Il faut réinventer les relations économiques France-Afrique

francafrique-cartesL’Afrique connaît une croissance économique sans précédent. Cette évolution a de nombreuses conséquences, et modifie profondément les besoins de partenariats des pays concernés. Avec le développement de la présence d’acteurs tels que la Chine, dont l'approche est beaucoup plus « business » que « diplomatique », cette situation peut présenter le risque d’une marginalisation de la France, à moins que nous mettions rapidement en place les moyens d'une relation économique rénovée. 

 

1. L’Afrique connaît  une croissance économique sans précédent

De 2000 à 2008 l’Afrique a connu un taux de croissance historique, avec près de 5 % en moyenne, soit trois fois plus que la France.

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Source : Banque Mondiale

Derrière cette tendance macroéconomique se cachent des évolutions qui remettent en cause de nombreuses idées reçues sur l’Afrique. Ainsi :

  • le Rwanda figure dans les premières places du classement « Doing Business » de la Banque Mondiale, qui évalue les efforts réalisés en faveur de la création d’entreprise. Bien loin de l'image laissée par le génocide, ce pays connaît actuellement une croissance record – plus de 11% pour 2013-2017 ;
  • suivant l’exemple de l’Inde, des pays comme le Maroc ont développé une industrie d’exportation de services notamment informatiques, créant des milliers d’emplois qualifiés et attirant des multinationales de premier plan ;
  • au Kenya, 23 % de la population utilise désormais un système de paiement par téléphone mobile par lequel transite l’équivalent de 11 % du produit intérieur brut de ce pays, et qui fait figure de modèle mondial ;
  • la croissance de l’Afrique sur les années récentes, loin d’être concentrée sur l’exportation de matières premières ou sur l’industrie de base, fait apparaître un fort développement des services hôteliers, financiers ou de communication.

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Source : Global Insight, African Development Bank, Arab Monetary Fund, McKinsey Global Institue

2. Ce décollage modifie profondément les modes de développement de ces pays

En conséquence, le développement économique de ces pays emprunte de nouvelles voies :

  • les investissements privés sur des projets rentables, qui représentaient des flux marginaux jusqu’au début des années 90, dépassent désormais très largement les flux de l’aide publique au développement ;
  • les besoins d’accompagnement des pays concernés évoluent : alors que l’accès au financement représentait le principal besoin il y a 20 ans, ce n’est plus le cas pour beaucoup de pays, courtisés notamment par des pays tels que la Chine (qui a annoncé fin 2009 un montant de prêts de 10 milliards d’euros à l’Afrique). Cette dernière qui engage avec ces pays des discussions d’égal à égal jugée par plusieurs de leurs interlocuteurs comme étant beaucoup plus « business » ;
  • les pays concernés ont des besoins d’accompagnement qui évoluent. En effet, le besoin d’accompagnement peut se rapprocher du type d’accompagnement utilisé par les pays plus développés – comme par exemple la refonte du système informatique de gestion des demandeurs d’emploi  En outre, un Etat souverain pourra difficilement confier un projet de refonte de sa stratégie économique à une agence d’un pays pouvant être l’un de ses concurrents. 

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Source : World Bank Development Indicators, McKinsey Global Institure

3. Cette situation offre des opportunités, sous réserve de nous y adapter

Cette situation est nouvelle, et probablement appelée à durer. Elle ne remet pas en cause l’intérêt des missions des agences de développement, qui restent  pertinentes et ont tissé des relations de qualité dans de nombreux pays. En revanche, cette situation fait apparaître un besoin croissant d’autres outils et d'une relation renovée entre la France et les pays d'Afrique, adaptés à l’accélération du développement d’une partie des pays concernés, davantage basée sur l'idée d'une croissance « endogène » :  ces pays ne nous attendent pas pour croître, mais ils cherchent des partenaires économiques sérieux

Pour ne donner que quelques exemples :

  • le développement économique d’une partie de ces pays, bien qu’élevé, est souvent encore insuffisant pour permettre la réduction du chômage, qui constitue l’une des causes premières des flux migratoires. Or des pays tels que le Maroc, le Kenya ou les Philippines ont créé des dizaines de milliers d’emplois en mettant en œuvre, d’une façon unilatérale, des programmes de développement économique qu'ils conçoivent seuls. La France pourrait contribuer à ces travaux – non dans une logique « d'aide au développement », car ces pays ne demandent pas d'aide – mais par le biais de réseaux d'experts ou d'initiatives telles que celles initiées pa l'Union pour la Méditerrannée ;
  • ces pays ont souvent besoin de compétences (informaticiens qualifiés, cadres expérimentés, dirigeants capable de prendre la tête d’une filiale de groupe étranger), et pourraient mobiliser davantage leurs expatriés, et amplifier les capacités de leurs systèmes de formation. Ainsi, certains pays d'Afrique ne produisent que quelques centaines d'ingénieurs par an, alors que la croissance de leur secteur pétrolier en demande des dizaines de milliers. Ainsi une agence de développement des talents[1], notamment chargée de faciliter l’attraction des talents ou le retour des talents expatriés, a-t-elle été créée à Singapour, et de tels projets sont actuellement en cours d’étude dans d’autre pays. Là encore, on pourrait imaginer un programme de basé sur l’identification précise des talents nécessaires au développement économique, et la mise en place des moyens permettant  de les attirer ; 
  • pour les travailleurs moins qualifiés, le marché du travail ou le système de formation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi de ces pays fonctionne souvent d’une façon très imparfaite. Par exemple, alors que la France affiche un ratio d’un peu plus de 50 demandeurs d’emploi par agent de pôle emploi, et que le Royaume Uni présente un ratio deux fois moindre, on compte en Tunisie 400 demandeurs par agent de l’ANETI, ce qui exclut toute possibilité d’accompagnement ! A l’inverse l’Inde ou le Maroc ont créé des milliers d’emplois en mettant en place des formations « à la demande » ciblées pour garantir aux multinationales des emplois adaptés à leurs critères de sélection et assurer une réduction rapide du chômage. Pour soutenir la croissance, un effort particulier sur l'efficacité du secteur de la formation et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi est nécessaire ; 
  • le développement économique français pourrait enfin bénéficier du décollage des pays d’Afrique, en développant les partenariats économiques, notamment avec les pays francophones.  Ce modèle, proche de celui réalisé par l’Allemagne avec les pays de l’Est, ou des Etats-Unis avec l’Inde.  Le succès de l'industrie logicielle américaine tient en partie à ce partenariat qui, en Inde, a créé un secteur informatique de plus d'un million d'emplois. La francophonie offre à la France un atout économique considérable, offert par le partage d'une même langue, malheureusement sous utilisé.

4. Pour une relation franco-africaine rénovée

Le partenariat entre la France et l'Afrique occupe une place croissante dans les discours et l'agenda médiatique. Dans les chiffres, cependant, ce partenariat n’a pas encore pris la dimension qu’elle mérite. Cette situation entraîne trois risques :

  • un risque économique, celui de priver progressivement la France d'un partenariat économique avec un continent avec lequel elle dispose pourtant d’une relation historique forte et d'un atout unique : une communauté linguistique sans équivalent dans le monde ;
  • un risque géostratégique, celui de laisser des pays tels que la Chine se positionner en « interlocuteurs business », et concentrer l’action de la France sur l’aide au développement « classique » ;
  • un risque politique, celui que, faute de montrer et de rappeler aux Français que l'Afrique est avant tout une promesse bien plus qu'une menace, les flux migratoires et le repli sur soi prennent dans le débat politique la place que devraient prendre le développement économique.

