Interview de Lamine Sarr, discours sur l’édition numérique en Afrique

SARR EditeurSARR EditeurLamine Sarr est directeur d'édition de la plateforme numérique NENA. Basé au Sénégal, rencontré au salon du livre 2014 dans le cadre d'une table ronde animée par L'Afrique des idées au Stand des Livres et Auteurs du Bassin du Congo, il présente cette nouvelle maison d'édition.

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TW-ADI : Pouvez –vous nous présenter votre parcours avant la création des NENA

Je vous remercie de m’accorder cet entretien. Je suis actuellement ATER (attaché temporaire de recherche et d’enseignement) et chercheur en management des systèmes d’information au laboratoire CEDAG de l’Université Paris Descartes. Je suis né au Sénégal, où j’ai grandi et fait mes études jusqu’au baccalauréat. Je suis venu en France en 2005 poursuivre mes études en droit des Affaires à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne jusqu’en maîtrise, puis je me suis orienté en droit de l’économie numérique (droit des activités numériques) à Paris Descartes. Une expérience très intense dans un grand cabinet d’avocats anglo-saxon a réveillé chez moi l’envie d’entreprendre. Cela m’a conduit à me réorienter en Master 2 de Sciences de Gestion, spécialité Ethique et Organisation. Je me suis toujours intéressé à l’idée de créer une entreprise à vocation sociale. Concevoir une entreprise qui répondrait aux attentes de toutes les parties prenantes. A l’occasion d’un forum au Sénégal des investisseurs issus de la Diaspora,  j’ai pu avoir l’opportunité de faire la connaissance de Marc-André Ledoux qui était à l’époque le fondateur et directeur de NENA. Il avait le projet de mettre en place une librairie numérique africaine et moi, j’avais l’idée de créer un serveur juridique africain qui allait permettre aux professionnels du Droit d’avoir accès à toutes les ressources nécessaires. J’ai rejoint NENA comme directeur des éditions. Cette rencontre a eu lieu en décembre 2012. Les Nouvelles Editions Numériques Africaines est une société sénégalaise fondée en 2008 et basée à Dakar.

Quelle est la spécificité de NENA ?

La différence fondamentale des NENA et autres maisons d’éditions, c’est que nous sommes un des pionniers au niveau de l’édition numérique en Afrique francophone subsaharienne. Notre spécialité est le livre numérique. On édite, on diffuse et on commercialise des livres en format numérique contrairement aux autres maisons d’éditions traditionnels. NENA dispose d'une expertise technique et d'une expérience avérée dans la production, la diffusion et la commercialisation de livres numériques aux formats EPUB, XHTML ou PDF interactif destinés aux équipements informatiques fixes ou mobiles : ordinateurs, tablettes, smartphones, liseuses à encre numérique etc.

Quel est votre public et comment marche la vente de livre sur Internet en Afrique ?

Notre public est assez large et varié. Initialement notre public était plutôt composé de professionnels du droit de la fiscalité et de la comptabilité. Nous produisons beaucoup de recueils numériques en format PDF interactifs sur support Cdroms. C’est notre cœur de métier, là où on réalise la majeure partie de notre chiffre d’affaires. Cependant nous nous sommes élargis sur d’autres domaines comme la littérature, les sciences humaines, les sciences et technologies adaptées, la religion et la spiritualité.

Nous avons aussi un public d’étudiants intéressés par les sciences humaines et de gestion. Dans le domaine de la littérature, l’essentiel de nos lecteurs sont issus de la diaspora et  d’autres lecteurs qui s’intéressent à la littérature ou aux livres portant sur l’Afrique et sur la spiritualité.

Quelques chiffres sur deux ou trois domaines d’activité ?

Je n’ai pas de chiffre à vous donner. Nous avons sur les réseaux sociaux des pages interactives de plus de 2000 fans (Facebook).

Pratiquement, comment les gens achètent vos livres numériques à Dakar et plus généralement sur le continent ?

Le défi majeur était le mode de paiement pour un public africain.

Au début, nous faisions de la numérisation des livres et nos publications étaient diffusées sur d’autres plateformes internationales. La création de notre propre plateforme a posé le problème de l’achat du livre par des africains, vu le faible taux de bancarisation des populations africaines. Nous avons mis en place, en plus d’un paiement par carte bancaire et Paypal, un moyen de paiement hors ligne pour notre public sur le continent. Concrètement la personne, après validation du processus de commande et le paiement (en ligne ou hors ligne) télécharge directement son livre numérique sur sa liseuse, son ordinateur ou son smartphone à partir sa bibliothèque personnelle sur notre site.

Dans l’espace francophone, la révolution vers numérique est-elle plus lente que pour les pays anglophones ?

Effectivement, il y a un décalage avec l’espace anglophone qui est beaucoup plus avancé en matière de livre numérique avec des plateformes comme Kalahari, eKitabu et des structures comme Paperight.  Mais dans ces plateformes africaines de diffusion numérique, force est de constater la faible présence de contenu africain. Nous avons choisi, d’orienter notre projet sur la mise en valeur de contenus africains.

Quelles sont les défis auxquels vous êtes confrontés pour la mise à la disposition des fonds éditoriaux ?

Les principaux défis sont la réticence des maisons d’édition traditionnelles par rapport à de nouveaux modes de production, de diffusion et de commercialisation du livre qu’ils ne maîtrisent pas complètement,  les obstacles liés à la propriétés des livres numériques, et le manque d’infrastructures.

C’est pourquoi nous avons mis en place plusieurs types de partenariats que nous proposons aux maisons d’édition.

1.            Partenariat de coédition numérique avec sur tout ou partie du fond éditorial. Ici nous prenons en charge l’ensemble des frais et assurons la conversion des livres selon le format numérique approprié et assurons la diffusion sur la Librairie numérique africaine et sur les autres librairie numérique moyennant un partage équitable des bénéfices dégagés.

2.            Partenariat de diffusion numérique (Rôle du libraire) : L’éditeur possède déjà ses ouvrages numérisés et notre collaboration porte sur l’accessibilité à l’œuvre sur la LNA (Librairie numérique africaine) et sur d’autres réseaux.

3.            Partenariat de numérisation et de distribution. Dans ce scénario, l’éditeur prend en charge la numérisation des livres par notre structure.

Dans le premier scénario, NENA prend en charge la numérisation et la diffusion des livres au format numérique. Dans les deux autres, l’éditeur possède soit un fond éditorial numérisé pour lequel il a besoin d’apporter une diffusion ou des textes à numériser dont la maison d’édition veut garder les droits numériques.

Nous avons en effet quatre métiers : Nous sommes une maison d’édition qui ne fournit que des livres numériques. Nous sommes diffuseurs. Nous sommes libraires depuis peu et enfin nous sommes prestataires de service dans le domaine de l’informatique éditoriale. Nous avons dans cette démarche des partenariats avec le gouvernement  Burundais.

Les négociations sont très difficiles avec les maisons d’édition traditionnelles. Actuellement, ces dernières sont extrêmement méfiantes par rapport aux nouvelles formes de publication numérique. Elles ont certaines craintes liées au piratage et la sécurité de leurs œuvres. De plus, elles demandent les droits de propriétés numériques alors qu’elles n’ont pas l’arsenal nécessaire pour protéger ces droits et le mettre en valeur. Mais de grandes maisons d’édition ont commencé à nous rejoindre comme les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal ou les éditions CLE de Yaoundé.

Prenons le cas de NEAS (Nouvelles Editions Africaines du Sénégal). A priori, cet éditeur a tout intérêt pour la circulation des œuvres d’un répertoire très riche. Y-a-t-il d’autres points de rupture ?

NEAS est un exemple intéressant pour montrer la difficulté de la négociation. C’est une maison d’édition historique qui a un mode de prise de décision assez complexe. Parce qu’elle appartient en partie à l’État et en partie à des personnes privées. Le partenariat a pris un peu plus de temps à se mettre en place.

Avez-vous contacté Présence Africaine ?

Voilà environ deux ans que nous essayons de nouer un partenariat avec cette maison d’édition historique. Nous nous voyons opposer un refus, mais nous ne désespérons pas. En effet, nous considérons que Présence Africaine est un monument culturel africain, et qu’il est important pour les africains et les lecteurs du monde entier d’avoir accès sur tout type de support à ses ouvrages qui constituent une grande partie du patrimoine culturel, littéraire et scientifique africain.

Comment lit-on des livres numériques en Afrique ?

Comme un peu partout : Il y a quatre types de supports de lecture:

  1. L’ordinateur portable ou fixe
  2. Les liseuses numériques
  3. Les tablettes
  4. Les smartphones ou téléphones portables intelligents

Il faut comprendre que ce sont deux modes de lectures très différents et complémentaires. Les deux modes de lectures ne s’opposent pas. L’édition numérique est un moyen aussi pour donner une visibilité à l’édition traditionnelle. Elle supplante des conditions logistiques complexes liées. Mais, nous reconnaissons aussi que progressivement et naturellement, l’édition numérique va prendre de plus en plus de place.

Comment arrivez-vous à convaincre les éditeurs locaux pour la numérisation des fonds éditoriaux ?

C’est un travail de longue haleine. Il faut beaucoup de pédagogie sur les solutions techniques et commerciales que nous leur proposons. Nous leur expliquons la nécessité de prendre le train du numérique face à l’évolution que connaît l’industrie du livre, les avantages en terme de valorisation de leur catalogue et en terme de contournement des barrières liées à la diffusion et à l’accès des livres. Les éditeurs africains sont très réservés par rapport au numérique. Pour des raisons liées à la sécurité des fichiers, de piratage, et une  certaine réticence à céder la propriété numérique des œuvres. Il y a toutefois des maisons d’éditions qui ont franchit le pas NEAS (Nouvelles Editions Africaines du Sénégal), Clé du Cameroun, Les Classiques Ivoiriens et Fratmat de la Cote d’Ivoire etc.

Qu’est ce que vous souhaiteriez communiquer à un public de jeunes africains comme mot de la fin ?

L’ambition de NENA est de consolider l’industrie éditoriale africaine, de sauvegarder et rendre accessible le patrimoine culturel, littéraire et scientifique africain.  Il est en effet possible pour les éditeurs africains de faire des bénéfices dans le domaine de l’édition. Il faut juste concevoir le bon modèle économique et ne pas dépendre des subventions étatiques qui touchent les métiers de l’édition.

L’ambition de NENA est de pérenniser tout ce qui touche aux œuvres produites sur le continent. C’est donc de numériser le plus de livres africains possibles. Pour surmonter le constat tragique du  fameux adage d’Amadou Hampaté Bâ selon lequel « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Nous ne voulons plus que les bibliothèques brûlent, c’est pour cela que nous voulons numériser autant que possible.

Pour les jeunes internautes qui fréquentent ce site, j’ai envie de dire que nous nous devons de croire en nos propres potentialités. L’Afrique est un continent d’avenir.

Propos recueillis par Laréus Gangoueus

La gloire des imposteurs, d’Aminata Traoré et Boubacar B. Diop

book_234Certains livres méritent qu’on s’arrête sur rayon, qu’on cède au désir d’en connaître le contenu, ne serait-ce que parce que le menu est annonciateur de rupture, d’originalité et par conséquent de discours nouveaux. L’éditeur français Philippe Rey s’est associé au projet de voir deux intellectuels africains de premier plan pousser leurs réflexions, dans le cadre d’un échange épistolaire sur près de deux ans. Cet échange porte sur des faits qui ont marqué récemment le continent africain, plaçant ce dernier au cœur de l’actualité internationale : le « printemps » arabe (avec une acuité particulière portée sur l’épisode libyen) et la longue crise malienne. Aminata Dramane Traoré (1), altermondialiste déterminée, essayiste, ancienne ministre de la culture au Mali a pris le temps d’échanger durant près de deux ans avec le romancier et essayiste sénégalais Boubacar Boris Diop, auteur du fameux Murambi, Le livre des ossements et du roman en ouolof Doomi Golo.

