Quand Théo Ananissoh évoque Sony Labou Tansi

Cette année 2015 est vraiment très riche sur le plan littéraire francophone. Elle est source d’une certaine frustration aussi pour moi. J’aimerais tant donner la parole à nombre d’auteurs qui animent par leurs publications cette seconde rentrée littéraire : Gaston-Paul Effa, Charline Effah, Eugène Ebodé, Kangni Alem, Théo Ananissoh, Mohamed Mbougar Sarr, Abdourahman Waberi, Alain Mabanckou, Hakim Bah… 

Ananissoh romanIl y a aussi toute cette ambiance autour de la figure passionnante de Sony Labou Tansi. L'homme de lettres congolais est décédé, il y a 20 ans, déjà. Plusieurs rencontres auxquelles j'ai pu assister autour de Sony Labou Tansi m'ont données de reconsidérer le personnage. Loin de la figure aigrie et clivante que nombre de congolais ont connu à la conférence nationale, le Sony dans ce monde littéraire est tout autre : un personnage aux propos engageants, vrais sans réelle retenue. Depuis le début de l’année, j’entends un homme en véritable dialogue avec d’autres. Pas un écrivain frustré et isolé dans la tour d’ivoire de ses écrits.

Le nouveau roman de Théo Ananissoh consacré à Sony Labou Tansi s’inscrit réellement dans ce portrait engageant qui chaque jour est enrichi par tous ces témoignages de personnes l'ayant cotoyé. Ici, toutefois, les mots viennent du Togo. Celui qui témoigne est Charles Koffi Améla, un professeur de lettres classiques, latiniste impénitent, spécialiste de l’époque romaine. L’homme de lettres togolais a rencontré Sony Labou Tansi au cours d’un long voyage commun aux Etats Unis. Les deux hommes se sont pour l'occasion apprivoisés, se sont découverts et ils ont fini par sceller un pacte. Quel est-il ? Pour le savoir, il faut lire Le soleil sans se brûler de Théo Ananissoh.

Dans ses incessants retours au Togo, le personnage narrateur ici nommé Théo, ressemble beaucoup au profil du romancier. On est en 1995. Le narrateur vient de terminer une thèse de lettres sur Sony Labou Tansi et il profite de son séjour à Lomé pour rendre visite à son ancien professeur, Charles Koffi Améla qui vient de sortir de prison.

Autofiction, dire le faux pour exprimer le vrai ?

La première phase du roman oscille à la fois entre les échanges strictement littéraires entre l’élève et son ancien mentor. Sony Labou Tansi vs Ahmadou Kourouma. Le propos libre d’Améla, dans une discussion de salon, lui permet de présenter sous un jour surprenant et critique son ami Sony. Il peut parler vrai. Enfin, vrai si cela est possible puisque techniquement Charles Koffi Amela n’existe pas (j’ai fouillé sur Google). Amela Edoh Yao lui, est bien réel. Cette petite recherche sur Google a remis en cause les certitudes dans lesquelles le très beau récit d’Ananissoh me conduisait. Mais ce n’est pas un récit. C’est un roman. Une autofiction. Comment démêler le vrai, de l’envisagé, du supposé. Théo Ananissoh a-t-il discuté de Sony Labou Tansi un jour avec Amela ?

Photo Théo Ananissoh – copyright C. Hélie

Ce qui est finalement essentiel, c'est d'observer le dispositif que Théo Ananissoh met en place pour évoquer Sony Labou Tansi avec plus de liberté.

J'avais accordé foi à des écrits bâclés, livrés avec hâte et sans réflexion véritable. Ces romans de la fin sans queue ni tête, ces pièces de théâtre annuelles qu'avaient financées quatre, cinq ans de suite un festival à Limoges, en France… Facilité, politique, manipulation…

p. 21, éditions Elyzad

Soyons juste. J'ai été séduit, épaté même, je l'avoue, par Sony. Aux USA, lors de nos discussions interminables, et ici, en 1988. Il a le sens des formules, Sony. Ca fuse, et cela plaît. Il a secoué les gens ici, lors de son passage. Il les a saisis. Mais (soupir), c'est finalement qu'un perroquet.

p. 32 Ed. Elyzad

Je parlais d’oscillations dans la narration de Théo. S’il y a discussion sur Sony Labou Tansi, il y a aussi une observation très discrète du professeur Amela par Théo. Sans être dans une révérence forcenée, il échange avec beaucoup de respect avec cet homme déchu, ayant perdu sa superbe, vivant dans des conditions extrêmes, ayant goûté aux geôles malodorantes de Gnassingbé Eyadéma. Un peu comme dans Ténèbres à midi, un précédent roman de l'écrivain togolais, se dessine le portrait d'un homme broyé par un système politique impitoyable. La prouesse comme toujours chez Ananissoh, c’est que tout cela n’est jamais dit de manière frontale. Mais par des observations, avec une science portée sur le détail, qui je dois dire, comme chez Nimrod sont un régal pour le lecteur patient. J’aimerais juste sur ce point du détail, dire quelque chose de nouveau apparait dans la narration : une forme de jugement chargé de mépris. C’est assez étonnant. Il y a quelque chose de très subjectif, je pense quand il écrit le texte suivant à propos d’un haut fonctionnaire :

« Il a choisi, comme Améla, un demi-poulet rôti accompagné de frites qu'on lui sert dans une assiette à part. Le maître d'hôtel apporte lui-même deux tubes de ketchup et de mayonnaise. C'est pour Térémé dont il connaît le goût. Celui-ci dépose à l'ombre du demi-poulet une portion généreuse de chaque sauce qu'il mange comme ceci : il prend avec les doigts trois ou quatre frites, les plonge dans l'une puis dans l'autre sauce, et introduit le tout en une fois dans sa bouche. Le geste est adroit. Il enfonce et pivote en même temps les frites afin de les couvrir d'une bonne couche de ketchup et de mayonnaise. Il faut de l'application, je pense. Il s'occupe ainsi environ une minute sans plus parler. C'est ensuite qu'il se saisit de la fourchette et du couteau et entame le demi-poulet. Alors seulement, il revient à Améla et à moi. Il mange de cette façon dans les nombreuses rencontres de la Francophonie. Il s'alimentait de la sorte avant d'être promu aux fonctions qu'il occupe »

p.72 Ed. Elyzad

Sony, instruit ou pas ?

Sciemment, je n’aborderais pas la seconde partie du roman. J’aimerais juste dire qu’on termine ce roman, quand on s’est laissé un poil embarquer par le savoureux professeur Améla, avec une pointe de colère ou d’impuissance, selon l’humeur du lecteur. Les bonnes questions qui interpellent le lecteur ne sont pas tellement celles de savoir qui de Kourouma ou Sony Labou Tansi fut le plus instruit, le plus brillant, le plus original. Cette affaire de l’instruction pose problème. Construit sur les fondements de la culture kongo, peut-on dire que Sony Labou Tansi n’était pas instruit parce qu’il ne s’était pas suffisamment nourri aux références occidentales de la littérature moderne et peut-être trop influencé par Garcia-Marquez ? C’est naturellement de la provocation venant d’Améla. C’est peut être aussi le regard entre deux intellectuels arc-boutés sur deux postes d’observation du monde : Le latin et le kongo.

Au fond, la question qui importe pour Ananissoh est celle de cette relation complexe entre intellectuels africains et un pouvoir local qui les consume sans tenter de mettre un minimum de forme car là, seule compte l’allégeance complète et définitive, et une élite française qui sublime certains de leurs discours, car au final, elle finance et expose selon leur bon désir ces intellos dépendants. C’est ce qui se dégage du final de ce roman passionnant. Après lecture, on pourra peser le pour et le contre, mais il sera difficile d’ignorer ce texte engageant.

Laréus Gangoueus

Entretien avec Hemley Boum : Plongée dans le maquis camerounais

Hemley Boum, écrivaine camerounaise, est l'auteure d'un roman remarquable alliant faits historiques et fiction autour du leader nationaliste Ruben Um Nyobé et du volet bassa du maquis camerounais. Les maquisards, ce roman,  est publié aux éditions La Cheminante et disponible en librairie ou en ligne. La romancière camerounaise a accepté de se prêter au jeu des questions-réponses sur ce thème sensible, douloureux et peu connu de la décolonisation en Afrique.


HemleyBoum

Hemley Boum, Bonjour. Vous avez choisi d’écrire sur le maquis camerounais. Un roman plutôt qu’un essai…

C’est un roman intense, complexe avec plusieurs entrées, plusieurs histoires qui s’imbriquent, s’enlacent afin de donner de la cohérence à l’ensemble. Il est assez métaphorique aussi. Je comprends que l’on choisisse certaines portes d’entrée plutôt que d’autres, c’est la liberté du lecteur. Même si « Les Maquisards » est un roman très documenté mais il ne s’agit en aucun cas d’un essai. J’ai délibérément choisi les éléments historiques qui venaient nourrir ma fiction et mis la grande Histoire au service des existences individuelles des hommes et des femmes dont il est question ici. Bien que certaines actions en background se déroulent ailleurs, j’ai choisi une unité de lieu, la forêt bassa, et partant de là, d’étendre ma narration sur plusieurs générations de personnes. L’idée étant d’être au plus près des êtres, au plus près de leur parcours de vies, leurs espoirs, leurs ambitions afin d’expliquer pourquoi toutes ces personnes, ces paysans se sont engagés dans un combat de cette ampleur. Je n’aurais probablement pas pu me permettre une telle licence dans le cadre d’un essai. 

C’est votre marque de fabrique déjà observée dans le précédent roman Si d’aimer…

Oui, nous sommes au plus près des désordres humains, de nos humanités. C’est une littérature qui est dans l’intime, elle se veut être au plus près des hommes.

Comment passe-t-on de Si d’aimer… à ce nouveau roman Les maquisards?

C’est difficile à expliquer, des évènements personnels, des commentaires, des rencontres m’ont fait comprendre qu’il y avait là un sujet d’une extrême gravité et que comme beaucoup de camerounais de ma génération, je passais à côté d’un pan important de l’histoire de mon pays. Ce qui était une vague curiosité s’est changé en interpellation puis en nécessité impérieuse. Je me suis aperçue que plusieurs personnes dans mon entourage immédiat avaient été impactées par cette histoire, avaient personnellement souffert dans cette lutte, elles avaient perdu des membres de leurs familles, des patronymes avaient dû être changés pour échapper à la répression, des villages que je croyais immuables dataient des déplacements forcés de population organisés par l’administration coloniale dans sa stratégie pour isoler les rebelles réfugiés dans la forêt.

En pays bassa, les paysannes pratiquent l’agriculture par jachère. Elles laissent respirer la terre pendant de longues périodes. Des personnes m’ont expliqués qu’encore dans les années 80-90, il arrivait qu’en abordant une nouvelle terre, qu’elles tombent sur des charniers. J’avais l’impression d’ouvrir une boite de Pandore.

J’ai effectué quasiment toutes mes études au Cameroun, et dans mon parcours scolaire je n’ai pas été frontalement confrontée à cette histoire. Si je l’ai rencontrée, c’était tellement édulcoré, peu mis en avant que j’ai zappé. Jusqu’à quel point mon esprit subodorant la supercherie s’est fermé aux faux-semblants officiels. Combien sommes-nous de ma génération à avoir réagi ou à réagir encore ainsi ?

Ecrire sur Um Nyobé, est-ce que le projet a été difficile? D’ailleurs Um Nyobé, est-il personnage prétexte dans votre roman? Comment avez-vous reconstitué cet univers?

Dans les maquisards, Mpodol* n’est pas un personnage prétexte. C’est un vrai personnage qui impulse des choses. Il existe. Il y a quelque chose qui va se mettre en place entre lui et ses proches. Pour connaitre Mpodol, il faut écouter ses discours.  Il est très différent d’un Césaire ou plutôt d’un Senghor, d’ailleurs ils n’avaient aucune sympathie l’un pour l’autre. L’homme d’Etat Sénégalais a été particulièrement injuste avec les nationalistes camerounais, mais ce n’est pas le sujet. Mpodol a du respect pour le français, la langue française, mais il n’a pas cette admiration béate devant la culture française que vont avoir certains leaders africains. Son père est un patriarche traditionnel et il est lui-même très ancré dans la culture bassa. Il a peu d’amis hormis un noyau dur de personnes qui restera jusqu’au bout et dont plusieurs partageront son sort tragique. Il n’est pas mondain. Ce qui va faire le roman, c’est cela, toute cette force, ces passions, cet engagement sans concession, tout cela concentré dans cette forêt, cette cabane, leur environnement naturel. Mpodol n’est pas un poète, un grammairien ou quelqu’un qui a le goût des belles phrases, des envolées lyriques. Il cherche le mot juste, la bonne intonation. Ses discours aux Nations Unies sont révélateurs, il est précis, convaincant, factuel. Il a une mentalité de juriste. Quand il rentre dans les textes français, il les aborde avec profondeur, il les dissèque car il pense que c’est là que ça se joue et qu’il s’agit d’un combat loyal. C’était leur force et leur terrible faiblesse, ces hommes étaient capables de comprendre la complexité d’un texte, sans toutefois saisir l’esprit des rédacteurs. Il pensait sincèrement que cela se jouait à la loyale.