Or la relance de toute relation nécessite plusieurs préalables :

  • faire table rase d'une partie du passé. Il existe encore des mots ou des symboles du passé qui peuvent blesser. Il faut les exprimer afin de tourner définitivement la page ;
  • inscrire cette relation dans la durée. Comme tous les projets de long terme qui ont traversé les alternances (France 2025, Grand Emprunt,..) cette initiative doit être inscrite dans le durée : être transpartisane, s'appuyer sur des institutions fortes (il n'existe par en matière de relations France-Afrique l'équivalent de l'Union pour la Méditerranée) et des projets concrets ;
  • prendre conscience des opportunités futures, et de ce que les partenaires peuvent s'apporter dans une relation d'égal à égal. Paradoxalement, les études sur ce thème sont relativement rares. Alors que les tentations protectionnistes ou racistes s'expriment sans tabous, le potentiel de l'Afrique pour la France mériterait d'être davantage analysé, et porté dans le débat public ;
  • mettre en place dans la durée un dialogue de fond et de confiance. L'Afrique n'est pas un pays, c'est un continent – avec encore plus de variété qu'on peut en trouver entre un chypriote, un belge et un finlandais. Ses enjeux sont multiples, varient d'un pays à l'autre et au cours du temps. De même, les enjeux de la France dans le cadre de cette relation ne peuvent se limiter à une vision «autocentrée» (trouver des marchés supplémentaires pour ses entreprises) – ils doivent également être basé sur une écoute des besoins de nos partenaires, et porter sur les façons de renforcer la relation économique dans le long terme, et de contribuer à l'accélération de leur croissance.

Vincent Champain
Economiste et coprésident de l'Observatoire du Long Terme (http://longterme.org)

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[1]           La Workforce Development Agency

 

La question de la terre en Afrique du Sud

« Quand les missionnaires sont arrivés en Afrique du Sud, ils avaient la Bible et nous avions la terre. Ils ont dit : « Allons prier ». Nous avons fermé les yeux et quand nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre ». Desmond Tutu

La terre est un sujet controversé et très important en Afrique du Sud. La controverse vient d’une loi sur les terres autochtones de 1913. Cette loi a empêché une grande majorité des autochtones du pays de posséder leurs propres terres tout en accordant plus d’avantages aux Afrikaners (colons blancs). En conséquence, seulement 7% des terres cultivables ont été gardées pour la population noire qui représente 70% de la population globale à l’époque[i]. Cette question est très importante car le taux de chômage en Afrique du Sud est très élevé, surtout dans les zones rurales. De ce fait, la restructuration des terres pourrait potentiellement faire évoluer la situation sociale et économique.

A la fin de l’apartheid, un nouveau gouvernement a été élu dans l’espoir d’un changement pour la majorité des Sud-Africains. Ainsi, y a-t-il eu un changement significatif dans la distribution des terres depuis cette époque en Afrique du Sud ?

L’initiative du Gouvernement

En 1994, à la fin de l’apartheid, les blancs, qui représentaient moins de 10% de la populations, possédaient presque 90% des terres du pays[ii. Le nouveau gouvernement élu avait promis de redistribuer un tiers des terres à la population noire. Pour ce faire, le gouvernement a mis en place deux actions fondamentales: la redistribution et la restitution des terres.

D’abord, le gouvernement s’est attelé à la redistribution des terres. Il s’agissait d’acheter les terres des propriétaires bénéficiant de la loi sur les terres autochtones et de les restituer aux populations évincées. Cette action était aussi connue sous le nom de la méthode «willing buyer, willing seller » (vente de gré à gré).  Le gouvernement pouvait obtenir la terre une fois qu’elle avait été vendue par les propriétaires et mise sur le marché. Les propriétaires n’étaient, en aucun cas, obligés de vendre leur terre.

La restitution est aussi une action importante du gouvernement sud-africain. Cette action complète la distribution des terres. En effet, cette pratique consiste à donner à la population lésée par la loi une somme d’argent plutôt que la terre elle-même. Cette offre a du succès parmi les habitants pauvres des zones urbaines qui n’ont pas envie de retourner dans les zones rurales. Cependant, comme toutes les politiques, des limitations se sont mises en place.

Des actions limitées

Le gouvernement avait promis de redistribuer un tiers des terres. Cependant, vingt ans après, moins de 10% des terres ont été restitués[ii. Comment expliquer cet échec ?

Au début, la redistribution des terres ne suffisait pas. L’éducation pendant l’apartheid s’est révélée insuffisante. Les nouveaux propriétaires manquaient des connaissances et compétences nécessaires pour gérer la terre acquise. En plus de cela, la gestion d’une ferme implique des coûts élevés. Les nouveaux propriétaires qui souffrent de difficultés financières n’ont pas les moyens suffisants pour réaliser leur travail. Il faut régler ces problèmes afin de garantir le progrès en Afrique du Sud.

Evolution et perspectives

Il est très important pour le gouvernement sud-africain de soutenir les nouveaux fermiers, en leur accordant des subventions (soutien financier) afin de faciliter la vente des produits agricoles et d’augmenter la productivité par l’acquisition de nouveaux équipements et machines. A plus grande échelle, le gouvernement sud-africain pourrait proposer des projets plus ambitieux en encourageant l'éducation et finançant les projets pour réduire le fossé crée pendant l’apartheid. L’Afrique du Sud pourrait suivre l’exemple de ses voisins qui souffrent du même problème.

D’un côté, le Zimbabwe a mis en place des mesures radicales pour s’approprier des terres et les redistribuer arbitrairement. Cette méthode de redistribution a plusieurs conséquences. D’emblée, il faut savoir que même si l’Afrique du Sud et le Zimbabwe partagent le même problème, ils ne le gèrent pas de la même manière. Le parti ANC (Congrès National Africain) de Mandela a lutté contre les inégalités raciales. La question de la redistribution des terres est considérée comme un sujet de haine et de récupération potentielle pour les Sud-Africains autochtones. Elle n’est pas traitée comment un objectif des plus urgents dans l’agenda ministériel. Par exemple, en examinant le budget de la réforme agraire (représentant 1% du budget du pays en 2013)[ii, on peut constater que ce sujet est délicat. La confiscation des terres (sans compensation du propriétaire) est interdite par la constitution nationale. Dans le cas bien qu’improbable d’une réforme constitutionnelle, de telles confiscations de terres pourraient nuire à la stabilité nationale et impliquer de conséquences néfastes à long-terme.

D’un autre côté, la Namibie a une approche un peu plus subtile. Dans ce pays, les terres sont acquises individuellement par l’argent propre de chaque acheteur ou par un prêt facilité par le gouvernement namibien. Cette méthode a été beaucoup plus efficace car depuis l’indépendance du pays en 1990, un quart des terres a été redistribué. L’Afrique du Sud pourrait prendre exemple sur son voisin namibien, étant donné que seulement 8% de ses terres ont été redistribuées[v].      

