence et à l’impertinence, c’est croire en la démocratie et en ses valeurs de tolérance même si cela heurte notre foi.

Pour nous tous en Afrique, et pour nos six « promeneurs du dimanche » en particulier, les événements de Charlie Hebdo doivent inviter à une réflexion sur la place que l’on accorde à la liberté d’expression, au rôle crucial que joue la presse dans la confection d’une démocratie réelle et puissante dans un pays.

Hélas, au contraire, une hiérarchisation des victimes fait le lit des réactions d’une grande partie de l’opinion. En aucune manière, les journalistes de Charlie Hebdo ne peuvent être supérieurs à la petite fille que les barbares de Boko Haram ont utilisé comme projectile pour commettre leur abject forfait.

Mais nullement les morts juifs tués par la folie d’Amedy Coulibaly ne peuvent être placés en dessous des victimes innocentes en Afrique. Au Kivu ou en Casamance, A Maiduguri ou à Kidal. A Tripoli ou au Darfour. J’ai déjà écrit sur ces pages qu’une hiérarchisation des crimes (selon leur gravité) était possible, mais qu’aucune hiérarchisation de la douleur des familles n’était acceptable.

La victimisation d’une grande partie de l’opinion publique africaine traduit un complexe d’infériorité, un malaise face à l’inaction de nos dirigeants, en premier au Nigéria, incapables d’enrayer une grave menace depuis des décennies. Si la jeunesse d’Afrique a attendu la mort des journalistes de Charlie Hebdo et la marche qui l’a suivie pour se rendre compte qu’elle devait se sentir concernée par les massacres de Boko Haram, elle ne mérite pas qu’on la respecte ; elle ne mérite pas qu’on la félicite ni qu’on la fustige. Elle aura mérité seulement qu’on la méprise.

Des manifestations ont été organisées dans plusieurs pays africains et en Europe pour, disent-ils, crier « Je suis Africain », « je suis nigérian »… Pour s'insurger contre la Une de Charlie Hebdo, des églises ont été calcinées et des personnes tuées. Non, pas en mon nom ! Si notre horizon indépassable est de toujours être dans la réaction, l’amertume et le suivisme, alors non merci. Je ne suis pas de cette Afrique là. Je prône l’afro-responsabilité.

PS : Qui des « six promeneurs » ou de Goodluck Jonathan (absent de Paris) dont le compte Facebook postait des photos du mariage de sa fille pendant le massacre de Baga aura davantage fait mal à l’Afrique ? 

Hamidou Anne

« Des Étoiles » de Dyana Gaye, une constellation de vies !

La critique attendait Dyana Gaye pour son premier long métrage. Elle a honoré de belle manière le rendez-vous! Avec Des Étoiles, la franco-sénégalaise signe une œuvre sur l’immigration et les drames qu’elle génère. Des drames humains majestueusement mis en scène par la jeune cinéaste.xetoiles-film-dyana-gaye-L-fuiDJR.jpeg.pagespeed.ic.gv0EO4cHe9

Pourtant, quand le cinéphile décide d’aller voir Des Étoiles, il est quelque peu saisi par la petite crainte d’être confronté à ce qu’il a déjà vu, notamment sur ce thème de l’immigration et son corollaire d’échecs devenu un peu le sujet de prédilection des artistes africains depuis le fabuleux Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome.

Au cinéma, il y a deux ans, Moussa Touré, avec La Pirogue, commettait un remarquable film sur la tragédie de ces hommes qui ont décidé de braver la Nature pour un ailleurs prometteur et hostile. Heureusement, chez Dyana Gaye, point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Dyana Gaye choisit un angle différent : point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Elle filme l’immigration de « l’intérieur ». Elle montre « l’après ». Ce que deviennent nos cousins, frères, amis et camarades, partis chercher pitance ailleurs, dans le grand ventre quotidien de l’Occident.

Des Étoiles est une fiction subtile et discrète qui n’est pas un coup de lumière géant sur une tragédie africaine, mais une distillation de véritables infiltrations lumineuses sur des vies, des individus, des noms et des destins.

Oui, l’autre réussite de Dyana Gaye est d’avoir su montrer des vies dans la solitude de leur douleur respective, qu’elle étale dans des espaces différents. Ici, la migration n’est pas prise comme un bloc monolithique induisant juste la réalité du migrant, cet individu-concept-problème. Dans Des Étoiles, il y a des vies, des cœurs, des âmes, des hommes et des femmes, une constellation d’étoiles peu lumineuses, dans la diversité de leurs parcours, dans la pluralité de leurs souffrances et dans la violence de leur solitude.

Cette solitude que connait tout homme qui quitte sa terre natale pour affronter la rudesse de l’ailleurs, certains la domptent sinon l’apprivoisent. D’autres, en revanche, sont engloutis par elle.

Solitude de Sophie, partie avec candeur rejoindre un mari volage et menteur. L’archétype de toutes ces femmes constamment dans l’attente jusqu’à ce qu’on leur indique « qu’ici une femme peut vivre sans mari ». Pour moi, voici la plus belle phrase du film. Solitude d’Abdoulaye, Outre-Atlantique où il subit les affres d’une société individualiste américaine, le froid, la trahison d’un proche et l’appel constamment refoulé du pays natal. Solitude de Mame Amy, femme dynamique et surtout femme libre, de retour pour le deuil de son mari, mais qui verra qu’un rideau de fer est dorénavant installé entre elle et sa famille rendant ainsi impossible toute forme de communication.

Le Sénégal est un pays dur pour ses fils qui ont préféré prendre congés de lui quelques années. On dirait qu’en retour, Il se venge de leur abandon.

Des Étoiles est aussi une invite au voyage. Un film chirurgical avec une caméra qui n’effleure pas les comédiens mais les pénètre au point de nous transmettre de façon foudroyante les émotions.
Dyana Gaye a presque réalisé un documentaire avec une mise en scène qui ignore l’unité de lieu pour épouser les contours d’un monde globalisé. Pas de césure, pas de transition. Elle nous surprend en nous faisant voyager de ville en ville, entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique – une œuvre triangulaire -, à chaque fois furtivement. New York, Dakar, Turin, des métropoles où, dans la fièvre urbaine, se produisent des drames poignants. Le film nous oblige radicalement à une prise en compte de tous ces solitaires qui meublent nos rues, et que nous narguons dans la niaiserie de nos certitudes quotidiennes.

Enfin, il faut noter la remarquable prestation de Marième Demba Ly dans l’innocence d’une femme partie, des rêves plein la tête, rejoindre son « homme » et celle de Souleymane Seye Ndiaye qui a une nouvelle fois habité son rôle avec une rare précision. Une valeur sûre d’un cinéma sénégalais en quête de résurgence et porté par sa nouvelle vague.

 

Hamidou Anne

Dak’Art 2014 : un discours pour inventer de nouvelles utopies

La 11ème édition de la Biennale de l’art africain contemporain s’est déroulée du 9 mai au 8 juin 2014 à Dakar.

Cette année, des changements ont été apportés à l’événement, avec le choix d’un nouveau lieu pour accueillir le Village de la Biennale et la désignation de trois jeunes commissaires qui ont apporté une véritable fraicheur dans le projet curatorial.

Enfin, autre particularité : la composition de l’exposition internationale met à l’honneur des artistes qui participent tous à leur première Dak’Art.

Faten RouissiDakar a vécu au rythme de la création contemporaine avec cinq expositions « IN » : l’exposition internationale, celle sur la diversité culturelle, celle sur l’art vert, les expositions hommage à Mbaye Diop, à Mamadou Diakhaté et au sculpteur Moustapha Dimé et environ 270 expositions « OFF ».

Cette année, le thème de la Biennale « Produire le commun » met en exergue le caractère foisonnant de la production contemporaine africaine dans l’optique d’une communauté de destins et d’une volonté d’aller au-delà de la diversité des sensibilités pour charrier une universalité de l’art africain dans un monde sujet à tous les bouleversements.

Produire le commun, non pas dans une recherche – vaine – et inutile d’uniformité, mais dans un élan de substitution d’une dynamique collective censée poursuivre la trajectoire de Dak’Art vers son idéal de re-création d’un univers propice à l’affirmation d’un art africain dépouillé de tous ses complexes.

Produire le commun, dans un moment fédérateur d’énergies créatrices pour recréer dans la capitale sénégalaise, 30 jours durant, ce « Tout-Monde » cher à Glissant.

Cette diffusion dans l’espace public d’œuvres toutes porteuses de messages, fruit d’une créativité, est une volonté de graver dans le marbre le regard porté sur notre monde par une communauté d’artistes : celle qui a un lien avec le continent et ailleurs.

Dans un texte de haute facture, Abdelkader Damani explique : Faire exposition est donc la réunion de divers « points de situation » en un seul lieu. La Biennale de Dakar en 2014 est une multiplicité reliée : c’est le sens premier que je donne à « Produire le commun ».

L’art africain a forcé les portes de la créativité mondiale pour s’imposer comme « art » tout court, en vue de ramener un continent économiquement et politiquement décentré au centre du débat mondial.

Cette entrée de l’art africain par effraction dans un univers auquel il fut longtemps exclu a été magnifiquement mise en scène par les trois commissaires dans la section « Anonymous » de l’exposition, où chaque artiste a accepté de déposer un objet, de façon anonyme, sans cartels, ni aucun signe apparent de reconnaissance du travail de l’un ou l’autre.

Ce choix, selon Elise Atangana, est la « création d’une œuvre commune [qui] symbolise la notion de « produire le commun ». Il s’agit d’une « évocation de l’accaparement de l’art africain, son exclusion de l’histoire de l’art puis son inclusion en tant qu’art dit « primitif » ou « premier » ».

Ainsi, « Anonymous » dessine la trajectoire de l’art africain : son passé « colonial », son présent d’affirmation et son futur rempli de perspectives heureuses.

Selon Damani :

« l’Afrique reste à ce jour l’unique endroit en capacité d’écouter le monde. C’est la terre où tout peut arriver y compris, et surtout, la rencontre des ailleurs, le devenir commun… L’Afrique est l’espace de l’écoute. Gigantesque parloir, on y vient, on y revient, pour se confesser de ses rêves, de ses peurs, de ses fantasmes parfois. Dans ce vacarme de ceux qui parlent, l’Afrique attend qu’on l’écoute ».

A Dakar, dans un contexte international marqué par des crises multiples et protéiformes, l’art africain a tenté d’apporter une réponse au monde en le questionnant sur des sujets cruciaux actuels.

Aucun visiteur ne fera l’économie d’une introspection sur sa responsabilité dans un monde en crise où la chute d’un système bancaire, la faillite des économies, la remise en cause d’un ordre politique et social construit après la Seconde Guerre, la banalisation de la parole raciste et xénophobe, les violences ethniques, le péril djihadiste, la place scandaleuse accordée aux femmes et aux minorités. Tous ces éléments déstructurent notre tissu humain et menacent la cohésion sociale.

Les artistes de cette Biennale ont interrogé notre monde, l’ont poussé parfois dans ses derniers retranchements, l’ont mis devant ses propres contradictions, proposant ainsi des ruptures, à la recherche d’un sens à notre vie commune.

Si les Biennales sont des open spaces, des « laboratoires » de réflexion  sur le monde dans le but d’en « extraire un instant de rêve et de lucidité », Dak’Art n’est guère en reste et s’inscrit dans cette tradition artistique de bouleversement d’un ordre établi et de déclinaison des nouvelles utopies censées irriguer notre devenir « en » commun.