Avant d’aborder le fond de leur échange, il est important de marquer la singularité de cette démarche et d’une certaine manière, la confiance qui a forcément porté les deux protagonistes dans cette prise de parole pour le moins atypique. Pour plusieurs raisons. Si les sociétés africaines ne sont pas plus patriarcales qu’ailleurs, il est quand même pertinent de souligner cet échange épistolaire entre un homme et une femme. Il traduit un respect profond que l’un accorde au propos de l’autre, respect dépassant la question du genre. Un second point est celui de voir deux intellectuels assez posés pour prendre l’initiative du débat et ne pas se laisser emporter dans des réactions assez récurrentes comme ce fût le cas avec La réponse de l’Afrique à Sarkozy ou Négrophobie. Les auteurs du livre ont plutôt été percutés de plein fouet par les événements, engageant les auteurs à développer une parole à la fois élaborée et épidermique orientant le cadre de leur discussion.

Sur le fond, Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop entreprennent cette correspondance alors que le printemps « arabe » bat son plein en Afrique du nord, que des barques de fortune chavirent ou coulent dans la Méditerranée ou l’Atlantique avec de nombreux migrants en quête d’un avenir fait d’espoir. Aminata Traoré a traité la question dans un livre sous le concept de Migrance traduisant ces migrations de population prenant la forme d’errance dans le Sahara ou sur les grandes eaux. Boubacar B. Diop prend le soin de déconstruire ce mouvement naturel en rappelant que l’Eldorado attendu peut se montrer cruel. La chasse aux modou-modou en Italie l’interpelle. L’Europe fascisante tue. Mais dans le regard de l’intellectuel sénégalais, il y a la question du traitement de l’information, en particulier par les médias des pays des ressortissants traqués, en l’occurrence le Sénégal. Cet échange commence donc sous l’angle des responsabilités africaines, ces hommes qui partent en quête d’un espace de vie meilleure.

« Alors, voir des jeunes dans la force de l’âge engloutis par l’océan, eh bien, c’est triste, ça bouleverse pendant quelques heures, mais au final on se sent surtout impuissant, on tourne les yeux vers l’autre côté et la vie continue. »

Ces mots de Boubacar Boris Diop dans sa lettre du 8 janvier 2012, souligne l’indifférence du pouvoir politique, des médias africains. D’une certaine manière, et en filigrane, on se pose la question de savoir avec Boubacar B. Diop si la préoccupation de ces vies qui disparaissent concernent plus les pouvoirs publics européens que ceux du continent africain.

aminata_D_Traor___1_1__805997327Il est intéressant de remarquer que la première correspondance d’Aminata Traoré intervient après le coup d’état de Mars 2012, mené par le capitaine Sanogo. Il est important pour l’auteure de signifier l’antériorité de ce projet de correspondances. Cela étant précisé, les événements douloureux dans son pays vont fortement centrer le regard d’Aminata Traoré sur le Mali faisant de cet aspect de la correspondance le noyau d’un atome autour duquel la pensée de Boubacar Boris Diop, tel un électron, va graviter tout en apportant une ouverture intéressante de son propos au reste de la sous région et du continent. Pour revenir sur ces lettres sur le Mali, elles permettent au lecteur de mesurer l’impact du coup d’état, son évidence, quand on prend une meilleure connaissance du massacre d’Aguelhok(3), de la marche des femmes du camp militaire de Kati sur Bamako, la prise de contrôle de la rébellion du Nord par les islamistes. Ces lettres tentent d’expliquer la reconnaissance enthousiaste et l’accueil triomphal du peuple Malien  fait aux éléments de l’Opération Serval.

L’angle d’attaque d’Aminata Traoré est avant tout celui de la souveraineté nationale. Du moins son absence en ce qui concerne la crise malienne. Celle-ci, au-delà d’être le jouet d’un asservissement décrié à l’endroit de l’ancienne métropole, est soumise au diktat des tenants de la mondialisation. Venant de l’altermondialiste, cette posture était relativement attendue de l’ancienne ministre malienne de la culture. Le propos de la femme politique est avant tout d’ouvrir les yeux de ses concitoyens sur ce qu’elle définit comme étant l’imposture française, venant à la rescousse d’un peuple malien tout prêt de basculer sous la férule islamiste. L’imposture du pompier pyromane ayant déstabilisé la Libye voisine, pour s’ériger en libérateur du Mali.

Si Aminata Traoré porte un regard critique sur les responsabilités maliennes, elle semble plus se centrer sur les entraves posées sur son action politique et la réduction d’une influence qui visiblement gênait les barons de la place malienne. Elle ne s’attelle pas à proposer une analyse plus profonde de la faillite de l’élite et de la soldatesque malienne. Mieux, si la gestion paternaliste et « consensuelle » d’Amadou Toumani Traoré est critiquée du bout des lèvres, il est tenté de rappeler l’exploit unique en son genre d’avoir résisté à une collaboration contrainte pour le rapatriement des illégaux maliens de France vers leur terre d’origine. Ce mélange de genre brouille la révolte de la grande dame du Mali. L’ambiguïté de la position française à Kidal, donne du grain à moudre à l’interlocutrice de Boubacar Boris Diop. On aura compris que dans cet échange épistolaire par deux figures de la place africaine francophone, le sujet du Mali, prenant en otage ces rédactions, réduit la portée de l’analyse d’Aminata Traoré.

DiopBoubacar B. Diop peut ainsi donner plus de relief aux points développés par Aminata Traoré. Mieux, il tente de pousser la réflexion dans une pensée plus globale, plus panafricaine rappelant les thèses de Cheikh Anta Diop dont il revendique un profond héritage. Il développe son regard sur les printemps arabes, en observe les dérapages funestes au Mali. Le propos de l’intellectuel est percutant sur chaque point qu’il veut bien soumettre au crible de son analyse. Un chat est un chat, il ne saurait l’appeler autrement. Dénoncer ainsi l’imposture française au Mali, regrettant l’ignorance des peuples maliens acclamant l’ancien maître venu en libérateur, il déporte son propos au Rwanda pour offrir un autre type de posture qui, selon lui, n’est malheureusement pas assez peu reconnu par les africains eux-mêmes. Celle de Kagamé, despote éclairé qui redresse le Rwanda après le génocide tutsi dans ce pays. Naturellement, citer le Rwanda quand on échange sur les interventions françaises en Afrique, c’est lourd de sens, l’essayiste sénégalais en a conscience et cela donne de la force à son propos soulignant une réelle liberté de pensée trop rare dans l'espace francophone.

Il parait essentiel de se faire une idée sur cet ouvrage original, écrit dans le feu de l’action et qui, lorsqu’on observe la situation actuelle en Centrafrique, ne manquera pas de faire cogiter.

LaRéus Gangouéus

La gloire des imposteurs, Aminata Dramane Traoré et Boubacar Boris Diop

Editions Philippe Rey, 1ère parution en janvier 2014

(1)Aminata Dramane Traoré : Femme politique et auteure malienne, Aminata Dramane Traoré est également une militante altermondialiste engagée dans le combat contre le libéralisme et le néocolonialisme. Ses œuvres, notamment Le Viol de l’imaginaire, L’Étau et, tout récemment, L’Afrique humiliée, en font une voix singulière et essentielle pour comprendre les enjeux économiques et culturels de notre temps.

(2) Boubacar bos Diop : Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment : Thiaroye terre rouge (théâtre, L’Harmattan, 1981), Les tambours de la mémoire (roman, Nathan, 1987, et L’Harmattan 1990), Le Cavalier et son ombre (roman, Stock, 1997, et Philippe Rey, 2010), Murambi, le livre des ossements (roman, Stock, 2000), Négrophobie (essai en collaboration avec Odile Tobner et François-Xavier Verschave, Les Arènes, juin 2005), Kaveena (roman, Philippe Rey, 2006), L’Afrique au-delà du miroir (essai, Philippe Rey, 2007), Les petits de la guenon (roman, traduit librement de son roman en wolof Doomi Golo par Boubacar Boris Diop lui-même, Philippe Rey, 2009).
Il a collaboré à l'ouvrage L'Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar, publié par nos soins en février 2008. Il a également contribué à des collectifs de nouvelles (Les chaînes de l’esclavage, Massot, 1999 ; L’Europe vue d’Afrique, Le Figuier, Bamako) et à des scénarios de films (Le prix du pardon de Mansour Sora Wade, Un amour d’enfant de Ben Diogaye Bèye).

(3) 82 prisonniers issus des rangs de l'armée malienne sont exécutés par des rebelles du nord Mali

Hemley Boum : Vues sur le VIH, Douala, le Cameroun

Hemley« Si d’aimer… » est sûrement le plus beau roman qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. Je suis conscient de la difficulté de ce type d’assertion, car il va falloir démontrer mes dires. Mais, ne pouvant réfréner  mon plaisir de lecteur,  il m’était difficile de commencer cette note par cette pensée.

Pourtant, avec les abords austères de la couverture du roman, une  quatrième de couverture peu stimulante et le traitement d’un sujet plus que lourd, les impacts du sida, oui, le texte d’Hemley Boum n’avait rien d’attrayant, tant qu’on n’avait pas pris la peine de découvrir ses pages et d’amorcer le premier chapitre. 
 
Salomé introduit ce roman. Elle nous parle avec précision. Elle décrit un univers féerique quelque part dans les beaux quartiers de Douala. Une femme belle, convoitée, accomplie dans un emploi valorisant, installée dans une magnifique baraque qu’elle a pris soin de retaper avec son époux, Pacôme Lissouck. Un coin de paradis suscitant de multiples convoitises et envies. Aux mots maîtrisés de cette femme comblée, le besoin de reconnaissance est là, affirmé. Et pourtant, cette façade de Potemkine n’a que d’utile fonction que de masquer les turpitudes d’une relation où Salomé est profondément humiliée par un mari volage, totalement otage de ses pulsions. Enceinte, elle découvre qu’elle est séropositive.
 
Je pourrai m’arrêter sur une description de cette première prise de parole de ce roman polyphonique, faite par Salomé Lissouck, née Béma. Princesse Béma. Elle traduit l’esprit de cette œuvre dense dans laquelle Hemley Boum gratte, arrache le vernis sensé enjolivé, embellir les formes pour creuser l'intériorité de ses personnages. La rage de l’épouse contaminée qui jusque là avait supporté les frasques de son Pacôme de mari va permettre d’explorer le fonctionnement et le système de pensée de Salomé. Comment une femme instruite, à priori indépendante en arriver. Cette analyse brillamment faite, plonge le lecteur dans l’univers d’une certaine bourgeoisie camerounaise, avec ses codes. La colère de Salomé éclate et se déverse sur Céline, la call-girl qui a infecté son mari. Quand Moussa, l’homme à tout faire de Céline lui remet un cahier de notes sur le parcours tragique de sa protégée,  Salomé reconsidère ses positions et se rapproche de cette femme.
 
C’est un roman polyphonique s’appuyant sur trois prises de parole. Celles de Moussa, Salomé et de sa meilleure Valérie médecin de son état et femme libre. Ces différents regards s’articulent autour de la figure de Céline Njock, prostituée de Douala. Le propos est de reconstituer les parcours respectifs qui converger vers Céline. Hemley Boum use de cette alchimie pour dresser des portraits attachants du Cameroun contemporain. Celui du « maguida », cet héritier des événements qui suivirent la tentative de coup d’état de 1984 qui durent pour de nombreux cas fuirent vers le nord du pays en raison de la répression du pouvoir en place naissant de Biya. Celui de la bourgeoisie de Douala au travers de Salomé. Celui des classes moyennes qu’incarne Valérie. Celui des sous kwats de la capitale économique du Cameroun réalisé à partir de l’histoire Céline Njok. Hemley Boum conte plusieurs mondes qui vivent ou vivotent tout en s’ignorant parfaitement. Une Afrique des villes où la violence des rapports est sourde, mais que la romancière camerounaise a le mérite de rassembler autour de Céline.
 