En somme, il est indéniable que le gouvernement sud-africain a des intentions louables à l'égard de sa réforme agraires. Cependant, ces méthodes sont assez limitées en pratique. Des solutions existent. Le marché agricole devrait être régulé et le gouvernement devrait continuer à soutenir les fermiers. Il est très improbable que les solutions plus extrêmes telles que la confiscation des terres soient proposées car elles contreviennent à la loi et sont une menace pour la « nation arc-en-ciel ». Un changement de méthode pourrait être attendu, ainsi que l’a laissé entendre le Président Jacob Zuma : « il sera bientôt interdit pour les étrangers d’acquérir des terres en Afrique du Sud ».

Traduit par Bushra Kadir  

 

 

[i] http://www.economist.com/blogs/baobab/2013/06/land-reform-south-africa

[ii] http://www.pbs.org/pov/promisedland/land_reform.php

[iii] http://www.bbc.com/news/world-africa-22967906

[iv] http://www.lalr.org.za/news/land-reform-in-post-apartheid-south-africa-2013-a-disappointing-harvest-by-ben-scousins

[v] http://www.moneyweb.co.za/moneyweb-south-africa/land-reform-namibia-27-south-africa-8


 

6ème Forum International sur le Green Business. Pointe-Noire, 19-21 mai 2015.

L’Afrique des idées continue son engagement responsable et s’associe une nouvelle fois à la Chambre de Commerce de Pointe-Noire pour promouvoir l’économie verte !

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En 2014 l’Afrique des idées a noué un partenariat avec les organisateurs du Forum International Green Business. Nous avions publié en amont du forum plusieurs articles ainsi qu’une note de synthèse relatifs au thème de l’édition contribuant significativement aux débats.

Ce partenariat fructueux se poursuit. Les thèmes des tables rondes et ateliers de cette 6e édition du forum feront également l’objet de plusieurs publications d’ici à la mi-mai 2015.

Autour de la question de l’investissement dans l’économie verte, plusieurs sujets seront traités: rôle de l’Etat dans le financement de cette économie, cadres règlementaires incitatifs, financements innovants, économie politique, tourisme durable, initiatives responsables et même relation entre tradition, religion et économie verte… Les articles seront étiquetés sur le site du mot clé "forum green business". Ils feront l’objet d’une note de synthèse qui sera distribuée aux participants du forum.

Le Forum International sur le Green Business est un évènement pionnier sur le continent, organisé par la chambre de commerce, d'industrie, d'agriculture et des métiers de Pointe-Noire, le gouvernement congolais ainsi que la CEEAC (Communauté économique des États d'Afrique centrale).

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Investir dans l'économie verte en Afrique centrale pour inventer demain: le cas de l'économie du reboisement au Congo", le thème de cette 6e édition s’inscrit dans la dynamique enclenchée lors des années précédentes avec plus de 500 participants attendus. Des partenaires techniques, financiers, des décideurs politiques ainsi que des porteurs de projets échangeront et décrypteront les enjeux de cette économie, relais de croissance d'avenir en examinant les mécanismes les plus innovants et les mieux adaptés aux besoins des projets verts.

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Land policies in South Africa

Sans titre"When the missionaries came to Africa, they had the Bible and we had the land. They said 'Let us pray.' We closed our eyes. When we opened them we had the Bible and they had the land." Desmond Tutu

Land in South Africa is both a controversial and an important topic. It is controversial because the Native Land Act set in 1913 excluded the vast majority of native South Africans from owning land while favoring the Afrikaners (white settlers). As a matter of fact, only 7% of the agricultural land was set aside for the black population, though they comprised nearly 70% of the population at that time[i]. An important topic it is as the unemployment rate in South Africa is high and is even greater in rural areas. Therefore, restructuring the land could lead to potential social and economic gains.

When Apartheid was brought to an end, a new government was elected and with it the hopes of change for most South Africans. Thus, it is crucial to examine if there has been a significant change in the distribution of land in South Africa since then.

The initiative of the Government 

In 1994, at the end of apartheid, almost 90 percent of the land in South Africa was owned by white South Africans, who make up less than 10 percent of the population[ii]. The newly elected government promised that it will redistribute one third of the land to the black population. It developed two fundamental actions in order to resolve the problem: redistribution and restitution of the land.

At first, the government focused on the redistributing the land. It consists of buying the land from the owners that benefited from the Native Land Act and then restore it to the population that was evicted. This action is also known as the “willing buyer, willing seller” method : in order for the government to obtain the land it has to be bought on the market first. And for the land to be found at the market, it has to be sold by the current owners. Of course, the owners are not forced to sell their land.

But, restitution is another important action undertaken by the South African government and is complementary to distribution. Indeed, this practice consists of donating to the population that has been harmed by the Native Land Act a cash payment rather than the land itself. It is quite a popular deal for poor residents in urban areas that have no desire to return to the rural areas. However, as with any policies, there are limitations to what has been achieved so far…

Limited Actions

The government promised that it would redistribute one third of the land; however; 20 years later less than 10% of the land has been given back.[iii] How can this failure be explained?

Initially, redistributing the land is not enough. Education during Apartheid proved to be insufficient and as a result new owners lack the necessary knowledge and skills required to operate the acquired land. In addition to this, operating a farm also proves to be quite expensive; therefore new owners that suffer from financial constraints do not have the sufficient means to accomplish their work. Such problems need to be addressed in order for South Africa to progress.

Progress and Prospects 

Supporting new farmers is an important step that should be taken by the South African government. Subsidies (money support) could be granted to them. Not only does it facilitate the selling of their agricultural products, it also allows them to buy machinery and equipment that facilitate their work by making it more productive. On a larger scale, more ambitious projects should be proposed by the South African government. Such projects include education and government spending that help future farmers and narrow the gap that was created during Apartheid. South Africa can learn from its neighbours that suffer with the same problem.

On the one hand, there is Zimbabwe with its radical measures such as seizing the land and redistributing it in an arbitrary manner. This method has many implications. At first, it is important to admit that even though South Africa and Zimbabwe share the same problem, they choose to deal with it differently. Mandela’s ANC (African National Congress) fought for racial equality, when it saw that land distribution represented a topic of hatred and potential payback for native South Africans, it was not seen as an urgent objective even though it remained important in the agenda of the government. For instance, when examining at the budget granted to land reform (1% of the South African budget as of 2013)[iv], we can observe that this issue is dealt with caution. Also, confiscating the land (without compensation for the owner) is forbidden by the South African Constitution. In the case of an (unlikely) constitutional reform, such land seizing can harm the South African stability, and can have negative long term consequences.