Nous sommes de plus en plus plongés dans une ère de repli sur soi, de reflux dans le processus d’ouverture du monde, de la peur de l’autre. Les réflexes populistes se multiplient, la xénophobie, l’intolérance gagnent du terrain. Tout ceci étant antinomique avec une mondialisation qui s’annonçait inéluctable et rédemptrice.

Dans ce contexte, comme le suggère Smooth Ugochukwu,

« Il est attendu des artistes qu’ils apportent des réponses, car ils agissent comme des voyants de la société. Toutefois, même en s’engageant sur les réels problèmes de notre époque, comme les inégalités ou les conditions sociales difficiles des gens, ils ne doivent pas perdre de vue la sublime qualité qui fait que l’art reste tout court de l’art ».

C’est aussi donc sur ce terrain politique que l’on attendait Dak’Art. Et elle s’y est investie avec subtilité et engagement.

A la galerie Le Manège, le travail d’Abdoulaye Konaté nous interpelle sur la question précisément du rapport de l’usage de la religion dans un but d’ assouvissement de sinistres projets politiques, notamment avec le drame du Mali.

Mehdi Georges LahlouLe jeune Mehdi-Georges Lahlou, avec ses « 72 (virgins) on the sun » tourne en dérision les croyances, les fantasmes pour un appel à la résistance aux « sirènes du fanatisme ».

Oui, dans le contexte de résurgence des nationalismes et de l’instrumentalisation de la religion à des fins totalitaires, il était important qu’un discours fort surgisse d’Afrique ; cette Afrique dont on accusait justement le peuple de n’être pas rentré dans l’Histoire.

Au Village de la Biennale, la visite transporte dans de multiples concepts. Les artistes tournent en dérision des croyances fortes, critiquent notre modèle de société de consommation, purgent nos passions destructrices, bousculent nos certitudes et font vaciller nos convictions qui reposaient sur nos habitudes quotidiennes.

Rien n’a échappé au « désir d’art » de 61 artistes déclamant un autre « discours » de Dak’Art appelé à résonner dans tous les oreilles d’un monde qui a besoin que l’on fouette son sens de l’indignation et que l’on attise son essence d’humanité, au sens premier du terme.

Pour une biennale africaine, un questionnement a aussi eu lieu sur l’Afrique : son rapport à la contemporanéité et la nécessaire refondation de son modèle politique à l’aune des bouleversements intervenus notamment au Maghreb.

Kader AttiaKader Attia, avec « Independance Tchao », installation représentative d’une forme d’architecture ridiculement imposante d’un lieu toutefois désaffecté qui met  en avant l’échec des régimes post indépendance. L’artiste a interrogé les élites africaines : qu’avons-nous fait de nos souverainetés recouvrées dans les années 60 ?

 « Le fantôme de la liberté »  Faten Roussi, tourne en dérision la gestion de l’après révolution tunisienne avec une constituante qui a légué le pouvoir aux islamistes d’Ennahda. L’urgence pressante d’une thérapie collective s’impose, selon l’artiste, en vue de purger les passions, de vider les rancœurs et de prendre en compte les attentes nombreuses d’un peuple qui a souffert plus de deux décennies durant d’une dictature hermétique.

Avec une exposition internationale de très grande qualité composée notamment de John Akmomfrah, Wangechi Mutu, Ato Malinda, Olu Amoda, Andrew Esiebo, Justine Gaga, Nomusa Makhubu entre autres, l’articulation remarquable des regards des trois commissaires a permis de réussir le pari de l’événement et de relever le défi artistique.

Dak’Art garde son statut de première biennale africaine et demeure une formidable tribune pour un art africain arrivé à maturité et au centre des convulsions et des enchantements dont fait l’objet notre monde.

Hamidou ANNE

Lampedusa : des victimes africaines

LampedusaL’émigration clandestine a provoqué un nouveau drame. Près de 400 personnes ont péri en tentant de rejoindre les côtes italiennes, ce  3 octobre 2013. Les morts de Lampedusa qui ont fait la une de la presse internationale mettent une nouvelle fois à nu le drame que constitue l’émigration clandestine pour l’Afrique

Malgré les regrets, les déclarations de principe et les positions observés ici et là, notamment du coté des dirigeants européens, ce drame frappe d’abord l’Afrique dont des citoyens viennent encore rallonger la longue liste des victimes de la course folle vers l’Eldorado.

L’Europe sujette à la crise économique la plus dure de son histoire, confrontée à la montée des mouvements xénophobes et génératrice de politiques migratoires et sécuritaires de plus en plus fermes, se barricade de plus en plus. Depuis le Pacte sur l’immigration et l’asile de 2008 sous les auspices de la présidence Sarkozy de l’UE, Bruxelles se dote d’une batterie de mesures toujours plus fermes à l’égard de l’immigration qu’elle soit légale ou illégale.

Cette difficulté à rentrer dans l’espace européen est loin de démoraliser ceux qui veulent à tout prix forcer les barrières, en vue d’avoir accès à une vie meilleure.

Lampedusa, le plus emblématique point d’entrée vers l’Europe est devenu hélas le théâtre de drames violents causés par cette marche forcée vers les lumières d’une Europe de plus en plus hostile.

En effet, on compte plus de 9 000 morts sur les 200 000 migrants qui sont partis à l’assaut de Lampedusa. En 2013, on dénombre déjà 4000 personnes ayant perdu la vie ; donc trois fois plus qu’en 2012.

Cette fois, la majorité des victimes du drame du 3 octobre sont des citoyens somaliens et érythréens, comme si ces pays n’avaient pas suffisamment été meurtris par la guerre, la famine, la désagrégation de l’Etat et les violences intestines.

Si l’on ne peut absolument pas ne pas regretter cette espèce de volonté tragique de forcer continuellement les portes de l’Occident, les causes de ces drames sont nombreuses et profondes.

D’abord, naturellement, l’on ne peut pas passer par pertes et profits la responsabilité de celles et ceux qui ont risqué leur vie dans des embarcations de fortune. Et quel que soit la cause qui les animait. C’est une question de conscience et de responsabilité personnelles. L’on ne prend guère des risques inconsidérés et fatals pour un Occident qui, dans la plupart des cas, désabuse et réveille des certitudes passées.

Néanmoins, au-delà de cette exigence de responsabilité personnelle qui n’a guère prévalu, la question de l’émigration clandestine, avec son lot de drames répétitifs, est aussi tributaire de la question démocratique dans les Etats.

Dans ce cadre, au premier chef, la situation politique des pays d’origine est pour beaucoup dans ce choix du pire que font de nombreux citoyens africains. Le déficit démocratique associé à une pauvreté aigue et une violation permanente des libertés individuelles obligent parfois la recherche d’un ailleurs meilleur.

Il est ainsi illusoire de vouloir trouver une solution durable à la problématique de l’émigration clandestine, avec son énorme volet trafic d’être humains, en omettant la dimension démocratie et respect de la dignité humaine.

Le régime dictatorial d’Issayas Afeworki avec son lot de violations quotidiennes de principes démocratiques impose aux érythréens souvent un seul choix : celui de fuir pour sortir de cet enfer à ciel ouvert.

Ainsi, les morts de Lampedusa sont celles d’un espoir raccourci fatalement. Elles sont aussi la résultante de politiques scandaleuses menées dans plusieurs pays, qui n’incitent guère en la conviction d’un avenir meilleur sur le sol africain.

Stopper ou réduire en tout cas l’émigration clandestine est aussi une question de système, de déclinaison et de mise en œuvre des politiques publiques à l’échelle des différentes parties prenantes.

Le modèle du tout sécuritaire en Europe a montré ses limites objectives et son incapacité à régler définitivement la question. Et ce, malgré les énormes moyens mis en œuvre, notamment avec Frontex et les autres dispositifs annexes. Lampedusa a d’ailleurs été le prétexte pour les pays de l’UE d’annoncer le lancement d’Eurosur, dispositif encore plus avancé de surveillance des frontières.

En Afrique, une réforme vers une vraie politique migratoire s’impose. En effet, il est urgent d’arrêter de subir celle des Etats tiers qui, au regard des principes et enjeux réels dans les relations internationales, se soucient uniquement de leurs intérêts. L’Afrique a subi l’immigration choisie de la France sous l’époque Sarkozy. Elle continue de subir les décisions prises à Bruxelles qui parfois doivent découler d’une concertation ou à minima de la prise en compte des pays d’origine.

La gestion des flux migratoires vers et à partir d’Afrique doit très souvent dorénavant découler des instances communautaires voir carrément continentales. La gestion au niveau macro de cette question pourra permettre de renégocier avec plus de poids des questions telles les accords de réadmission, les visas étudiants, professionnels, scientifiques et  chercheurs, les visas pour des raisons médicales, etc.

Hamidou Anne

Echos du Terangaweb Talk

Après le « Rendez-vous Terangaweb », journée de lancement de ses activités au Sénégal en avril 2013, le Bureau de Dakar de L’Afrique des Idées a organisé le « Terangaweb Talk » le samedi 7 septembre 2013 à la Place du Souvenir Africain, à Dakar. Le « Terangaweb Talk » a été une tribune qui a présenté des visages reflètant le dynamisme de l’Afrique actuelle. Le but de cette nouvelle forme de rencontre, jusque-là inédite pour l’association, fut de découvrir une autre facette du Continent à travers les parcours, rêves, inspirations et vision des speakers invités, pour une Afrique qui bouge prenant en main son propre destin.

Nous avions choisi comme thème : « Pourquoi a-t-on besoin d’idées en Afrique ? », et invité six intervenants à venir partager leur expérience et faire part de leur regard nouveau qu’ils portent sur des sujets importants de la vie économique, politique et sociale de l’Afrique contemporaine.

Les six speakers étaient : Alioune Badara Cissé, Ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Mamadou Sangharé, mathématicien, fondateur de l’AIMS, Mame Yacine Sy, Styliste, créatrice de la marque Gnéméma, Ndongo Ndiaye, ancien de la NBA, Conseiller Jeunesse et Sport de Macky Sall, Basile Niane, Blogueur, web-activiste et Abdoulaye Ndiaye, Ingénieur Polytechnique Paris et membre de la rubrique Economie de Terangaweb.

Nous avons eu droit à des interventions de haute facture de la part des intervenants qui avaient pour la majorité préparé un support ainsi qu’un discours pour la circonstance.

tw talk MsLe Pr Mamadou Sangharé a évoqué l’idée qui a conduit à la fondation de l’AIMS-Sénégal. L’objectif est la construction de l’Afrique au travers de la science dans une optique de développement. In fine, il s’agit de promouvoir la science sur le Continent à travers la formation, la recherche fondamentale et appliquée et l’engagement citoyen. Il s’agit également d’être à l’avant-garde de la transformation de l'Afrique à travers une formation scientifique innovante, des progrès technique et des découvertes novatrices qui profitent à l'ensemble de la société.