Elle a la qualité de poser des descriptions abouties, conduites par une écriture sobre, un poil classique, mais ô combien efficace.  Et elle offre des rebondissements avec une efficacité redoutable. Je le dis, c’est un roman comme on en trouve très peu dans l’espace francophone. Dense. Le traitement du sida de ses impacts ravageurs est analysé avec minutie sans pour autant déséquilibrer le texte. Naturellement, il donne lieu à une auscultation du match amoureux comme le dit si bien la critique littéraire Anaïs Héluin sous toutes ses formes. Pacôme et Salomé. Mais aussi les espoirs détruits de Céline. Les modèles flétris des parents. Hemley Boum n’enjolive pas, ne milite pas, elle dit, elle décrit quelque chose avec le désir de dire vrai, de dénoncer les lâchetés des hommes, de déconstruire des modèles oppressants dans lesquels nombres d’africaines s’enferment pour préserver un pré-carré. A quel prix ? Insaisissable, même les personnages qui semblent s’inscrire dans ce que d’aucuns nommeront sous le terme d’émancipation, ne sont pas épargnés par moult de questions. La misère n’est pas synonyme de vertu, l’univers familial de Céline qui jouit de la richesse d’une prostituée tout en la tenant suffisamment à distance en témoigne remarquablement.
 
Ecoutez, il faut bien que je m’arrête. On pourrait traiter, analyser ce roman sous plusieurs angles, mais je vous conseillerai de vous faire une idée. Lisez Si d’aimer… d’Hemley Boum.
 
Bonne lecture !
 
Editions La Cheminante, 400 pages, première parution en 2012
Prix littéraire Ivoire 2013

Marius Nguié, Un yankee à Gamboma

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Marius Nguie, romancier congolais au Salon du livre de Paris 2014
Alors que des cercles s’organisent pour fêter 60 ans de littérature congolaise, j’ai une tendance naturelle à me tenir en marge de ce type de célébration.  Certes, cette littérature a toujours eu une place de choix dans mes lectures personnelles comme dans l’espace francophone. Si je commençais à citer des auteurs de renom venant de la rive droite du fleuve Congo, force serait de constater que la liste de ces hommes de lettres de talent ferait pâlir de nombreux amateurs. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’un auteur comme Alain Mabanckou soit le fer de lance de la littérature francophone.

Mais depuis, quelque temps, j’ai le sentiment que les Henri Lopes, Wilfried N’Sondé, Emmanuel Dongala et autres sommités du monde littéraire international sont de véritables arbres feuillus qui cachent la médiocrité de la production de la génération censée prendre le relais. A quoi bon faire la fête alors, si ce n'est que pour s’autocongratuler sur des littératures nationales qui n’ont d’intérêt que pour celles et ceux qui n’ont pas compris la nécessité d’intégrer la mondialisation dans leur compréhension du monde. Que la balkanisation des espaces littéraires africains ne sert qu’à appauvrir ces littératures et à faire déserter de ces lieux, un lectorat déjà moribond ?

Cette introduction est quelque peu longue et disproportionnée quand l’internaute a conscience que l’ambition de ce billet n’est que de parler de l’ouvrage de Marius Nguié. Un yankee à Gamboma. Un texte original paru aux éditions Alma en 2014. Oui, ce texte m’inspire ce commentaire car cela faisait un bail que je n’avais pas lu d’un nouvel auteur congolais un projet surprenant dans tous les sens du terme. Et j’ose croire qu’il y a là un potentiel intéressant.

Qui a vécu dans les quartiers nord de Brazzaville sait à quoi renvoie la notion du yankee. En dehors de la figure glorieuse du vainqueur de la guerre de sécession étatsunienne, le yankee est pour Talangaï et Mikalou  ce que le loubard est à Adjamé ou Yopougon à Abidjan. Un brigand qui respecte des codes d'honneur, un glandeur de première qui a le mérite de se faire respecter par ses poings et son lingala costumizé. Le yankee de Gamboma, ville de l’intérieur de la république congolaise, ne répond pas tout à fait à ces critères. Marius Nguié raconte l’itinéraire d’un milicien cocoye* au service du président Lissouba, au milieu des années 90, qui fait régner la terreur à Gamboma et prend sous son aile un jeune natif de la ville, Nicolas. De cet « étranger » venu du sud du pays, nait une véritable relation qui n’empêche pas Benjamin, dit « Sous Off », de violer, de traumatiser la population. L’adolescent Nicolas, narrateur, s’attache et raconte les exactions et tribulations du milicien.

Marius Nguié n’hésite pas dans ce roman à mettre les mains dans le cambouis. Il nomme les hommes politiques, dénonce l’ethnocentrisme, évoque la corruption à coup de boîtes de sardines de son anti-héros, il décrit sans fioritures viols et assassinats. Il dénonce les maux et la violence politique et sociale d'une société congolaise très clivée par des mots et une langue qu'il réinvente. Ses personnages introduisent des expressions empruntées au lingala comme éboulement (1), verser (2), molassos (3). En cela, Marius Nguié s'inscrit dans la tradition littéraire congolaise irrévérencieuse devant la langue française et dont ses illustres aînés comme Henri Lopes ou Alain Mabanckou ont pris du plaisir à la dresser à la sauce congolaise. Le projet littéraire de Nguié dépasse toutefois les formules du français dit de Gamboma pour proposer au lecteur un bébé catapulté. En un seul jet, il semble avoir écrit ce livre.

Le sujet est donc très osé. Dans un Congo qui panse ses plaies dans une omerta désastreuse sur les épisodes douloureux de la guerre civile des années 90, le roman de Marius Nguié ne manquera pas d'heurter, de cliver et de questionner le congolais sur son vivre-ensemble. Il serait cependant une erreur de penser que ce texte n'interroge que les lecteurs d'un pays d'Afrique centrale. La fiction du bourreau interpelle n'importe quel lecteur. La relation trouble entre Nicolas et Sous Off est de ce point de vue passionnante et va à l'encontre du regard que la société de cette petite ville porte sur ces envahisseurs que Sous Off incarne à merveille. En filigrane, cette amitié étrange est une proposition de dialogue réelle entre congolais. De ce point de vue, ce roman est moins fermé, dans ce qu'il propose, que le fameux roman Johnny Chien Méchant d'Emmanuel Dongala. C'est du moins la lecture positive que j'en ai. Enfin, et pour terminer, Un Yankee à Gamboma est avant tout un hommage à cette ville que je découvre sous la plume de l'écrivain. Un voyage que seul un bon texte de fiction peut offrir.

LaRéus Gangoueus

Marius Nguié, Un yankee à Gamboma (Alma Editeurs)

  • (1) viol
  • (2) éjaculer
  • (3) femme aux moeurs légères
  • cocoye : milice sous le régime de Pascal Lissouba

Boubacar Boris Diop, La nuit de l’Imoko

diop-boubacar-boris-L’écrivain Boubacar Boris Diop est une figure importante de la littérature africaine de langue française. On pourrait évoquer de multiples raisons pour situer l’importance du travail de l’intellectuel sénégalais qui, au-delà d’être un prosateur de talent, est avant tout un homme engagé qui n’a pas peur d’exprimer une opinion sur une place publique francophone dont les tenants et les aboutissants ne sont pas toujours clairement identifiables. Il est l’un des très grands romanciers africains à résider sur le continent et les nouvelles de La nuit de l’Imoko traduisent bien cet ancrage dans un terroir dont il hume chaque jour les senteurs, dont il ressent constamment la pulsion de vie et les injustices.

Une lecture de ce recueil de nouvelles édité en terre canadienne chez Mémoires d’encrier pourrait se faire par couple de textes sur une thématique.

Le règne de l’arbitraire : quelle posture adoptée ?

Boubacar Boris Diop introduit ce recueil par deux nouvelles remarquables qui mettent en scène deux formes de violence politique qui s’abattent impitoyablement sur deux individus : Malick Cissé et Myriem. Un des intérêts de cette lecture est de voir les nuances que l’auteur sénégalais propose dans la narration de ces deux nouvelles. La petite vieille est un texte dédié à Jean-Luc Raharimanana. Une petite et vieille dame fait la pluie et le beau temps dans une capitale, arpentant les lieux de pouvoir, octroyant des prix comme bon lui semble pour des productions cinématographiques en compétition avec un jury de pacotille. Quand Malick Cissé, un intellectuel au placard s’insurge contre la vieille dame et l’arrogance de son discours exprimé de manière détachée, le retour de bâton est sacrément douloureux. Difficile de ne pas voir là, une métaphore de la Françafrique qui malgré son grand âge, ne s’est jamais aussi bien portée. Selon Diop. Malick Cissé paie pour son irrévérence. Dans la narration de Boubacar B. Diop de cette nouvelle, il y a une forme de rire désabusé.

Dans « Myriem », l’auteur continue son exploration de l’arbitraire. Le paramètre d’une influence extérieure est éliminé permettant ainsi une focale sur une violence absurde qui frappe une actrice de la société civile. L’intérêt de la nation doit être préservé, la défense de la larme présidentielle vaut bien l’incarcération d’une mère de famille qui s’occupe des enfants de la rue. Ici, on bascule dans l’absurde.

Regards journalistiques : Observer, figer, laisser une trace d’un moment de l’histoire

Il est intéressant d’observer un auteur adapter son écriture en fonction du discours qu’il développe. Les deux nouvelles « Ndar-Géej » et « Maitre Wade ou l’art de bâcler son destin » pourraient dans leur forme être de parfaites notes de reporter. Boubacar B. Diop utilise toutefois la liberté qu’offre la fiction pour décrire la chute de Saint-Louis et du président Wade. Un homme revient avec sa compagne sur la terre de son enfance, Saint-Louis. Il est et reste doomu ndaar. Il redécouvre la ville, des personnalités qui ont compté pour lui. Cette observation de celui qui vit loin de ses terres nourrit des souvenirs chargés de nostalgie. La ville coloniale dans sa gloire passée est évoquée. L’ancienne capitale politique de l’AOF, ses signares, son prytanée, ses après-midi de fête si singuliers, son pont. Sous la plume de l’écrivain, on a le sentiment d’un écroulement et de l’émergence d’une nouvelle ville se construisant sur des bases très différentes. Ndar-Géej. Cette autre ville. La chute de Wade est tout aussi douloureuse. Medun Ba, le conducteur de taxi que prend un écrivain exprime avec en emphase le profond enthousiasme que Gorgui a suscité avant de produire le rejet qui a conduit à sa chute. Inutile de revenir sur le népotisme et le clientélisme du Vieux. Si l’écrivain ne cache pas qu’il s’est opposé à la politique de Wade, le regard de Medun Ba conforte son point de vue et traduit la désillusion de beaucoup de sénégalais. Elle traduit aussi une certaine fierté de la réussite de l’alternance démocratique tout en posant une réserve sur deux points : la fragilité d’un tel processus qui exige une stabilité du pays (avec un renvoi à l’expérience malienne) et la nécessite de conduire un peuple afin que le vote électoral ne traduise plus le rejet d’un homme et d’un système mais plutôt l’adhésion à un projet.

Parole des sans voix

Les nouvelles « Diallo, l’homme sans nom » et «Comme une ombre» sont des monologues. Elles sont, pour moi, les textes les plus touchants de ce recueil et elles traduisent chez Boubacar B. Diop de proposer un profond désir d’introspection pour le lecteur africain. Diallo est un nom générique en Afrique de l’Ouest. Un peu comme Fatou qui finit par être l’étiquette d’une catégorie professionnelle, celle des femmes de ménage. On parle d’expériences partagées.

Un homme qui a bourlingué sur les grandes eaux de la planète occupe à présent un poste de gardien dans la très belle demeure des Soumaré, riche famille de la place.  Serviteur soumis, il est Diallo pour son patron. Un diallo. Il n’existe pas. Il n’a pas d’autre nom. Son histoire ne compte pas. Face à la puissance matérielle de ceux qui l’emploient, il est un objet, il ressemble à l’homme invisible de Ralph W. Ellison. Cette nouvelle parle avec force de la stratification lourde de certaines sociétés ouest-africaines et de l’impossibilité d’établir des connexions salvatrices. Une certaine idée de la mythique solidarité africaine en prend un coup dans l’aile face à un matérialisme triomphant dans cette nouvelle élite. La tentative de communication prend des formes qui engageront le lecteur à poursuivre seul le cheminement proposé par l’auteur. « Comme une ombre » met en scène une autre forme de discours marginal, celui de l’immigré quelque part en Europe qui voit son monde refaçonné sans avoir un mot à dire. Il observe passivement aussi la montée des extrémismes. D’une certaine manière les figures de l’immigré et de la sentinelle sont celle de spectateurs d’un monde qui change et sur lequel ils n’ont aucune prise.