On the other hand, there is Namibia and its more subtle approach. In Namibia, land has to be bought individually either with the buyer’s own money, or by making a loan facilitated by the Namibian government. This method proves to much more successful as a quarter of the land has been redistributed since the country’s independence in 1990. Surely, South Africa can benefit from the Namibian experience as so far only 8% of the land has been redistributed.[v]

In conclusion, we can assert that the South African government presents noble intentions regarding the reform of land, especially when we examine the procedures made available. However, such methods have proven to be limited. As a solution, the agricultural market should be regulated while supporting new farmers. It is unlikely that in the future extreme solutions such as seizing the land would be proposed as it is illegal and represents too much of a danger for the rainbow nation. Perhaps a change in the methods employed can be expected in the future as President Jacob Zuma recently declared that:  “foreigners will soon be banned from acquiring South African land.

Les villes intelligentes, une piste pour construire l’avenir urbain des pays en développement

Les défis de l’urbanisation croissante des pays en développement[1]

En 2050, la proportion de la population mondiale vivant en milieu urbain devrait atteindre 66%[2], contre 54% en 2014. Ce phénomène d’urbanisation sera d’autant plus significatif dans les pays les moins développés[3], pour lesquels la population urbaine représentera 50% en 2050, alors qu’elle n’est que de 31% actuellement.

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Population urbaine mondiale de 1950 a 2050

L’attrait des populations pour les zones urbaines s’explique par l’activité économique et les opportunités d’emploi qu’elles concentrent : 80% de l’activité économique à l’échelle mondiale[4] se développe dans les villes. L’exode rural et la croissance soutenue des populations urbaines et périurbaines complexifient les challenges à relever pour les villes. On peut notamment citer les contraintes liées à leur approvisionnement en ressources et à l’élimination de leurs déchets. Bien que l’urbanisation soit reconnue comme un moteur de développement économique et social, elle s’accompagne de forts impacts environnementaux, aussi bien aux niveaux local que mondial, tels que l’assèchement des zones humides, l’extraction de matériaux de construction en grandes quantités, la pollution des eaux, la pollution atmosphérique, etc. Les villes sont ainsi à l’origine de 80% des émissions de gaz à effet de serre et représentent 75 % de la consommation mondiale d'énergie[5].

Contrairement aux pays développés, dont la population urbaine devrait croître plus modérément et qui disposent de solides infrastructures existantes, les pays en développement vont devoir déployer rapidement de nouvelles infrastructures efficaces et flexibles pour répondre aux évolutions démographiques de leurs territoires. Une urbanisation rapide et mal maîtrisée ne mettant pas en regard des besoins des habitants les infrastructures et la gouvernance adéquates risque en effet de s’accompagner d’un accroissement de l’extrême pauvreté urbaine et, dans certains cas, du développement ou de l’extension accélérée de bidonvilles. Des efforts de planification seront donc indispensables pour assurer aux populations la fourniture de services essentiels, tels que les accès à l’énergie, à l’eau, au traitement des déchets, au logement, à la santé et aux transports, tout en maîtrisant les impacts sociaux et environnementaux associés.

Les villes des pays en développement devront ainsi monter en compétence sur une large palette de problématiques (énergie, transport, etc.) et réaliser des investissements importants, en veillant à maintenir des coûts compatibles avec leurs cadres budgétaires souvent fortement contraints. La transition vers des villes plus communicantes et plus durables, s’appuyant sur de nouvelles méthodes d’aménagement et de gestion de l’espace urbain, peut constituer un levier clé pour relever ces défis.

Le développement des Smart Cities : une réponse possible

Le concept de Smart City a vu le jour avec les évolutions rapides observées dans le domaine des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), qui offrent la possibilité de déployer à coûts maîtrisés des solutions performantes pour rendre les infrastructures urbaines plus communicantes (pilotage de l’éclairage public, télérelève des compteurs d’énergie, etc.). De nombreuses définitions de la Smart City coexistent, donnant une importance plus ou moins marquée à la composante technologique.

L’une des définitions les plus exhaustives a été proposée dans le cadre du projet européen TRANSFORM : « La Smart City permet d’offrir aux habitants un espace de vie agréable, abordable, respectueux de l’environnement et répondant aux besoins et aux intérêts de ses usagers et basé sur une économie durable. La Smart City est très efficace dans son utilisation de l’énergie et des ressources et elle est de plus en plus alimentée par des énergies renouvelables. Elle repose sur un système de ressources résilient et intégré ainsi que sur des approches de planification innovantes. Les technologies de la communication et de l’information sont souvent des moyens pour atteindre ces objectifs. »[6]

Les expérimentations Smart City bénéficiant actuellement de la plus grande visibilité se déroulent en Europe, aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient. Ces projets promeuvent la vision d’une ville intelligente s’appuyant sur des investissements significatifs, requis par le déploiement de solutions de hautes technologies, et sur une implication renforcée des différents acteurs de l’espace urbain, dont les habitants. Cette approche très demandeuse en capitaux peut sembler moins adéquate pour les villes de pays en développement, et notamment celles ayant des capacités budgétaires limitées. Les financements nationaux et locaux pourraient cependant être complétés par des sources externes, bailleurs de fonds internationaux ou investisseurs étrangers.

L’acceptabilité sociale des changements constitue également un point critique du développement des Smart Cities dans les pays en développement. En effet, dans des pays où les structures décisionnelles sont historiquement centralisées et où les niveaux de corruption sont parfois élevés[7], la population peut se montrer méfiante vis-à-vis des pouvoirs publics. Il existe alors un risque important que les habitants ne voient dans la Smart City qu’un moyen pour les politiques et les industriels de justifier de lourds investissements servant avant tout leurs intérêts propres. La mise en œuvre d’une gouvernance associant la population à la conception de la ville représente ainsi un enjeu clé pour assurer une planification adaptée à ses attentes, en particulier quant à l’amélioration de la qualité de vie. L’exemple du déploiement de compteurs électriques communicants à Noida, en Inde, illustre cette nécessité d’impliquer les populations locales[8] dans la construction de la ville intelligente. Souhaitant réduire les vols d’énergie sur son réseau, le distributeur d’électricité NPCL a décidé d’installer des compteurs prépayés dans une zone particulièrement pauvre. Face au risque de rejet du projet par la population, la NPCL a sensibilisé les habitants à l’importance de la lutte contre le vol d’électricité via des spectacles de rue et leur a proposé des solutions simples de maîtrise de leurs consommations d’énergie. Cette implication de la communauté a ainsi contribué au succès du projet, loin d’être garanti initialement.

Etant donné les défis financiers et sociaux soulevés, la pertinence de la promotion et de l’application du concept de Smart City dans le contexte des pays en développement peut être questionnée. Pour exemple, des chercheurs de l’Africa Research Institute, think-tank britannique spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, déclarent « Ces projets fantasques pour les grandes villes africaines remportent des récompenses. En général, ils mentionnent en passant les besoins des habitants des bidonvilles et prétendent viser d’autres fins louables. Cependant, la mise en œuvre de plans complètement non viables et inappropriés du point de vue du climat, des infrastructures disponibles (en particulier la production d’électricité) et des coûts révèle leurs défaillances. »[9]

Au premier abord, l’évolution vers les Smart Cities semble donc plus ardue pour les villes des pays en développement. En réalité, l’adaptation des infrastructures urbaines existantes requise dans les pays développés pour la mise en place de solutions innovantes engendre une complexité et des coûts d’intégration conséquents. A contrario, les pays en développement peuvent plus facilement déployer de nouvelles technologies au sein de leurs environnements urbains moins contraints par le poids de l’existant. Cette flexibilité confère un atout essentiel à leurs villes pour opérer le saut technologique vers la Smart City. Sur le volet énergétique, les pays en développement pourraient par exemple développer directement des infrastructures de type Smart Grids adaptées à leurs enjeux locaux (via le déploiement de compteurs intelligents prépayés et de moyens de production décentralisés notamment), sans avoir auparavant bâti des réseaux électriques robustes desservant l’ensemble de leurs territoires. Une dynamique similaire a déjà été observée dans le domaine de la téléphonie, où l’Afrique n’a pas attendu un taux de pénétration élevé des solutions filaires pour négocier le tournant vers le mobile.