M. Sangharé a décliné l’initiative Next Einstein Initiative (NEI) qui ambitionne de trouver le prochain Einstein africain. L’idée du NEI, à travers le nom d’Einstein est de trouver non pas un homme, mais des découvertes novatrices à l’instar de celles du maitre de la théorie de la relativité. A ce propos, l’AIMS peut se prévaloir de quelques réalisations concrètes : 442 étudiants formés (30% de femme) de 35 pays Africains, 63% sont actuellement en Afrique, 36 ont terminé leur PhD , 29% poursuivent leur Masters, 29% poursuivent leur PhD et 19% travaillent actuellement dans le secteur académique et 5% dans le secteur de l’industrie.

tw talk nnNdongo Ndiaye a développé quant à lui un discours axé sur la jeunesse et son nécessaire engagement sur les grandes problématiques de son temps. Il a fustigé la gérontocratie qui conduit l’Afrique, Continent le plus jeune, a quasiment avoir le leadership le plus âgé et déconnecté des réalités du monde actuel. Il a appelé les jeunes à ne pas se mettre en marge de l’action politique par souci de se préserver.

C’est selon lui la meilleure façon de laisser la voix aux médiocres et aux politiciens professionnels dont l’agenda est en déphasage avec l’exigence de rigueur, de talent, de volonté, d’efficacité et d’honnêteté qui doit gouverner la pratique politique.

tw talk mysLa styliste Mame Yacine Sy a étalé son parcours surprenant et inspirant. Après un diplôme dans une grande Ecole de commerce, elle refuse le chemin de l’insertion pour tenter l’aventure. Passionnée par la mode et la création, elle s’est lancée dans la voie de l’entreprenariat avec de maigres moyens. Son discours volontariste, sincère et entreprenant a conquis un auditoire visiblement subjugué par le courage de cette jeune entrepreneur de seulement 25 ans.

 

tw talk andAbdoulaye Ndiaye a axé son intervention sur l’exigence d’instaurer en Afrique des normes sociales qui doivent accompagnement tout processus de développement. En matière de politique de santé, de politique d’éducation et de citoyenneté, il a donné des exemples de pratiques souvent coutumières qui vont à l’encontre du changement des mentalités et de la prise charge de façon nouvelle les problématiques de notre société.

Il est aussi revenu sur la question de la protection et de la préservation de l’environnement, question cruciale en Afrique, dans un contexte où le développement durable est devenu un concept qui s’est imposé aux décideurs.

tw talk bn

Basile Niane a raconté son rêve. Celui de voir une « Afrique connectée ».  Il a montré en quoi les médias sociaux ont changé le rapport que les individus avaient avec le monde qui les entoure.

Il a montré que cet outil dont la jeunesse s’est saisi très tôt pour accomplir de grandes choses dans tous les domaines peut à lui seul change notre rapport au monde. Au plan politique, le printemps arabe a selon lui été la première révolution 2.0. En économie, les jeunes africains entreprennent de plus en plus des dans des initiatives avec le potentiel que confère le les TIC…

Il a fini son « rêve » en lançant un appel à de grands investissements sur la technologie et l’innovation qui peuvent être de vrais moteurs de développement en Afrique.

Tw talk ABC

Alioune Badara Cissé a conclu la partie réservée aux intervenants avec un discours percutant sur la jeunesse africaine. Il a avancé que l’Afrique avait bel et bien besoin d’idées. Des idées novatrices, dynamiques, ingénieuses et en phase avec une seule ambition : le progrès politique, économique et social du Continent. Il a fustigé le morcellement du Continent qui le laisse à la traine dans un monde où les potentialités de développement n’ont jamais été aussi à sa portée.

Il a appelé la jeunesse à faire bouger les lignes, pousser la vieille garde à la sortie, prendre la place qui est la sienne dans l’appareil d’Etat et dans les milieux économiques…En somme, « se mettre en situation » de gouverner, de changer les choses et de redresser le cours de l’histoire. L’intervention de Me Cissé a mis fin à la première édition du Terangaweb Talk.

Un mot de remerciement aux intervenants, aux partenaires (Ministère de la Culture du Sénégal, Place du Souvenir Africain, Senenews.com), aux invités et aux membres du Bureau de Dakar a été prononcé par votre serviteur. Seule fausse note : la pluie qui s’est invitée durant quasiment toute la rencontre a empêché de nombreuses personnes à assister au Terangaweb Talk. Quoi qu’il en soit, ce fut un très bon moment d‘échange. Un très agréable moment pour les Idées. Rendez-vous a été pris pour le prochain événement de L’Afrique des Idées à Dakar avec le public dakarois.

Hamidou Anne

Diplomatie et paix en Afrique : explorer de nouvelles voies

Les cas de la Somalie avec aujourd’hui ses trois entités de fait qui en font un failed state, du Mali qui a implosé sous les assauts de rebelles touarègues et de narcotrafiquants islamistes, de la RDC dans un conflit opposant en sous main Kigali et Kinshasa sur fond de résidus du génocide de 1994 et visées du Rwanda sur l’Est de la RDC montrent à quel point la question frontalière en Afrique est plus qu’actuelle.

La tension pérenne au Maghreb entre l’Algérie et le Maroc relative à la problématique du Sahara est à loger dans cette catégorie également.  

Les nouveaux types de conflits ont aussi des motivations d’ordre ethnique ou confessionnel. Ethnique, comme ce fut le cas de la Cote d’Ivoire où le concept d’ivoirité eut une grande responsabilité dans la descente aux enfers du pays. Le scandale que constituent la Guinée Conakry et la Guinée Bissau du fait de l’échec dans la construction d’une nation à cause de divergences ethniques profondes est insoutenable.  

En ce qui concerne les aspects confessionnels, le Nigéria symbolise jusqu’à la caricature le pays affaibli par des tensions religieuses fragilisant toute velléité d’émergence économique et diplomatique.

Quel rôle pour l’OUA?

 

Déjà en 1963, L’OUA fut consciente de l’importance de la préservation de la sécurité du Continent dans un contexte de pays nouvellement indépendants et d’autres en voie de l’être par la voie soit des armes soit pacifique.

Ainsi, dans la logique de renforcement des nouveaux Etats dans un contexte international difficile, L’Organisation a érigé le règlement pacifique des différends comme un principe majeur.

Voilà la raison de la création de la Commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage qui n’a malheureusement jamais fonctionné eu égard à la préservation jalouse d’une souveraineté que les pays nouvellement indépendants venaient d’acquérir, et qui allait à l’encontre d’une quelconque ouverture à une ingérence de l’organisation continentale.

 

La fin des années 90 a induit une nouvelle réalité géopolitique qu’il fallait absolument prendre en compte. Le changement d’approche était devenu nécessaire en Afrique eu égard au fait que les leaders du Continent étaient dorénavant face à leur destin dans la résolution de leurs problèmes internes. Les deux « belligérants » de la Guerre froide, l’URSS et les Etat Unis ne soutiendraient plus qui que ce soit en Afrique pour des raisons certes différentes. Les Soviétiques n’avaient plus les moyens et les Américains ne voyaient pas l’Afrique comme un pion important dans la déclinaison de leur politique étrangère. L’Afrique ne constituait plus un intérêt majeur pour les deux puissances.

L’OUA devait ainsi reprendre le rôle premier qui lui est dévolu : l’unité du Continent et la préservation de la paix et de sa sécurité.

Pour ce faire, il y eut donc la mise en place de plusieurs commissions pour régler les crises en Afrique.

En 1993, au Caire, le Mécanisme de Prévention et de Gestion et le Règlement des Conflits fut créé. Il avait pour objectif de prévenir le risque d’éclatement de conflits latents ou potentiels et réunir les conditions propices à la gestion et à la résolution des conflits. Son bilan fut très mitigé par manque de moyen, de mandat clair sur les contours de sa mission et par absence de volonté politique des Etats.

Cet échec a débouché à la création du Conseil de Paix et Sécurité de l’Union Africaine en 2002, lors du Sommet de Durban. Composé de 15 pays, le CPS est articulé sur le modèle du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Néanmoins, ces mécanismes mis en place par l’OUA se sont tous retrouvés inefficaces car leur mandat ne concernait que les conflits inter-Etats.  

Il s’y ajoute qu’on a remarqué récemment une résurgence des conflits dans toutes les régions du continent et notamment leur caractère très complexe.

En effet, ces conflits sont quasiment tous d’ordre interne ou impliquant des groupes difficilement identifiables et localisables sur le terrain car procédant par la méthode de la guérilla. Qu’il s’agisse de la RDC en permanente tension, des ruptures institutionnelles violentes en Guinée, du GIA en Algérie, en Ouganda, en Somalie, au Soudan, etc.

Les coups d’Etat au Mali, en Somalie, en Guinée Conakry, en Centrafrique et l’inauguration d’une nouvelle donne avec le terrorisme d’inspiration religieuse symbolisé par AQMI remettent au devant la scène l’exigence de renforcement de la sécurité en se dotant de moyens à la mesure de la menace. Mais ces axes de tension montrent aussi une réalité devenue chronique : la nette inefficacité de l’UA, l’urgence de sa transformation et le nécessaire recours à la diplomatie d’intégration sécuritaire dans le cadre des entités régionales.

Quelles réponses diplomatiques à apporter au niveau des Etats et des organisations régionales ?

Il convient de mettre en œuvre une diplomatie de paix et de sécurité africaine qui réponde notamment à la feuille de route originelle de l’ONU : préserver le monde d’une 3ème Guerre mondiale, au travers de la sécurité des populations.

Elle passera, cette réponse, par une mutation de l’actuel UA qui doit sortir de son carcan bureaucratique pour enfin relever les défis actuels.

En effet, les réformettes qui ont consisté au changement du poste de Secrétaire général en président de la commission et d’autres qui se sont arrêtés dans la nomenclature de l’appareil de direction n’ont jusque là servi à pas grand chose.

La crise malienne qui a vu l’implication au premier plan du Burkina Faso et dans une certaine mesure de la Cedeao a montré que l’UA était totalement absente du jeu géopolitique et sécuritaire en Afrique.

L’opération Serval est venue confirmer l’échec de l’UA dans la gestion du dossier malien car elle est carrément reléguée au second plan au profit d’autres entités.

La proposition de tenir un Sommet sur la sécurité africaine  Paris, au début contestée et finale qui a reçu l’assentiment des leaders africains confirme cet échec souligné supra.

Elaborer une diplomatie économique efficace car le lien est indéniable entre croissance économique et progrès démocratique. Dans toutes les zones où la courbe de la croissance est en hausse permanente, celle des risques de crises tendent inexorablement à la baisse.

Les taux de croissance de certains pays anglophones très acceptables ont un impact réel sur le climat politique apaisé dans ces pays. Car une croissance en hausse est un levier d’indicateurs macroéconomiques reluisants et in fine cela impacte sur la demande sociale.

L’exemple de l’Amérique latine fait jurisprudence car profitant de la rente du pétrole, ses pays ont plus senti un besoin de s’unir pour asseoir un leadership mondial axé sur l’économie plutôt que de s’inscrire dans une dynamique de conflit et de tension.

Une diplomatie d’intégration pour aller vers l’unité effective du Continent

Pris individuellement, la quasi totalité des Etats africains ne peut pas apporter une répondre aux défis de plus en plus énormes et de plus en plus complexes qui se figent devant lui.

L’échelon national est de fait exclu du champ de réalisation des nombreuses attentes des populations. Que pourrait peser un pays africain singulièrement dans un monde régi par des règles politiques, commerciales, diplomatiques…élaborées très souvent dans des conditions peu démocratiques.

Il est acquis dorénavant que les ensembles sous-régionaux caractérisés en Afrique par les communautés économiques régionales (CER) sont la voix la plus indiquée pour grappiller des avancées au plan international. Et se baser sur ces CER a l’avantage de faire revenir à la feuille de route initiale de passage vers l’unité continentale. La CEMAC, la CEDEAO, l’EAC, SADEC et l’UMA devaient constituer la locomotive conduisant la cinquantaine d’Etats vers une unité continentale.