 Au début le livre devait se concentrer sur Um Nyobe, j’ai travaillé sur cinquante pages puis j’ai bloqué. La construction avait du mal à avancer. C’est à ce moment que j’ai créé le personnage d’Amos qui est son double. Ainsi Amos existe et Um Nyobé prend sa place de leader. Il devient un personnage. Je peux donc exploiter les aspects historiques et la dimension personnelle, je peux l’insuffler dans leur relation.

Ces personnages de fiction prennent une place très importante. Le roman prend la forme d’une saga familiale. Il y a des femmes fortes. Il est question de deux femmes particulièrement Thérèse Nyemb et Esta Mbondo Njee.

Elles sont toutes fortes. Likak aussi est une femme forte. Si être une femme forte c’est ne pas se laisser briser, dévaster par l’adversité, même Jeannette et Christine Manguele sont fortes à leur manière.

C’est un roman très féminin. Il y a une démarche de montrer ces femmes qui bougent, bousculent la société bassa traditionnelle.

Votre propos est étonnant. Il y a des hommes forts dans ce roman. Amos Manguele est une grosse personnalité. Alexandre Muulé Nyemb, Ruben Um Nyobe aussi… Mais, comme ils coexistent avec des femmes de caractère dans une relation de complémentarité, vous en déduisez que le roman est féminin. L’important c’est que ces personnes, hommes et femmes, sont puissantes en tant qu’individus mais aussi en tant que communauté, les deux sont liés, imbriqués même. Cela explique leur engagement.

En outre, l’immense implication des femmes dans le mouvement national Camerounais et la guerre de libération est une vérité historique. Mes personnages sont fictifs, cependant dans la réalité, des femmes seront assassinées en même temps que Ruben Um Nyobe ce jour là à Boumnyebel.

Ici, le propos n’est-il pas de dire que ce sont les femmes qui introduisent une certaine rupture? De plus, on pense à un roman comme Cent ans de solitude de Gabriel Garcia-Marquez : La malédiction et le silence. Y-a-t-il de votre  part une réflexion sur la malédiction et les chaines de silence qui se reproduisent de génération en génération? Qu'est-ce que ce silence ?

Le poids des non-dits, le poids du silence sur des faits aussi graves, sur des atteintes aussi importantes aux populations d’un pays provoque un sentiment de honte diffus mais bien réel. Un manteau de violence et de peur a été posé sur cette période.

On peut se demander pourquoi Um Nyobé n’a pas eu la même reconnaissance que Lumumba. D’abord, ce n’est pas le même profil de personne. D’une part. Et d’autre part, le maquis Camerounais s’est fait en deux temps. Il y a le maquis en pays bassa qui fait l’objet du traitement de mon roman. Puis après l’indépendance, il y a eu le volet en pays bamiléké. Le gouvernement camerounais d’Ahidjo avec l’appui logistique, financier et militaire de l’ancienne métropole s’attèlera  à la traque des partisans qui continuent le combat en pays bamiléké. Vous savez, dans la spiritualité bamiléké, il y a des pratiques très fortes autour du crâne des ancêtres. Alors les forces conjointes en lutte contre les nationalistes vont systématiquement trancher les têtes de leurs adversaires et les accrocher sur des pics. Peut-on imaginer une telle violence, une si grande volonté de destruction va au-delà de la nécessité de mater la rébellion, il s’agit de soumettre, de dévaster et d’instaurer durablement la terreur.  Sauf qu’au moment où cela a lieu, le gouvernement au pouvoir est Camerounais. Certaines personnes impliquées dans ces exactions sont encore au pouvoir aujourd’hui. Cela ne facilite pas le devoir de mémoire. Mais les temps changent, j’ai bon espoir. Nous devrons tôt ou tard affronter nos propres démons.

Sur la place des colons : Pierre Le Gall, le colon, est le personnage pour lequel vous introduisez le moins de nuances. Qu’incarne-t-il pour vous? Sur la rencontre entre la femme africaine et l’homme occidental?

Non, je n’ai pas introduit de nuance sur ce personnage pour une raison simple, ce que j’ai écrit sur ce personnage est bien en deçà de ce que les témoignages laissent entendre du comportement de certains colons. La colonisation en elle-même était un système d’une extrême violence uniquement justifiée par des intérêts économiques. La nuance s’inscrira plus globalement dans le livre, le roman dans son ensemble fait coexister des personnes que tout oppose et qui malgré tout se rejoignent dans une commune humanité.

Vous savez certains sujets sont plus porteurs que d’autres. Par exemple dans mon précédent roman Si d’aimer… je raconte cette relation entre le personnage de Céline et son proxénète. Et plus loin dans le roman, je parle aussi de la relation d’amour entre Céline et Paul. Une relation plus apaisée beaucoup plus belle. Mais on me parle toujours de la première et rarement de la seconde. Avec Les Maquisards, c’est un peu la même chose. Il y a Pierre Le Gall, mais aussi son pendant, son fils Gérard, ou la sœur Marie-Bernard qui offre une vision différente des relations entre les personnages y compris dans ces configurations tendues.  Et puis, au cœur même de la rébellion, lorsque les choses se corsent, des partisans se retournent contre les populations, ceux dont l’implication dans le mouvement est mise en doute sont molestés, terrorisés, le personnage de  Joseph Manguele traduit bien cette réalité aussi. 

Ce n’est pas un problème de couleur de peau, cela ne l’a jamais été, en tout cas pas dans mon écriture. Il s’agit plus fondamentalement du respect de l’autre dans son humanité et sa singularité, du respect de l’autre comme unique garantie d’une relation que l’on veut sincère.

Pouvez-vous nous parler la construction de vos personnages? 

Je suis profondément dans l’intime. Les écrivains américains sont doués pour cela, quelqu’un qui fait cela et qui me bouleverse, c’est l’auteur américaine Toni Morrison mais aussi Philip Roth dans un livre que j’adore qui s’appelle « La tache », ou Faulkner dans « Absalon, Absalon ». Même l’incroyable James Ellroy est sacrément doué dans cet exercice. Et Balzac dans la littérature française.

Lorsque vous avez fini de les lire, les pires personnages ont une humanité. Il y a des choses à voir au-delà des actes qu’ils posent. Ils ont une intériorité. C’est de la bonne fiction. Celle qui donne l’impression que nous sommes dans une tragédie antique, chaque personnage est potentiellement Orphée, Perséphone Médée…C’est la fiction que j’aime, celle qui repousse les limites et qui dit l’Histoire, la vie et ses bifurcations dans toute leur complexité en partant de l’humain lambda, vous, moi, n’importe quel personnage de roman. C’est celle que j’essaie d’écrire.

Sur la place de spiritualité dans le livre, il y a une approche un peu manichéenne. Mais sans aller dans le détail, vous présentez cette thématique sous un angle particulier, avec l’idée d’un éventuel retour en arrière, vers ces croyances ancestrales. Est-ce le cas?

Peut-on revenir en arrière? Tant de choses ont été détruites. Pour illustrer mon propos, je raconterai une situation que Soyinka a vécue en Jamaïque à l’époque où il est chassé du Nigéria par Sani Abacha. Soyinka raconte dans ses mémoires que son errance à travers le monde le mène à un village en Jamaïque qui porte le même nom que son propre village de naissance et où l’on pratique un rite à un dieu Yoruba qui est profondément pur. En fait, les jamaïcains avaient gardé des aspects de ces pratiques qui avaient été violemment combattus par le système colonial.  

Les croyances et la spiritualité des groupes humains en Afrique datent de l’Egypte ancienne, Cheikh Anta Diop ainsi que des anthropologues de l’Afrique anglophone, Nigéria, Ghana, ont longuement analysé cet héritage. Il faut comprendre que les croyances africaines, ces spiritualités si anciennes ne sont pas, dans leurs essences, prosélytes. C’est une manière d’être, d’exister dans un accord parfait avec son environnement, son groupe incluant les vivants et les morts. Ce sont des communautés qui comprennent bien que la spiritualité est intime, confidentielle. Elle dépend de votre relation, votre histoire propre en tant qu’individu et en tant que groupe avec les divinités que vous vénérez et à ce titre ne peut en aucune manière être imposée à d’autres.  

Aujourd’hui et c’est bien là le paradoxe, le retour des jeunes vers ces spiritualités africaines se fait contre, en réaction de… Il ne s’agit plus d’un être au monde fluide et naturel, mais d’une spiritualité de combat et de revendication.  Je comprends la démarche mais je ne suis pas certaine que ce soit judicieux.

Est-ce que la fiction peut permettre un changement, introduire le débat?

C’est le rôle de la fiction. Elle permet la prise de recul sur la situation. L’Histoire sur laquelle l’on choisit d’édifier la mémoire d’un peuple est avant toute chose un choix idéologique, cela a l’air d’une science, mais au fond c’est un tri de ce qui va renforcer la conscience de faire corps, le lien, la communauté. Appelez-le prise de la Bastille, République, Guerre de Sécession, Shoah, ainsi s’écrit la légende des peuples, les valeurs qu’ils partagent. La fiction participe à bâtir des édifices imaginaires forts.  Au Cameroun, nous n’avons pas tant que cela des motifs de fierté collective et symbolique, les forces disproportionnées lâchées sur ces personnes de rien, ces paysans désarmés, ces instruits de premières générations, sont une honte et le resteront de toute éternité. Le courage de ces hommes et ces femmes, de même que le sacrifice consenti, est notre plus grande fierté ; quelque chose d’assez solide pour bâtir une Nation. 

Vous avez une profonde connaissance de la culture bassa. Pouvez-vous nous en parler?

Je me suis intéressé à ces données. Comme je l’ai dit plus haut, je voulais ancrer mes personnages dans une réalité sociale et spirituelle forte. Etre au plus près de leur réalité, de leur vécu. Pour cela je devais m’imprégner de la culture bassa, la comprendre dans ses nuances et ses non-dits. Me l’approprier. Je ne regrette pas, j’ai beaucoup appris, mieux compris. Cela reste une belle expérience personnelle.

Il y a  une déstructuration très forte portée au niveau des filiations. Quel est votre propos à ce sujet?

La sexualité telle que la conçoit, l’église catholique, avec cette notion de culpabilité est très peu présente dans les sociétés traditionnelles, elle n’a même pas de sens dans ce contexte. Dans l’organisation sociale traditionelle, la parenté est sociale avant d’être biologique Chez moi, quand une femme avait un enfant avant le mariage, c’était un très bon point, elle avait fait la preuve de sa fécondité alors sa dot était plus importante. Les peuples sont pragmatiques, la cohésion du groupe prime sur l’idéologie, la spiritualité et les croyances travaillent dans ce sens. À ce titre la complémentarité des hommes et de femmes est à la fois économique, sociale, politique et spirituelle.

Un dernier point sur la place de la langue bassa. Manguele communique en bassa avec les autres membres de la guérilla. Quel regard portez-vous sur les langues africaines. Y-a-t-il un enjeu à revenir vers elles, comme elles ont été un moyen de communication sécurisé dans le maquis bassa?

Les bassa, comme quelques autres groupes tribaux au Cameroun ont très vite appris à écrire leur langue. Les églises protestantes américaines installées dans cette zone dès la fin du XIXème choisissent de commencer les apprentissages avec l’écriture et la lecture du bassa. Elles n’ont pas la même appréhension de la question que les catholiques français qui en interdisent formellement l’utilisation à l’école. Ce qui donne une génération de personnes qui non seulement évolue dans leur environnement naturel en parlant leur langue maternelle, mais en plus ont appris à l’intellectualiser à la façon occidentale. C’est un vrai atout. 

En outre, les pères fondateurs de l’UPC étaient issus de tous les grands groupes ethniques camerounais. Cela a permis une transmission du message en langue locale qui a surtout infusé auprès de ceux à qui personne ne prenait la peine d’expliquer les enjeux économiques dont ils étaient l’objet. Tout d’un coup, nous sommes dans de l’entre soi, un immense entre soi qui réunit les camerounais en excluant l’occupant. Et bien sûr les communications qui ont lieu dans les centres urbains plus hétéroclites en terme de population que les villages le sont en français. Le mouvement développe ainsi une souplesse, une adaptabilité supplémentaire.

La langue est un enjeu de communication majeur. Chacune d’elle véhicule ses propres subtilités, un imaginaire, une histoire que l’on peut traduire dans une autre langue bien sûr mais sans jamais être assuré d’avoir respecté au-delà de la lettre, l’esprit. Malgré tout, comme le reste, elles vivent et meurent, remplacées par d’autres plus accessibles ou que sais-je. Mais à chaque fois qu’ainsi disparaît une langue, la perte est à la fois silencieuse, dévastatrice et sans rémission. 

Hemley Boum, merci !

Merci!