Au-delà de l’angle technologique, l’importance des paramètres culturels et sociaux dans la mise en œuvre de la Smart City implique que les particularités locales soient placées au cœur des préoccupations de la ville. Seule une adaptation pragmatique du concept permettra de faire de cette transition un succès. Les modèles retenus par les villes de pays en développement ne peuvent ainsi se calquer sur ceux expérimentés dans les pays les plus riches. De même, des disparités importantes entre les solutions mises en place dans différentes villes de pays en développement sont inéluctables. En adoptant une approche raisonnée et propre à chaque contexte, l’exploitation des NTIC et l’association des populations aux processus décisionnels peut soutenir un développement efficace et une gestion intelligente des infrastructures des villes de pays en développement. La déclinaison du concept de Smart City deviendra alors un moyen de répondre aux besoins des populations tout en maîtrisant certains des risques majeurs inhérents à un développement urbain miné par une mauvaise planification : dégradation des services publics, développement de bidonvilles, pollution accrue, augmentation du chômage, de la pauvreté et de l’insécurité, etc.

Des initiatives d’utilisation de nouvelles technologies permettant de renforcer la qualité des services rendus aux habitants (énergie, transport, logement, santé, etc.) ont déjà émergé dans certains pays. Bien qu’encore marginales, elles montrent que des solutions « smart » peuvent dès aujourd’hui contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les villes de pays en développement.

Des exemples d’initiatives marquantes

  • OpenStreetMap (Tanzanie)

Les villes évoluent rapidement et souvent de manière incontrôlée dans les pays en développement, où d’immenses bidonvilles peuvent voir le jour en périphérie urbaine. Cette expansion désordonnée complexifie la tâche des municipalités pour analyser et résoudre les problèmes auxquels sont confrontés leurs habitants. Les autorités locales ne disposent alors que d’une faible visibilité sur l’organisation réelle du territoire et sur ses besoins en infrastructures.

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Illustration du mapping du bidonville de Tandale

Partant de ce constat, un groupe d’étudiants de Dar es Salaam (Tanzanie) s’est formé à l’utilisation de tablettes numériques et de solutions de cartographie libres de droits afin de cartographier le bidonville de Tandale[10]. Parcourir la zone équipés de ces outils leur a permis de répertorier l’ensemble des rues, chemins, équipements publics (toilettes, fontaines à eau, points de collecte de bouteilles plastiques, etc.), écoles ou encore bâtiments religieux.

Ce projet illustre une application concrète du concept de Smart City, en montrant que l’usage innovant de nouvelles technologies numériques peut permettre à la ville et ses habitants de disposer d’une cartographie fiable du territoire, brique indispensable en vue d’une meilleure planification urbaine. L’intérêt de l’utilisation de solutions open source est également mis en avant, ces dernières étant facilement accessibles et adaptables aux besoins des villes des pays en développement.

  • E-health backpack (Brésil)

Pour répondre au défi du vieillissement des populations les plus pauvres, des expérimentations sont lancées dans certains pays dans le but de développer de nouvelles applications de télésanté (e-health). L’objectif consiste à tester des méthodes et solutions innovantes permettant d’améliorer la qualité des services de soins tout en réduisant les coûts induits pour la communauté.

iii
Oxymetre et tensiometre integres a l e-health backpack

Dans cette optique, un produit « e-health backpack » a été développé par General Electric (GE) et est expérimenté dans le cadre d’un projet pilote à Rio de Janeiro (Brésil). Le concept repose sur la fourniture de services de santé dans des zones urbaines pauvres, mal desservies par les transports en commun et faiblement pourvues en infrastructures médicales. La solution proposée par GE permet d’établir en quelques minutes des diagnostics sur site lors de la visite chez les patients, en comparaison avec un délai pouvant atteindre 2 semaines suite à une consultation à l’hôpital. Les premières analyses11 indiquent que les bénéfices économiques découlant de la réduction du nombre d’évènements médicaux et d’hospitalisations compensent le coût élevé (42 000 $) de l’équipement employé.

Une des prochaines étapes du projet visera à mettre à disposition des personnels soignants des tablettes sans fil pour collecter, stocker et analyser les données issues des examens menés au domicile des patients. Ceci permettra d’approfondir les opportunités offertes par l’utilisation de moyens médicaux high-tech au bénéfice des populations défavorisées.

Les villes des pays en développement peuvent s’inspirer du concept de Smart City pour exploiter pleinement le potentiel des NTIC au service de la gestion de leur espace urbain et de la qualité de vie de leurs citoyens. Une approche pragmatique tenant compte des spécificités locales est possible, et nécessaire : une smart city africaine ne ressemblera donc pas à une smart city européenne ou américaine !

Malgré la disparité des contextes et des besoins, la transition vers des villes plus intelligentes peut constituer une solution de premier plan pour permettre aux pays en développement de répondre aux défis résultant de la croissance de leurs populations urbaines. Ces pays, bénéficiant d’une inertie moindre dans leurs infrastructures et organisations, représentent en effet un terrain propice à une mutation rapide. La prise en compte des contraintes financières et l’association des populations aux processus décisionnels seront des facteurs clés pour concrétiser cette évolution et en faire une réussite.

Par Maxence BOCQUEL & Sylvain HIPPOLYTE

Yélé-Consulting


[1] Référence à la classification « Less developed regions » de l’ONU qui comptabilise l’Afrique, l’Asie (excepté le Japon), l’Amérique Latine et les Caraïbes, ainsi que la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie.
[2] United Nations Department of Economic and Social Affairs World Urbanization Prospect – 2014 Revision
[3] Référence à la classification « Least developed regions » de l’ONU qui comprend 49 pays (34 en Afrique, 9 en Asie, 5 en Océanie et 1 en Amérique Latine et aux Caraïbes.
[3b] Estimations venant du "World Urbanization Prospects: The 2014 Revision" de l'ONU
[4] McKinsey Global Institute, 2011 – Urban world: Mapping the economic power of cities
[5] The World Bank, 2010 – Cities and Climate Change: An Urgent Agenda
[6] TRANSFORM – Deliverable 1.1 Definition of Smart Energy City – http://urbantransform.eu/about/smart-energy-city/
[7] Transparency International – Indice de Perception de la Corruption 2012 < 40% pour les pays en développement http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2012.php
[8] Tackling Power Theft through Meter Data Management and Quality Analysis – http://www.metering.com/wp-content/uploads/i/p/Asia/1/RC-Agarwala.pdf
[9] Watson V, Agbola B, 2014 – Africa Research Institute – Qui va prendre en charge l’aménagement des villes africaines?
[10] Projet Open Mapping in Tandale – http://explore.ramanitanzania.org/
[11] Source : http://tandale.ramanitanzania.org/
[12] Source : http://www.newcitiesfoundation.org/wp-content/uploads/PDF/Research/New-Cities-Foundation-E-Health-Full-Report.pdf

