Femmes d’Afrique, reines et guerrières : quel héritage aujourd’hui ?

A l’occasion du 12ème festival Africa fête à Marseille, l’exposition itinérante « Femmes, d’Afrique », sur les figures féminines d'Afrique qui ont marqué l'Histoire, a posé ses valises dans la cité Phocéenne. Le vernissage a eu lieu le 9 juin dernier au CRIJPA (Centre Régional Information Jeunesse Provence Alpes), sur la plus célèbre avenue de Marseille, la Canebière.
Depuis bientôt 5 ans, j’entends parler chaque année du festival artistique « Africa Fête ». Je me souviens même avoir tenté de décrocher un stage dans la production de cet événement. Alors, lorsque j’ai reçu l’email promotionnel de l’édition 2016, comme chaque année, je me suis promis d’essayer de participer à l’un des nombreux concerts programmés du 10 au 18 juin. Mais cette année une représentation a particulièrement attiré mon attention : la tenue de l’exposition itinérante « Femmes, d’Afrique  ». 

A la recherche du modèle féminin

Je suis moi-même une femme, d’origine africaine, pleine d’ambition ayant été élevée par une femme africaine seule devant assurer à la fois le rôle du père et de la mère. 
Sans parfaitement connaitre les rites et coutumes de mes deux pays d’origine, le Bénin et la Guinée, je ne sais que trop bien l’importance du rôle de la femme dans ces sociétés : A la fois arme, bouclier, et parfois paillasson…
Ces dernières années, peut-être par intérêt grandissant pour ce sujet ou par hasard, j’ai vu et lu pas mal d’articles sur la femme africaine, sur LES femmes africaines. Martyres ou entrepreneures, elles attirent la lumière et leurs actions font parler d’Elles ! 
Maureen Ayité, Aissa Dione, Fatou Diome… leurs parcours me fascinent, me motivent, chaque jour. Comme elles, j’aimerais laisser ma trace, montrer que l’on peut être femme, noire et réussir ! Alors, comme en quête de conseils, d’une recette, ou de formules magiques pour atteindre cet objectif, j’ai décidé d’aller voir « Femmes, d’Afrique ». L’exposition en 32 panneaux dresse les portraits de figures féminines emblématiques qui ont impacté l’Afrique, redonnant aux femmes du continent leurs places dans une histoire et une société qui ne les présentent que trop souvent comme des victimes et non des héroïnes.

Exposition sur les figures féminines d'AfriqueMes impressions : quid des femmes africaines d'aujourd'hui ? 

De l’Antiquité à nos jours, l’exposition propose des portraits photographiés et écrit de La Yennega, Ruwej, Nzinga, la Reine Pokou, Gankabi, Naga, Les Djamila, Awa Keita ou encore Césaria Evora et bien d’autres.
L’exposition que je me faisais une joie de découvrir m’a en partie déçu. Je n’ai pas trouvé dans cette exposition ce que je recherchais. Je n’ai trouvé que de longs paragraphes, des légendes parfois lointaines.
Je me suis arrêtée sur 4 ou 5 panneaux (sur 32) que j’ai pris le temps de lire ; principalement sur des femmes contemporaines et d’Afrique de l’Ouest. Après un verre de bissap et quelques mots échangés avec le groupe Swing Mandingue, j’ai quitté l’exposition prématurément. Sans vouloir me l’avouer, je suis sortie avec une sensation de mission en partie accomplie mais tout de même inachevée, et une désagréable sensation de déception. Les figures représentées étaient bien souvent inconnues pour moi, trop éloignées. Les textes descriptifs étaient bien trop longs. Les titres n’étaient pas assez « aguicheurs ». L’ambiance, malgré les rythmes familiers joués par Swing Mandingue, n’était pas au rendez-vous… Enfin de mon côté, je ne suis pas assez rentrée dans le sujet, je ne me suis pas sentie invitée à m’imprégner des parcours qui étaient présentés… 
Cette exposition n’a pas pu satisfaire mon besoin de comprendre : Comment ces femmes ont su faire bouger les murs, quels étaient leurs défis, leurs contraintes, quelle a été leur force et leur conviction ? Et surtout, au-delà de la connaissance, quel héritage pour nous aujourd’hui ?
Ma frustration est légitime car le thème des « femmes africaines » est relativement récent comme sujet de recherche, notamment en Afrique francophone. Ma sensation de manque et d’inachevé à la sortie de cette exposition est plus liée au manque général de connaissance, ou plutôt au manque d’accessibilité à la connaissance sur ce sujet. L’exposition femme d’Afrique agit ainsi comme un levier, suscitant l’intérêt pour l’histoire de la femme africaine, pour comprendre la condition des femmes noires de nos jours et le rôle qu’elles pourraient jouer pour leur cause. 
Au-delà des icônes parfois lointaines, c’est l’évolution de la gente féminine du continent qu’il faudrait étudier, ou tout du moins analyser, pour percevoir l’héritage de siècles d’histoire. Car de l’emblématique femme africaine à la simple ménagère, chacune a dû faire avec son temps ; intégrer les valeurs transmises et les transformer face aux défis de son époque.
Il ne suffit pas de retenir qu’il exista jadis des amazones, ou que la Kahena mena une valeureuse guerre, il est nécessaire de comprendre le contexte qui les a menées à prendre cette place dans l’histoire, pour faire de même de nos jours à notre tour.