Propos recueillis par Laréus Gangoueus

Apologie d’un cinéma africain populaire et indépendant

Sans être un grand expert du cinéma africain, je suis avec intérêt les films qui ont le rare privilège d’être projetés dans les grandes salles obscures françaises. Franciliennes, je préciserais même. De Carmen de Joseph Gaye Ramaka à Viva Riva de Djo Tunda Wa Munga, de Sia Yatabaré, ou le rêve de Python de Dany Kouyaté, de Bamako à Timbuktu, deux voyages proposés par Abderahmane Sissako. Des films souvent bien bâtis, avec de belles images, une tonalité entendue.Kunle Afolayan

Kunle Afolayan, réalisateur nigérian

Le cinéma comme la littérature sont des objets culturels qui peuvent déconstruire ou renforcer une certaine image de l’Afrique et des Africains en général. Sans vouloir rentrer dans des considérations techniques, philosophiques, esthétiques, au fil de ces rendez-vous occasionnels, ratés souvent, si on excepte Timbuktu de Sissako, la conviction suivante s’est progressivement installé dans mon esprit : ces films « africains » financés par des fonds européens ne sont pas adressés à un public africain. Ils servent un discours néo-colonial au pire, sinon ils poursuivent l’entretien de clichés faux sur l’Afrique qui, d’une certaine manière, ont le mérite de rassurer le public qui paie pour les voir. Je suis conscient d’être quelque peu excessif. Mais entre nous, je ne suis pas le premier à le dire. Boubacar Boris Diop, le grand romancier et essayiste sénégalais en parle très bien dans la première nouvelle intitulée La petite vieille de son recueil La nuit de l’Imoko paru aux éditions Mémoires d’encrier. La révolte d'un intellectuel africain marginal quant à cette prise de parole biaisée et exprimée par le septième art piloté à distance est d’ailleurs durement réprimée. Quand on sait que l’un des principaux champs de bataille de Boubacar Boris Diop est la dénonciation d’une Françafrique qui fait la pluie et le beau temps sur le continent, la palabre est terminée, le sujet bien défini.

Le festival Nollywood week à Paris a motivé l'écriture de cette note. Il me semble avoir cru saisir la nuance entre un cinéma assisté et un cinéma indépendant. Si j’entends l’exigence de qualité qu’un observateur avisé comme l'artiste et producteur haïtien Jimmy Jean-Louis exprime avec insistance, il est une chose certaine au niveau du cinéma nigérian : les lions racontent désormais des histoires aux lions, laissant à la lisière de la forêt un chasseur désabusé. Et étrangement, cela se traduit dans les réactions du public dans la salle majoritairement d’origine africaine se reconnait dans ce qui est narré, mis en scène. Franches rigolades dans la comédie dramatique se déroulant à Londres (Gone too far, Destiny Ekaragha). Râles, soupirs, pleurs devant le triste destin d’Halima (Dry, Stephanie Okéréké-Linus). Que dire des enquêtes de l’inspecteur Waziri? Le point de vue de Kunlé Afolayan, réalisateur d'October 1, est brillant, discutable, subjectif. C’est un nigerian qui revisite avec lucidité une tragédie à l’orée de l’indépendance de son pays. L’issue de ce polar historique offre au spectateur un aperçu de la complexité et du défi pour une nation multiculturelle qui doit prendre en main sa destinée. Elle doit le October-1-World-Premiere-28-September-2014-AlabamaU2-02faire en portant les stigmates des violences sourdes infligées par le colon par des voies parfois inattendues.

Je pourrais parler d’autres films que j’ai pu voir, mais mon propos ici est dire que j’ai réellement vu du cinéma indépendant au sens le plus noble du terme. Et c’est passionnant. Le contenu diffère. Car il est essentiel que l’Afrique puisse produire un discours qui lui appartienne. Pourquoi ne suis-je pas surpris que ces films de très bonnes factures soient absents de la programmation du FESPACO de Ouagadougou? Peut-on vraiment dire que Dry ou October 1 ne soient pas compétitifs?

Soyons honnêtes, je ne connais pas les tenants et les aboutissants des sélections des jurys de ce genre de festival, mais encore une fois, je pense que Boubacar Boris Diop n’est pas loin de la vérité, quand il s’agit plus de faire allégeance aux structures qui financent toutes ces initiatives. La cohabitation avec des producteurs nigérians et indépendants serait un contre sens, comme introduire le ver dans la pomme…

La force d’un cinéma indépendant se mesure à la liberté du discours accordée aux créateurs que sont les scénaristes et les réalisateurs. Et d’une certaine manière, cette affirmation vaut pour le monde littéraire. Les procès faits à certains auteurs africains qui écriraient pour un public occidental est une fuite en avant et un déni de responsabilité. Ce qui fait l’artiste, c’est le consommateur, celui qui accepte de se confronter à l’oeuvre produite et qui juge qu’un tel investissement en vaille la chandelle. Nollywood s’est trouvé un vrai public en produisant des oeuvres qui lui parlent. La puissance économique de ce cinéma repose sur la base populaire très large fidélisée, non sur une élite restreinte qui regarde de haut toutes ses productions endogènes. Le modèle est instable. Il ne s’appuie pas sur un réseau de salles de cinéma. Mais, ce n’est pas le sujet de cet article que je vais conclure. Il y a une vraie fierté à réaliser que sur le continent, des réalisateurs nigérians ou ghanéens peuvent être soutenus par des programmes et financements autonomes à la fois des pouvoirs publics et de l’aumône des institutions étrangères et plus particulièrement occidentales. Nous faisons donc l’apologie de ce type de cinéma, même s’il n’est capable de produire qu’un bon film par an…

Laréus Gangoueus

Americanah, by Chimamanda Ngozi Adichie

Like most of the main characters in Chimamanda Ngozi Aidichie’s novels, Ifemelu is a young Igbo, Nigerian and African woman. After a long stay in the USA, she thinks about going back to Lagos, the city where she spent her youth and went to primary and secondary school. In a dull hair salon where she gets her hair plaited, she remembers her early years, her departure from Nigeria thirteen years ago, and her arrival in the USA. She recalls how difficult migration has been for her and how her naive expectations about this dreamland were so different from the Eden that she was promised at the university in Nigeria.

Through these very precise images, the reader dives into the world of Nigerian migrants in America. The author also gives a strict and distant perspective on the people who run or go to Mariama’s hair salon. During the events of the day and by an association of ideas, we will witness her stay in America.

 Why does the Nigerian youth leave ? 

Ifemelu left Nigeria to study in the University of Philadelphia. She is from the Nigerian middle class and an only child. Her father is a civil servant and was fired for some untoward behaviour towards his superiors. Her mother, converted to evangelism, faces the circumstances of life with a mysticity that Ifemelu devours with ferocity and distance. This is a recurring theme in the other novels of the author, such as « Purple Hibiscus ». It is interesting to see the journey of her mother through the different religious movements in Nigeria. This journey sums up the incongruities of the believers. Adichie, like Achebe, precisely observes the influence of protestantism on Nigerian people.

Her perspective of the society through this character might seem a little too harsh, if compared to the more nuanced analysis of the father of Nigerian litterature in « Things fall apart » where he leaves room for  the readers for their own interpretation. Ifemelu is a special character and particularly lucid and critical of the wrongs of the society she lives in. When her young aunt who is a doctor is financially supported by a high ranked official of the military, Ifemelu is the only one to criticise the « Mentor ».

These educated women are dependent on the financial power of these men. This situation is unbearable and will not cease to dictate Ifemelu life's choice. Why do they leave ? Obinze, who is Ifemelu's boyfriend, expresses very well the reasons why the African youth, fed by the Western culture, leaves the continent. The feeling of isolation and at the same time, the thirst to discover others and conviction that a better life is waiting in these fictitious worlds.

A difficult landing

For Ifemelu and Obinze, it will be very difficult to arrive in these lands of exile and asylum, such as the UK or the USA. Through these two perspectives, Adichie describes the life paths of the African youth confronted to these closed and idealised spaces. And the originality of this novel lies in the fact that it focuses on young people from the middle class leaving the continent. How do they survive in a constricted environment and confront the challenge of paying the rent when you do not even exist for the administration ? The love affair between Obinzé and Ifemelu will distend with the challenges of living in the West. Adichie beautifully describes this landing and attempt of immersion or evolution of the identity of the Nigerian migrants.

The issue of the identity

This issue is the main focus of the novel and the discourse of Adichie. How do we stay ourselves when others define us ? This question is analysed very powerfully before her departure to Nigeria and after the return to the home country through the USA and UK. The criteria of analysis will be the language, the hair, the race. Honest and haughty, Ifemelu wants to keep the African authenticity in the American land and does not want to be restricted to the « black » label, even though she fully understands the importance of this heritage in America. It is in America that she understands what it means to be Black. She accepts it because she has no other choice. She looks at America from a non-American African perspective. In her blog, she has a very sarcastic and ironic tone to describe Obama's America that is still scarred by the weight and suffering of the racial relationships. Americanah gives a good understanding of the Ferguson protests. Hollywood hides it well : the American dream has only one color. Ifemelu has an interesting opinion on the identity issues, and the tensions between African-American and Africans and the image of misery and compassion the white elite casts on the African continent.

The return to the home country

After giving it a lot of thought, Ifemelu decides to come back to Nigeria. But nobody understands her. The novel is organized in such a way that the reader has a global understanding of the challenges and realities facing the young woman at home. This decision is her own choice. The attitude toward the migrant is described precisely by the protagonist. Meeting with the long lost friends. Women's worries about the ideal marriage. The arrogance of Americanahs, i.e the young Nigerians who came back from the USA to make a fortune. The identity crisis is particularly striking when we observe the American references dictating the relationships between each one of them. Americanah ! Returning home also means being reunited with Obinze. This is a genuine novel where the characters are as important as the issues that are presented.

Conclusion

Due to the restricitions of a web article, this article is far from being exhaustive. Americanah is the reference for the African migration because it raises all the problems dealing with this issue. In my humble opinion, this is the best novel dealing with issues of migration. Chimamanda Ngoazi Adichie goes as far as rightfully criticizing a racial and often racist America. History weighs heavily on the society and ethnies. Obama is not enough to bring down the social constructs. Ifemelu has a thruthful perspective of the American society but she is also very critical of her own country. Feminism is also very present in the novel and is developped in a new form of public speaking. It is dealt with at the end in a subversive way. The author voices the opinion of the Nigerian middle class, like in her previous novels. I can see, without a doubt, that this book is brilliant, very well written and deals with deep issues. We had the opportunity to ponder on these issues at the Café des Livres, for the African Business Club.

Translated by Bushra Kadir


 

Americanah, par Chimamanda Ngozi Adichie

Adichie_chimamandaComme la plupart des personnages centraux dans les romans de Chimamanda Ngozi Adichie, Ifemelu est une jeune femme igbo, nigériane, africaine. Après un séjour relativement long aux Etats Unis d’Amérique, elle envisage de rentrer à Lagos, la grande ville de la côte nigériane où elle a vécu sa jeunesse et fait ses études primaires et secondaires. Depuis un salon de coiffure africain glauque dans le New Jersey où elle se fait durement tresser le cheveu, elle se remémore son adolescence, les conditions de son départ, treize ans plus tôt du Nigeria, son arrivée aux Etats-Unis. Elle se souvient des contraintes qu’imposent ce type de migration sur l’individu et de son regard naïf sur ce pays de rêve qui dès son atterrissage s'est avéré être loin de l’Eden annoncé depuis son université nigériane.

Alors que ces images défilent avec une précision qui va plonger le lecteur dans l’univers du migrant nigérian en Amérique, elle porte en parallèle un regard sévère et distant sur les individus gérant ou fréquentant ce bastion africain qu’est le salon de coiffure de Mariama. Par une forme d’association d’idées, se passe le temps d’une journée, un condensé de ce qu’aura été son séjour américain.

Pourquoi certains jeunes nigérians partent-ils ?