Commercialisation des produits pétroliers au Bénin : des solutions envisageables ?

carbUn précédent article s’intéressait aux impacts de la pratique informelle du commerce des hydrocarbures au Bénin. Un phénomène commun à de nombreux pays en Afrique de l’Ouest. Il faut dire qu’au vu de la complexité des intérêts en jeu au sein des différentes parties prenantes de ce commerce, les solutions ne peuvent que solliciter les compétences diverses à savoir le management, la stratégie, la gouvernance, la microéconomie, la finance, la productivité, les formes organisationnelles et la fiscalité sans oublier les notions sur les scénarios. Cet article se propose de suggérer des pistes de réflexion quant aux mesures pouvant intégrer cette activité à l’économie formelle.

a. Mise en place d’un cadre institutionnel

La mise en place d’un cadre institutionnel approprié est nécessaire pour une meilleure structuration de l’activité. La démarche devrait rencontrer l’adhésion des acteurs du secteur informel et ceux du secteur formel. Créer un cadre institutionnel de cohabitation aux deux acteurs du marché des produits pétroliers sort un peu de l’ordinaire. Mais aujourd’hui, c’est une étape indispensable qui ne doit être occultée. Le marché des hydrocarbures tel qu’il se présente aujourd’hui est trop complexe pour permettre le développement de stratégies d’un seul trait comme plans ou visions claires. Par conséquent, les stratégies doivent émerger à petites étapes, car une organisation « apprend ».

Il faut, pour ce faire, avoir une perception différente de l’informel. Mettons de côté l’idée qui consiste à dire qu’ « on ne peut pas légaliser l’informel ». Il n’est d’ailleurs pas question de légaliser le secteur informel, mais plutôt d’amener les différents acteurs de ce commerce informel à se formaliser en leur créant un cadre officiel qui puisse leur permettre de s’organiser, et ceci en collaboration avec les autres parties prenantes. Il s’agit donc d’intégrer de façon officielle les commerçants informels dans un circuit officiel, leur conférant une certaine régularité afin d’avoir une meilleure lecture de leurs activités. Particulièrement, la mise en place d’une structure publique dédiée à l’informel pourrait avoir la charge de piloter le mécanisme et de permettre aux commerçants informels d’être reconnus en tant que détaillants de produits pétroliers. Vu l’importance du marché informel des produits pétroliers au Bénin, cette structure valorisera les atouts et les opportunités desdites activités informelles de telle sorte qu’elle restructurera ce marché pour en faire à la fin du processus un véritable outil de développement et de contribution socio-économique pertinente pour le Bénin.

b. Vers une modernisation des stations-services informelles

Le processus de cohabitation nécessite la mise en place d’infrastructures adéquates tant pour les commerçants formels qu’informels. Si pour les formels le problème ne se pose pas, les informels disposent des étales (stations-services informelles) qu’il faut impérativement améliorer tant au niveau des types d’équipements à utiliser qu’au niveau des lieux d’installation. Les acteurs informels du marché des produits pétroliers en ont exprimé le besoin, car trouvant trop dangereux les moyens utilisés dans l’exercice de leurs activités. Il y a des outils plus appropriés qui peuvent être introduits dans l’exercice de cette activité des commerçants informels. Ceci est avant tout un gage de sécurité, mais permettra d’améliorer nettement la rentabilité de leur commerce. Parmi ces outils, on peut citer : Pompe de transvasement SODISE à manette gros débit, Pompe manuelle ATEX de fût vide, Pompe rotative ALU, Pompe de transfert CEMOPACK et Pompe électrique pour fût.

Ces différents instruments permettront aux commerçants informels des produits pétroliers de disposer d’équipements modernes à moindre coût. Ce sont des matériels qui devraient être impérativement pris en compte dans le processus de cohabitation préconisée. Les autorités pourraient l’envisager comme une conditionnalité à l’exercice de l’activité et fournir une certaine disponibilité financière pour doter les détaillants de ces équipements.

c. Amélioration à apporter dans la structure des prix dans les stations-services formelles

Les prix jadis jouaient un rôle de premier plan dans le comportement d’achat, notamment dans les  pays d’Afrique subsaharienne. Sur le marché des produits pétroliers, le prix reste un élément fondamental et a certainement été déterminant dans la répartition des parts de marché entre l’informel et le formel, et également sur la rentabilité. Les commerçants informels des produits pétroliers fixent généralement le prix de vente suivant l’environnement d’approvisionnements dans lequel évoluent les exportateurs nigérians. Si sur le marché informel, l’on ne prend pas trop de dispositions pour fixer le prix (car variant d’une localité à une autre), plusieurs facteurs influencent énormément le prix sur le marché formel (qui demeure le même sur tout le Bénin). En effet au Bénin, les produits pétroliers sont assujettis à plusieurs prélèvements tarifaires qui interviennent dans un mécanisme complexe de fixation des prix appliqués à la pompe.

Dans le processus de cohabitation, il faudrait laisser les acteurs fixer les prix en fonction des zones couvertes comme le font déjà les commerçants informels. Il ne sert à rien de continuer à vouloir vendre les produits pétroliers au même prix sur toute l’étendue du territoire. Le Nigéria pratique différents prix d’une localité à une autre. Certaines lignes tarifaires intervenant dans le mécanisme, n’ont plus lieu d’être. Par exemple, les taxes liées à l’ajustement ou encore les frais liés à l’assainissement ne sont plus nécessaires dans la mesure où les fonctionnaires et les employeurs des compagnies pétrolières ont déjà leurs salaires et qu’il ne sera plus nécessaire d’engager une lutte acharnée contre les informels. Sur le marché, la différenciation entre les produits sera faible et par conséquent, la concurrence se fera désormais sur les prix. Les sources de différenciation porteront plutôt sur la qualité, l’aspect technologie, la sécurité, l’esthétique, le service après-vente. Bref, elle portera sur les comportements et les décisions des acteurs qui animeront le marché des produits pétroliers dans le système de cohabitation. Si l’on doit atteindre de bons résultats au bout du processus, les sources d’approvisionnement doivent être libres pour permettre à chaque compagnie pétrolière ou commerçants informels de définir sa politique de prix. Si déjà ces derniers sont déjà avancés sur ce terrain, il va falloir qu’au niveau des sociétés agréées, l’Etat diminue la pression fiscale qu’elles subissent.