Pour aller plus loin sur le thème :
–    le site de l’UNESCO qui met en lumière certaines icones africaines : http://fr.unesco.org/womeninafrica/ 
–    Catherine COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire des Femmes d'Afrique », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 6 | 1997, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 14 juillet 2016. http://clio.revues.org/373  
L’exposition « Femmes, d’Afrique » est une exposition itinérante qui peut être louée pour un temps plus ou moins long en fonction de vos besoins ou de la durée de votre événement.
Coopération par l’Education et la Culture
19, avenue des Arts – 1000 Bruxelles
tél. : 02.217.90.71 – fax : 02.217.84.02 – info@cec-ong.org

Michelle Camara

Le Kollectif Afrobeat exporte la culture afro en province

Fela, artiste nigerianA force de rencontre, de mariages, de divorces, et de métissage, la culture africaine a essaimé donnant naissance à de nombreux styles de danse ou encore de musique… Aujourd’hui plus que jamais la culture africaine s’exporte et traverse les âges, elle vit hors du continent grâce à la diaspora et à ses amis.

A Marseille, la diaspora (ou plutôt devrais-je dire les diasporas) et les amateurs de culture africaine ont aussi leur lieu de rassemblement, l’Afriki Djigui Théatri. Depuis décembre, le Kollectif Afrobeat y donne un concert tous les deux mois : la « session Afrobeat ». J’ai assisté pour vous à leur dernier concert le 26 février. Récit d’un bel exemple de diffusion de la culture africaine :

L’Afriki Djigui Théatri, un haut lieu de diffusion de la culture afro

Des bancs par-ci, un vieux fauteuil par-là, des cadres et quelques masques africains aux murs. Le local d’Afriki Djigui Théatri a une décoration basique et un confort sommaire, il a tout d’un simple local associatif. Mais sa buvette improvisée et la petite scène que l’on découvre en fond de salle laisse penser qu’il s’y passe bien plus de choses qu’on ne peut le croire en pénétrant au 27 rue d’Anvers. L’association est un haut lieu de la culture afro à Marseille. Créée en 2001 par l’actrice ivoirienne Nacky Sy Savane et le promoteur culturel Kélétigui Coulibaly, dès ses débuts, l’Afriki Djigui a pour vocation d’offrir un espace d’expression aux artistes africains. Théatre, musique, contes, cinéma, rencontres littéraires, expositions, cette association franco-ivoirienne offre une scène aux arts africains et afrophiles qui ne trouvent pas toujours un lieu d’exposition dans nos villes. L’Afriki Djigui crée un pont entre la diaspora et son continent en lui facilitant l’accès à ses racines. Mais ne vous y trompez pas, l’Afriki Djigui Theatri n’a pas pour but d’être sectaire, sa programmation est riche et va dans le fond et dans la forme au-delà des frontières africaines. Kélétigui Coulibaly prône « la rencontre et la découverte autour de la culture […] et que l’on prenne ce qu’il y a de meilleur chez le voisin). Ainsi la programmation fait aussi la part belle aux arts et styles musicaux dérivés de la culture afro : le blues, le jazz, l’afrobeat…