Aujourd’hui, il est aussi pertinent de miser sur la diplomatie culturelle comme vecteur d’union et de résolution des conflits, même s’il n’existe pas d’unité culturelle relative à l’ensemble du Continent ; et cela fut la controverse avec de nombreux intellectuels panafricains qui ont longtemps imaginé reproduire une unité brisée par la colonisation.

Ce qui est cependant avéré c’est qu’il existe une continuité culturelle évidente entre des pays de la même aire géographique qui est quelque peu le prolongement d’une continuité territoriale. Cette proximité peut être valorisée au plan politique et diplomatique par la signature d’accords de coopération culturelle qui seraient dans leur mise en œuvre une véritable forme de valorisation des cultures transfrontalières.

En Afrique de l’Ouest notamment, des ruines de l’empire du Mali découle une inter-culturalité effective qui se décline sous divers formes, objets, produits et figures matériels et immatériels. Entre la Guinée et le Sénégal par exemple existe des similitudes frappantes relatives aux éléments culturels suivants : traditions, coutumes, langues, rites…

Hamidou Anne

 

Sources

 

Ahmedou OULD-ABDALLAH, La diplomatie africaine face aux conflits de la région des Grands Lacs,

 

Jean-Luc STALON, « L'africanisation de la diplomatie de la paix », Revue internationale et stratégique, 2007/2 N°66, p. 47-58. DOI : 10.3917/ris.066.0047

 

Le rôle de l'Union africaine dans les conflits en Libye et en Côte d'Ivoire, Rapport Africa Briefing, Bruxelles – 16 mai 2011

 

Delphine LECOUTRE, LE Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, clef d’une nouvelle architecture de stabilité en Afrique

http://pambazuka.org/fr/category/features/72462

 

http://terangaweb.com/editorial-mettre-fin-au-probleme-institutionnel/

http://terangaweb.com/une-diplomatie-pour-lunion-africaine/http://terangaweb.com/quelle-integration-regionale-pour-le-developpement-et-la-stabilite-en-afrique/

Les Etats modernes africains ont connu des conflits qui se sont manifestés parfois de façon très violente, débouchant sur des drames humains considérables. Dans cet article, H. Anne analyse les causes et les manifestations de ces violences et montre comment la diplomatie peut-elle se poser comme la solution.


African Standby ForceL’Afrique a connu certains des plus dramatiques conflits, ces cinquante dernières années. Cette instabilité chronique a longtemps annihilé toute volonté voire une esquisse de plan de développement. Certes issus parfois de causes exogènes notamment durant la première décennie d’indépendance, ces drames ont mis sur la table la lancinante question de la construction d’une paix durable à l’échelon continental.

La diplomatie africaine est ainsi érigée comme l’instrument d’une paix nécessaire à une croissance économique équilibrée et forte. Le concept de solutions africaines aux problèmes africains, brandi souvent par les experts et les hommes politiques, suppose d'abord que les leviers dont dispose la/les diplomaties africaine (s) soient identifiés. C'est une première étape indispensable pour que les pays africains puissent prendre enfin avec succès le relais de l’ONU et des grandes puissances dans la résolution des conflits intra-africains.

Une autopsie des conflits en Afrique depuis l’indépendance

Longtemps, l’origine des conflits fut en grande part exogène. Dans le contexte de la guerre froide, la lutte entre impérialisme et marxisme au plan international fut transposé en Afrique comme ce fut le cas avec le MPLA et l’UNITA en Angola. En outre, ils ont été aussi du ressort de la lutte pour l’indépendance en Algérie, en Guinée Bissau ou au Mozambique. Le FLN, le PAIGC et le Frelimo furent à l’avant-garde des ces combats contre les pays colonisateurs.

Aujourd’hui, 60 ans après la grande vague des indépendances africaines, les conflits répondent à d’autres paradigmes. Cela du fait aussi de la chute du mur de Berlin et la fin des conflits idéologiques qui en ont résulté.

L’avancée de la construction de l’unité africaine chancelante, a aussi érigé une nouvelle architecture des conflits qui intègrent d’autres nouvelles entités. Il n’y a à proprement plus parler de guerre ouverte entre deux ou plusieurs pays depuis des décennies malgré les tensions politiques, parfois vives, qui peuvent exister.

Ces tensions assises sur la base de différends d’ordre politique, économique ou territorial.

Si le premier Sommet de l’OUA en 1963 a adopté le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, la question territoriale continue d’être un hiatus dans recherche d’une stabilité pérenne sur le Continent.


Cinquante nuances de concret !

soundjataUne amie, enfin une…, bref une connaissance, me reprochait, il y a quelques jours, un « intellectualisme aérien qui savait tout de même être concret parfois ». (Oui, je n’ai rien compris non plus).

Et le lendemain, j’apprenais qu’un jeune conseiller de Macky Sall considère Terangaweb, au mieux comme un enfantillage, un conglomérat d’enfants gâtés aptes à rédiger en français, et au pire une vile perte de temps sur fond d’intellectualisme abstrait.  

Enfin, j’ai répondu ce week end à une invitation du Cercle diplomatique de l’Université de Dakar pour communiquer sur un thème, dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’OUA. De nombreux intervenants, après le rituel qui consistait à chanter les louanges des « Pères fondateurs » Kenyatta, Lumumba, Nkrumah, se lançaient dans de violentes diatribes contre « l’Africain ». Vous avez remarqué que le raccourci vers le fameux « l’homme africain » de Sarkozy n’est peut être pas loin.

Tour à tour, j’ai entendu que « l’Africain » était « hypocrite », « n’aimait pas son prochain », était « fainéant », « bordélique »… J’avoue que c’était saoulant à la fin.

Mais ce sont des inepties essentialistes qui ne valent vraiment pas que l’on s’y arrête trop longtemps. En revanche, un argument faisait aussi quelque peu l’unanimité, et il est important celui-là. En effet, j’ai, tout le week end, écouté les gens dire que nous (toujours les Africains) étions tout le temps dans le bavardage, le discours, sans aucune action concrète sur le terrain.

Au-delà de la fausseté de cet argument qui est devenu de fait un épouvantail à sortir pour tout et n’importe quoi, il est intéressant tout de même de s’y intéresser.

D’abord, ma conviction est que toute action politique doit être pensée et discutée, en un mot théorisée. Vous imaginez la victoire des alliés en 1945 sans les longues réunions nocturnes des stratèges des différents Etats-majors ?

Avez-vous une fois conçu l’adoption du Statut de Rome sans des centaines d’heures de discussions sur un alinéa ou une toute petite virgule ?

Il faut parfois sortir du fétichisme du concret qui prend les allures d’un activisme ridicule et sans impact aucun sur les populations africaines.

La question de l’unité du Continent est tellement sérieuse qu’elle ne peut faire l’objet d’activisme et de mouvements stériles sans grande réflexion à la base sur l’essence même de ce que nous voudrions réaliser.

Il est évidemment exclu de partir tout de go aujourd’hui vers une union symbolique qui serait l’exacte copie de ce syndicat de Chefs d’Etat que nous pourfendons.

Etre concret, c’est aussi parler et décliner une opinion sur sa vision de notre dessein commun en tant qu’Africains.

Etre concret, c’est transmettre des valeurs et des convictions qui iront au-delà des langues, des pays, des continents et des croyances et convictions.

Que serait Obama sans le fameux discours post-racial de Philadelphie ? La France aurait su être mobilisée en juin 1940 sans l’appel de "la France Libre" lancé de Londres par le général De Gaulle ? Le discours de Cheikh Anta Diop au Caire en 1974 a indéniablement et concrètement constitué un grand moment dans la lutte pour la valorisation de l’identité nègre.

La cause palestinienne a pris une tournure nouvelle avec les mots de Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations Unies en 1974.

Et c’est d’abord uniquement par la parole que Mandela a réussi à poser la première pierre dans l’édification d’une Afrique du Sud post Apartheid, dans un magistral discours le 10 mai 1994.

Enfin, surtout qu’il convient de ne point nier trop hâtivement notre passé. Djibril Tamsir Niane a montré la place qu’occupe la parole dans nos sociétés. La figure du griot, gardien des traditions certes, mais pas simplement, car gardien aussi des valeurs et de la mémoire collective, occupe dans Soundjata ou l’épopée mandingue une place prépondérante. A la limite, la mort de Balla Fassaké serait quasiment plus problématique que la disparition du souverain, car il est dépositaire d’un savoir et d’une histoire pluriséculaires.

Sur un plan beaucoup plus perso, pense t-on parfois à ces travailleurs chétifs qui pullulent dans les couloirs des administrations et des entreprises avec comme seule force la plume ?

Ils sont en effet nombreux, en Afrique, ceux qui ne sont ni athlète ni agriculteur, mais qui survivent en écrivant. Oui, il y a des gens qui sont payés pour écrire, analyser, discourir et qui pourtant demeurent tellement concrets…

Qu’ils soient à Terangaweb ou ailleurs, ils existent, ces intellos aériens et tellement utiles…C’est aussi pour cela que j’écris pour ce site.

 Hamidou Anne

« La Pirogue » de Moussa Touré : chronique d’une tragédie filmée

600_188510_vignette_afficheAvec La Pirogue, Moussa Touré peint un drame captivant, saisissant et peu bavard. La prouesse du cinéaste est d’avoir fait totalement parler la caméra au travers d’une précision chirurgicale qui met à nu les sentiments intérieurs que les visages de comédiens au sommet de leur art laissent transparaitre.

La Pirogue est le récit d’un espoir ; celui que nourrissent des millions de jeunes sur le Continent, et qui au final charriera un désespoir violent.

La Pirogue est le film d’une tragédie comme il y en a eu des milliers, souvent dans une ignorance totale. Tragédie de familles qui pleurent encore des fils engloutis par l’océan dans leur épopée meurtrière pour un mieux-être. La Pirogue est un gros plan sur la misère qui sévit dans ces quartiers traditionnels de pêcheurs dont le savoir-faire ancestral ne nourrit plus son homme, du fait des assauts violents des navires industriels bénéficiaires de licences de pêche longtemps distribuées par des gouvernements peu soucieux de la survie d’une large frange de leurs populations.

La Pirogue est une violente claque aux leaders africains appelés à une meilleure prise en charge d’une jeunesse qui rêve de prendre le large pour une hypothétique vie meilleure. Quand la politique échoue, les espoirs sont obstrués et le choix du pire s’annonce comme l’ultime recours.

Ce n’est guère par hasard, connaissant l’engagement de Moussa Touré, que l’on voit une scène où Lassana le passeur et d’autres passagers de la pirogue raillent les politiciens, menteurs et malhonnêtes, qui n’ont jamais pu empêcher leurs compatriotes de faire le choix périlleux de risquer leurs vies pour répondre à l’attrait des lumières qui scintillent sur les Canaries. Ces lumières d’un ailleurs qui a nargué tellement d’âmes généreuses et volontaires. D’ailleurs, New York, Brésil, Bretagne, Andalousie, Barça…sonnent dans La Pirogue comme un ailleurs si proche qu’il convient juste de soulever la main pour le caresser, et si lointain qu’il faut risquer sa vie pour le toucher.