d. Une fiscalité spéciale pour le commerce informel des produits pétroliers

Le Bénin a mis en œuvre ces dernières années de nombreuses réformes visant à formaliser les sociétés : ceci dans le but d’amener les animateurs de la vie socioéconomique exerçant en marge des réglementations en vigueur de pouvoir le faire dans le cadre des lois et règlements établis. Elles concernent essentiellement l’allègement des procédures et de la baisse énorme des coûts de création et d’exercice des entreprises. Cependant, une contrainte demeure, et c’est elle qui maintient de nombreux entrepreneurs, notamment ceux pratiquant la commercialisation de produits pétroliers, dans l’informel. Car une chose est de se formaliser et autre chose est de pouvoir remplir les obligations fiscales envers l’Etat. L’amélioration de l’efficacité des systèmes fiscaux des pays en développement est la nouvelle frontière de la politique de développement. L’analyse de la structure du prix de l’essence (cas de Mai 2014) révèle que les taxes et prélèvements occupent une place importante et sont trop élevés (environ 144% du prix CAF). En plus de ces perceptions, il faut ajouter d’autres qui sont liées aux charges salariales, aux BIC, aux TVA, etc. sans oublier les éventuels redressements fiscaux qui sont devenus monnaie courante dans l’environnement des affaires au Bénin. La fiscalité doit jouer un rôle essentiel dans le programme d’action de cohabitation. Les acteurs du marché des hydrocarbures sont confrontés aux perceptions opérées par la douane, les impôts et les mairies. Si pour les mairies, les commerçants informels ont déjà l’habitude de payer des sommes comme contributions aux recettes des communes, les deux  autres structures n’en bénéficient pas. De quoi retourne alors le système fiscal actuel du Bénin ? Le Bénin dispose aujourd’hui d’une assiette fiscale étroite. L’inconvénient de ce système est que la fiscalité pèse lourdement et disproportionnellement sur les acteurs formels et décourage toute envie de sortir du secteur informel pour se formaliser en entreprise individuelle ou en société. Le processus de cohabitation pourrait permettre une mesure dans le sens de fiscaliser les acteurs informels. Ces derniers constituent aujourd’hui plus de 80% des parts du marché des produits pétroliers qui constituaient jusqu’en 1997 une source importante de recettes fiscales pour l’Etat.

Les ressources financières issues du commerce informel des produits pétroliers échappent à une imposition fiscale. Cependant, certains commerçants estiment que ce qu’ils paient aux autorités locales (les mairies) peut être assimilé à de l’impôt. C’est dire donc que les commerçants informels sont conscients que leurs activités doivent être imposées. Ils trouvent le bien fondé des perceptions opérées par l’administration fiscale, car tous les citoyens doivent contribuer au développement économique d'un pays. Par conséquent, l’administration fiscale doit se départir de son attitude hostile pour mettre en place une stratégie de fiscalisation conventionnelle pour les activités informelles des produits pétroliers. Cette fiscalisation ne se basera pas seulement sur le chiffre d’affaires, mais aussi sur certains indices objectifs reflétant le niveau d’activité. Ces indices peuvent être : le capital initial, le prix de vente du litre d’essence, la localisation du PDV, le nombre de personnes servant sur le PDV, l’implantation du PDV (investissements réalisés), les horaires de vente, etc.

Le commerce informel des produits pétroliers a pris de l’ampleur en 1989 où les fonctionnaires béninois, pour non paiement de plusieurs mois de salaires, ont été obligés de se livrer à des activités de contrebande avec le Nigéria et le Togo. Le portefeuille clientèle des commerçants informels est constitué de toutes les couches socioprofessionnelles (fonctionnaires, employés du privé, forces de défense et de sécurité publique, agents de l’administration fiscale, des hommes politiques, des autorités des différentes institutions de la nation, etc.). Les commerçants informels des produits pétroliers sont si bien organisés qu’ils constituent pour les hommes politiques de véritables creusets électoraux. Donc sa disparition n’est pas prévue pour aujourd’hui. Mais une organisation bien mûrie peut assainir le marché des hydrocarbures au Bénin. La qualité des produits pétroliers vendus sur le marché informel n’est pas mise en cause du fait que des formels s’approvisionnent auprès des informels et que les usagers ne s’en plaignent pas. A ce titre, ils représentent une clé importante dans l’environnement économique du pays qu’il convient de trouver des mécanismes appropriés pour accroître  leur contribution à l’économie. Cela passera, sans nul doute, par l’instauration d’un cadre favorable à la cohabitation des commerçants formels et informels et par la levée de toutes les entraves qui poussent de nombreux entrepreneurs à exercer dans la clandestinité vis à vis de l'administration.

Références :

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CAUPIN (Vincent), 1997, Les Flux d’Hydrocarbures entre le Niger et le Nigéria : Formes, Estimation, Déterminants et Impact sur l’Economie du Niger, ORSTOM Mai 1997, 47p.

CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL DU MAROC, 2012, Le système fiscal marocain, développement économique et cohésion sociale, Rapport de la Commission Permanente chargée des Affaires Economiques et des Projets Stratégiques, Auto-saisine N° 9/2012, Edité par CANAL PRINT, 225p.

De BROECK (Mark) & KPODAR (Roland), 2013, Mali : Mécanisme et Tarification Automatique des Produits Pétroliers, Edité par le FMI : Département des Finances Publiques, Février 2014, 38p.

GODET (Michel) & DURANCE (Philippe), 2011, La prospective stratégique pour les entreprises et les territoires, Ed. DUNOD, Paris 2001, 17p.

HERRERA (Javier), 1998, Du « Fédéral » et des « Koweïtiens » : la fraude de l’essence nigériane au Cameroun in AUTREPART (6), 1998, pp 181-202.

MORILLON (Virginie) & AFOUDA (Servais A.), 2005, ECONOMIE REGIONALE : Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise, LARES-AFD, ECHANGES REGIONAUX Septembre 2005, 148p.

UNION PETROLIERE, 2003, Pétrole : Origine, Production et Traitement, Brochure éditée par l’Union Pétrolière, 1ère Ed. Allemagne, 2003, 23p.

AFANGBEDJI (Gnona), 2011, Politique de transition fiscale au bénin : la fiscalisation de l’informel marque les pas, Journal LA NATION N°5281 du mardi 12 Juillet 2011.

BADOU (Euloge), 2014, Réorganisation du secteur informel de distribution des produits pétroliers : quand OLOYE et Cie dictent leur loi à l’Etat, Journal LA PRESSE DU JOUR du 04 Mars 2014.

CONDE (Aboubacar), 2007, Le secteur informel et les recettes fiscales au Bénin : cas du commerce illicite des produits pétroliers, CERDI, Rapport de stage de Magistère 2, 44p.

COUTURIE (Pierre-Yves), 2007, La délégation de pouvoirs, Avocat à la Cour-Centre Elysées Montaigne, 15p.

KRICHENE (Hazem), 2010, L’application de la théorie des réseaux pour l’étude du risque systémique, Rapport de stage de fin d’étude : Année universitaire 2009/2010, 114p.

MARILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ? , LARES – COOPERATION FRANCAISE, Mai 2005, 81p.

MARCHAND (Geneviève), 2005, L’économie informelle au Sénégal : logique de fonctionnement de quelques entreprises informelles à Saint-Louis, Thèse faite à l’Université LAWAL, Faculté des Sciences Sociales.