Ecrites sur quinze années, la cohérence de ces sept nouvelles a quelque chose d’exceptionnel.

LaRéus Gangoueus

Une saison au Congo au Théâtre des Gémeaux

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Marc Nzinga dans le role de Lumumba, copyright Michel Cavalca
Je ne laisserai pas s’évaporer le souvenir de cette belle soirée au théâtre des Gémeaux de Sceaux. Frisquette, la soirée. J’ai failli me perdre dans les méandres de cette ville des Hauts de Seine qui recevait sur les planches larges de son théâtre, une interprétation inédite de la pièce d’Aimé Césaire, Une saison au Congo, mise en scène par Christian Schiaretti.

Je découvre ce théâtre et la très belle salle qui va recevoir la grande troupe de comédiens. Un mercredi, à 20h45, la salle est comble. Premier étonnement. Est-ce l’effet du centième anniversaire de la naissance du poète et dramaturge martiniquais ? Est-ce l’écho d’un plan média efficace ? Difficile à dire, quand on sait après coup que Télérama seul a fait un très bon papier sur le spectacle. Peu importe. Le public est là, fidèle et il a le profil habituel. Ce qui dénote d’une certaine ouverture d’esprit quand la scène est envahie par les comédiens. Africains pour la plupart. Une trentaine tout de même.

Après La Tragédie du Roi Christophe,  Une saison au Congo est la deuxième grande pièce de théâtre de l’auteur martiniquais. On retrouve dans cette œuvre, la volonté du dramaturge de mettre en scène des grandes figures qui ont fasciné l’homme de lettres qu’il est. Deux figures haïtiennes historiques, Toussaint Louverture et Christophe, une figure contemporaine africaine, Lumumba. Pas à pas, il raconte les dernières saisons de vie du leader congolais mettant en perspective pour la première fois sur scène les enjeux complexe de l’indépendance d’un pays aussi riche que le Congo Kinshasa. Dans le théâtre de Césaire, la figure idéalisée de Lumumba écrase les autres personnages importants de cette période que furent KasaVubu, Mobutu, Tshombé ou Monseigneur Malula.

Christian Schiaretti réussit une remarquable mise en scène de cette pièce vieille de pratiquement quarante ans. Sans forcément touché au texte. Il en fait d’abord une sorte de comédie musicale bien rythmée.  Quelle justesse. Car, peut-on aborder cette indépendance sans la musique, sans la danse, sans la rumba, sans le cha-cha-cha, sans la Polar et la Primus ? Des décennies d’oppression lourde et d’exploitation sauvage semblent désormais derrière les congolais, et il faut fêter cela en grande pompe. Le Congo va faire danser l’Afrique. Lumumba le premier. Mais les tableaux sont multiples. Tandis que les uns dansent, les autres manigancent. Les enjeux sont trop importants. L'emboîtement des discours respectifs est remarquable et permet au spectateur de pénétrer cette saison troublante avec une forme de désamorçage et d’autodérision des différents acteurs. Des anachronismes réussis se glissent dans le spectacle. Comme cette séquence hip-hop mettant en scène les décideurs belges qui ferait penser à une parodie des Inconnus.

La pièce est avant tout une mise en scène de Lumumba remarquablement interprété, non, remarquablement habité par Marc Nzinga. Les intonations de voix, le profil, la coupe, les lunettes. Si dans les images d’archives, Emery Patrice Lumumba est un personnage qui semble timoré, flegmatique et réservé, ici il est un tribun charismatique qui chaque jour de cette saison congolaise prend le pas sur KasaVubu. Mobutu n’est alors qu’un collaborateur ambitieux. Et naturellement, ces choix surprennent par leur audace et leur folie. Une prise de parole lourde de conséquences dont parfois on se demande si elle était mesurée. Mais c’est cette folie et cette volonté d’imaginer un Congo libre qui a inspiré cette tragédie à Césaire. Folie à laquelle il n’a pas cédé. 

Au-delà du folklore congolais, la célébration de la bière que Césaire avait bien capté et qui demeure l’une des grandes batailles actuelles à Kinshasa comme à Brazzaville, en évoquant Lumumba dans cette saison difficile du Congo, l’antillais porte avec recul, un regard distant sur ces indépendances octroyées avec la conscience que les élites n’étaient pas prêtes. C’est aussi, d’un point de vue humain, la fougue de ces héros africains qui se sont refusés d’avancer masqués orchestrant une forme de suicide ou de sacrifice de leur personne. On voit Lumumba. Mais comment ne pas penser à Sankara ? Certains tournent « mal » comme Sékou Touré, mais une forme de paranoïa finit par saisir le héros congolais tellement le terrain sur lequel il avance est mouvant, l’entourage branlant, l’édifice fragile et les puissances dominantes agissant comme de formidables marionnettistes. 

La mise en scène illustre aussi la tragédie actuelle congolaise avec ses guerres à répétition à l’est, triste héritage des intrigues belges des années 60. Sous un éclairage assombri, le pas cadencé, envoûtant des troupes en treillis et armés, l’œil enflammé fait défiler dans mon esprit les millions de morts qui jonchent l’histoire du Congo…

Terrible saison qui ne s’achève pas. 

 

Une saison au Congo, d'Aimé Césaire

Mise en scène de Christian Schiaretti

Troupe du Théâtre National Populaire de Villeurbanne

Sakakounou : Le BlonBa chez ma mère !

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Lassine Coulibaly dit King Massasy – source BlonBa
Il y a deux semaines, ma mère évoqua la possibilité qu'un spectacle se passerait chez elle, dans une de ces villes dortoirs de l’Essonne. Vous savez, c’est parfois le genre d’informations que l’on reçoit avec un attention relative, mais qui laisse l’empreinte d'une interrogation insidieuse. Un spectacle dans son petit appartement ? Bizarre, comme c’est bizarre. Le fils distrait ne s’est pas attardé plus longtemps sur l’information et sa part de mystère. La daronne, comme disent désormais les jeunes, m’a envoyée à raison une relance sur la dite rencontre.

Hier, je suis arrivé chez ma mère avec le quart d'heure africain de retard. Avec tout le respect que je lui dois, je peux m’autoriser, c’est ma mère et jouir de la plasticité du temps dans ce cadre familial, ça a le don de l'agacer. Il y avait une demi-dizaine de personnes sont présentes. J’ai eu le sentiment qu’on m’attendait. Hum, le goujat. Gâteau. Coca et autres boissons gazeuses qui ponctueraient le fameux spectacle : Découvrant un prospectus, je lis SAKAKOUNOU et une information très importante: BlonBa. Oh ! Les choses sont plus sérieuses que je ne le pense. Présentations. Le blogueur international présenté par sa maman chérie et peu objective quand il s'agit de parler de son fils, le spectacle va pouvoir commencer. Un rasta sort d’une pièce de l’appartement de ma mère. Vraiment. Il était caché où celui-là? Et le show commence.

Sakakounou ou l’homme aux six noms

Le comédien n’est pas Ramsès, vu au Grand Parquet, cet été dans l’interprétation d’Ala té sunogo de la compagnie du BlonBa également. Ici s’agit de Lassy King Massassy. Malien. Rasta. Mais avec un nom de scène qui en lingala ferait sourire la plèbe. Massassy : balle d’une arme à feu.

Je suis conscient que je vais avoir droit avec l’assemblée à un spectacle de qualité. Dans une langue poétique et chargée de cette oralité héritière des grands kouyatés, portée par des proverbes toujours appropriés et qui assurent l’assisse de la narration, l’artiste raconte l’histoire d’un homme aux six noms. Adjoua. La joie. Une femme. Un environnement pauvre. Une femme libre. Même si, personnellement, je ne sais pas ce que signifie pour beaucoup la question même de la liberté… Adjoua. Une naissance. Un nourrisson. Une survie faite de compétition avec les mouches qui tètent à l’instar des hommes. Un nom. Nous portons le nom de nos mères. N’en déplaise. Être l’enfant d’une femme pauvre mais pas d’une pauvre femme.

L’enfance, un autre épisode de vie. Dans un quartier populaire d’Abidjan. La violence d’un ventre affamé où les hommes trompent la faim et des mômes se transforment en tueurs en série de margouillats. Oui, ces petits lézards humoristes qui peuplent les parcelles des quartiers populaires. Tous les lézards morts connaissent son nom. Mbadou. Il traque avec férocité les quadrupèdes, génocidaire lucide et nerveux. Le comédien plaide pour la création verte de Dieu. On sourit. Le verbe du malien est haut, habité qu’il est par son texte. 

Je ne vous ai parlé que deux noms (voir trois) de notre personnage. Vous ne pensez pas que je vais vous raconter toute l’histoire ? Ce sont des épisodes de vie que narre Lassine Coulibaly avec dextérité. Une jeunesse pauvre à Abidjan. La construction d’une identité. Un jeune malien en Côte d’Ivoire. Y passent quelques maux de la société ivoirienne comme cette nauséeuse xénophobie qui a conduit beaucoup à quitter cette ancienne terre d’accueil. Et par la suite, la découverte de la terre des ancêtres, le Mali…

Ce spectacle de maison est réellement une réussite. Car figurez-vous que c’est également une comédie musicale. Les épisodes de vie du personnage sont entrecoupés par des phases mélodieuses et rappées en bamanan, sur un fond de musique malienne. Car, c’est l’originalité de ce hip-hop malien qui trouve un écho large au Mali dans sa capacité de s’ancrer dans un terroir et dans des langues africaines. C’est surement les phases les plus émouvantes du spectacle que l’inculte en bambara que je suis devinais dans le jeu de l’artiste.

Naturellement, j’observe du coin de l’œil le public. A la fois émerveillé mais aussi sur ses gardes. Les échanges avec l’artiste en fin de spectacle autour d’une collation permettront à l’artiste de jauger l’impact sur le public d’un spectacle très personnel…

Le pari du BlonBa est celui de la foi. En se proposant d’aller avec ce format de prestations vers un public populaire et souvent réticent à ce type de projet culturel ou aux salles obscures, il démontre qu’une population se construit, s’initie lentement mais sûrement. L’investissement du Théâtre de l’Arlequin de Morsang/Orge se traduira forcément par un retour sur recherches de spectateurs.

Sakakounou est l'adaptation pour un théâtre de maison de la pièce L'homme aux six noms avec Lassine Coulibaly, dit King Massassy

Véronique Tadjo : Reine Pokou

reine_pokouReine Pokou est un petit ouvrage de 90 pages, édité chez Actes Sud, mais très grand par son originalité, sa structure, la symbolique qu’il véhicule et dans le courage que prend Véronique Tadjo pour réinventer la légende fondatrice du Royaume Baoulé de Côte d’Ivoire.

Il faut en avoir de l’audace pour revisiter ces mythes africains. Dépasser le cadre de la simple narration pour questionner. Oser dire non. C’est une dimension que j’avais déjà trouvé dans Sia, le mythe du Python une œuvre cinématographique de Dany Kouyaté et sa relecture de la légende de Sya Yatabaré concernant la chute de l’Empire du Ghana (Wagadu) et ses conséquences sur les Soninké.

Une histoire de sacrifice humain pour que l’abondance demeure dans le pays. Sacrifice rompu. Dans son film, Dany Kouyaté transforme les sacrificateurs du dieu Python en une bande de violeurs de la jeune et belle femme promise à la divinité reptile…

La légende de Pokou se construit sur une trame différente avec la même finalité : le sacrifice humain. Dans un premier volet, Véronique Tadjo raconte ce conte que chaque élève ivoirien a assimilé dans son parcours scolaire. Suite à une succession qui tourne mal, une princesse Ashanti –Abraha Pokou- fuit avec ses fidèles l’armée régulière qui à ordre d’éradiquer toute forme d’opposition au nouveau souverain. Elle se retrouve face au fleuve Comoé, limite naturelle qui demeurera infranchissable –selon les oracles- si elle ne donne pas son fils en sacrifice. Elle donne son fils unique. Le fleuve s'ouvre, l'avale le digère puis le peuple traverse et se place sur l'autre berge à l’abri de la furie de l’armée sanguinaire à leurs trousses.