La Pirogue est un instrument de prise de conscience sans moralisme de ce drame qu’est l’émigration clandestine avec tous les risques que les gens encourent pour répondre à l’appel pressant d’un eldorado qui prend subitement, au fur et à mesure qu’on s’y approche, ses vrais airs de mirage décevant. La Pirogue est un chef d’œuvre d’une précision zolienne sur ce personnage immense, majestueux, impassible et impitoyable qu’est l’océan. Combien de fils du Contient a-t-elle englouti, en en redemandant toujours plus ?

 La scène de la pirogue en panne avec des passagers ayant épuisé carburant, eau et nourriture, appelant bruyamment et désespérément à l’aide, en vain, renseignent plus que tout autre discours sur la tragédie que charrient ces morts atroces.

La Pirogue est une œuvre sur le rêve, celui de chacun des candidats à l’émigration. Des destins différents mais qui s’imbriquent au fur et à mesure qu’au large, chaque passager donne les motifs de son aventure périlleuse. L’homme à la béquille part pour réserver à sa fille un avenir meilleur. Abou poursuit un rêve de musicien en France. Kaba veut monnayer ses talents de grand footballeur en Espagne pour ensuite épouser Nafy et construire une maison à étage. Baay Laye veut gagner sa vie en Europe et sortir sa petite famille de la misère. Le chef des halpulaars considère les champs d’Andalousie comme son horizon indépassable où l’attendrait un statut de saisonnier, loin des terres fertiles et des vaches de son Fouta natal. Quant à Nafy, la seule femme de l’épopée meurtrière, montée clandestinement sur la pirogue, elle veut à tout prix rejoindre son amant en France. Enfin, les Guinéens, n’ayant jamais vu la mer, partent aussi pour un meilleur sort en Occident loin de leur verdoyant pays.

La Pirogue est une peinture de l’union des hommes devant les causes partagées au-delà de leurs différentes origines natales, ethniques et linguistiques. On ne se comprend pas dans la pirogue, un interprète est toujours nécessaire quand des personnes échangent. Seulement le langage de l’espoir  – ou du désespoir- en un ailleurs meilleur reste universel.

La Pirogue est également un enseignement sur la vie des passeurs, impitoyables, cupides et sans vergogne. Ces personnes se nourrissant de « l’argent du rêve », comme le dit Lassana le passeur de la pirogue. Mais au-delà de cette impression première, on décèle chez ces monstres froids, une humanité que Moussa Touré nous invite tout de même à aller chercher loin derrière leur masque de vulgaires trafiquants d’êtres humains. Humanité que charrie cette prise de conscience sur la responsabilité dans la tragédie. Ce n’est guère un hasard si Lassana, devant le spectacle d’individus mourant successivement, hurle : « je suis l’organisateur de ce putain de voyage », avant de succomber ensuite à son tour à la faim, la soif et l’épuisement.

Ce sentiment de responsabilité devant une catastrophe est aussi partagé par le placide Baay Laye, capitaine expérimenté d’une embarcation qui prendra au fil du temps les allures d’un cercueil mobile voguant dans un océan en furie, qui attend sagement l’heure d’engloutir ses téméraires visiteurs. Le cri de détresse de Baay Laye après la scène épique de la tempête sonne valablement comme un aveu d’impuissance et de démission pour lui, le pasteur de 30 âmes qu’il était censé, malgré lui, conduire au paradis des Iles Canaries.

La fin triste de La Pirogue avec des cadavres engloutis dans le ventre de l’Atlantique et le rapatriement au Sénégal des survivants, accueilli à l’aéroport de Dakar avec 10 000f (15 euros) et un sandwich distribués par des fonctionnaires aux visages rugueux, constitue une méthode cathartique pour dire aux jeunes d’Afrique qu’un autre choix était possible loin de celui d’un suicide certain.

Au travers des destins de ses personnages, La Pirogue éduque, corrige les mœurs et freine les velléités migratoires qui sommeillent chez de nombreux jeunes sénégalais qui, de Yoff, Yarakh, Thiaroye ou Bargny, rêvent de rejoindre la vieille Europe qui, sous ses dehors reluisants, cache sa vraie nature fatiguée, usée, malade et de plus en plus xénophobe.

Sous ses airs tragédiens, La Pirogue purge les passions. Moussa Touré fait peur aux travers notamment des scènes de la tempête, de l’autre pirogue dont les occupants sont laissés à une mort certaine et atroce et celle du retour sans gloire des rescapés pour affronter les regards inquisiteurs du quartier. Baay Laye revient chez lui retrouver femme et enfant, avec dans son sac un maillot du FC Barcelone pour son petit garçon. Tout ça pour ça est-on tenté de dire.

La Pirogue, c’est le drame de l’émigration clandestine avec son lot de désillusions, de familles brisées et de cauchemars quotidiens résiduels d’un flirt permanent avec la mort. Cette mort qui rôde, une heure et demi durant, sur une pirogue et ses passagers dans l’immensité d’un océan hostile est celle qu’évoquent les larmes continues de Yaya, l’un des halpulaars, durant tout le film.

Ces larmes ont été le fil rouge d’un drame qui se déroulait à huit clos, prémunissant ainsi la chronique d’une tragédie annoncée. 

Hamidou Anne

Un [autre] discours de Dakar

image tw6Le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar, j’écoutais, incrédule, Nicolas Sarkozy débitant des propos insultants sur l’Afrique. Le 27 avril 2013, il s’agissait, au même endroit, dans le même bâtiment, de déclamer un autre discours de Dakar, adressé à la jeunesse africaine. Cette fois, il porte le crédo de l’afro-responsabilité. Qui mieux que des fils du Continent pouvaient disserter sur l’avenir de l’Afrique, identifier ses défis dans un monde en perpétuel mouvement et prôner des solutions concrètes, durables et inclusives ? C’est le pari réussi par le Bureau dakarois de Terangaweb – L’Afrique des Idées, lors de la journée de lancement de ses activités sur le Continent.

Au-delà du faux-dilemme éternelle lamentation/volonté farouche de prendre le large, il convient de préciser une autre alternative pour la jeunesse africaine. Celle du choix de rester/retourner en Afrique et de porter haut le flambeau de la lutte pour l’émergence politique et sociale. C’est cela aussi la vocation de Terangaweb – L’Afrique des Idées. Loin du prototype du regroupement de « salonards »*, il était d’une impérieuse nécessité de s’installer aussi sur le Continent lorsqu’on se définit comme un cadre promouvant le débat d’idées sur l’Afrique.

Dès le départ, nous avons refusé la posture de l’intellectuel de la diaspora aux « mains propres » qui, de Paris, lance de temps en temps des salves de banalités sur la corruption, la mal gouvernance, les crises institutionnelles, en prenant bien soin de garder cette attitude moralisatrice et supérieure, savante et pédante .

Le mandat que nous avions ainsi reçu était de permettre la création d’un cadre d’échanges sur l’Afrique à Dakar, en vue de porter un message nouveau plein d’espoir sur l'Afrique mais pleinement lucide sur l’immensité des défis qui nous interpellent.

Ce cadre existe dorénavant! Ce samedi, à Dakar, nous avons vu la jeunesse africaine débattre, échanger, identifier des problèmes et décliner des solutions. Elle a assouvi le temps d’une journée, dans un pays où le débat politique ne cesse de décevoir, son profond désir d’être écouté et entendu.

Le paradoxe de l’Afrique, c’est d’être un continent jeune dans un monde qui vieillit, tout en refusant à sa jeunesse l’accès aux strates de décisions et d'influence. Il faut qu’en Afrique la jeunesse cesse d’être un péché, une maladie honteuse qui sera bien vite guérie, une promesse, mais pleinement un potentiel sur lequel doit impérativement reposer toute stratégie de développement.

Un autre Discours de Dakar a résonné ce week end dans les allées de l’UCAD portant deux messages fondamentaux sur l’identité de Terangaweb.

 Il s’agissait d’abord d’un appel à la réforme de nos Etats pour qu’enfin la puissance publique puisse jouer son rôle en répondant aux préoccupations des populations. Ensuite, la responsabilisation d’un nouveau leadership en Afrique qui devra prendre le relais de la génération de nos pères dont le bilan est tout sauf reluisant.

Hier, une jeunesse africaine du Sénégal est venue assister à la formalisation en Afrique d’un cadre neuf de réflexion et d’échanges dans le respect de nos différences et dans une ambition de responsabilité.

Tant pis si les politiciens ont préféré les bavardages des éternels thuriféraires de l’action présidentielle, plutôt que de venir échanger avec une jeunesse qui confrontée à un chômage endémique, se trouve parfois à épouser l’université comme moyen de repousser l’échéance de la sortie dans la vie active.

Quoi qu’il en soit, à Dakar, un discours sur la responsabilité et la prise de conscience sur les défis du Continent a été lancé à la jeunesse africaine. Il convient de le relayer suffisamment pour qu’ensemble nous contribuions à l’émergence politique et à la transformation sociale du Continent, à la circulation des idées sur l’Afrique, pour l’Afrique et dorénavant en Afrique.

Pour faire suivre les actes à ce discours de Dakar, jeunesses d’Afrique, n’hésitez plus, rejoignez-nous.

Hamidou Anne

Responsable du Bureau de Dakar

de Terangaweb – L’Afrique des Idées

* Salonards est une allusion aux Africains qui – par uniquement les mots –  font et refont l’Afrique dans les salons feutrés des beaux quartiers parisiens, sans aucun engagement politique ni associatif. 

Des Opposants au pouvoir*

référendum ZimbabweSur Terangaweb, nos partenaires de Think Africa Press évoquaient le référendum « politicien » au Zimbabwe qui proposa aux électeurs un texte porté par trois leaders politiques du pays. Que Tswangiraï et son MDC acceptent de pactiser avec les barons de la ZANU-PF, pour pondre cette constitution rend sceptique sur le degré de conviction qui habite vraiment cet homme que d’aucuns ont fini de ranger parmi les grands leaders politiques d’Afrique, teigneux dans leur combat contre la dictature et l’injustice.

Au-delà du fait que le projet de loi portant une nouvelle constitution permet à Mugabe d’être réélu jusqu’à l’âge de…99 ans, il met à nu la capacité des politiciens à s’unir en face des citoyens lorsque leurs intérêts vitaux le réclament. Mugabe-Tswangiraï même combat ! Qui l’eut cru.
Si la faucheuse ne nous en épargne pas, nous sommes bien partis pour observer, tristes, gênés ou simplement amusés, un président débitant des salves de sottises devant une jeunesse zimbabwéenne désarçonnée. Que veux-tu, « la vieillesse est un naufrage ».
Lorsqu’on en arrivera là, on sera hypocrite de ne pas accuser Tswangirai d’avoir légitimé de fait Mugabe, en devenant son exécutant eu égard à sa position de Premier ministre chargé de mettre en œuvre les directives présidentielles.