Le Kollectif Afrobeat, un bel exemple de l'universalité africaine

L’Afriki Djigui Théatri apparaît alors comme la scène toute désignée pour laisser éclater la musique festive du Kollectif Afrobeat. Le groupe né il y a cinq ans à l’initiative deux copains musiciens : Christophe le guitariste et Nicolas le batteur qui rencontrent ensuite Fred le chanteur. Le trio s’entoure progressivement de musiciens talentueux et passionnés pour constituer un orchestre. Le Kollectif Afrobeat, c’est une bande de 15 musiciens qui s’enjaillent sur scène sur un mélange de funk, de jazz et de highlife: l’Afrobeat. « J’adore cette musique, une fois que l’on rentre dedans, on n’en sort plus » confie Louise, une saxophoniste suédoise fraîchement recrutée. Le groupe est riche, varié et métissé à l’image de la musique de Fela Kuti auquel la bande rend hommage. Dans le Kollectif Afrobeat on écoute des hommes, des femmes, des blondes, des brunes, des chauves, des jeunes et moins jeunes, de toutes origines mais pas nécessairement africaine. « Non, nous n’avons pas de lien particulier avec l’Afrique, nous ne participons pas non plus à des actions humanitaires, mais on adhère à la musique et au message de Fela Kuti ». Et quand la bande joue, tous les instruments de l’afrobeat sont là : saxophone, trompette, guitare, batterie, conga, clavier et les emblématiques chekeré et clave. Les différents chanteurs du groupe, fidèles à l’œuvre de l’artiste, reprennent même ses paroles en yoruba et en pidging. « Chacun son moyen de lutte » me dira Christophe ; « Fela était un artiste engagé et faisait passer un message à travers sa musique et nous on prend part à la lutte en jouant la musique de Fela! » Le rythme et la ferveur sont là quand on écoute le Kollectif Afrobeat. Dès l’intro le public agit comme en miroir face au groupe, sourire aux lèvres, les pieds qui battent la mesure. A l’écoute des paroles, on cerne le propos « No agreement today, no agreement tomorrow. I no go agree make my brother hungry».

Fela Kuti et l'Afrobeat : l'histoire d'un musicien engagé

Ni musicienne, ni historienne, je ne connaissais rien de l’Afrobeat ni de son créateur et encore moins son histoire. C’est donc à travers la performance du Kollectif Afrobeat et suite à mes échanges avec ses porte-paroles que j’ai découvert l’art et le combat de Fela Kuti. Il y a quelque chose de frappant dans l’histoire de l’artiste musicien nigérian. Sa musique est à l’image de sa vie et sa vie à l’image de l’Afrique, pleine de ressources et influencée, brave et engagée, entre gloire et déchéance. Né en 1938 au Nigeria, Fela Kuti va faire son éducation musicale en Europe. En voyage aux Etats-Unis au début des années 1970, il se forge une conscience politique. De retour au Nigéria, la musique de Fela Kuti opère un retour aux rythmes africains savamment alliés à des rythme jazz et funk. Ses textes en pidging porte un message politique engagé en faveur de l’émancipation et de la responsabilisation du peuple nigérian face à la corruption de la classe dirigeante de l’époque. Les titres « Why blackman dey suffer » et « no agreement » clairement expriment son engagement. Homme de culture populaire, il est arrêté, battu et incarcéré à plusieurs reprises. Il meurt en 1997 du virus du sida et usé par des années de lutte pour le Nigéria.

Imprégnée, géniale, inspirée, engagée, tragique, telle se résume l’œuvre et la vie de Fela. L’africain est artiste, il devient génie lorsqu’il discipline ses élans créateurs et se nourrit de ses racines pour inventer. Il se mue en leader quand il utilise son art pour conscientiser, il meurt mais son œuvre lui succède quand il a su rassembler. 

Pour qu’elle vive et traverse les frontières, la culture afro a besoin de caisse de résonnance. C’est ce que propose l’Afriki Djigui Théatri à Marseille. Sa programmation met la lumière sur des artistes influencés par la culture afro sous toutes ses formes. C’est le cas du Kollectif Afrobeat, dont certains membres marqués par les performances scèniques de Fela de son vivant, contribuent aujourd’hui à la diffusion de son œuvre. Les oeuvres comme celles de Fela sont une richesse, qui doit être transmis aux nouvelles générations de jeunes africains et issues de la diaspora car la culture est aussi une arme de lutte soft, il est dans l’intérêt commun que la nôtre rayonne. 

Michelle Camara