" Ba-ou-li ! ", "Ba-ou-li ! " dit la désormais reine Pokou : l’enfant est mort.

D’où le nom de Baoulé associé à ce groupe de populations de Côte d’Ivoire en hommage à cet acte.

Seulement, alors que la Côte d’Ivoire a connu une période très trouble qui faisait suite à une crise identitaire larvée à savoir l’ivoirité, la romancière pense que le temps du questionnement est venu. D'abord parce que cette légende nous parle d'une migration. Et elle propose pas moins de quatre scénarios différents pour tenter d’offrir une autre alternative au sacrifice de l’enfant et au traumatisme enduré par la mère.

Aucun royaume ne vaut le sacrifice d’un enfant

veronique_tadjo
Copyrights, Books LIVE
Car c’est de cela dont il est question. Quoi de mieux que de questionner les légendes et mythes communs dans ce qu’ils ont de retors, dans l’interprétation non renouvelée de leur message et dans le conditionnement de nouvelles générations d’élèves.

La romancière s’attèle à réécrire l’histoire, refonder le mythe ou lui donner une issue moins convenue. Je dois dire que les différentes approches de Véronique Tadjo sont inattendues et vraiment déboussolantes. Juste pour vous mettre l’eau à la bouche, elle imagine une situation où arrivée avec ses troupes devant la Comoé et devant la proposition des prêtres de sacrifier l’enfant, Abraha Pokou oppose un refus, qui entraînera sa perte et celle de son peuple, sa vente à des marchands d’esclaves et par la cale d’un négrier son arrivée avec son fils en Amérique… Il reste quatre autres scénarii à découvrir…

Pourquoi les avoir vendus ? Pourquoi les avoir ainsi condamnés à la détresse pour quelques fusils et pacotilles ?

Ayant fait sa scolarité en Côte d’Ivoire, elle s’est construite avec ce conte. Mais a-t-il un sens encore aujourd’hui :

Aujourd’hui, la légende a perdu sa force magique pour ne plus être que d’une beauté froide et creuse. Certes, les paroles restent plaisantes, mais elles sont aussi devenues dangereuses, tournant dans l’air ici et là, sans savoir où se poser. Elles sont tranchantes. Elles pénètrent dans la tête des écoliers récitant, sans bien la comprendre, l’histoire de cette mère qui a sacrifié son fils.
Enfant dans la guerre. Demain, enfant-soldat.
Ainsi dans les profondeurs de notre inconscient, le mythe dépouillé de sa sève suit son chemin.

Une invitation brève mais intense à la réflexion.
Bonne lecture,

 

Véronique Tadjo, Reine Pokou
Actes Sud, 90 pages – première parution en 2004
Grand Prix de Littérature d’Afrique noire

Théo Ananissoh : Ténèbres à midi

Je poursuis l’exploration du travail de l’homme de lettres togolais, Théo Ananissoh. Il est vrai que j’ai deux bonnes raisons de le faire : primo, son roman L’invitation récemment publié chez Elyzad m’avait fait forte impression. Secundo, dans le cadre de la préparation de nouvelles Lettres africaines à Dijon, il est important que j’aie une vision la plus large de son œuvre littéraire. Ténèbres à midi est donc le deuxième roman que j’aborde de cet auteur. Comme dans L’invitation, le narrateur est un romancier venant comme Théo Ananissoh de Dussëldorf. Après vingt années d’absence loin de son pays d’origine, si on peut encore me permettre cette expression, il revient en terre togolaise. Il y a quelques années, une amie libraire l’a mis au défi d’écrire une fiction sur son pays, à défaut d’y retourner et de s’y fixer. Il lui demande de le mettre en contact avec un immigrant ayant réussi son retour au bled. Elle lui propose Eric Bamezon.

theo_ananissohJ'ai besoin de voir de près quelqu'un comme Eric Bamezon, de m'entretenir avec un homme né après la colonisation comme moi, qui mène son existence d'adulte dans ce pays, qui y agit. (p. 19, édition Gallimard)

Le cas Bamezon

Cet homme va donc être la cheville ouvrière du projet littéraire du narrateur. Tout de suite, celui-ci met tout en œuvre pour établir le contact d’un homme qui est tout de même le conseiller spécial du président de la république, le bien nommé Bestia. Le narrateur raconte avec sobriété les difficultés de l’abord de ce genre de personnage. Les heures d’attente, les rendez-vous manqués, le peu d’attention accordé à l’auditeur. Sans caricaturer, Ananissoh, nous conte le ponte bien assis dans poste, qui recommandations ou pas, vous fait bien savoir qu’il a prise sur vous. Alors que l’écrivain désespère d’avancer un jour sur son projet et qu’il s’attarde pour se consoler dans une description méthodique de la laideur et de la puanteur de cette grande ville africaine, il reçoit finalement l’appel de Bamezon pour une rencontre dans un milieu plus neutre dans un grand hôtel de la ville. Etonnamment, l’homme se montre très disert et ouvert pour un interlocuteur qu’il ne connait que par Nadine, leur connexion commune. Le temps d’une nuit, Bamezon va révéler le contexte de son retour au bled et le prix de sa réussite, lui, qui, otage d’un système envie la liberté de l’homme de lettres assis en face de lui.

L’approche Ananissoh sur les retours des élites

Ce pays doit être décrit sans aucune crainte – (p. 43, édition Gallimard)

Le romancier togolais ne laisse absolument rien au hasard. Bâtit-il de toute pièce ce personnage de Bamezon ou est-ce une connaissance réelle qui est passée à confession ? Il est très difficile de le dire et très honnêtement, cela finit par être secondaire dans ce projet, tellement l’auteur prend le soin de ne rien laisser au hasard. Il a un regard sombre et sans concession sur les marges de manœuvre de celles et ceux qui souhaitent repartir sur le continent chargés d’idées brillantes qui peuvent changer le quotidien de beaucoup. L’impuissance de Bamezon semble être une insulte au lecteur tant elle a quelque chose de grotesque.

Seulement le romancier togolais ne laisse absolument rien au hasard. Mettre en scène l’impuissance d’Eric Bamezon, personnage au cœur même du système de décision, est un choix que l'écriture porte. Quand on lit ce roman, on peut avoir l’impression que Théo Ananissoh plaide pour justifier son exil et l’impossibilité d'un retour sur une terre dirigée par des animaux. Bamezon envie l’écrivain exilé. Le retour d’Eric est héroïque et son engagement inspire l’écrivain. Mais le retour nécessite prudence et sagesse. Quelle différence entre ce que décrit Théo Ananissoh et les histoires glauques que parfois, on entend de nos pays d’origine. L’intime violé des leaders incarnant le changement ou du moins une forme de probité fait d’ailleurs écho au juge M’Poba, personnage central Des fruits si doux de l’arbre à pain de Tchicaya U Tam’si. Bamezon disparait tragiquement. Comprendre l’histoire de cet homme, c’est d’une certaine manière lui offrir un tombeau. L’écrivain va poursuivre sa remontée du fil d'Ariane vers l’absurde et l’horreur.

Et que dire de l'écriture? Conscient que le format blog m'impose de ne pas être trop bavard, je vous dirai juste que ce livre est un régal pour les amoureux des belles lettres.

 

Théo Ananissoh, Ténèbres à midi

Editions Gallimard, première parution en 2010

Voir la lecture de quelques extraits de texte par Théo Ananissoh

Ecoutez l'écrivain sur RFI.

Vocales sud-africaines de Cape Town : Le chanter-ensemble

J’entre dans le très grand théâtre de Ville, place du Châtelet. La salle est quasiment pleine au moment où je m’installe à ma place. J’aime parcourir du regard ce type de lieu pour me faire une idée du public. Beaucoup de têtes grisonnantes, mais aussi pas mal de jeunes. Des étudiants sûrement, on n’est pas loin du quartier latin. Bref, assez varié, ce public. Peu de noirs, d’africains ou que sais-je. Payé pour un spectacle de « chorales », peut-être que cela n’en vaut pas vraiment la peine… J’avais été intrigué par l’affiche du spectacle mettant en scène les membres d’une des deux chorales qui allaient animer la soirée : Cape Traditionals Singers. Costumes rayés, une sorte de chéchias vissées sur le crâne et ces fameux gants blancs que chaque choriste porte. L’accompagnement musical au nghoema et aux banjos et la gestuelle des solistes m’ont rappelé les évocations du sulfureux film du réalisateur afro-américain Spike Lee dénonçant les formes de représentations des afro-américains dans les médias américains nourrissant l’inconscient collectif des Etats-Unis d’images fortes et souvent désastreuses. Les « minstrels » avaient, dans ce film pertinent, servi à illustrer le type de caricatures que le réalisateur nous rappelait il y a une dizaine d’années. Les  Cape Traditionals Singers entretiennent ce type de représentation introduit au Cap à la fin du 19ème siècle par les américains.

fig1_091013Cape Traditional Singers, prestation alliant le burlesque et la mélancolie

J’aime parler de mes appréhensions quand j’aborde un spectacle, car cela me permet de mieux souligner ce qu’il peut m’apporter et du coup simplifie la démonstration ou pas de son intérêt. Dans une société qui a été très clivée pour ne pas dire ségréguée comme l’Afrique du Sud, toutes les formes de représentation sont forcément observées avec fixation. Même vingt ans après la sortie de taule de Nelson Mandela. Le spectacle commence avec des artistes qui découvrent une salle pleine et, qui pour certains semblent, dans leur expression amusée, impressionnés pour ne pas dire surpris. Ils imposent par leurs tenues. Ils sont tous mulâtres. Héritiers de ces communautés dites « coloured » sous l’apartheid, fruit des longs brassages de la société du Cap, à savoir avec les Khoïs, les San, les esclaves venus de l’intérieur du continent, de Madagascar, de la captivité de malais et d’indonésiens… Les instrumentistes sont assis avec principalement des instruments à cordes dont la sonorité des banjos domine l’animation. Debout sur une seule ligne, le chœur d’hommes, uniquement des mâles, accompagne le soliste qui se lance dans sa gestuelle drôle et digne d’un spectacle du music-hall. Héritage de klopses et des malay choirs. Deux genres musicaux se superposent. Les moppies déjà décrits ci-dessus qui font penser aux représentations des blackface minstrels américains. Les nederlandsliedjies interprétés par le soliste Mustapha Adams et magistralement accompagné par le chœur des « malais ». Mustapha Adams détonne avec le reste du groupe. Il semble plus jeune – la trentaine à peine ? Peut-être pas – timide, hésitant et forçant sa nature introvertie quand il s’inscrit dans les bouffonnades des moppies. Mais lorsqu’il chante en afrikaans, ces mélodies venues d’Orient et que l’on imagine berçant les Mille et nuits de Bagdad, on est à la fois émerveillé par la douceur, les variations complexes de l’interprétation d’Adams qui trouvent un écho dans le public. Traces de soufisme sud-africain. On découvre là une ville dans la profondeur de son métissage. Et comme pour laisser une plus grande ouverture ou pour mieux affirmer un syncrétisme culturel, la dernière nerderlandliedjie ressemble à un « Avé Maria » (en fait Gaaf Maria), toujours en afrikaans. Je l’entends encore.