Mon camarade Pape Modou Diouf s’est déjà interrogé sur les oppositions africaines ; leur manque de clarté, de cohérence et de courage. Il y a aussi un autre syndrome qui les caractérise : l’inconstance dans une position hors du circuit étatique. En somme, s’opposer quand on est dans l’opposition. Rien de plus. Souvent, sous les vocables fourre-tout de « gouvernement d’union » ou de « majorité présidentielle élargie », on réussit une bouillabaisse politique qui permet à chacun d’être au rendez-vous des privilèges qui découlent de la gestion de l’Etat. On en revient au concept d’ « Etat prédateur » tel que le théorise l’historien Ibrahima Thioub. Manger à tous les râteliers…jusqu’à l’intoxication

En Afrique, dans la plupart des cas, les oppositions ne se sentent bien qu’au pouvoir, sous les lambris dorés de la république qui leur ont été refusés à tort ou à raison par le suffrage universel. A défaut d’être calife à la place du calife, ils se contentent bien du titre de vizir, voire de gouverneur de province. L’essentiel est de (se) servir.
Mame Madior Boye a battu deux records. D’abord, c’est la seule femme chef du gouvernement au Sénégal. Ensuite, c’est le seul dont plus personne ne se souvient. Elle est en effet retournée dans l’anonymat qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Dans un moment de lucidité, elle eut toutefois une phrase intelligente. Après lecture de la composition de son gouvernement, un journaliste lui fait la remarque : « il n’y a pas de membres de l’opposition dans l’attelage ». Réponse imparable de la dame : « l’opposition s’oppose ».

En effet, en démocratie, une majorité gouverne et une oppose s’oppose, écume les plateaux des médias, élabore et propose un projet politique à soumettre à l’électorat lors de la prochaine échéance électorale. Il s’agit d’une question de cohérence et de dignité ; et les électeurs ne s’y trompent guère lorsqu’il s’agit de sanctionner la tortuosité.
Raila Ondinga a payé son rôle de premier plan dans l’attelage de Mwaï Kibaki comme premier ministre après les violences électorales de 2008. En 2013, à l’heure du choix entre le dauphin de l’ex président et le leader de la coalition orange, les électeurs ont choisi Uhuru Kenyatta, l’original au détriment de la copie.

Une telle analyse est aussi pertinente dans le cas de la Guinée Conakry. Malgré aujourd’hui toute la déception qu’Alpha Condé caractérise, malgré les graves atteintes au processus démocratique enclenché en Guinée après la triste épopée Dadis Camara, on peut lui reconnaître une cohérence historique. Condé n’a jamais cédé aux sirènes et aux menaces du régime policier de Lasana Conté. Il a su rester vierge de toute participation au scandale qu’a constitué, des années durant, la Guinée version Conté. Qui dans l’opposition guinéenne n’a pas flirté avec Conté ? Dalein Diallo? Lonseny Fall? Lansana Kouyaté? Sidya Touré ? Qui ? Rien que pour ce point précis, la victoire d’Alpha Condé contre Cellou Dalein Diallo est celle d’une constance et d’un courage politique. Opposants de tous les pays, opposez-vous! 

 

Hamidou Anne

*Le titre est un clin d’œil au premier livre dénonçant les dérives d’Abdoulaye Wade, déjà en 2003. « Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée », Abdoul Latif Coulibaly, Éditions sentinelles, Dakar, 2003, 300 p.
 

Macky Sall, un an après: une diplomatie qui retrouve des couleurs

thumbnailMacky Sall mouhamed 6La première année de Macky Sall tarde à promettre de réelles avancées au plan économique tellement l’horizon proposé semble plus que confus. Il y a trois jours, Moustapha Mbengue mettait à nu la cacophonie politicienne(1) qui barrait les Unes de la presse dakaroise, marquant ainsi les difficultés auxquelles faisait face Macky Sall dans l’exercice de ses fonctions.

Mais dans cet océan d’incertitudes où les bravades à l’encontre des anciens pontes du régime d’Aboulaye Wade côtoient les conjectures sur les prochaines échéances régionales, municipales, et rurales, la diplomatie semble être le seul domaine où les succès sont incontestables.
Si la diplomatie est un domaine réservé du Chef de l’Etat, le choix porté sur les hommes qui mettent en œuvre une politique étrangère est essentiel dans la déclinaison d’une vision et d’une ambition pour un pays. 

Et à ce propos, Macky Sall a fait de bons choix. D’abord avec Alioune Badara Cissé, personnage baroque, haut en couleurs et numéro deux du parti au pouvoir avec lequel le président s’est séparé au bout de 6 mois. Ensuite, avec celui qui trône actuellement à la Place de l’indépendance : le secret et expérimenté Mankeur Ndiaye, diplomate de carrière, ancien Directeur de Cabinet pendant 10 ans de Cheikh Tidiane Gadio qui a été nommé au poste prestigieux d’Ambassadeur à Paris, après la victoire du 25 mars 2012.
Ces deux hommes, chacun en ce qui le concerne, ont conduit de manière efficiente une diplomatie que Wade avait fini de rendre inaudible avec des déclarations et des rodomontades aussi inopportunes que puériles.

On peut mettre au bilan de cette première année de mandat de Macky Sall, l’obtention de l’organisation du prochain Sommet de la Francophonie en novembre 2014. Au-delà d’un juste retour aux sources pour un pays qui, avec Senghor, a été à l’avant-garde du combat francophone, ce sommet servira à célébrer la sortie de la scène internationale d’Abdou Diouf, Secrétaire général de l’OIF. 

Le Sénégal a aussi accueilli de nombreuses visites d’éminents leaders du monde. Cela refait de Dakar une étape importante dans la conduite des affaires internationales et notamment africaines. On se souvient du [contre] discours de Dakar prononcé par François Hollande au Parlement sénégalais qui voulait refonder la relation de la France avec le Continent.

Sur la scène africaine, la visite du Roi du Maroc, pays aux relations séculaires privilégiés avec le Sénégal, vient confirmer une relance jadis prédite de l’axe Dakar-Rabat, après le froid connu ces dernières années suite notamment à la mésentente issue du dossier de la défunte compagnie Air Sénégal International.

Sur Terangaweb, l’on a déjà analysé les réformes(2) entreprises par les nouvelles autorités sénégalaises dans le domaine de la diplomatie. Et la lecture faite plusieurs mois après, confirme que l’intérêt souligné alors pour le raffermissement des liens avec les pays de la sous-région reste constant.
La première sortie de Macky Sall effectuée en Gambie, sa visite récemment en Guinée Conakry et la tenue en février de la 11ème session de la Commission mixte sénégalo-mauritanienne confirment valablement la prééminence d’un discours de proximité et d’une ambition sous-régionale. D’ailleurs, les fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères sénégalais n’appellent pas par hasard la bande frontalière qui entoure le pays « ceinture de sécurité », comme pour montrer l’importance capitale que le pays accorde à l’établissement de relations sûres et solides avec ses voisins frontaliers. Le péril djihadiste qui infecte le Sahel confirme encore plus la pertinence d’un tel choix.

Il s’y ajoute la visite d’amitié et de travail que le président par intérim du Mali vient d’effectuer à Dakar deux jours durant, confirmant ainsi la place centrale que le Sénégal doit occuper dans le conflit malien. Il convient de rappeler que l’envoi uniquement de 500 soldats par Dakar a été jugé insuffisant voire peu ambitieux eu égard au vécu des deux pays qui sont partis à l’indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali.

Néanmoins, si Wade a symbolisé jusqu’à la caricature les relations privilégiées avec l’Asie, notamment la Chine, les monarchies pétrolières du Golfe et même la…Corée du Nord, les tenants actuels du pouvoir semblent plus prudents concernant les interactions fréquentes et proches avec cette région. Il y eut juste la visite, il y a une semaine, du président Michel Sleiman du Liban et le rétablissement (pour le moment prudent) des relations diplomatiques avec l’Iran après leur rupture fracassante sur fond de livraison d’armes aux maquisards du MFDC.

Outre-Atlantique, au plan du symbole, le numéro un sénégalais sera reçu par Barack Obama, le 28 mars prochain. Il convient de rappeler qu’Abdoulaye Wade avait couru des années durant derrière un tête-à-tête avec le Président américain. Dans cette course toujours insatiable vers les honneurs et la gloire, Wade s’était attaché en vain les services d’intermédiaires et de lobbyistes apparemment inefficaces voire véreux.
Cependant, à coté du satisfecit béat que décline le camp du pouvoir sur ce prochain « événement », une lecture attentive permet rapidement de montrer que cette audience entre Sall et Obama ne saurait être surprenante après le discours très élogieux tenu par l’ancienne Secrétaire d’Etat Clinton à l’université de Dakar où le modèle démocratique sénégalais a été célébré et encouragé.

Mais au-delà de la résurgence diplomatique indéniable, est-il certain que des résultats au plan économique seront tirés ? La question est pertinente compte tenu de la faible compétence des diplomates sénégalais sur les questions économiques, celles liées à la promotion des investissements étrangers, la promotion touristique et la stimulation dans leurs pays d’accueil des exportations du pays.
Le plus grand risque que coure la diplomatie sénégalaise est de rester dans le symbole et de ne point faire en sorte que le pays tire profit de sa notoriété internationale portée par une stabilité politique et une démocratie exemplaire en Afrique. Le débat aujourd’hui est à l’émergence économique, et les Affaires étrangères doivent servir à aiguiller l’ambition pour le développement. 

Hamidou Anne

1 http://terangaweb.com/macky-sall-un-an-apres-le-temps-des-cafouillages/

2 http://terangaweb.com/la-diplomatie-senegalaise-a-lheure-de-la-reforme/

Interview de El Yamine Soum, sociologue franco-algérien

el yamine soumEl Yamine Soum, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Je suis né en Algérie, et arrivé très jeune en France, je me considère comme un humaniste. J’écris et j’interviens dans le débat public par les questions contemporaines et internationales. Je travaille notamment avec le Brésil, les Etats-Unis, le Venezuela…Je pars souvent d’analyses sociales que je mets en comparaison au niveau international.
Je viens de fonder avec Anas Jaballah le Centre d'études et de prospective internationale. Nous publions, dans ce cadre un livre au mois de mai sur les nouveaux défis de l'éducation aux éditions « Les points sur les I ». J'essaie d'offrir à mon niveau, de l'analyse et de formuler des propositions concrètes et réalistes.

Récemment un sondage Ifop affirme que 74% des Français considèrent l’Islam intolérant. La société française est-elle si hostile à la deuxième religion de France?

Oui clairement il y a des peurs autour de la présence musulmane en France. Il faut s’interroger sur les facteurs de cette perception d’intolérance. Il est bon de rappeler qu’au début du 20ème siècle la France avec la Grande Bretagne et les Pays Bas était l’un des trois grands empires coloniaux musulmans et qu’ils n’étaient pas citoyens français. Bien avant, il y avait des musulmans partir du 8ème siècle, en France, qui seront en grande partie expulsé après la bataille de Tourtour, d’autres seront réduits en esclaves.

Ce phénomène de rejet est lié aussi, à une visibilité croissante des musulmans dans l’espace public, à travers un phénomène d’embourgeoisement et l’apparition de classes moyennes et supérieurs.

Cela signifie clairement qu’il y a une compétition sur le marché de l’emploi avec les personnes héritières du colonialisme. Aussi, les groupuscules minoritaires mais extrêmement visibles le style vestimentaire importés des pays du golfe, non pas du Maghreb, ou d’Afrique de l’ouest, des d’où proviennent les descendants de migrants peuvent contribuer à susciter de la peur.

Enfin, il y un sentiment de rejet, qui est classique durant les périodes de crise. Il ne faut pas oublier qu’il y avait une tradition d’antisémitisme en France et que cela a conduit à une catastrophe. A la fin du 19ème siècle, il y avait des députés qui inscrivaient la question juive dans leur programme ; aujourd’hui le parallèle est flagrant avec les musulmans.