Ifemelu quitte le Nigeria pour poursuivre un cycle universitaire dans une université de Philadelphie. Fille unique, elle fait partie de cette jeunesse issue de la classe moyenne nigériane. Son père est un fonctionnaire a été mis au chomage pour une maladresse à l'endroit de sa hiérarchie. Sa mère, convertie à la foi évangélique, affronte les circonstances de la vie au travers de cette mystique qu’Ifemelu croque avec férocité et distance. Un point récurrent dans le travail de la romancière nigériane Chimamanda Adichie déjà traité dans L'hibiscus pourpre. Les pérégrinations de cette mère dans les différents courants du protestantisme nigérian sont très intéressantes et justement décrites dans leurs énumérations et dans la qualification de ce que certains désigneront les incongruités du croyant. Comme Achebe, Adichie est une fine observatrice des impacts du protestantisme sur l’individu nigérian. Peut-être juge-t-elle trop par le regard de son personnage là où le père de la littérature nigériane offrait une analyse plus nuancée dans Le monde s'effondre en laissant l'interprétation au lecteur seul. Ifemelu est, vous l’avez compris, un personnage singulier et particulièrement critique et lucide sur  les travers de la société qui l’environne. Quand sa jeune tante, médecin, se fait entretenir par un haut gradé de l’armée, Ifemelu est la seule à fustiger le « Mentor ». La dépendance de ces femmes même instruites à la puissance financière des hommes lui est insupportable et ne cessera de dicter les choix d’Ifemelu dans son parcours. Pourquoi partent-ils ? Obinze, le petit ami d'Ifemelu, exprime très bien les raisons de ces départs, d’une jeunesse nourrie à la mamelle de la culture occidentale : le sentiment d’enfermement et, en même temps la soif de découvrir l’autre et la conviction qu’une vie meilleure est forcément dans ces univers fictifs…

Alexa, et les autres invités, peut-être même Georgina comprenaient tous la fuite devant la guerre, devant la pauvreté qui broyait l'âme humaine, mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d'échapper à la léthargie pesante du manque de choix. Ils ne comprenaient pas que des gens comme lui, qui avaient été bien nourris, n'avaient pas manqué d'eau, mais étaient englués dans l'insatisfaction,  conditionnés depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs, étaient prêts à commettre des actes dangereux, des actes illégaux, pour pouvoir partir, bien qu'aucun d'entre eux ne meure de faim, n'ait été violé, ou ne fuie des villages incendiés, simplement avide d'avoir le choix, avide de certitude.

P.309 éditions Gallimard

Difficile atterrissage

Pour Ifemelu comme Obinze, l’atterrissage va être très difficile dans ces terres d’exil et d’asile que sont les USA et l’Angleterre. Avec ces deux champs d’observation différents, Chimamanda Ngozi Adichie va s’employer à décrire le parcours du combattant d’une jeunesse africaine outillée et confrontée à la fermeture de ces espaces sublimés. Et c’est peut-être là toute l’originalité de ce roman. Cette mise en scène de ces jeunes issues des classes moyennes qui fuient à grandes enjambées leur continent. Comment fait-on pour survivre à un environnement contraignant, méfiant, pour faire face aux défis de payer un loyer quand on n'existe pas administrativement parlant? La relation amoureuse qui unissait Obinzé à Ifemelu va se distendre dans le feu de ces épreuves de la vie en Occident. Cet atterrissage, puis la tentative d'immersion va participer à la révélation ou l'évolution de l'identité de ces migrants nigérians que Chimamanda Ngozi Adichie décrit remarquablement.

La question de l’identité

Elle est centrale dans la construction de ce roman et dans le discours de Chimamanda Ngozi Adichie. Comment rester soi-même quand l’autre vous définit ? Cette question est analysée avec beaucoup de puissance et cela, avant le départ du Nigéria et après le retour au pays Natal en passant par les USA et l’Angleterre. Les baromètres d'évaluation vont être la langue, le cheveu, la race. Entière, altière, Ifemelu veut garder une authenticité africaine sur cette terre américaine et refuse de se laisser enfermer sous l’étiquette « noire » ou « black » même si elle comprend le poids de cet héritage en Amérique. Être noire est une notion qu’elle découvre aux USA. Elle l'intègre car elle n'a pas le choix. Par la même occasion, elle s’octroie d’observer l’Amérique sous le prisme du regard d’une africaine non américaine. Au travers de son blog, elle décrit avec son regard chargé d’humour et de sarcasmes, d’ironie et d’un vécu, une Amérique obamaïenne qui demeure marquée par le poids et la douleur des rapports raciaux. Sous le prisme d’Americanah, on comprend assez aisément les manifs de Ferguson. Une triste réalité qu’Hollywood masque très bien : le rêve américain est monocolore. Dans ces questions d'identité, Ifemelu a une posture intéressante qui lui permet d'observer les points de friction entre africains-Américains et Africains ou le regard misérabiliste et compassionnel porté de manière générale par l'élite blanche à l'endroit du continent africain.

Retour au pays natal

Quand, après moult réflexions, Ifemelu décide de rentrer au Nigéria elle est incomprise. La structure du roman permet aux lecteurs d'avoir une vision globale des enjeux et des réalités qui attendent la jeune femme au bercail. Ce retour est toutefois un choix. L'attitude du migrant est là encore scrutée avec minutie par notre héroïne. Les amies retrouvées. Les préoccupations des jeunes femmes attachées à l'idée de faire un bon mariage. L'arrogance des americanahs, ces jeunes nigérians revenus des Etats Unis dans l'idée de faire fortune. La question de l'identité n'est pas plus violemment frappante que dans l'observation des références américaines intégrées et qui dictent leur rapport à l'autre. Americanah! Un retour synonyme de retrouvailles avec Obinze. Parce qu'il s'agit d'un vrai roman où les personnages sont tout aussi importants que les problématiques qu'ils mettent en scène. Je vous laisse découvrir cette romance et réflexion sur l'illusion des amours de jeunesse.

Chief se tourna vers Nneoma. Tu connais cette chanson. "Personne ne sais ce que sera demain". Puis il se mit à chanter avec une vigueur juvénile. Personne ne sait ce que sera demain! Demain! Personne ne le sait!  Il se versa une autre généreuse rasade de cognac. "C'est le principe sur lequel est fondé ce pays. Le principe majeur.

P.36 éditions Gallimard

Ce passage résume tout le drame d'un continent et la philosophie prédatrice de celles et ceux qui ont une once de pouvoir en Afrique. Cette instabilité va être remarquablement illustrée dans ce roman.
 

Conclusion

Cette note est insuffisante. Je me dois de respecter un format web 2.0 pour que l'internaute ne décroche pas. C'est évidemment par l'exhaustivité des problématiques qu'il soulève qu'Americanah s'affirme comme étant le roman phare sur les nouvelles migrations africaines. Il n'y a pas eu, de mon humble avis meilleur traitement du sujet. Mais là où Chimamanda Ngozi Adichie fait fort, c'est dans une critique nette et sans bavure de l'Amérique raciale et souvent encore raciste. Le poids de l'histoire pèse lourdement sur les rapports sociaux et ethniques. Obama ne suffit pas même s'il participe symboliquement à des déconstructions de certaines forteresses. Mais, si Ifemelu est légitime dans ce regard sur les USA, c'est qu'elle n'en est pas moins critique vis-à-vis de sa terre d'origine. Le féminisme enfin, est l'un des discours dominants qu'on ne pourrait passer sous silence ainsi que la nouvelle prise de parole publique. Il est traité finement et finalement de manière subversive. Chimamanda Ngozi Adichie poursuit également ce regard sur les classes moyennes nigérianes comme dans ses précédents romans.  C'est pourquoi, sans excès, je peux dire que cette oeuvre est brillante, agréable à la lecture, et ouverte à de profondes et nombreuses pistes de réflexion. Ce fut le cas, en janvier dernier, avec l'African Business Club au Café des livres.

LaRéus Gangoueus

Kgebetli Moele: Room 207

kgebetliWhile writing this article, I realized that this book triggered within me, some sort of delight as well as questions. For some reasons, beyond me, I found that observing this breeding ground, situated at Van der Merwe road, somewhere in Hillbrow (the infamous neighborhood in Johannesburg, known as a place where violence is prevalent) fascinated me. This ill-reputed commuter town was also known as a city of dreams.

Room 207, a breeding ground

A group of six young black south-Africans, products of the post-apartheid period, live together in a dingy room in a building at Hillbrow. They occupy the room 207. They are mostly rejects of the University of Witwatersrand in Johannesburg. For most of them, this was a result of financial constraints. Intellectual resources were not enough to take them through this mastodon university that was supposed to help them touch the skies and destroy the glass ceiling of the South-African society.

At the beginning of the novel, the narrator describes the profiles of each room occupant. In truth, they are not all disenchanted students. They also represent the ethnic plurality of South-Africa. They are all black but are also Sotho. Pedi. Zulu. Tswana. However, none is Xhosa. This is an interesting point, as these individuals are not only a reincarnation of the people in power but servants of the economic power of the white.

It is important to note that this book was published in 2007 during Thabo Mbeki’s tenure as president.

Their cohabitation is a happy one. The god, Isando, watches over them during their consolatory episodes of binge drinking. Like all young educated people, the occupants of room 207 buildup a picture of South Africa without the sordid aspects of reality, without accusing her as a culprit in their lot in life.

Self-examination by the South African youth (still in search of themselves)

As I write this article, I find it surprising that, Kgebetli Moele  does not allow his whimsical and pleasure-seeking characters be saddled with mistakes of the past. This is however, not the case in Disgrace, the famous novel of Maxwell Coetzee, Nobel Prize winner for Literature. In Disgrace, the heaviness of the past is adequately felt and the fear of tomorrow resonates loudly.

In Moele’s Room 207, these former students question themselves on the condition of the Black Man (the one singular debate of the African continent), violence and his self-destruction.

There is no reason that can justify the action of men raping a 3-month old baby, shooting aimlessly at a wild crowd during a party and still leave the neighborhood to rot. At least, this is what they discuss without much illusion. It is at this point that Kgebetli Moele makes a great read and allows us relate individually with the lads occupying this room.

Insecurity and Comfort

At this stage, I must describe to you the personality of each of these characters: Modishi, Molamo, Matome, D’Nice, Zulu-Boy and the narrator Noko. Using different value systems, each of them searches for opportunities. With some form of subjectivity, the narrator transcribes these images as representatives of the fight for survival.

He describes the fierce battle, the constraining conditions through which they must go through. For example, they had to ensure they paid monthly installments to a money lender, who they had never laid eyes on but who had at his disposal, an army of slaves who helped him collect his payments. It is metaphoric. The factor of insecurity begins to appear.

The narrator also takes us by the hand, leading us through the town of Hillbrow. This town reminds me of a story that my best friend likwérékwéré* told me. He described it from his state of being a foreigner but of African descent, who almost lost his life on a side walk. Here we see that, Kgebetli Moele, narrates without mercy, the issue of Xenophobia, through the lips of Zulu-Boy.

I think that beyond the unattached style of the writer-which resonates through the discussion of these young men, the high point of the novel is the final exit from room 207. Their exit from comfort and then from Hillbrow-which most of them abhor. Kgebetli Moele succeeds in taking the reader to space where he is confronted by the terrifying reality of life.

In the same space, same breeding ground, some find their way and others perish. It is heart-breaking, touching …it is today’s South Africa…it is life. It is good literature.

Now, let us talk about the carnal relationship that exists between JoBurg, Hillbrow and its residents:

Welcome to Johannesburg. This time you really felt it. Your blood has been poured and mixed with its sands. You are now in perfect sync with the town. Your blood runs in its veins and it also runs in your blood.

Translated by Onyinyechi Ananaba

Room 207, Kgebetli Moele – published in 2007 by Kwela Books –Translated to French by David Koënig, in 2010, 269 pages


 

Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako

Parmi les favoris pour la Palme d'Or au Festival de Cannes, nominé aux Oscars dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère, raflant 7 trophées aux Césars 2015, avec Timbuktu, Abderrahmane Sissako a marqué l'année 2015 de son empreinte géniale. Loin des sirènes un peu lourdes, connaissant déjà le travail de ce réalisateur rigoureux dont l'Afrique des idées avait déjà croqué l'excellent Bamako dont le spectateur exigeant n'oubliera pas les larmes d'Aïssa Maïga ou les plaidoiries alter-mondialistes de Maître William Bourdon contre les institutions financières internationales, à savoir le FMI et la Banque Mondiale. L'élégant mauritanien au port altier ne prend pas sa caméra pour ne rien dire.

Parlons de Timbuktu

Quel magnifique film! Naturellement, je vais devoir développer ce propos afin de le justifier. D'abord sur le fond. Je l'ai dit plus haut, Abderrahmane Sissako fait partie de ces rares personnalités capables de produire un discours sur des sujets extrêmement divers et sensibles sans tomber dans les lieux communs. Dans Timbuktu, il nous fait toucher du doigt l'occupation par des djihadistes d'une ville aux abords du Sahara qui pourrait être Tombouktou. Le film a été tourné à Oualata, en Mauritanie, pour des raisons de sécurité que l'on peut aisément comprendre. Il débute avec un homme masqué circulant dans la ville avec un haut parleur déblatérant les nouvelles consignes du pouvoir islamiste en place. Pas de musique, pas de tenues vestimentaires non conformes à leurs préceptes, pas de football, etc. Le ton est donné. Plusieurs personnages vont faire l'objet d'une focale par le réalisateurs : les leaders djihadistes, une famille touareg vivant dans une tente hors de la ville, un pécheur, des jeunes de la bourgade, l'imam de la cité saharienne, une folle haïtienne… Si l'occupation et la radicalité de son expression s'abattent sur le quotidien d'une population qui a du mal à en comprendre les ressorts, Abderrahmane Sissako y évoque également des conflits séculiers comme le rapport difficile entre les nomades et les sédentaires, la question de l'exil, la destruction de toute forme de repères culturels, le dialogue profond entre musulmans remarquablement mis en scène entre l'imam et les frondeurs djihadistes.