Fezeka Youth Choir, la jeunesse mouvante et la performance artistique

Si le banjo, les costumes et les trémolos de Mustapha Adams caractérisent la première prestation, l’entrée en scène de la chorale Fezeka Youth Choir est très différente. Une arrivée tonitruante qui laissait présager un régistre plus africain si je puis dire. La formation du chœur est pourtant plus classique. Alto, soprano, ténor, et tutti quanti. L’engagement plus manifeste avec toutefois sur les chants les plus animés, des poussées chevrotantes. Cette chorale vient également du Cap. Dirigé par Phume Tsewu,  elle est uniquement noire d’un point de vue dermique. Mais, là encore le métissage culturel de cette ville si riche humainement s’exprime sous multiples formes au travers du jeu de la Fezeka Youth Choir. Alternant les chants en langues bantoues souvent joviales et rythmées avec des interprétations en afrikaans, plus germaniques et froides comme me le sussure ma voisine, la prestation est simplement de très haute facture. Il faut dire que je m’y connais un peu en matière de chorales protestantes. Il est important de souligner que certaines solistes n'ont absolument rien à envier aux grandes cantatrices d’opéra européennes. Plusieurs membres de cette chorale ont d’ailleurs intégré l’Orchestre philharmonique du Cap.

fig2_091013Chants du Carnaval du Cap et final « Arc-en-ciel »

La dernière phase du spectacle met en scène des chants des klopses du Carnaval de Cape Town. Ce Carnaval a souvent lieu en début d’année avant les compétitions des Malay Choirs. En tenues lumineuses, le parapluie à la main, protégeant des ardeurs de l’été austral, les singers embarquent le théâtre de la ville dans un show haut en couleurs, joyeux. Rejoints sur le final par le chœur du lycée Fezeka, c’est sur le mythique morceau PataPata de Myriam Makéba que s’achève la soirée sous les acclamations d’un public visiblement enchanté.

Au sortir de ce spectacle, m'anime la conviction que la culture et l’histoire sont déterminantes dans la compréhension des mœurs et attitudes d’un peuple. La société esclavagiste puis ségrégationniste européenne du Cape Town a créé malgré elle une communauté métisse dans tous les sens du terme. Preuve que d’un projet maléfique pour être un peu manichéen peut émerger en une société plus ouverte…Extrapolation… Un métissage qui dépasse les questions de peau, même s’il semble évident que des cloisons visibles ou invisibles existent encore entre les différents groupes. L’homogénéité ethnique des deux ensembles musicaux de la soirée traduisant cet état de fait. Il n’empêche que le temps d’une soirée, j’ai perçu dans ce chanter-ensemble, la forme de cette nation dite « Arc-en-ciel »par Desmond Tutu. Malgré la violence de cette société. Cape Town, de ce point de vue lance, de l’extrémité sud du continent, un appel à la rencontre et au brassage si nécessaire.

LaReus Gangoueus

Nimrod, Balcon sur l’Algérois

Voilà à la fois un titre prometteur et qui nous situe un peu rapidement géographiquement. Mais la quatrième de couverture, elle, indique un roman parisien. Les interfaces  proposées par Actes Sud et Nimrod introduisent donc pas mal d’interrogations. 

NimrodJ’ai commencé ce texte entre plusieurs lectures poussives dans leur abord alors qu'avec Nimrod, j’ai été pris par cette romance entre un doctorant tchadien et la responsable du suivi de ses travaux de recherche, Jeanne-Sophie. Le lecteur est tout de suite embarqué dans une relation chaude où l’auteur ne s’embarrasse pas de certaines descriptions crues, disons, érotiques traduisant la passion charnelle qui lie ces deux êtres. C’est une entrée en matière assez surprenante qui est brève et qui révèle surtout chez Nimrod la capacité de mettre des mots sur n’importe quel sujet. Cette approche traduit aussi la fascination que l’étudiant voue à la fois pour le corps de son enseignante, les formes de cette bourgeoise du 7ème arrondissement à laquelle il rend visite dans son très coquet appartement.

Le narrateur est donc cet étudiant. La relation qu’il a nouée avec Jeanne-Sophie repose sur les délices de la chair qu’il apporte sur un plateau à cette femme mûre et bien-née. Elle est aussi faite du développement autour de la littérature où la passion que l’enseignante de la Sorbonne voue pour Stendhal habite leurs échanges, là où comme Nimrod, le thésard souhaite approfondir la question de la négritude. Prémices d'un schisme. Des bibliothèques parlent à des bibliothèques. Et l’étudiant qui a une femme au bled, assure ses arrières pour une histoire qui n’est pas destinée à durer.
 
Nimrod introduit d’autres personnages, parmi lesquels on peut citer deux amies de Jeanne-Sophie, professeurs d’université comme elle.  Toutes plus ou moins embarquées dans des histoires où l’autre vient de très loin et est foncièrement basané.  Bakary, par exemple. Eboueur. Bambara. Peu instruit mais tellement fier de lui qu’il refuse de se soumettre au diktat de celles et ceux qui pourraient le regarder de haut et entraver sa liberté. Il préfère son foyer Sonacotra au confort matériel du seizième arrondissement de Paris.
 
balcon-algerois-1294571-616x0Mais, ne vous méprenez pas. Ce qui est fascinant dans ce roman, c’est la rupture silencieuse que l'étudiant narateur impose à sa maîtresse. Le vide du narrateur est alors comblé par le cri de la belle abandonnée qui sous une forme épistolaire tente de reprendre la main. L’explosion de la relation entre Jeanne-Sophie et son étudiant qui révèle le fond, remue la vase de ce couple. En lisant Nimrod, on comprendra que la race n’est plus une préoccupation mais que le rapport dominant/dominé demeure un paramètre difficile à interpréter.
 
Usant d’une forme d’écriture qu’il maîtrise et qu’il veut concise et enflammée, passant de la narration classique à la forme épistolaire, Nimrod propose un nouveau roman étonnant. Il donne au lecteur de lire dans le cœur ouvert et déchiré de Jeanne-Sophie et dans la solitude d’un étudiant en fin de cursus. Pourquoi l’Algérois, me dites-vous ? C’est la surprise du chef. Je ne peux quand même pas tout vous dire, l'auteur me le reprocherait.

Notes sur l’ouverture du 3ème festival international des films de la diaspora africaine

Le festival international des films de la diaspora noire a été initié en 1997 à New York. GANGOUEUS a participé à la 3ème édition, dans sa version française, organisée le week-end du 7 au 9 septembre 2013 avec plus d’une dizaine de courts et de longs métrages présentés. Cet article, produit dans le cadre du partenariat entre Terangaweb et ce festival, revient sur ses impressions.
 


 
Portes fermées
J’ai été invité au démarrage du 3ème Festival International des Films de la Diaspora Africaine le samedi 07 septembre dans un très beau cinéma indépendant aux portes de Paris. Sortant d’une semaine laborieuse, quoi de plus sympathique que de retrouver des animateurs du 7ème art, refaisant le monde autour de samousas et autres amuse-bouches. A vrai dire, je me suis embarqué dans une discussion passionnante et quasiment exclusive avec un cinéaste centrafricain dont un court métrage allait être présenté en compétition.
 
 
Discussions d’apéro : "Ma famille" en question?
 
Notre échange porta sur des considérations aussi basiques que savoir à quoi sert le cinéma aujourd’hui en Afrique ? Quel type de public touche-t-il ? Comment expliquer le gap entre certaines séries populaires du type « Ma famille » dont la qualité technique et le piètre jeu d’acteurs horripilent les amoureux du 7ème art, là où le plus grand public exulte pour ces séries « Z ». Est-il envisageable de penser des collaborations entre ces deux mondes afin que la technique des uns améliore l’esthétique et le discours des autres ? Naturellement, les choses ne sont pas aussi simples et on peut comprendre dans le discours de ce cinéaste que sa vision, ses objectifs, sa cible ne sont pas les mêmes que les producteurs de ces divertissements populaires. Toucher l’universel pour les uns. Oui, peut-être. Entretenir les particularismes pour les autres. Un abîme sépare ces deux mondes.
 
Soutiens américains
 
Sans suivre la chronologie des événements durant l’apéro, j’ai eu également un trop bref échange avec une représentante de l’Ambassade des Etats Unis. L’occasion de voir de nouveau le soutien de l’ambassade américaine à des projets de ce type dans la capitale française. Il y a deux ans, avec le Club-Efficience, j’avais déjà eu le plaisir d’assister à un passionnant colloque parrainé par l’US Embassy sur le sujet Diversité et performances
 
Bon, l’apéro c’est cool, mais on est venu au cinoche pour voir des films. Dans la très belle et confortable salle du cinéma Etoile, Thibaut Willette de l’Observatoire  de la Diversité Culturelle introduit ce festival dans un lieu de la diversité par excellence à la lisière de Paris et du fameux 9-3. Quelques mots de remerciement  de Reinaldo Spech, président du festival et les hostilités sont lancées avec le court-métrage de Meriem Amari, intitulé Mon enfant.
 
Mon enfant, Meriem Amari
 
Le court métrage. L’exercice est difficile et je dois reconnaitre que j’ai rarement été convaincu par ce format de film. Une femme occupe l’espace. En noir et blanc. Elle porte une robe berbère. Elle est tatouée à l’henné. Elle est seule. Les plans sont rapprochés. On sent une certaine maîtrise de la technique par la réalisatrice et la qualité du matos. L’esthétique de la représentation contraste avec la noirceur de ce que cette femme, cette épouse, cette mère de famille, la cinquantaine passée exprime. La beauté pour décrire l’abject ou la douleur de violences longtemps ignorées. Une mère décrit un projet mortifère à l’endroit de ses enfants. Choc.
 
 
Derrière les portes fermées, Mohamed BenSouda
 
L’équipe de la rubrique Culture ayant fait une interview de Mohamed Ahed Bensouda en ligne sur Terangaweb depuis une semaine, je suis un peu au fait du sujet du long métrage qui ouvre le 3ème festival international des films de la diaspora africaine. Le harcèlement sexuel est le sujet du film Derrière les portes fermées qui a pour cadre le Maroc. Il s’agit d’une première projection en Europe.  Un poil parano, je suis avec attention le générique d’entrée pour identifier la nature du financement de ce projet. Maroc et OIF. Bon point.
 
Chacun de nous regarde un film avec son background et ses traumatismes parfois encore purulents quand il s’agit d’une histoire parfois proche de soi, quand on paie à regret une séance pour contempler de lourds clichés dont le cinéma africain subventionné est assurément le meilleur vecteur, le pouvoir immédiat de l’image étant désastreux. Aussi, suis-je séduit par les images de la ville moderne que ce film marocain me renvoie, loin des représentations classiques qu’on nous sert à longueur de film quand il s’agit du Maghreb : le souk, les Montagnes, le désert, le chameau et le folklore. Là, on a droit à un dépaysement total avec ce beau tramway en direction de Mohamed VI (et oui, la dédicace s’incruste dans le film).
 
Un sujet plus lourd
Mohamed Ahed Bensouda met en scène des belles cartes postales et affiche un patriotisme comme l’imposant drapeau marocain dans l’openspace qui va servir de cadre à l’intrigue du film.
 
J’ai parlé de harcèlement sexuel. Tout le monde a vu le face à face sulfureux entre l’entreprenante Demi Moore et Michael Douglas, il y a quelques années, sur un film affichant la même thématique. La prétention du réalisateur de Derrière les portes fermées n’est pas d’émoustiller le spectateur avec des scènes torrides. Il brosse un cadre professionnel, très aseptisé. Un open space. Le sujet est beaucoup plus lourd. Un parvenu est parachuté à la direction d'une boîte importante, en raison de ses relations avec un ponte du pouvoir marocain. Assez rapidement, il se prend d’intérêt pour une de ses employées, Samira. Une obsession dans laquelle ce bon père de famille, ce mari « aimant », n’entend pas qu’on lui résiste.
 
Un regard tendre et nuancé
 
Le réalisateur porte un regard tendre sur le combat que la jeune femme va mener dans une société marocaine en mutation. Elle est belle, elle aime ce qu’elle fait et n’entend pas céder au bon vouloir du goujat. Au risque de détruire son propre foyer. Le regard est tendre car, il est panoramique, nuancé et chargé de tolérance quand on observe cette plateforme de travail où les femmes sont en nombre, certaines voilées, d’autres pas du tout. Tendre en raison de l’impasse dans laquelle l’héroïne s’enferme. La question qui taraude le spectateur est celle de savoir : pourquoi ne quitte-t-elle pas cette entreprise ?
 
L’emploi est précieux. Surtout pour une femme. Ce qui augmente d’autant plus le pouvoir oppresseur du dirigeant. Un cul-de-sac qui révèle la nécessité de faire évoluer certaines lois sur ces questions dans le royaume chérifien. C’est l’enjeu un peu marqué du film.