Il y a un risque chez certains musulmans, c’est qu’à force de survaloriser cette identité ils se retrouvent complètement exclus du collectif, de la nation et qu'ils oublient que nous sommes dans le même bateau qui s'appelle France. C’est un véritable piège car ils s’excluent des lieux de pouvoir et des grands enjeux.

Il y a une dimension réactive qui à mon sens peut conduire à des impasses, comme le dit le proverbe arabe : le trop de quelque chose est un manque de quelque chose. 

La campagne jugée très à droite de Nicolas Sarkozy suivie par droitisation de l’UMP de Copé peuvent-elles être pointées du doigt ? 

Oui bien sûr ! Comment parler d’un sujet qui certes peut faire l’objet d’un débat, sérieux et rigoureux, qui en fait n’est fait que pour hypnotiser les Français. Cela pose des vraies questions sur le manque de perspectives de certains responsables politiques en matière de dettes, d’industrie, d’emploi, sur l’éducation et surtout la refonte des institutions qui devrait être au cœur des transformations. Au lieu de prendre à bras le corps la question des licenciements qui est un drame actuellement en France, on s’amuse à monter les français les uns contre les autres. Mais ce que vous appelez droitisation, est aussi le fait d’ « intellectuels » médiatiques, voire des idéologues de gauche comme de droite, qui utilisent cela comme une ressource pour assurer leur survie dans l’espace médiatique. 

Apres 10 ans d’opposition, la gauche française est revenue au pouvoir en 2012. Y a-t-il un espoir pour un changement dans le discours sur l’Islam et la question de l’immigration ? 

Pour le moment je n’observe pas une exploitation politique de ces sujets, si l’on exclue les quelques phrases inutiles de Manuel Valls. La France respire un peu. Il y a encore certains médias, qui sont dans une situation dramatique, d’un point de vue économique l’utilisent, par exemple Charlie Hebdo. La « pseudo-affaire », montée médiatiquement et savamment calculée, est tout à fait typique du climat actuel : Charlie hebdo s'affiche en victime et en chantre de la liberté d'expression alors même qu'aucune censure ni intimidation n'a été constatée ! Ce qui est frappant c’est le fait que l'on puisse ainsi créer une arme de mensonge massive.

Entre François Fillon, qui – dans sa course effrénée aux parrainages – affirme «Je défends Charlie Hebdo, je défends la liberté d’expression et je pense qu’on ne doit pas céder un pouce de terrain dans ce domaine-là», Marine Le Pen qui parle « des «reculades» de la classe politique face à des musulmans qui lui imposent «des bras de fer », alors que la liberté « n’est pas négociable», en passant par Nathalie Kosciusko-Morizet – frustrée du machisme de son propre parti – qui ose parler « des réactions que l’on a pu voir ici et ailleurs dans le monde qui sont éminemment violentes et condamnables », réactions qui existent surtout dans son imagination…

Pas une voix ne s'est élevée dans la classe politique française pour rappeler tout simplement que personne n'a porté atteinte à la liberté d'expression de Charlie hebdo.

Le mensonge selon lequel les musulmans seraient hostiles à la liberté d'expression, à force d’être répété, finit par devenir une réalité dans l’esprit des Français.

Un autre mensonge consiste à faire croire à l’opinion que l’on ne pourrait pas parler de certains sujets, celui de l'islam et des musulmans étant présenté comme tabou. Or, la fréquence des débats, des unes de magazines et des éditoriaux autour des musulmans démontre tout l’inverse. Et ce alors même que ce sujet n'est pas la première préoccupation des Français.

En revanche, le magazine a incontestablement réussi son opération médiatique et commerciale, ce qui n'est pas négligeable pour relancer un hebdomadaire sur le déclin. Parallèlement, les mesures de sécurité exceptionnelles et sans doute excessives ont eu un coût significatif pour le contribuable.

Ainsi, Le Figaro a récemment affirmé que la précédente affaire Charlie hebdo « avait valu aux locaux de Charlie Hebdo dans le XXe arrondissement de Paris d'être la cible d'un incendie criminel. L'équipe du journal avait alors trouvé refuge dans les locaux du quotidien Libération ». Or, à moins que le Figaro ait eu accès au dossier d'enquête – ou qu'une dérogation au secret de l'instruction lui ait été accordée ! – aucune information rendue publique ne permet à ce jour de connaître le ou les responsable(s) de cet incendie ni de démontrer un lien de causalité formel entre cet acte criminel et des agissements de musulmans en réaction à la publication des caricatures du journal danois ". En affirmant une telle chose sans preuve, le Figaro a sciemment et insidieusement fait passer le message selon lequel un lien aurait été établi.

Voici un bel exemple d’un mensonge qui à force d’être répété pénètre l’esprit des Français. Alors que ce même journal n’a pas hésité à virer Siné, sans aucune justification, ce qui est un vrai cas de censure, une entrave au principe de liberté d’expression. Après les citoyens consommateurs que nous sommes peuvent aussi réfléchir, et clairement boycotter la télévision refusé de payer la redevance, et autres médias qui participent au pourrissement de la situation. Il ne faut jamais sous-estimer, le pouvoir de chacun dans ses choix personnels et les impacts collectifs. La crise que nous vivons devrait nous permettre de revoir certains modes de consommations. 

La reculade concernant le vote des étrangers non communautaires est-elle de nature a donner raison à ceux qui doutent d’une gauche volontariste sur ces problématiques ?

Pour le moment, il n’y a pas de reculade, il y a un manque de courage politique. Nous ferons le point à la fin du mandat de François Hollande. D'un point de vue de la société civile il faut maintenir la pression afin que le gouvernement respecte ses engagements. Je pense que si les socialistes, ne s’engagent pas clairement pour un projet de société humaniste, ils risquent de le payer très cher lors des prochaines élections.

Vous avez dirigé l’ouvrage La France que nous voulons ? Pour avoir pris l’initiative d’un tel opus ?

L’idée c’était justement au-delà des contre-feux médiatiques et d’une indignation stérile, de faire des propositions sur la dette, le bien-être au travail, les questions internationales ou encore l’éducation. Aujourd’hui il est difficile de parler de ces sujets cruciaux, les maisons d’éditions préfèrent le story telling des livres ou l’on met sa photo sur la couverture, ou l’on raconte ses pseudo-exploits, ou ceux ont l’on stigmatise telle ou telle catégorie de la population. Mais je souhaite poursuivre sur cette ligne, car je suis convaincu que c'est celle qui faut adopter si l'on veut faire bouger les choses, même si c'est long, solitaire et parfois compliqué.

Vous êtes très engagé sur les questions relatives à la discrimination. Vous avez même co-écrit Discriminer pour mieux régner. Comment appréciez-vous aujourd’hui la question de la prise en compte des minorités en France ? 

C’était un travail entrepris avec le sociologue Vincent Geisser, pour faire un point à la fois sur la pluralité dans le champ politique. Nous sommes plutôt satisfaits puisque ce livre a fait bouger les lignes au sein des partis politiques. Je pense qu’il y a une double dynamique : par le haut on ne fait appel qu’aux acteurs du religieux, pour mieux enfermer et exclure. Je pense à cette demande honteuse et hallucinante fatwa de l’UOIF durant les émeutes de 2005 qui était une commande politique. Dans une France très laïque on ose demander aux religieux d’intervenir sur un aspect qui concerne avant tout les forces de l’ordre, la justice et des sérieuses réponses politiques sur certains territoires.

En bas, il y a des dynamiques très intéressant, la naissance d’une classe moyenne et d’une élite. Par exemple dans le domaine, intellectuel, des personnalités Elyamine Settoul, Leyla Arslan, Anas Jaballah ou encore Mohamed Amiri apportent une contribution importante sur des enjeux contemporains. Mais on va leur préférer dans les médias, des excités sans construction, ou encore des personnes qui sont en cours d’apprentissage de la langue française….

Il y a un combat juridique et politique à mener contre les discriminations, si aujourd’hui François Hollande ne le fait pas cela risque de nous couter cher socialement et électoralement très cher aux socialistes.

La guerre au Mali fait la Une de l’actualité internationale. Comment appréciez-vous l’intervention de la France ? 

Malin serait celui qui serait capable de dire avec précision ce qui se joue dans cette zone du monde. J’ai eu la chance de me rendre plusieurs dans ce pays que j’admire à travers l’histoire et ses cultures. Je suis en principe assez opposé aux interventions étrangères, mais je me pose la question de savoir si quand bien même il y aurait des intérêts stratégiques et économiques, la vie de personnes vaut bien plus que tout l’or, ou l’uranium du monde ? Fallait-il laisser essaimer ces groupuscules au Nord Mali et au-delà ? Dans ce cas, d’un point de vue légal, c’est la demande d’un Etat souverain.

L’opération est lancée, les « bandits » semblent se déplacer. Il faudra une grande armée impressionnante, pour maitriser le territoire, ce qui est impossible ! Cela se fera par du renseignement, ce sont des guerres nouvelles, avec des drones, l'infanterie ne pourra, dans le temps long, rien face à une guérilla à la fois urbaine et dans le désert, à moins que celle-ci ne soit totalement anéantie.

Dans le cas de la Bosnie, les locaux ont fini par chassé les « jihadistes » internationaux, d’abord en les incluant dans les troupes et une fois la guerre terminée on leur demanda de quitter le territoire. Les responsables bosniaques ne voulaient pas d’une dérive avec des groupes radicaux.
Donc dans le fond les « bandits » sont venus se greffer sur une réalité d’une discrimination, qui concerne les « ag » les Touaregs. J’espère que cette question sera traitée très sérieusement de manière politique, sans esprit de vengeance.

Une autre question se pose par rapport aux armes en provenance de Lybie pour armer les rebelles qui se retrouvent dans cette zone. Cette guerre pose clairement la question de la faiblesse des institutions africaines qui devraient être en première ligne pour la gestion de ce conflit comme en Centrafrique ou le président François Bozizé a appelé la France pour intervenir. En réalité, nous oublions souvent un facteur indispensable dans la puissance des nations : sa force militaire. Ce qui devient un marché, en Europe nous ne faisons plus de guerre sur le continent, le rôle de l'armée française qui était au cœur des institutions a été considérablement réduit, donc l'expertise française se vend ailleurs, notamment sur le continent africain.

Enfin, le manque de légitimité d’un certains nombres de gouvernements entravent la construction de projet africain, que ce soit en matière de sécurité ou au niveau d’une intégration régionale en Afrique.

Plus généralement, quelle est votre lecture de la menace islamiste dans toute la bande sahélienne?

Je pense qu’il faut parler de banditisme, habillé par un vernis religieux. Souvenez-vous de cet avion qui a échoué dans le nord du Mali en octobre 2009, en provenance du Venezuela qui transportait de la drogue. Aujourd’hui cette zone était en train de devenir un espace qui échappe aux Etats. Le cas du Mali démontre la faiblesse d’un Etat et ces groupuscules mobiles et internationaux viennent se greffer dans ce contexte. Après, il ne faut pas sous-estimer la dimension politique et nationale de certains mouvements qui veulent profiter de cette faiblesse institutionnelle, c'est le cas des Shabaab en Somalie.

El Yamine, vous êtes d’origine algérienne. Quelle lecture faites-vous de la situation politique et économique dans ce pays ? Le drame d’In Amenas pourrait-il être le premier acte d’un nouveau basculement dans la violence islamiste déjà connu par ce pays dans les années 90 avec le GIA ?