Le regard de Sissako
La force de ce film est avant tout dans la manière avec laquelle Sissako fait son observation. Taiseux, observateur comme j'ai pu le percevoir lors de ma discussion avec lui au théâtre de Nanterre-Amandiers, Abderrahmane Sissako déploie un regard qui ne juge pas. Il ne cède pas à la facilité du manichéisme. Ils montrent des hommes dans leurs contradictions sans forcer le trait pour appuyer un message. Il conte les petits espoirs dans un univers exotique loin de tout à priori, mais connecté au reste du monde. Via le satellite. Il choisit de s'attarder sur une famille touareg. Un homme. Une femme. Une fille. De l'amour. Un troupeau. Et des questions. Au travers de la caméra de Sissako, la logique impitoyable des islamistes interroge et frappe toutes les communautés. Partir ou pas et comment? Ce portrait est, à la fois, touchant et ambigu. Car le père de cette famille ôte une vie suite à une rixe banale. L'orientation donnée à la solitude de cet homme mérite un arrêt sur images.

Un autre aspect du film touche aux hommes en armes. Ici, l'absurde est le moyen par lequel Sissako critique cette prise d'otages. L'adhésion au projet collectif est loin d'une évidence pour les miliciens qui dirigent la cité. Le sous-bassement de la doctrine est compris par un cercle restreint dont certains membres ne sont pas investis par les vertus et les valeurs qu'ils pronent aux populations qui leurs sont soumises. La vision de ce Tombouktou, au départ étonnante, finit par être littéralement terrifiante.

Le désert
On peut se montrer critique sur le scénario. L'enchaînement de certaines séquences, l'entremêlement des différentes tranches de vie n'est pas l'élément le plus intéressant de ce film. Certaines figures auraient gagné à être plus développées. Mais, ce que je retiendrais de ce film, c'est le désert et cette famille tamashek. Je n'oublierais pas ce petit berger qui n'arrive pas à tenir son troupeau. Scène à la fois cocasse et dramatique. Il y a beaucoup d'amour dans la manière avec laquelle Sissako filme ces deux points. Il nous offre un dépaysement total, introduit une sorte de prise de recul proposé au spectateur. Il y a des tranches de vie très différentes. Mais riches. Il nous laisse aussi sur le désespoir d'une vie lâchée dans le désert. Touchant. Magnifique. Un film qui m'a replongé dans ma récente lecture d'Ousmane Diarra. Un dernier petit mot pour signaler la présente de la chorégraphe haïtienne Kettly Noël. Figure de la place culturelle à Bamako, sa présence, sa force, sa folie traduit bien une volonté de rupture et de résistance.

Lareus Gangoueus

Nafissatou Dia Diouf ou la délicieuse utopie d’un nouvel accompagnement du patient

Posons le décor, évitons les introductions rébarbatives, décrivons les vibrations en nous générées par ce roman étonnant forgé par la très belle plume de la sénégalaise Nafissatou Dia Diouf. Posons le décor. La Maison des épices est un fort, un ancien comptoir bâti sur une haute falaise en pays sérère. Nous sommes au Sénégal. Dans un lieu chargé par l’Histoire, où par vagues successives des aventuriers, des militaires, des commerçants hollandais, anglais, français ou portugais y ont entreposés pacotilles, épices, esclaves en partance pour les Amériques, une équipe de médecins sénégalis décident, sous la férule d’une jeune femme déterminée, de reconstruire ce site à l’abandon pour y soigner des malades. Le docteur Aïssa N’Daw a pris le parti de réunir des philosophies de restauration physique et psychique différentes : la médecine traditionnelle sénégalaise et la médecine moderne. Ce cadre expérimental est un lieu où le malade, le sujet ne se résume pas à un lit, à un chiffre, à une donnée rentable.

C’est dans ce contexte qu’un chirurgien de renom, ayant fait ses classes en Loire-Atlantique, débarque avec un patient amnésique. Le docteur Yerim Tall. Quand commence le roman de Nafissatou Dia Diouf, ce médecin découvre l’équipe et l’esprit de la Maison des épices. Il est préoccupé par l’état de son patient. Ce chirurgien est dans une phase de rupture. Pourquoi est-il là, dans ce coin certes exotique, mais loin des grandes salles de chirurgie où, à coups de scalpel, il pourrait développer une carrière prometteuse. Le lecteur sent qu’il revient de loin et qu’il est lui même en reconstruction. Toute l’intelligence de la romancière sénégalaise va être de dévoiler progressivement, subrepticement les zones d'ombre et l'entêtement de cet intellectuel dont des éléments de vie lui échappent.

Vol au dessus d'une falaise

Etrangement, ou par un formidable concours de circonstance, j’ai revu hier le remarquable film du

cinéaste tchèque Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou. Et il est difficile de ne pas faire le lien entre les deux oeuvres artistiques. Certes, la maison des épices n’est pas, à proprement parlé, un asile psychiatrique. Mais, on retrouve dans ce roman la thématique de l’enfermement, les thérapies innovantes pour traiter les patients. Là s’arrête la comparaison. Nafissatou Dia Diouf propose une réflexion portée par un idéalisme prenant où médecins et guérisseurs travaillent dans une harmonie relative pour le bien être des patients. Harmonie relative, car, et c’est là toute la force du roman de la sénégalaise, elle arrive à brider ses personnages pour ne pas trop parfaire leurs rapports et rendre envisageable cette utopie. Ce roman pose des questions sur l’implication du médecin et, par de là l’individu, celle de l’institution dans le traitement du malade et la possibilité de créer un cadre cathartique pour la libération de l’individu. Et cette question passe au-delà de l’absence de finance qui est brandi par nombre de pouvoirs publics africains pour expliquer la déliquescence des hôpitaux hérités de la période coloniale.

Thérapie et mémoire

Au centre de notre roman, il y a ce personnage amnésique. Sans prénom. Sans nom. Sans histoire. Enfin, si. Une histoire dermique puisqu’il est métis. Qui est-il? Lui. Lui… Louis. Il vous appartient de découvrir la reconstruction délicate de ce jeune homme ayant perdu la mémoire en lisant l'ouvrage. Il est difficile de ne pas avoir une seconde grille de lecture. L’amnésie de Louis dans un lieu chargé d’histoire tue, ignorée, passée sous silence a quelque chose de délicieux. En lisant l’enfermement puis la possible renaissance du personnage, il est difficile de ne pas s'interroger sur le rapport qu’a le Sénégal aujourd’hui, mieux le Sénégalais, avec le passé. La Traite négrière et ses comptoirs. L’Ile de Gorée. Quels rapports ont les Sénégalais avec ce lieu d’histoire? Quel rapport ont-il avec le passé colonial? Avec Saint-Louis? Avec la soldatesque sénégalaise au service de la conquête coloniale du continent et de Madagascar? Louis est possédé. L’amnésie finit par être un refuge. Affronter les monstres, les crimes est trop douloureux. L’intervention d’un personnage inattendu, improbable, un peu comme Jack Nicholson dans le film cité plus haut, va permettre des possibilités nouvelles pour le jeune homme.

C’est quoi le bonheur?

Nafissatou Dia Diouf conduit le lecteur dans une quête existentielle. Pour ranimer la mémoire de Louis, l'entourage tente de donner un sens à la vie. Les développements qu’elle propose sont intéressants et sans aucune prétention. Elle déploie de très beaux échanges entre Louis et un personnage « joker » sur la spiritualité et le bonheur. Des questions extraites de l'adolescence qui font terriblement sens quand on réalise comment certains, aujourd'hui, profanent la vie, d’autres ont perdu tout goût à la vie. C’est un formidable roman écrit dans un style certes classique mais également parfaitement léger. La profondeur donnée à certains personnages est vraiment un plus. Je retiendrai particulièrement de cette lecture, le bonheur et la passion du Dr Aïssa N'Daw acquis dans son acharnement à remettre le patient au coeur d'un système de santé alternatif.  Belle découverte, je vous souhaite en pays sérère, la terre de Senghor. 

LaReus Gangoueus

La maison des épices, Nafissatou Dia Diouf  – Editions Mémoire d'encrier – Première parution en 2014

« Nafi Photo » par Pascal Boissiere — Travail personnel. Sous licence GFDL via Wikimedia Commons – 

Kgebetli Moele : Chambre 207

Au moment où commence la rédaction de cette chronique, force est de constater que ce livre initie plusieurs ravissements et questionnements à mon niveau. Pour de multiples raisons qu’il serait trop long d’expliciter, l’observation de cette couveuse installée sur la rue Van der Merwe, quelque part à Hillbrow, le fameux quartier de Johannesburg où sévit une violence unique sur le continent africain, cette obsevation disais-je, fut passionnante. Quartier dortoir, mal famé que ses habitants nomment pourtant la cité des rêves.  

Chambre 207, une couveuse 

Six jeunes sud-africains noirs, produits de la période post-apartheid, cohabitent dans une petite chambre miteuse, quelque part dans un immeuble d’Hillbrow. Ils occupent la chambre 207. Pour la plupart, ce sont des éléments rejetés de la grande université Witwatersrand de Johannesburg. Une sortie de route qui, pour nombre d'entre eux, est le résultat des contraintes pécuniaires lourdes imposées pour terminer un cycle d'études. Les ressources intellectuelles ne suffisent pas pour vous venir à bout du mastodonte universitaire censé vous faire toucher les étoiles et exploser le plafond de verre de cette société sud-africaine. Le personnage narrateur raconte en début de texte les profils de ces différents pensionnaires. Tous ne sont pas, cependant, des étudiants désabusés. Ils sont aussi, ethniquement parlant, une vision de cette Afrique du Sud plurielle. Même s’ils sont tous noirs. Sotho. Pedi. Zoulou. Tswana. Il n’y a pas de xhosa, élément intéressant puisque ceux-ci sont l’incarnation du pouvoir politique, valet de la puissance économique blanche. Pour rappel, le livre est paru en 2007 sous le mandat de Thabo  Mbeki.  Cette cohabitation est heureuse. Le dieu Isando règne sur les beuveries consolatrices. Comme toute jeunesse instruite, les pensionnaires de la chambre 207 refont l’Afrique du sud sans misérabilisme, sans désignation d’un coupable à leur sort.

Introspection d’une jeunesse sud-africaine qui se cherche

C’est en effet assez surprenant. Je réalise, en écrivant cette chronique, qu’à aucun moment, Kgebetli Moele ne fait porter au poids lourd du passé, la responsabilité de la situation de ces colocataires fantasques et épicuriens. Chose d’autant plus étonnante, car quand on lit John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, dans son désormais célèbre roman Disgrâce, les lourdeurs de l’apartheid sont particulièrement marquantes et la peur du lendemain est certaine. Nos anciens étudiants se questionnent sur la condition du Noir (débat singulier sur le continent africain), sa violence, son autodestruction. Aucune histoire ne justifie que des hommes violent un bébé de trois mois, laissent pourrir leur quartier, tirent sans raison sur une foule en liesse lors d’une soirée dansante. Du moins, c'est ce qu'ils se disent sans trop d'illusions. C’est en cela que Kgebetli Moele fait de la bonne littérature et fait des joyeux lurons de cette chambre, des personnages auxquels on peut s’identifier.

Précarité et confort

Il ne sera pas question ici de vous décrire ces personnages que sont Modishi, Molamo, Matome, D’Nice, Zulu-Boy et le narrateur Noko. Chacun cherche des opportunités avec les valeurs qui les guident. Le narrateur tente avec une certaine subjectivité de retranscrire ces figures incarnant une lutte pour la survie. Un combat féroce. Il décrit aussi les contraintes auxquelles ils sont tous soumis. Comme celle, très simple, de faire face aux échéances mensuelles d’un bailleur qu’on ne voit jamais mais qui possède à sa solde une armée d’esclaves pour récupérer son dû. C’est à peine métaphorique. La précarité sied. Le narrateur nous prend par la main pour nous faire marcher dans Hillbrow. Une ville que je me représente comme celle que m’avait décrite mon meilleur ami, likwérékwéré* de son état, comprenez étranger d’origine africaine, qui a failli y laisser sa  vie sur un trottoir. Kgebetli Moele aborde la xénophobie sans état d’âme de cette jeunesse par la bouche de Zulu-Boy.

Je pense que l’élément fort de ce roman, en dehors du style détaché, adapté au discours de ces jeunes, est finalement la sortie de la chambre 207, d’une zone de confort, et finalement d’Hillbrow que certains d'entre eux abhorrent. Et Kgebetli Moele réussit le tour de force de faire passer le lecteur dans une forme de réalité terrifiante. Un même espace. Une incubation commune. Les uns trouvent une voie. D’autres périssent. C’est poignant. C’est touchant. C’est une Afrique du Sud d’aujourd’hui. C’est la vie. C'est de la très bonne littérature.

A propos de cette relation charnelle qui lie JoBurg, Hillbrow à ses habitants :

Bienvenue à Johannesburg. Cette fois tu l'as vraiment sentie, ton sang a été versé et s'est mélangé à son sol. Toi et la ville êtes maintenant en parfaite connexion l'un avec l'autre. Ton sang coule dans ses veines et elle coule dans ton sang. 