 

Avec Karim Doukkali, Zineb Odeib, Ahmed Saguia, Omar Azzouzi
Réalisation de Mohamed Ahed Bensouda
En salle au cinéma Etoiles aux Lilas depuis le 6 Septembre 2013

Léonora Miano : Une saison de l’ombre

Quand commence le roman, une communauté enclavée et repliée sur elle-même vient de faire l’objet d’une brutale attaque. Un incendie a embrasé de nombreuses cases, servant de diversion pour le rapt de plusieurs jeunes de ce clan. Une fois l’effroi retombé, le constat de la disparition d’une douzaine d’initiés va plonger les mulongo dans une torpeur et remettre en cause l’organisation sociale de ce groupe. La première réaction du clan est de bannir les mères des disparus et de les mettre en quarantaine…


leonora_mianoComment le clan réagit-il à cette attaque sournoise dont il n’est même pas capable de fournir une ébauche d’explication, une tentative d’identification des assaillants?  Un peu comme dans  L’intérieur de la nuit, le roman qui l’a révélé au grand public, la communauté que Miano vit en vase clos, ne maintenant des contacts pacifiques qu’avec les bwélés.

Pour développer son projet, l’écrivaine déploie des personnages intéressants sur lesquels on pourrait s'étendre. Des hommes. Des femmes. A découvrir. L’intelligence et la réussite du texte de Léonora Miano est de montrer comment le commerce relatif à la traite Atlantique s’est abattu sur des communautés naïves et repliées sur elles-mêmes. Elle balaie d’une certaine façon l’idée que la collaboration constatée ou le marchandage des hommes repose sur un fondement intrinsèque. Même si le livre a une thèse, la romancière camerounaise a l’intelligence de faire avancer le lecteur au même rythme que ses personnages dans la découverte de ce qui se trame derrière ses disparitions. Les alliances anciennes volent en éclats, les rivalités ancestrales sont remises au goût du jour en raison de la redistribution des cartes que les négriers offrent aux Côtiers. L’apparition de communautés créoles qui font penser aux prémices de la Sierra Léone et qui, si on y réfléchit bien, représente avec les premiers pas de nos communautés urbaines actuelles faites d’un melting pot, d’une superposition d’ethnies et de croyances multiples. Ici, les habitants de Bebayedi, village sur pilotis, ont réussi à s’extraire de la déportation annoncée, protégées par des marécages.
 
On ne se pose pas assez la question de l’impact sur les populations africaines de cette traite redoutable, où les seuls prisonniers de guerres factices ne suffisaient pas à satisfaire l’appetit vorace des cales de négriers.
 
Ce roman revient sur une préoccupation importante de la romancière camerounaise, déjà présente dans son roman Les aubes écarlates : Quelle sépulture pour ceux qui n’ont pas traversé le pays de l’eau ? Dans un texte où les croyances sont constamment questionnées de manière subliminale ou parfois de façon plus frontale, cette dimension obsédante dans une terre où justement on ne peut faire le deuil tant que mort n’a pas été actée, ces vies arrachées ont laissé des plaies béantes.
 
L’introduction poussive du roman peut traduire le malaise. Etrangement, Léonora Miano choisit de faire la femme le bouc émissaire, celles par qui le malheur arrive [en première lecture]  comme si la puissance du patriarcat découlerait du dysfonctionnement qu’a imposé la Traite sur ces communautés.
Certains auraient voulu formuler des accusations. Révéler des manquements à l’égard des ancêtres, des maloba, et de Nyambe lui-même. Quelle autre explication  devant un tel drame ? Les mécontents ont ravalé leurs protestations

[première lecture. classique. actuelle]

Mutango entend ce qui échappe habituellement à l’humain : les conversations d’une colonne de fourmis, la ponte de scarabée, la poussée de minuscules touffes d’herbe. IL sent . pas seulement la brise qui hoquette à travers l’épais feuillage des arbresn, ni la très lente reptation de la terre sous son postérieur, ses cuisses qui reposent à plat sur le sol. Il y a aussi l’ombre, cette ombre qui n’est pas la nuit, qui frémit au cœur de l’obscurité nocturne. Elle est glacée. Tout est vivant en ce lieu. Tout, excepté cette ombre. Ceux qui la composent, czr elle charrie une légion, appartiennent désormais à une autre dimension. Ils content une aventure dont Mutango écoute attentivement le récit, découvrant qu’il ne se destine pas uniquement à lui. En cet instant précis, il est possible que d’autres reçoivent ces propos. L’homme accorde toute son attention à ceux qui se disent désormais prisonniers du pays de l’eau.

P. 87

Les paroles de Mutango mettent en scène la dimension mystique qui relie ces individus à l’au-delà. Certains parleront de télépathie, d’autres de fantastique africain ou encore de sornettes dans lesquelles se bercent les subsahariens pour reprendre l’expression globalisante de Léonora Miano. Peu importe, Mutango est le personnage qui draine le plus cette philosophie. Il est aussi la figure aussi sur laquelle la romancière porte le regard le plus critique et dont la tragédie, pour peu que le terme soit adéquat, car sa faillite interpelle forcément sur ses croyances et cette mystique lorsque son objet est le service d’un projet personnel.
 
Dialectique sur la femme
Njanjo se lève. C’est une femme menue, mais il émane d’elle une autorité que nul ne songe à remettre en cause. Elle arbore une coiffe perlée qui lui enserre le visage,, se noue sous le menton. D’un geste de la main, elle ordonne que son homologue mulongo et ceux de sa suite soient débarrassés de leurs liens. Mukano, dit-elle, sois le bienvenu.

P.103

La question de la position de la femme est naturellement présente dans le travail de Miano. Mais, il est important d’observer toutes ses descriptions pour se faire une idée globale. Ce roman est porté par le discours et le parcours de femme qui toutes aboutissent d’une manière ou d’une autre. C’est assez subtil et brillant comme narration. Aussi, si la première phase du roman est lourde voire pénible dans l’entame du lecteur, il est important de voir dans l’écriture de l’écrivaine comme une volonté d’arrêter sur l’image de ce bannissement puéril des femmes, porte-malheur attitré, bouc-émissaire parfait du pouvoir patriarcal incapable d’interpréter les événements qui s’abattent sur la communauté.
                  
Le texte ci-dessus montre des femmes dans une position différente dans la communauté bwellé. La position de la femme est valorisée et elle même dominante, au cœur du pouvoir, dans une structure ouverte sur le monde et ses grandes transactions. Là, la question de la fiction et de la vérité historique peut revenir chez le lecteur un poil machiste, d’autant qu’il y a une vraie dimension matriarcale dans cette exercice du pouvoir. Il peut paraître intéressant d’imaginer dans l’écriture de Miano, l’exercice de ce pouvoir matriarcal par une forme d’écrasement et de destruction des hommes détenteurs d’une quelconque parcelle d’exercice de la tyrannie phallocrate. C’est au lecteur de se faire une idée, en bouclant cette lecture.
Je terminerai mon propos en indiquant que nous sommes face à un roman brillant, exigent et qui n’est pas simple d’abord, jusqu’à ce Léonora Miano lâche ses personnages au-delà de leurs limites.

Editions Grasset, 235 pages, première parution en 2013
 
L'auteur donne la lecture de son roman sur son site.

Ken Bugul : Riwan ou le chemin de sable

Ken BugulIl s’agit de ma première lecture de cette romancière originale. J’ai pris mon temps. Il faut dire que Ken Bugul est un nom que je connais depuis les années fac, quand je m’essayais à l’art du théâtre avec des amis étudiants à Brazzaville. Pour une raison que j’ai oublié Ken Bugul était associée à la pièce de théâtre L’intrus de Bilal Fall que nous interprétions, à l'époque. Les portraits ou commentaires que j’avais pu glaner çà et là sur cette écrivaine sénégalaise me laissaient penser qu’on ne sortait pas indemne d’une lecture d’un de ses ouvrages. Comment pourrait-il en être autrement d’un auteur qui revendique sa marginalité jusque dans le choix de son nom d’artiste (Ken Bugul signifie " personne n’en veut " en ouolof)?

Dans Riwan ou le chemin de sable, elle délivre sa propre expérience de femme lorsqu’elle devint la 28 épouse d’un grand Serigne, un guide spirituel influent dans les communautés musulmanes sénégalaises. Cette intellectuelle qui a parcouru le monde, et qui s’est abreuvée à des sources de savoirs multiples rentre éreintée sur ses terres, dans l'arrière pays et se prend d’amitié avec ce marabout. Elle découvre avec une fascination certaine la cour de cet homme faite de nombreuses femmes, belles, âgées, adolescentes, vieilles, bruyantes, timides, altières. Elle s’interroge :

Ce qui me frappait ici, dans cette cour, c’était l’apparente sérénité qui y régnait. Comment huit, douze femmes, pouvaient-elles partager la même chambre et le même homme ? Moi qui appartenais à la classe de celles qu’on disait allées à l’école des Autres, je ne pouvais pas comprendre cela et encore moins l’admettre. Avec tous les hommes que j’avais fréquentés, la jalousie, avouée ou étouffée, m’avait rongée jusqu’à l’os et elle m’était plus familière que tout autre sentiment. Comment ces femmes, la plupart belles, jeunes, pouvaient elles vivre dans la même cour ? Pourtant c’était dans une cour partagée par deux femmes que j’étais moi-même née. Mais de cela non plus je ne voulais plus me souvenir. On m’avais appris là-bas à rêver d’une cour différente, une cour où je serais seule.

Page 35 Ed. Présence Africaine

 

Avant de brosser son propre portrait et son entrée dans la cour, Ken Bugul prend le temps de décrire les différents ressorts d’une union matrimoniale dans son pays, le mariage arrangé, la virginité et le code de l’honneur associé. Elle partage ensuite deux expériences, celle d’une amie d’enfance, Nabou Samb qui a eu un mariage de rêve et celle Rama, fille de Mbos qui fût " livré " par sa famille au Serigne. A peine pubère. Rama va être initiée, s’épanouir et devenir femme auprès de cet homme avant de passer aux oubliettes. Elle n’est plus appelé. La plume de Ken Bugul décrit avec beaucoup de finesse l’amertume et la soumission de Rama. En intégrant la cour du Serigne, la narratrice découvre la volupté. Avec l’homme. Et au contact de ses femmes. Elle se réconcilie avec elle-même. Nouvelle favorite du Marabout, son regard évolue. Elle est cependant consciente que la dimension spirituelle de la relation de ces femmes avec le Serigne est un facteur important dans la sérénité qui règne dans cette cour.

Je ne cherchais pas quelqu’un seulement intelligent, je cherchais quelqu’un qui avait vécu, qui avait souffert, non pas seulement de sa propre misère mais de celle des autres, quelqu’un qui avait joui, non seulement de son propre plaisir mais aussi de celui des autres, un homme sensible au sourire et à la larme d’un enfant (…) Ces théories de liberté, d’émancipation, désintégraient les relations car elles détruisaient la tendresse. En plus de la destruction de la tendresse, l’impossibilité d’apprécier une démarche, des gestes beaux, la finesse d’une main, une brise de parfum virevoltant, toute cette gestuelle dans un verre d’eau qu’une femme tendait à un homme…

Page 146 Ed. Présence Africaine

Riwan

Dans un style sobre où les certitudes côtoient les interrogations de la narratrice, où la sensualité de cet univers de femmes est brossée avec la magie de Ken Bugul, le lecteur a un champ de découvertes et de réflexions intéressant. Il observe également les apparentes contradictions de l’auteur qui ne font que souligner la relativité du point de vue que l’on peut porter sur le paysage humain qu’elle nous décrit. Je me suis personnellement régalé en lisant ce roman (ou récit) tout en échangeant avec mes amis soninkés de certains points qui m’échappaient. La fin de l’ouvrage est à l’image de l’ensemble de l’œuvre : déroutante. Ken Bugul que l’on aurait pensé plus progressiste y offre un conservatisme cloisonnant. Faites-vous votre propre idée. Elle a obtenu le Grand Prix de Littérature d’Afrique noire 1999 suite à la publication de cet ouvrage. Bonne lecture

 

Ken Bugul, Riwan ou le chemin de sable Présence Africaine, 223 pages

1ère parution 1999

Photo de Ken Bugul par Sir Realist

Approcher le mysticisme par le roman

Laréus Gangoueus revient pour Terangaweb-l'Afrique des Idées sur la première session de l'Université Populaire de la littérature des Afrique(s), consacrée au thème du mysticisme dans le roman africain.