L’Algérie a encore de nombreux défis à relever, notamment sur les choix économiques et achever sa transition démocratique. Au niveau des infrastructures le pays s’équipe. Aussi d’un point de vue culturel, il faudra une révolution. Je pense que beaucoup de personnes veulent quitter le pays car il y a un sentiment d’étouffement et de manque d’accès aux loisirs et de perspectives. C’est qui explique par ailleurs une impressionnante vitalité culturelle populaire dans la rue.

Je ne sais pas si le drame d’In Amenas va se reproduire, mais sur le terrain les groupuscules ont été dans leur majorité, éradiqué ou se sont dissous. C’est ce qui explique surement qu’ils se déplacent sur d’autres territoires, le nord Mali notamment ou encore ils optent pour la radicalisation à travers des opérations suicides. Une partie de ces groupes a choisi, de se reconvertir dans le banditisme, car ils savent que le but premier qui était de renverser l’Etat algérien ne sera plus possible. Même si on peut s’interroger sur les défaillances du renseignement, avec une armée extrêmement présente dans les institutions, ce qui est un paradoxe.

Dans un article sur les nouvelles élites françaises, le journal Le Monde vous considère comme « prometteur ». Une consécration, un encourageant ou le début des ennuis ?

C’est encourageant. Maintenant, l’engagement méthodique, et le travail sérieux entrainent nécessairement des critiques, mais très peu sur le fond et les idées. Je l’observe à travers les réseaux sociaux, mais ce qui est surprenant c’est que peu de ces personnes qui le font osent venir le faire, de manière franche en conférence. J’en donne régulièrement et un peu partout en France. Aussi, je le dis souvent ce que je fais, à partir du moment, ou chaque citoyen sait lire et écrire peut produire, il faut juste réduire le temps passé devant la télévision, celui de l’indignation et s'investir sur le terrain ou encore les bibliothèques qui sont gratuites en France et d'une très grande qualité. Je suis surpris, par le manque de profondeur, peu de critiques sont formulées de manière intelligente, c’est inquiétant. Mais globalement je reçois énormément de messages de soutien, ce qui bien sur m’incite à poursuivre sur ce chemin.

Vous êtes polyglotte. Vous collaborez avec de nombreux médias non européens. Quels regards portent-ils sur l’Afrique ?
Il y a plusieurs regards : l’exotisme, la fascination, la misère, le paternalisme et aussi l’idée que c’est un continent à suivre de très près pour sa jeunesse et ses ressources en matières premières.

Quel est votre avis sur le Continent ? Quels sont selon vous ses défis, notamment ceux de sa jeunesse ? 

La jeunesse de l’Afrique est une promesse et pas encore un atout. Il faut transformer cet espoir en atout, et cela passe par l’éducation, la transition démocratique et la redistribution des richesses. Maintenant il y a plusieurs Afriques : des pays extrêmement pauvres, et d'autres ou le niveau des richesses est élevés. Je pense à l’Ile Maurice, l’Angola, l’Afrique du Sud, le Botswana, ou encore la Guinée Equatoriale qui ont un PIB assez élevé. Plusieurs défis se posent de manière cruciale aux élites africaines : se doter d’un cadre institutionnel robuste mais aussi penser la ville. L’urbanisation est en cours et elle sera déterminante dans le développement du continent, d’un point de vue sanitaire entre autres. La question de l'alimentation est aussi centrale car certaines zones du continent souffrent de malnutrition. Ce qui est dramatique compte tenu du niveau des richesses.

Enfin, c'est l'éducation qui devra être le pivot des changements. C’est hallucinant qu’un pays comme l'Angola, qui fait face à une migration du Portugal en crise, parfois qualifiée, n'arrive pas à assurer la suffisance alimentaire pour ses ressortissants. A propos de la jeunesse, c'est un atout mais l'espérance de plusieurs pays africains se situe autour de 50 ans, le Nigéria, la Centrafrique, le Tchad, le Mali, le Sierra Leone, ou encore la Gambie.

Je pense que les personnes qui pensent que la Francafrique est un système figé se trompe. Il y a de nombreux acteurs sur le continent africain, les Chinois, nous le savons mais surtout les américains qui font preuve d’un redoutable dynamisme, plutôt discret, les pays du Golfe ou encore les Brésiliens, les Turcs, et sans oublier, les différents acteurs africains sur le continent. Des responsables politiques africains influent aussi sur la politique française. La situation est bien plus complexe que l’idée que seule la France serait un acteur post-colonial. Ceci, devrait nous amener à repenser la relation des pays européens à l’Afrique, dans un schéma gagnant-gagnant. A nous de différencier pour travailler dans des projets mutuels.

Avez-vous été tenté par un engagement politique ?

Je le suis déjà à travers les idées que je développe, mais pas au sens partisan et bien au-delà des frontières de l'hexagone. Je collabore avec des acteurs de plusieurs pays, nous avons la chance d'être dans un monde plus ouvert, donc profitons-en. Je travaille notamment avec un journal brésilien operamundi.

Le travail d’influence, se fait à travers le conseil que j’apporte notamment auprès de certains élus, entrepreneurs et militants associatif qui s’intéressent à la fois au terrain et à l’avenir de la France. Au-delà, je travaille avec plusieurs pays sur des projets de développement. Nous envisageons de faire dans le cadre du CIEP, des formations en Tunisie, sur l’éthique dans le journalisme et les questions énergétiques. 

Que pensez-vous de Terangaweb – L’Afrique des Idées ? 

C’est excellent ! Il faut multiplier ce genre d’initiatives, qui démontrent que le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar qui figeait le continent africain dans un passé mythifié, figé est d'une grande absurdité. 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Hamidou Anne

Un sot chez la Garde Royale

justice statueAu Sénégal, s’il y a une star qui monte, c’est la Garde Royale. Un journal est même allé jusqu'à l’affubler du titre fourre-tout de femme de l’année. 
Sur quelle base? Qui sont les votants ? Souvent les statistiques au Sénégal sont comme le Monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, personne n’a jamais rien vu. Bref…

Je ne suis pas emporté par cette vague de béatitude devant la madone de fer. Ma sottise, celle qui caractérise l’intellectuel circonspect devant la soif populaire du supplice du goudron et de la plume qui accompagne souvent les changements de régime, est peut-être passée par là. 
Je trouve même qu’elle ne sert à rien, constatant qu’elle est plus ministre des médias que gardienne jalouse du Temple de Thémis. La presse demeure depuis avril 2012 le prétoire de la dame de la Justice qui a certainement confondu communiquer et radoter…sans fin. Pas une semaine sans qu’elle ne se rappelle aux bons (ou mauvais, c’est selon la position sur l’échiquier politique) souvenirs des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs.

Je n’ai jamais été pour la justice inquisitoire, et ce qui se passe en ce moment au Sénégal y ressemble beaucoup. Devant les muscles brandis par certains membres de l’actuel régime, je vois une insidieuse tentative : celle de diluer l’absence de propositions concrètes au plan économique dans un océan de vaines déclarations guerrières sur fond de règlement de comptes politiques. Je n’ai aucune sympathie particulière vis-à-vis des dirigeants du PDS, leur reprochant, entre autres, un manque de courage et de patriotisme devant la gestion démentielle de Wade qui a cru pouvoir commettre le Krim de nous imposer son fils.

Je suis tout de même convaincu qu’une opposition se respecte et que l’élégance ne peut être dissociée de la pratique politique dans une république. Il me semble que dans le débat indigeste qui est nous servi au quotidien, ce sont les membres de la majorité actuelle, hier victimes des méthodes scandaleuses de Wade, qui violent souvent le fameux principe de la présomption d’innocence. « La paix est l’œuvre de la justice », disait le grand Jaurès. Je tiens trop à la justice pour donner benoitement carte blanche aux saillies judiciaires de la Garde Royale. Quand on réclame justice pour le jeune Mamadou Diop (tué par un camion de la police lors des manifestations contre la candidature d’Abdoulaye Wade), l’on doit également la réclamer pour Ndiaga Diouf (autre jeune assassiné lors d’une expédition de nervis dans une mairie dakaroise tenue par un socialiste). On peut hiérarchiser les crimes, mais je n’accepterai jamais que l’on hiérarchise la douleur des familles. Elle est toujours similaire quand on perd un fils, un conjoint, une mère… Au moment où je couche ces lignes, j’ai une pensée pour la mère de Ndiaga Diouf ; elle qui a perdu un fils à la fleur de l’âge, pendant que le présumé meurtrier a été drapé du manteau de l’immunité parlementaire. « Justice, justice ! » Jaurès encore. 

Sur les audits en cours, je défends une position claire : si Karim Wade a subtilisé des deniers publics, qu’il soit châtié, selon les lois en vigueur au Sénégal. Mais je précise que le seul fait de le convoquer – avec des auditions dont la durée (une fois de 10h à 3h du matin !) frise le ridicule – ne peut constituer une priorité nationale. C’est dans la grandeur de la victoire que l’on reconnaît les plus illustres seigneurs. Voir un très regrettable procureur de la rue publique, devoir s’expliquer dans une ville religieuse d’une instruction en cours me fait peur sur le futur proche de la justice sénégalaise et sur le caractère laïque du Sénégal dont je suis ardent défenseur.

Dans un pays où le Conseil constitutionnel, en avalisant une forfaiture, a été à l’origine d’une dizaine de morts, il y a plus urgent en matière de réforme que les bravades ministérielles sur des audits, qui sont un simple exercice de réédition des comptes après toute gestion des deniers publics.

Tout ceci m’amène à dire pourquoi je ne tombe pas dans l’idolâtrie devant la Garde Royale. Il est des questions tellement plus urgentes et plus importantes que cette affaire d’enrichissement illicite que ses sorties intempestives et inutiles dans la presse m’indignent.

L’état scandaleux des prisons sénégalaises doit préoccuper la Garde Royale. Ces lieux de privation de liberté sont devenus de véritables sources de toutes les maladies imaginables à cause de la promiscuité et du surpeuplement carcéral. Un ancien Garde des Sceaux (tiens !) a été empêché de dormir lors de sa garde-à-vue dans un commissariat dakarois par…des rats peu accommodants.

La lenteur des procédures judiciaires devrait aussi préoccuper notre chère Garde Royale. Car les citoyens ont le droit d’être fixés rapidement sur leur sort quand ils ont affaire à la justice de leur pays.

L’impasse sur l’état de délabrement avancé des cours et tribunaux dans l’intérieur du pays, qui tombent en ruine sans qu’aucune solution concrète ne soit proposée est aussi regrettable. Avec l’érection de nouvelles régions qui les portent dorénavant à 14, je pensais que la refonte de la carte judiciaire du Sénégal allait préoccuper notre bonne dame. Il n’en est rien.
Enfin, la détention préventive n’a non plus pas attiré l’attention bienveillante de la Garde Royale. Car il est indigne et contraire à tous les principes des droits humains de garder une personne des années durant dans des conditions inhumaines sans qu’aucune décision de justice ne vienne lui notifier ce que lui la société lui reprochait.

Hélas, sur toutes ces questions, la réponse que l’on sert aux citoyens est implacablement aux antipodes des vraies priorités. Elle est relative aux audits, à la répression de l’enrichissement illicite et aux biens mal acquis.

Comme si ces priorités n’intéressaient que les sots, ces intellectuels à la sauce Terangaweb.
 

Hamidou Anne

1. http://www.rewmi.com/AMINATA-TOURE-Femme-de-l-annee-2012_a72165.html