Lareus Gangoueus

Chambre 207, Kgebetli Moele – Titre original Room 207 paru en 2006 chez Kwela Books -Traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par David Koënig, en 2010, 269 pages

Ousmane Diarra, l’interview d’un romancier déterminé

#Rentréelittéraire2004 A l’occasion de la parution de son nouveau roman La route des clameurs aux éditions Gallimard, l'écrivain Malien Ousmane Diarra a bien voulu répondre à nos questions. Découvrez cet auteur étonnant et passionnant basé à Bamako qui nous avait, pendant la crise Malienne, gratifié de son regard sur la situation.
 
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, bonjour !
Vous êtes l’auteur de plusieurs romans parus aux éditions Gallimard. Pouvez-vous vous présenter aux internautes fréquentant le blog littéraire Chez Gangoueus ?
 
Ousmane Diarra : Je suis Malien, né à Bassala, un village Bambara du Mali. J’ai perdu mes parents à l’âge de deux ans. Ceci explique en grande partie mon amour de l’écriture, laquelle est devenue ma confidente aussitôt que j’ai appris à écrire et à lire. Imaginez si je devais, oralement confier à ma mère tout ce que j’avais à lui confier quand j’étais petit, mes joies comme mes peines ! On m’aurait sans doute pris pour un fou. Alors, je les écrivais et me les relisais.
 
 Je ne veux pas dire par là que personne ne s’est occupé de moi. Mes oncles et mes tantes et bien d’autres personnes, de mon village à Bamako, m’ont pris en charge et sont bien occupés de moi. Vous connaissez la solidarité africaine. Ce n’est pas un vain mot pour moi. Je lui dois tout.
Cependant, il y a, dans la tête d’un orphelin qui n’a pas connu ses parents, même pas en photo, un grand point d’interrogation tellement intime qu’il ne peut le confier qu’à l’écriture. Oui, l’écriture et la lecture sont devenues mes parents adoptifs et spirituels. Sans aucune exagération.
J’ai publié des romans aux Editions Gallimard, mais aussi des nouvelles, de la poésie et des livres pour enfants au Mali et en France, dont certains sont traduits en anglais et en suédois.  Je continue de raconter des histoires aux enfants, à l’Institut français du Mali comme à la maison. J’adore les contes. Avant l’écriture, ils ont nourri mon imagination et ma sensibilité.
Je vis donc au Mali, travaille au Mali. Je suis professeur de Lettres de Formation, bibliothécaire de métier. Je voyage souvent pour parler de ma littérature.
 
#Afriquedesidées :
Quand on observe la collection Continents noirs de Gallimard où paraissent vos romans, force est de constater que peu d’auteurs basés en Afrique y sont publiés. Quelle est l’histoire de votre rencontre avec ce prestigieux éditeur?
 
Ousmane Diarra :
Le Directeur de la collection, Jean-Noël SCHIFANO, est un homme formidable, expérimenté, fin connaisseur de la psychologie des auteurs. Je veux dire fin pédagogue.  Dès qu’il a reçu et lu le manuscrit de « Vieux lézard », mon premier roman, il a commencé par me féliciter et m’a promis de le publier. Il l’a fait. Et il ne s’est pas trompé car à sa sortie, le roman a été très remarqué. Ce fut la même chose pour ceux qui ont suivi. Il sait encourager, guider, conseiller ses auteurs. Il les aime. On est des frères, des confrères, des copains. C’est le bon éditeur qui forme le bon auteur. Jean-Noël Schifano est un professionnel.
 
#Afriquedesidées
Nous allons naturellement aborder le contenu de votre nouveau roman dont le titre est singulier :  La route des clameurs. Pouvez-vous nous parler du choix de ce titre?
 
Ousmane Diarra
Dans un chapitre du roman, le jeune narrateur fait un cauchemar. Avec son père, au milieu d’une immense foule d’hommes, de femmes, d’enfants de toute la planète terre, ils font face aux juges suprêmes du Jugement dernier. Il y a deux routes, l’une, celle du Jardin des délices éternelles, conduit au paradis, tandis que l’autre, La Route des Clameurs, conduit à l’enfer. C’est là donc que vient le titre du roman. 
 
#Afriquedesidées :
Vous avez choisi de traiter dans ce roman un sujet particulièrement sensible, dans le feu d’une actualité que vous abordez avec beaucoup de recul. Pouvez-vous revenir sur ce qui a déclenché l’acte d’écriture sur la question du djihadisme et de l’épisode de la rébellion islamiste au Mali?
 
Ousmane Diarra :
Ousmane Diarra – Photo Catherine Hélie / Gallimard
Dans mes nouvelles comme des mes romans précédents, je n’ai pas arrêté d’attirer l’attention sur la montée de l’islamisme intolérant au Mali comme dans la sous-région. Tout commence par la violence verbale dans les prêches, à la radio, à la télévision et ensuite les places publiques ont été prises d’assaut par les prêcheurs incultes, qui insultent tout le monde, enseigne la haine dans la société, la haine contre les non-musulmans qu’ils appellent les cafres, la haine contre ceux qu’ils appellent les « mauvais musulmans », lesquels ne sont autres que les musulmans modérés, qui respectent les autres confessions. Cet islam soudanais que nous connaissons jusque-là, où les imams et les « tontiguis » (adeptes des religions traditionnelles) coexistaient pacifiquement. J’ai donc vu tout cela changé, jusqu’au déclenchement du nouveau jihadisme.  Je savais que cela allait arriver. J’en ai parlé dans « Pagne de femme » où j’ai décrit jusqu’au coup d’état qui allait créer le chaos et précipiter la chute des trois régions entre les mains de islamistes dont la majorité est composée d’étrangers.
 
Ce qui a donc déclenché l’écriture de « La route des clameurs », c’est la douleur de cette invasion du Mali, la destruction de notre patrimoine humain, culturel, historique, celle des liens séculaires qui nous unissaient, liens humains… C’était comme si, encore vivant, je sentais tout mon être, tout mon corps partir en lambeaux. J’avoue que je ne dormais presque plus, de douleur et de colère. Car voilà que malgré notre islam presque millénaire, d’autres venaient nous dire que nous n’étions pas assez musulmans et prenaient cela pour prétexte pour détruire notre pays, le démembrer, le dépecer. Il ne s’agit pas d’islam mais d’une nouvelle entreprise coloniale qui ne dit pas son nom, d’une invasion impérialiste sous le couvert de l’islam, doublé d’un mépris souverain pour tous nos oulémas, pour tous nos cadis, pour tous nos imams, ceux présents comme ceux du passé. Une négation de tous ceux que nos ancêtres ont faits pour que soyons aujourd’hui là, avec des pays, avec des civilisations. Nous sommes redevenus ces « sauvages » à civiliser au sabre !
 
#Afriquedesidées :
Votre écriture porte à la fois une distance au travers du ton à la fois ironique et plein d’humour de votre personnage narrateur et en même temps une sourde colère que l’on peut également ressentir au fil des pages. Est-ce là le résultat d’une tension entre l’actualité brulante et la tentative de prise de distance du romancier?
 
Ousmane Diarra :
Exactement. Mais cela vient aussi de ma culture. Même dans le malheur, nous savons tellement nous moquer, tant de nos sicaires que de nos propres défaillances. Cela permet d’éviter de sombrer dans le désespoir, lequel est improductif.  
 
#Afriquedesidées :
L’Islam est au coeur de ce roman, du moins sa prise en otage par une frange de fondamentalistes et d’intégristes portant un projet politique. Une prise de parole qu’on imagine complexe quand on est Malien et qu’on habite à Bamako?
 
Ousmane Diarra :
Je pense que tout homme a un devoir envers son pays et envers l’humanité tout entière : savoir dire non à l’imposture, quel que soit ce que cela peut lui coûter. Je parle surtout aux jeunes. Car c’est eux qui servent de chair à canon et le seront dans le futur si l’on ne les aide à ouvrir les yeux. On leur prendra leur terre, on fera d’eux des esclaves soumis. Beaucoup le sont d’ailleurs déjà, des enfants talibés devenus esclaves au nom d’Allah. C’est terrifiant. Déjà, les jihadistes recrutaient parmi eux. Tout le monde le sait. Il faut aider la jeunesse à avoir de l’esprit critique pour échapper aux marchands d’illusions de tout bord. 
Quant aux conséquences pour ma modeste personne, franchement, ça ne m’intéresse pas. Ma petite vie ne vaut pas mieux que celle des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes, civils comme militaires, qui ont payer et continuent de payer de leur vie en combattant ces envahisseurs immondes.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous revenir sur le concept des gamins imams qui est traité dans la première partie de votre roman et que vous semblez avoir observé au Mali. Que traduit-il?
 
Ousmane Diarra :
Je vous réponds par la voix d’un de ces gamins imams de Bamako, qui, il n’y a pas si longtemps que cela, se vantait de posséder une voiture de marque V8, se comparant  à vieil imam aujourd’hui décédé qui, malgré sa notoriété et la vénération par tout le Mali, n’a jamais possédé une voiture. Pourtant, cet homme que j’ai connu à la radio, à la télé et que j’ai rencontré personnellement, a réussi, pacifiquement et par ses grandes qualités humaines, à faire adhérer à l’islam des milliers de maliens animistes. Je ne l’ai jamais entendu traiter les non-musulmans de « cafres ». C’était un homme pieux, dont les portes étaient ouvertes à tout le monde. C’était un saint, celui-là, qui ne prêchait que la paix et la fraternité entre tous les hommes.
Les Gamins imams dont je parle sont ces jeunes incultes qui sont partis glaner quelques sourates dans les pays du Golfe, qui ont en même temps amassé beaucoup d’agent et sont revenus au pays avec la mission de ré islamiser leurs compatriotes à coup de sabre s’il le faut. Ils sont totalement incultes, tant de l’islam qu’ils prétendent défendre que de leur propre culture. Ils sont incultes et immatures. Ils sont tout sauf des hommes religieux. 
 
#Afriquedesidées :
Nous avons le sentiment qu’il s’agit d’un roman à la fois sur les désillusions autour de l’exercice du pouvoir temporel qui corrompt quelque soit l’idéologie « vertueuse » qui sous-tend ceux qui prétendent l’appliquer?
 
Ousmane Diarra : 
C’est ce que je viens de dire. Ceux-là dont je parle dans mon roman sont à la conquête du pouvoir temporel. Ils veulent y arriver par tous les moyens, surtout en se servant de l’islam. Ils sont violents, arrogants et veules. Ils terrorisent les populations par leurs prêches, les abêtissent par des faibles et les détournent de leurs préoccupations terre à terre : travailler dur pour se libérer de la faim et de la maladie, travailler dur et étudier pour que l’Afrique sorte de l’ornière. 
 
#Afriquedesidées :
Votre personnage narrateur est un pré-ado qui porte à la fois son regard sur deux figures de l’autorité : celle de son père, un artiste-plasticien qui n’entend ne point céder aux allégeances du pouvoir en place et la bien-pensante du milieu, celle du Mabu Maba, le calife, autorité de l’état. Que représentent ces deux figures pour vous?
 
Ousmane Diarra : 
Pour parler court, la figure de l’artiste-plasticien est celle d’une Afrique débout, lucide, courageuse qui se bat pour sa place au monde. Et ne désespère jamais.  Une Afrique s’affirme, qui, malgré les vicissitudes de l’histoire, malgré les douleurs présentes, refuse de se prosterner, de se prostituer. Parce qu’elle croit en sa victoire sur l’adversité. 
C’est aussi celle, partout au monde, de l’artiste, de l’intellectuel intègre et intransigeant sur les principes d’humanité.Partout où sévit la violence aveugle et la barbarie, où sévit le mensonge, il faut qu’il y ait des femmes et des hommes qui osent dire non. Même si c’est au péril de leur vie. C’était le cas pour le Mali, cela reste le cas au Mali et bien d’autres pays d’Afrique et du reste du monde. 
Quant au faux Calife Mabu Maba et ses mille épithètes, c’est celle de tous ces larrons de toutes engeances, leaders religieux, politiques, d’opinion,  qui profitent de la crédulité, voire de la naïveté des peuples africains pour brader l’Afrique à vil prix et se forger un destin. Sans parler des profits bassement matériels qu’ils tirent de ce commerce immonde. Il y en a eu dans le passé, il y en a de nos jours encore.
 
#Afriquedesidées :
Dans ce livre, il est également question de la transmission. La figure de père instruit empêche sûrement le jeune Bassy d’être un enfant soldat comme les autres. Comment l’éducation peut-elle être un moyen de lutter contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux?
 
Ousmane Diarra :
Vous avez, j’impute moins les malheurs de l’Afrique à sa pauvreté matérielle qu’au déficit de l’éducation, surtout celle qui a suivi l’imposition de certaines mesures par le FMI et La Banque mondiale à partir des années 1980. Lesquelles mesures ont sauvagement frappé l’éducation publique, républicaine, laïque et obligatoire dont ma modeste personne est le fruit. Une jeunesse bien éduquée, bien instruite, c’est la plus grande source de richesse du monde, mais quand elle reste dans l’ignorance et l’obscurantisme, c’est une redoutable bombe que n’importe quel marchand d’illusions peut utiliser. Quand s’y ajoutent la misère matérielle et le désespoir, gare au chaos généralisé !
 