Mysticisme Roman
 

J’assiste à de nombreuses rencontres sur la place  parisienne. Le luxe du francilien. Mais force est de constater que toute manifestation ne mérite pas que l’on s’attarde dessus. Avec les universités populaires de la littérature africaine, la retranscription s’impose. On est à la librairie Galerie Congo, enfin dans le 7ème arrondissement de Paris, autrement dit le plus bourgeois des quartiers. Cela reste populaire. Un professeur a la lourde tache de nous introduire sur la thématique de la session  : Approcher le mysticisme à travers le roman. Disons-le, le thème est délicat, épineux et je me demande sous quel angle Jacques Dalodé peut lancer les hostilités dans le cadre apaisant de la librairie Galerie Congo.

 

L’option choisie par l’auteur optimiste des Très bonnes nouvelles du Bénin a été celle de tout bon littéraire et amoureux épris des mots sachant taire son égo : l’effeuillage des textes, leur mise à nu. Pour cela, il a choisi de ramener ses étudiants d’un soir à un texte essentiel : L’enfant noir de Camara Laye, paru en 1953. Un classique que j’ai lu adolescent. Jacques Dalodé évoque un épisode où l’enfant noir se remémore le rapport de sa mère avec le monde invisible. Cette dernière a une sensibilité qui fait qu’elle reçoit des révélations au travers des songes et parlent aux esprits qui trament des actions contre ses proches. Son pouvoir reconnu dans la contrée, on l’appelle pour briser des sortilèges. La place de parole dans son action est importante. Elle parle. Il y a là, ce n’est plus Jacques Dalodé mais l’étudiant d’un soir que je suis qui s'exprime, la première base du mysticisme, notion qui n’a pas été clairement définie. Le mysticisme introduit une notion d’interaction par la parole de l'homme entre un monde intangible et celui qui est matériel.

L’interprétation des lectures choisies de Jacques Dalodé le conduit à extraire trois approches intéressantes du mysticisme par la fiction africaine :

 

Bassin du congoL’étudiant intéressé pourra découvrir les lectures de ces textes triés par l’écrivain béninois. Certains extraits de roman sont réellement chargés de ces atmosphères qui caractérisent le champ magico-religieux qui conditionnent nombre de populations d’ascendance africaine. D’ailleurs, les descriptions de Gary Victor étonneront les néophytes par leur proximité avec des réalités africaines. Mais, cela, j’en ai déjà dressé plusieurs remarques dans ma chronique sur les treize nouvelles vaudou.


Jacques Dalodé complète son exposé par deux lectures : celles du Pleurer rire d’Henri Lopès et de son propre recueil de nouvelles Très bonnes nouvelles du Bénin et il apporte deux nouvelles approches :

  • Le mysticisme par l’exercice du pouvoir
  • Le mysticisme par la raison et l’empirisme

Avant d’évoquer la deuxième partie des échanges, j’aimerai réagir sur l’exposé et la définition du mysticisme qui, dans une approche très commune, s’apparente à l’occultisme. Je me souviens qu’adolescent dans les quartiers populaires de Brazzaville, la qualification « mystique » à un acte renvoyait immédiatement à la fois à l’occulte et à la capacité à interagir avec les mânes, les ancêtres et autres esprits. Là-bas, il ne viendrait pas à l’esprit du commun des mortels de comprendre la prière d’un prêtre catholique ou d’un pasteur évangélique comme un acte mystique. Ce qui cependant à la définition du mysticisme.Le mysticisme est associé aux croyances magico-religieuses et corrélé à une part de mystère (ce qui est le cas) et de fantastique. Cela explique en partie, le fait que la session et le traitement de la thématique ont touché le vaudou, le culte des ancêtres et l’animisme, bref croyances africaines plutôt endogènes, alors que l’islam et le christianisme auraient également pu faire l’objet d’une scrutation. En effet, comment s’exprime le mysticisme africain dans le cadre des réligions monothéistes ? La littérature africaine se confronte-t-elle à cette dimension ?

De gauche à droite Dibakana Mankessi, Pierre Laporte et Jacques Dalodé


La table ronde avec Jacques Dalodé, Pierre Laporte et Dibakana Mankessi

Faisant suite à l’exposé, le débat qui est tout aussi intéressant: Pierre Laporte, auteur du roman poétique Trajectoires paru aux éditions Diasporas noires, professeur de sciences physiques, cartésien endurci et Dibakana Mankessi, romancier et entre autres, auteur de La brève histoire de ma mère (Editions Acoria), sociologue, mystique adouci. Ils ont rejoint Jacques Dalodé, ingénieur des ponts et chaussées. Ce background n’est pas signalé ici pour faire pompeux, il va pas mal orienter les échanges que nous vous invitons à découvrir par le biais de la vidéo.

« Où allons-nous ? »

La question fondamentale que l’aîné Gabriel Kinsa, conteur, griot qu’on ne présente plus, cette question disais-je pose depuis l’assemblée des étudiants est : « Où allons-nous ? ». Même, si le sage l’intronise par un de ces préliminaires dont seuls les maîtres de la tradition orale savent faire l’usage, l’interrogation a un écho particulier en chacun des étudiants d’un soir. Car les textes lus renvoient à de nombreuses réalités sur lesquelles on a justement du mal à mettre des mots. Un contexte lourd, pesant, oppressant dont on parle avec discrétion. Si le daman de Camara Laye semble dicter ses quatre volontés à l’invisible, si la puissance de sa parole lui permet d’avoir le contrôle sur les événements et apporte une protection nécessaire, ce qui vaut pour la mère, ne vaut pas forcément pour le fils. « Où allons-nous ? » traduit aussi la possibilité de se tenir à distance pour prendre du recul ou pas. Ayiti, viscéralement attachée à ses croyances africaines, nous révèle, au travers du texte de Gary Victor, Treize nouvelles vaudou, combien cet imaginaire est envahissant et oppressant tant pour les personnages mis en scène que pour les lecteurs. Il n’y a qu’à entendre Jacques Dalodé parlant de ses lectures sous-terraines et de ses sorties titubantes de rame de métro. Notre homme n’a pourtant bu. Il s’est pris une nouvelle de l’haïtien. Un bémol a d’ailleurs été émis quand Pierre Laporte, un peu trop cartésien, a parlé d’un fantastique qui lui parle. Ce qui est fantastique pour vous, lui a rétorqué un intervenant, constitue un socle de croyances voraces qui prédétermine les actions de beaucoup de personnes dans ces contrées tropicales.  


La possibilité de la distance

Une difficulté que j’ai observée pendant cet échange et de manière générale en littérature des Afriques et celle de la prise de distance par rapport à ces croyances qui pour certaines peuvent participer à la construction des individus, mais qui souvent sont sclérosantes. Jacques Dalodé, qui a écrit un texte qui pourrait être perçu comme une réponse venue du Bénin à Gary Victor, explique un peu la distance et l’humour qui sous-tendent ses nouvelles en faisant intervenir le surnaturel béninois : L’éducation et l’exil simplifient la prise de parole. Quand on sait que Gary Victor est plongé dans son île, il y a là un élément de réponse qui explique que son texte soit autant marqué. Mais que dire de Ben Okri et de ses mondes oniriques ? L’atmosphère de La route de la faim, que les lectures de Jacques Dalodé font découvrir, est assez proche du roman Etonner les dieux du même romancier. Ici, le destin d’Azaro, son personnage central est littéralement lié au monde surnaturel. Difficile de dire si une mise à distance est possible. La croyance de Camara Laye aux pouvoirs de son daman est sans équivoque : il a vu. Celle d’Alain Mabanckou est chargée de sarcasme dans Mémoires de porc-épic (Prix Renaudot 2006). Alain Mabanckou se montre habile dans sa lecture des dites croyances. Faisant écho au bestiaire des fables de Jean de La Fontaine, il met un sympathique porc-épic dans la peau d'un remarquable tueur en série. « Si un béninois racontait une histoire proche de celle narrée par le célèbre romancier congolais, je n’y verrai que du feu ». Je paraphrase Jacques Dalodé. Tellement ces croyances sont partagées en Afrique subsaharienne. Alain Mabanckou en joue avec efficacité pour proposer un vrai mangeur d’âmes, auxquels les bantous croient beaucoup plus que l’apprenti tueur pathétique, Grégoire Nakobomayo, d’African psycho (paru en 2004). La distance dans Mémoires de porc-épic est à la fois dans l’humour et l’originalité de ses drôles de mémoires. Un élément intérieur à ce système de pensée vient à confesse, il fallait y penser et être suffisamment détaché pour le faire.


D’ailleurs sur la question de la distance, Jacques Dalodé est quelque peu dubitatif quand la question « Auriez-vous pu écrire les Très bonnes nouvelles du Bénin dans votre pays ? » lui est posée. On sent qu’écrire sur une telle thématique n’est pas aisé.

Critique et bémols

Qui a lu Très bonnes nouvelles du Bénin, comprendra la logique et le cartésianisme qui conduit l’analyse de Jacques Dalodé. Il pose d’ailleurs une question judicieuse. Si ces croyances étaient aussi efficaces,pourquoi, les hommes d’état qui les utilisent pour tenir leur population sous leur coupe, ne les utilisent pas à des fins de développement ou pour au moins augmenter leur fortune personnelle ? On entre naturellement dans un nœud très complexe à défaire. Croyances entretenues pour dominer les individus qui s’y soumettent. Certains évoqueront qu’il ne s’agit pas du même référentiel. Mais ceux qui après cette rencontre, approfondiront la lecture de Gary Victor,pourront mieux cerner ce questionnement qui est manifeste dans les lettres d'Haïti et dans de nombreux textes de littérature africaine. Cartésien, Dibakana Mankessi l’est aussi dans son travail. Et ce n’est pas forcément incompatible avec sa croyance au culte des ancêtres avec lesquels il interagit. Il tente d’apporter une nuance sur les mots avec une nécessité de différencier occultisme et mysticisme. Ses  développements sont disponibles sur la vidéo.

Pour terminer

Cette première session de l’Université populaire de la littérature des Afrique(s) a été riche d’enseignements. Comme Les palabres autour des Arts, elle est un échange certes introduit par le maître de céans, mais offre un vrai échange autour d’une thématique. A la différence, et cela est peut être le fait que c’est un auteur qui lançait le coup d’envoi, l’exposition aux textes et aux mots a fait de ce moment une véritable rencontre littéraire. Le sujet aussi délicat fut-il a été remarquablement abordé avec des angles d’attaques très différents. La question qui demeure est celle de savoir si l’approche de ces formes de mysticisme est émancipatrice pour l’homo africanicus. Une réponse proposée au lecteur est dans les ouvrages lus. Voir la vidéo de la session

 

 

Ouvrages de référence
  • Très bonnes nouvelles du Bénin, Jacques Dalodé (éditions Gallimard, Continents noirs, 2012)
  • La route de la faim, Ben Okri
  • Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou (édition du Seuil, Prix Renaudot 2006)
  • Treize nouvelles vaudou, Gary Victor (éditions Mémoires d’encrier, 2008)
  • Le pleurer-rire, Henri Lopès (éditions Présence africaine, 1982, Grand prix littéraire d’Afrique noire)
  • L’enfant noir, Camara Laye (éditions Plon, 1953)

Auteurs présents pour la première session de l'UPLA

  • Pierre Laporte. Trajectoires (roman poétique, aux éditions Diasporas noires, 2012)
  • Dibakana Mankessi. La brève histoire de ma mère (roman, aux éditions Acoria, 2009) 
  • Joss Doszen. Le clan Boboto (Loumeto)

(*) UPLA – Université Populaire de la littérature des Afrique(s)