#Afriquedesidées :
Quels sont vos auteurs référents en littérature? Il y a un parti pris remarquable au niveau du style et de l'écriture dans ce roman La route des clameurs. Au delà votre propre voix, l'écriture d'un autre auteur vous a-t-elle influencée ?
 
Ousmane Diarra
Vous savez, j’ai beaucoup lu dans ma jeunesse.  Je continue d’adorer lire, et de toutes les littératures du monde. J’ai aimé le style de « Le bruit et la fureur » de William Faulkner. J’ai  aimé le style et le personnage  d’Albert Camus dans « L’étranger » ; « L’anté-peuple »  de Sony Labou Tansi, « Le devoir de violence » de Yambo Ouologem ;  la beauté et la simplicité du style d’Alain Mabanckou  dans « Mémoires de porc-épic », Massa Makan Diabaté dans sa trilogie de Kuta, Ahmadou Kourouma dans « Le soleil des indépendances », Thierno Monenembo… Sans oublier les contes et les fables que je raconte aux enfants depuis 1994. La liste est donc longue. Je ne sais pas qui m’a influencé.
 
#Afriquedesidées :
Pouvez-vous nous recommander trois lectures pour terminer cette interview?
 
Ousmane Diarra :
Pour ne pas faire de jaloux, passons outre les grands classiques et les écrivains contemporains de langue française ! 
Je citerai donc :
« Le tigre blanc » de l’Indien Aravind Adiga
« L’immeuble Yacoubian » de l’Egyptien Alaa El Aswany
« Syngué Sabour : la pierre de patience » de l’Afghan Atiq Rahimi.
 
#Afriquedesidées :
Monsieur Ousmane Diarra, merci !
 
Ousmane Diarra
C’est à moi de vous remercier.
 
Propos recueillis par Laréus Gangoueus
 
 

Tram 83, une version congolaise du saloon

fiston_tram83Tram 83, le premier roman du Congolais Fiston Mwanza Mujila est un texte original, ambitieux, jubilatoire, complexe avec un ancrage dans une de ces grandes villes minières du Far East de la RDC. Des personnages à foison, une atmosphère chaleureuse, licencieuse malgré des conditions de vie extrême, et un poste d'observation : le Tram 83.

Le tram 83, c’est le saloon d’antan !

Effectivement, cette idée du saloon qui a bercé enfance et adolescence de beaucoup est ce point de connexion dans chaque ville du Far West où pionniers, aventuriers, mercenaires, filles de joie, pasteurs se retrouvent. Il est l’angle d’attaque dominant dont use l’entertainment américain pour conter le Far West, car observer les rassemblements presbytériens dominicaux fut rarement bankable dans le cinéma américain. Mais, me direz-vous, quel rapport avec le Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila ? C’est tout le génie de ce jeune romancier qui le temps d’un roman observe au travers d’un train désaffecté, lieu de luxure dans une ville-pays, les faunes qui côtoient, se rudoient, se fourvoient dans ce tram glauque et festif : Filles-mères, canetons, affreux, touristes à but lucratif, prophètes, creuseurs, éditeur, etc. Nous sommes dans une ville minière potentiellement riche, détachée de la tutelle du pays initial, sous la férule d'un général dissident qui gère selon ses désirs et sa prédation la cité minière. Dans cet espace où le Tout-monde vient excaver les métaux précieux, la nuit venue, une populace bigarrée se retrouve au Tram 83 pour écouter du jazz, manger des brochettes de chiens, se mélanger car qui sait de quoi est fait le lendemain ?

 

Requiem, le cow-boy truand – Lucien, l'écrivain austère

Naturellement, ce qui fait un bon roman, ce n’est pas le décor, mais les personnages que l’on place sur une scène et la vérité dont on peut extraire la substance de leurs actes. Quoi de mieux que deux amis, deux anciens étudiants d’une même promotion, qui occupent une même chambre. Le premier , Requiem, est devenu un mercenaire, un opportuniste qui use de tous les moyens pour se faire du fric et développer des moyens de pression sur ceux qui l’entourent. C’est un homme entre-deux en quête avant tout de reconnaissance. Truculent, charismatique. Fourbe. Pathétique ? Pas de jugement de lecteur. A chacun de se faire une idée. Lucien, lui, est la figure du scribe plongé dans la fournaise de ce monde sans repère. Licencié en histoire, il est romancier et tente tant bien que mal d’écrire et de faire diffuser un théâtre-conte qui mettrait en scène des figures mondiales… Il est une figure radicale, voire messianique dans ce monde corrompu et décadent. L’écrivain messie. Posture entendue.

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Un creuseur – copyright Fairphone
Réflexion sur la littérature et sa place dans une société déstructurée

Fiston Mwanza Mujila pose un regard très lucide sur la place d’un intellectuel dans une société sans repère. Il poursuit une réflexion déjà sienne sur les moyens originaux que l'écrivain pourrait prendre  pour faire entendre un discours, le faire circuler. Il pose la question de la réception de ce discours, quand la préoccupation première des individus est de manger, de survivre. La radicalité de Lucien reste toutefois une forteresse, une muraille face à la flexibilité des corps et des consciences. On pourrait même penser ​que sa prise de parole est vaine et parfaitement inutile. Mais la destruction de son travail par d’affreux militaires peut raisonnablement faire douter de l’insensibilité du pouvoir public face à un discours ayant directement prise avec la rue ou le cabaret. Naturellement, Lucien nous renvoie au sujet éculé de la solitude et de la marginalité de l’écrivain. Mwanza Mujila se défend de toute tentative d’identification. Il est plus malléable que son personnage.

Intertextualité et influences stylistiques

Comme toute bonne œuvre, Fiston Mwanza Mujila met son texte en lien avec d’autres auteurs. Il appartient au lecteur d’être vigilants. L’approche des canetons et filles de joie faite de « Vous avez l’heure ?» répétitifs renvoie à une nouvelle du même titre de Sami Tchak pour citer cet exemple. Et si on devait parler du style, comment ne pas penser à des romans de Sony Labou Tansi comme Les sept solitudes de Lorsa Lopez ou La vie et demie ? La farce, la théâtralité des séquences font de ce roman, renvoie à l'auteur d’outre-Congo. Il faut partir de quelque part, mais Mwanza Mujila possède un univers singulier attaché, ancré dans cette ville de Lubumbashi et une invitation à découvrir le Far East congolais sans complainte, sans misérabilisme, avec jazz et actualit;és. Toujours sur l’écriture, l’auteur lushois, il y a aussi cette imbrication des dialogues qui les transforme en multilogue. Il y a un refus d’intimité dans cet espace bondé où chacun raconte ses galères, drague, négocie, complote. Fiston restitue aussi merveilleusement cette promiscuité étouffante se traduisant par cette multiplicité des dialogues.

Bref, une plongée remarquable au coeur du Congo d'un écrivain total qui incarne avec Marius Nguié, une nouvelle génération de romanciers africains.

Laréus Gangoueus

Léonora Miano : Sur la question de la construction d’un nouvel individu africain

Miano

Il est parfois bon, voir salutaire de revenir sur un excellent roman. En l’occurrence Contours du jour qui vient de la romancière camerounaise Léonora Miano auréolée pour ce chef d’œuvre du Prix Goncourt des lycéens en 2006[1]. Un texte remarquable tant dans sa forme que sur le message dont il est le vecteur.

Musango qui en est le personnage principal s’exprime à la première personne du singulier. Elle a 12 ans. Pré pubère donc. Mais son itinéraire de vie est tel que par la maturité de son discours, le lecteur ressent intensément le fait d’une enfance volée et violée. Quelque part au Mboasu, cet état imaginaire mais ô combien réel d’Afrique, la jeune fille a été désignée par un charlatan comme étant l’instigatrice des malheurs qui s’abattent sur sa mère. Elle serait donc un enfant sorcier.

La misère morale et sociale dans laquelle cette mère, cette femme végète, semble dicter la violence extrême qu’elle laisse déferler sans retenue sur sa propre fille. Musango, drépanocytaire comme sa génitrice, constitue le reflet de l’échec de son arrimage manquée à une autre condition de vie, l’image de son ascension sociale loupée. Elle livre sans remord sa fille à l’âpreté de la rue.

Le parcours de Musango qui fait suite à ce rejet est insolite. Nous vous laissons le soin de le découvrir. Il donne une force singulière au  regard  scrutateur qu’elle pose sur  sa mère, sur des femmes en quête d’opportunité, sur la société du Mboasu. Il est surtout l’occasion de voire éclore une nouvelle personnalité, avec de nouvelles références.

Musango porte un regard acerbe sur toutes les formes de croyances qui construisent sa communauté et qui induisent, des choix personnels ou collectifs difficiles à concevoir quand on ne se plonge pas complètement dans ce contexte culturel. L’animisme et les peurs sourdes qu’il continue d’inoculer, les nouvelles doctrines des églises dites de réveil ou la logique violente de la rue. Le constat d’une perte de repère est patent lorsque Miano s’exprime sur le rapport à la production et celui à la terre :

Elle est vivante. Sa parole de craquements et de crissements me parvient pour faire entendre qu’elle était souveraine. Les humains pactisaient avec elle, avec les bêtes féroces dans lesquelles elle matérialisait sa puissance, afin de se rendre accessible à leur entendement. Chaque famille avait un totem, un animal dont l’esprit la protégeait, et qu’elle ne pouvait manger au risque de tomber malade ou de mourir. A présent, la brousse n’est plus qu’un corps qu’ils mutilent de la pointe acérée de leurs couteaux, pour lui soutirer des écorces ou des herbes, sans prendre la peine de la remercier pour ses dons. Lorsqu’ils en invoquent les forces, ce n’est plus pour leur demander de les relier au Suprême, mais seulement pour obtenir de quoi se remplir la panse.[2]

C’est la spiritualité des personnages qui environnent Musango qui est principalement interrogée. Une approche où il est fait le constat d’un désir insatiable de consommer, d’acquérir un statut social par tous les moyens. Une approche où l’on observe une déshumanisation des rapports latéraux. Le père de Musango l’exprime très bien. Il n’y a plus de collectivité, seulement de la rancœur, de la jalousie, de la haine. Les spiritualités anciennes (animismes) ou nouvelles (pentecôtisme) semblent d’aucun secours pour la construction d’un homme nouveau, d’une femme nouvelle. Les brebis des temples sectaires sont conduits par des hommes aux motivations troubles (ici, des proxénètes), mercantiles qui assujettissent leurs ouailles en syncrétisant les peurs des croyances anciennes non exorcisées avec une philosophie occidentale servant leurs soifs d’un pouvoir qui n’utilise plus les armes de la rébellion armée mais n’en est que plus destructeur puisqu’à défaut de détruire le corps, il anéantit l’esprit.

Musango reconstruit sa personnalité, forte de toutes ses expériences, de toutes les observations des manquements d’une société, de ses aberrations, de la folie des actes des uns, de l’anéantissement des autres. Le Mboasu, terre originelle n’a plus rien à voir avec cette légendaire solidarité africaine clamée aux quatre coins de planète.

Cette reconstruction passe par une confiance en soi retrouvée. Par un regard autocentré positif. Par une prise de distance vis-à-vis de l’immédiat, du quotidien. Par une relecture des événements comme Musango semble si bien le faire.  Une relecture des textes qui soit endogène, non dictée par une idéologie extérieure de type coloniale dont la seule essence est d’assujettir. Qu’ils soient sacrés ou profanes, les textes doivent être relues, réinterprétées. Musango dénonce le statu quo, l’immobilisme, la résignation, le fatalisme des femmes qu’elle observe. Ces femmes qui pour la plupart ne vivent qu’au travers du regard d’un homme comme l’Afrique se définit encore par rapport à l’Occident ou l’Orient. Musango se reconstruit. Pour elle. Au détriment de personne. Sa quête a été précoce, elle a été longue. Mais elle trouve un accomplissement dans les paroles suivantes :

Il faut que je réfléchisse à la manière d’approcher enfin ma vie. Je me sens sur le point d’éclore comme un poussin qui va briser sa coquille. Il n’y aura eu personne pour me couver. Je marche sur le bord des pieds, pour éviter de les sentir se fissurer au milieu, ce qui arrive lorsqu’on marche trop longtemps. La douleur est si vive qu’on a le sentiment que les pieds pleurent (…) Les échardes me piquent tout de même. Elles s’enfoncent dans ma chair. Je n’essaie pas de les enlever. Nous vivons tous avec des échardes dans le corps. Il suffit de savoir comment se mouvoir, pour qu’elles n’atteignent jamais un organe vital. Elles me piquent. Je ne crie pas. Je marche dans la ville, et je suis presque libre.[3]

Notre peuple n’a pas soudain enfanté une génération de petits êtres malfaisants, et bien des démons n’existent qu’au fond de nous. C’est ce que nous croyons qui finit par prendre corps, et par nous dévorer. Je crois profondément, mère. Non pas aux joies factices qui tapent des pieds et des mains sous les voûtes des temples ou sous l’éclairage phosphorescent des boîtes de nuit, ou selon sa sensibilité, on cherche le même délire. Je crois à l’authentique plaisir de vivre l’alternance de la mélancolie et de la joie, et je crois que la misère est une circonstance, non pas une sentence. [4]

Définir les contours d’un jour qui vient, d’un avenir meilleur, d’hommes nouveaux. Musango de ce point de vue offre une belle perspective malgré les douleurs qui ont enfanté cette lecture du monde. Un exemple à saisir.

LaRéus Gangouéus

[1] Léonora Miano a obtenu en 2013 le Prix Fémina pour son roman La saison de l’ombre (Editions Grasset)

[2] Contours du jour qui vient, Editions Plon, page 77

[3] Contours du jour qui vient, Editions Plon, page 120

[4] Contours du jour qui vient, Editions Plon, page 145

4è Festival International des Films de la Diaspora Africaine FIFDA à Paris


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L’Association Festival des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) a été établie à Paris en 2009 comme association de la loi de 1901.  Elle a pour  mission de présenter au plus grand nombre des films issus de l’Afrique et de sa diaspora et de renforcer le rôle des réalisateurs africains et d’origine africaine dans le cinéma mondial contemporain.

UntitledOn pourra retrouver une présentation du FIFDA sur son site internet dédié. Mais si nous devions en parler, au niveau de l'Afrique des idées, nous vous encouragerions à parcourir les bandes-annonces des films à l'affiche de ce festival, de vous faire ainsi votre petite idée sur cette programmation, puis ensuite d'investire les salles sombres. La programmation offre des films très différents dans leurs formats, passant du documentaire à la fiction, du court-métrage au long-métrage. L'écclectisme de ces films s'exprime également par la diversité des lieux d'observation de cette diaspora : La RDC, le Cameroun, Haïti, la Jamaïque, les Etats Unis, l'Argentine, l'Allemagne, la France. La liste n'est pas exhaustive. Un thème : Migration – Transmigration. Une histoire revisitée aussi tel que le film de Stanley Nelson : Freedom summer qui revient sur l'été 1962, point culminant de la lutte des afro-américains pour leurs droits civiques. 

L'occasion sera donnée au public de pouvoir échanger avec le réalisateur de ce film. Une oeuvre qui permet de mesurer les pas de géant que les Etats Unis ont réalisé en plaçant à la tête de cette fédération Barack Obama.

Les combats des africains-américains  sont une illustration intéressante d'une communauté qui a survécu de multiples péripéties, tragédies et qui par des moyens culturels souvent à sû tenir la tête haute.

Et quand, parfois, la disparition de cette population déportée semble avoir été atteinte, les traces de l'Afrique dans le tango, par exemple, nous rappellent ces survivances si fortes d'une population hier exploitée, ostracisée et aujourd'hui disparue en Argentine.

Cependant, comme ce fut le cas l'an dernier, le FIFDA n'a pas pour vocation de faire dans le pathos et le misérabilisme. Ce sont des Afriques modernes qui sont proposées au regard du cinéphile, des films qui traitent de sujets souvent méconnus, d'êtres humains en mouvement constant confrontés aux problématiques de l'exil, celle de la clandestinité, celle du rapatriement forcé mais surtout, à la réalité des points de départ à la fois violente et ancrée dans une joie de vivre simplement.

Le crédo de ce festival est contenu dans les deux sentences des organisateurs :

 Ouvrir la réflexion sur le vécu des personnes d’Afrique et d’origine africaine partout dans le monde

Diarah N'daw-Spech

 Bâtir un pont avec une production audiovisuelle riche et variée pour enrichir le dialogue des cultures 

 Reinaldo Spech-Barroso

Toutes les informations sont disponibles sur le site du festival qui aura lieu sur Paris du vendredi 5 au dimanche 7 septembre 2014. Vous êtes attendus nombreux pour le film d'ouverture Freedom Summer ce vendredi 5 septembre 2014 à 20h, au cinéma Etoiles des Lilas.

Laréus Gangoueus

 

Photo Stanley Nelson, copyright WFYI Public Media

Quelques bandes annonces :

Home again (2012, 104min, Jamaica/Trinidad Tobago/Canada, fiction, Sudz Sutherland, dir.)

Otomo (1999, 84min, Allemagne, fiction, Frieder Schlaich, dir.)

Tango ya ba Wendo (1993, 52 min, Belgique/RDC, documentaire, Roger Kwmani Mambu Zinga et Mirko Popovitch, dirs)

Kinshasa mboka té (2013, 52 min., DR Congo/Belgium, documentaire, Douglas Ntimasiemi, dir.)

Tango negro (2013, 93min, documentaire, France/Argentine/Uruguay, Dom Pedro, dir.)   

CONGO Inc. ou la mondialisation vue par Jean Bofane

Cela faisait 6 ans déjà qu’on attendait un nouveau roman d’In Koli Jean Bofane, scribe talentueux venu de RDC. Son précédent ouvrage, Mathématiques congolaises, avait marqué les esprits par l’ingéniosité et la malice avec laquelle le romancier croquait les coulisses d’un pouvoir politique prédateur en République Démocratique du Congo. Il s’est appliqué à récidiver en déployant plus de facéties à décrire les impacts de la mondialisation sur son pays et la place centrale de ce dernier dans ces interactions économiques, politiques et militaires "mondiales". C'est surtout un regard sur les petits gens qui habitent dans ce pays broyé par ce système féroce, désormais incontournable.

Pour cela, Bofane choisit de camper son personnage central dans la figure la plus improbable pour être au cœur de ce parcours : Isookanga, un jeune pygmée ekonda.

BofaneBofane ou l’art du contrepied

En effet, quoi de plus surprenant que d’imaginer ce personnage atypique, au cœur de la forêt équatoriale, déjà marginal au sein de son clan du fait de sa « haute » taille toute relative, fruit des vagabondages sexuels de sa tendre mère. Isookanga est un marginal au sein de son clan ékonda. Ce dernier est lui-même singulier au sein des populations mongo du nord du Congo Kinshasa. Les ékonda sont de petites tailles et, par conséquent, assimilés aux pygmées. La rupture d’Isookanga avec son entourage n’est pas seulement morphologique. Le jeune homme est également très éloigné du respect que son peuple voue à son environnement naturel. Il est tout émoustillé par l’inauguration en grande pompe d’un pylône de télécommunications qui va relier sa localité au reste de la planète. Isookanga est un mondialiste et un mondialisant. D’ailleurs, le jeune est connecté à la Toile sur laquelle il joue en ligne sur Raging trade, un terrifiant jeu initiant de tendres teenagers en de féroces prédateurs de l’exploitation des ressources minières de part le monde. Avec un ordinateur portable volé à une sociologue belge de passage dans la région, Isookanga est un maître dans ce jeu simulant avec cynisme les effets pervers de la mondialisation…

En introduisant ce personnage qu’on aura du mal dans la suite du roman à situer comme « héros » ou« antihéros », Bofane illustre la technique extrêmement délicate du contrepied, que tennismen ou footballeurs connaissent bien. Elle surprend, enrage celui qui s’est fait prendre dans les méandres du stratège ou du dribbleur. Un pygmée pour être l’apôtre d’un modèle économique destructeur, quoi de plus improbable. Et pourtant, la mayonnaise prend.

Bofane ou la passion pour un pays et ses gens

Notre personnage se décide de tenter l’aventure de Kinshasa, loin d’une forêt dont les horizons sont bouchés par des troncs et feuillages d’arbres à perte de vue. L’arrivée d’IsooKanga dans cette mégapole de 12 millions d’habitants va permettre à Bofane de mettre en scène une multitude de personnages qui vont donner à la fois toute la saveur à ce roman, mais également plongé le lecteur dans l’âme, la joie et la souffrance d’un peuple. Naturellement, je ne vous dépeindrai pas tous ces personnages, extrêmement nombreux, faisant penser aux multitudes de solitudes qu'aimaient superposer feu Garcia-Marquez. Parmi ces gens, il y a les shégués. Les enfants de la rue de Kinshasa. Ce n’est pas la première fois que la littérature africaine traite cette question. Déjà, dans les années 60, Mohamed Choukri portait son propre regard sur l’enfance dans la rue. Enfant soldat, enfant sorcier, orphelins victimes de la guerre, les profils sont différents. Et pour les décrire, Bofane qui communique beaucoup d’émotions dans cet aspect du roman, n’hésite pas à présenter les choses avec bonne humeur. Modogo, l’enfant-sorcier. Shasha la Jactance, l’adolescente qui se prostitue. Omari Double lame, l’ancien enfant-soldat, Gianni Versace, l’amateur de griffes de vêtement… Isookanga recueilli par ces shégués ne verse cependant pas dans la compassion et l’empathie à l’endroit de ces enfants aux trajectoires si singulières. Il est un opportuniste obsédé par le désir de matérialiser son rêve de mondialisation.

Congo IncIsookanga ou la mondialisation des cynismes

Une des caractéristiques de ce roman, est le positionnement élargi des personnages. Mbandaka au Nord du Congo, Kinshasa, Kinsagani, New York, Chongkin, Vilnius. Autant de lieux. Une multitude de personnages. Congolais, Belge, Chinois, Uruguayen, Lituanien, Rwandais, Américain, Français. Les scènes de ce roman, les terrains d’action sont multiples. La RDC est naturellement au cœur de cette narration. Que ce soit de la terre à priori sauvage et « préservée » de la grande forêt équatoriale, que ce soit la mégapole Kinshasa, où les villages de l’est du pays, espace où règne l’arbitraire des Seigneurs de guerre, éléments supplétifs des Multinationales. Mais le Congo est au centre de la mondialisation, aussi l’intrigue se déroule également dans une ville secondaire mais pourtant tentaculaire de Chine ou à New York. Au-delà de cet éclatement géographique, la réussite de ce roman est dans le travail sur les personnages qui sont pour la plupart préoccupés par des questions obsessionnelles mercantiles et de domination. Quelle différence faire entre un haut fonctionnaire chinois employant toute sa puissance pour déposséder un individu, un seigneur de guerre congolais qui ignore ce que pitié et contrition signifient, un haut gradé lituanien des casques bleus corrompus jusqu’à la moelle ou un jeune ékonda dont l’unique ambition est d’exploiter – à quelle fin –les ressources de son espace.

Naturellement, on aurait aimé que Bofane creuse un peu plus les motivations de ce jeune homme. Isookanga n’a pas un Tintin, pas un de ces abrutis de première, il veut manger à la table des grands. Tout est une affaire de business. Ses valeurs sont plus américaines que mongo, plus consuméristes qu’animistes et respectueuses de l’habitat naturel qui lui a été transmis. D’une certaine manière, en nous sortant de sa forêt un pygmée capitaliste, Bofane se rit du monde dans lequel on vit. On aurait aimé qu’Isookanga soit plus vertueux, mais pourquoi le serait-il ? Le pygmée aurait-il le monopole du cœur sous prétexte qu’il vivrait à l’abri des ondes hertziennes et Wi-fi ? Si la corruption touche ce type d’individu, que restera-t-il des poumons de la terre dans quelques années. Il est mondialiste et mondialisant, il n’en a rien à battre de vos délires écologistes. Il veut sa part du gâteau. C’est un cynique.

Je retrouve là chez Bofane, une idée dans la construction de ses textes que j’avais déjà rencontrée dans son roman Mathématiques congolaises. A savoir qu’il ne connait ni le noir, ni le blanc, mais que le gris le passionne. Isookanga est complexe. Comme le Tutsi Bizimungu questionnera malgré les horreurs qu’il a commises quand par un monologue il transmettra un peu de son histoire.

 
LaReus Gangoueus


In Koli Jean Bofane, Congo Inc.
Editions Actes Sud, première parution en Mai 2014
Photo Bofane © Lionel Lecoq

L’Afrique au regard de ses romanciers

chimamandaL’Afrique contemporaine est l’objet de nombreux récits : celui des économistes, des sociologues, des démographes, des militants politiques, des historiens, des journalistes, des investisseurs… Ces récits occupent l’espace médiatique et académique, ils façonnent notre vision du continent africain.

Le récit que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine, parce que parcellisé, protéiforme, hors cadre conventionnel, est lui peu audible. Pourtant, son importance est cruciale. Comme le soulignait Hermann Broch, les romans produisent des effets de vérité qui échappent à tous les autres systèmes d’interprétation et de représentation du monde.

Depuis un peu plus de deux ans déjà, nos chroniqueurs littéraires rendent compte de ce regard particulier que portent les romanciers sur l’Afrique contemporaine. Une période de l’histoire qui s’est caractérisé par une mutation sociale accélérée, qui ne s’est pas faite sans violence. Une situation que reflètent les thématiques abordées par les romanciers, et que transcrit ce document que vous pouvez télécharger en cliquant sur ce lien : Brochure Culture ADI.