NIGERIA INFOS, 2013, Trafic de carburant au Nigéria, au Bénin et au Togo Un commerce illicite qui résiste à tout, [en ligne] le 06 Janvier 2013. http://nigeriainfos.blogspot.com/2013/01/trafic-de-carburant-au-nigeria-au-enin_6.html.

SOPPO (M. Claudia), 2014, Combien coûte au Nigeria le vol de son pétrole ? , article initialement paru chez Think Africa Press et que l’auteur a traduit pour Terangaweb. http://terangaweb.com/combien-coute-au-nigeria-le-vol-de-son-petrole/

Nicolas Olihide

Commercialisation informelle des produits pétroliers au Bénin : quels impacts ?

carb

Le commerce informel des produits pétroliers constitue aujourd’hui un défi d’ordre socio-économique pour de nombreux pays africains. Cet article se propose d’étudier les acteurs des hydrocarbures béninois qui travaillent dans les secteurs formel et informel, avec pour objectif de mettre en évidence les enchaînements et l’attachement au système socio-économique de ces commerçants dans l'espoir d'expliquer d'une part, la permanence de ce système et d'autre part, son intégration croissante dans un nouvel ordre économique et monétaire. Il s’attachera donc davantage à la cohabitation entre ces deux secteurs et la constitution d'un lien social qui se traduisent à travers des réseaux et des actions collectives qui s’y mènent. Il est à signaler au passage que le même phénomène s’observe dans les pays frontaliers du Bénin tels que le Burkina Faso, le Niger et le Togo, et même au Cameroun et au Tchad.

Les points de vente informels ou « stations-services informelles » des produits pétroliers introduits du Nigéria au Bénin se situent aux abords des voies routières béninoises, voire dans certains domiciles habités. Il s’agit d’aménagements sommaires : un étal pour exposer les bouteilles d’un litre pour la vente au détail, un bric-à-brac de contenants et accessoires de toutes sortes, dames-jeannes ou bidons en plastique (servant à transporter de l’essence ou du gasoil du Nigéria), raccords, entonnoirs, bols en plastique, etc. Les bouteilles d'un litre sont généralement destinées aux motos. Trois sources d’approvisionnement sont identifiées :

  • La 1ère source : les stations-services formelles nigérianes installées tout le long de la frontière (environ 670 kilomètres) qui sépare le Bénin du Nigéria.
  • La 2ème source : le raffinage « précaire » de brut, dérobé au Nigéria sur les installations de raffineries au Nigéria. Ce brut est transformé par les Nigérians sur les lieux de traitement pour produire des carburants.
  • La 3ème source : des raffineries informelles installées au Nigéria.

Les acteurs béninois qui s’adonnent à ce commerce informel sont, pour la plupart, des diplômés sans emplois, des déscolarisés, des élèves, des étudiants, des personnalités politiques (Députés, Maires, Ministres) ou encore, des agents des forces de l’ordre, des agents de l’administration fiscale. Sur le plan logistique, les produits pétroliers sont convoyés au Bénin à l’aide des navires, des pirogues, des scooters, des voitures Pick-up et des motos par voie maritime, fluviale, routière au vu et au su des agents chargés de réprimer de telles activités. L’Etat Central a carrément délégué son pouvoir aux acteurs informels en tant que régulateur du marché des hydrocarbures.

La nécessité de s’intéresser à cette activité de vente des produits pétroliers (essence, kérosène, gasoil, lubrifiants, gaz domestique, etc.) dans le secteur informel est devenue de nos jours une préoccupation majeure dans l’environnement économique dans lequel les activités liées aux hydrocarbures se déroulent en Afrique subsaharienne en général et, au Bénin en particulier. Les commerçants informels des produits pétroliers occupent une place confortable dans les circuits économiques au Bénin à tel point que les sociétés agréées dans ce secteur d’activité ne disposent que d’une marge très limitée. Aussi, toutes les mesures mises en œuvre (arrestations, saisies, etc.) par les autorités publiques, pour  réprimer les commerçants informels ont échoué. Toute la vie économique et sociale de ces commerçants informels des produits pétroliers est bien structurée par des réseaux de relations qui mettent en jeu les populations nigérianes et béninoises. Sur le marché, les grèves de ces acteurs informels paralysent la vie socioéconomique du Bénin, le taux de pénétration[1] de l’informel étant de 80%.

Le marché des produits pétroliers au Bénin et dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui dominé par l’informel. Par exemple, les ventes informelles de l’essence satisfont près de 83% des besoins du marché national[2]. Les commerçants informels des pays voisins (comme le Togo, le Niger, le Burkina Faso) font transiter également leurs produits par le Bénin. Si cette activité permet d’occuper une majeure partie de la population, les jeunes et des femmes qui gèrent généralement les « stations-services informelles », elle occasionne une perte fiscale énorme à l’Etat. En effet, selon les travaux de DOUTETIEN, le secteur génère près de 80 milliards de FCFA[3] par an, dont aucune partie n’est versée à l’Etat. Les pertes de recettes fiscales liées au fait que l’Etat n’a aucun droit de regard sur ce commerce informel, s’élèveraient à une vingtaine de milliards de FCFA par an et aura une grande conséquence sur leur contribution fiscale (au Budget de façon générale). Selon les estimations des sociétés pétrolières ORYX et TOTAL, depuis l’année 2001, l’Etat perdrait chaque année entre 20 et 24 milliards de FCFA de recettes sur son budget national. Les différentes stratégies (communication, dissuasion, répression, reconversion des acteurs dans d’autres secteurs, etc.) utilisées par l’Etat afin de combattre cette activité informelle, se sont avérées inefficaces. Néanmoins cette activité constitue une opportunité économique pour une bonne partie de la population, surtout dans le contexte actuel marqué par un fort taux de chômage (taux de chômage au Bénin : 0,2% sur 9,1 millions d’habitants)[4] et de pauvreté. Le commerce informel des produits pétroliers est donc perçu comme un instrument de régulation sociale et économique parce qu’il permet aux acteurs de s’occuper et de se procurer un revenu. Selon une étude réalisée en 2004, cette activité commerciale procure une marge brute annuelle pour l’ensemble de la filière de 35 milliards de FCFA.

La pratique informelle de la commercialisation constitue un véritable danger pour l’environnement. Il faut signaler que le coût socio-économique de la pollution de l’air pour la seule ville de Cotonou représente 1,2% du PIB de l’ensemble du pays[5]. Depuis plusieurs années, les phénomènes de pollution atmosphérique commencent à prendre de plus en plus d’ampleur au Bénin, et notamment à Cotonou et dans ses environs, et dans les principales villes de l’intérieur du pays. La ville de Cotonou est surtout affectée par la pollution de l’air occasionnée par les transports puisqu’il y a peu de sources industrielles. La prolifération et la vente informelle de carburant qui se pratique librement à chaque coin de rue conduisent à des émissions de composés organiques volatiles dans l’atmosphère. Le commerce informel de l’essence, de par ses conditions de stockage et de vente (dépôts de fortune installés dans les habitations, dans les hagards aux abords des voies et ventes faites à l’air libre dans des bouteilles de 1litre, 2litres, 10litres ou 20litres), est à l’origine d’incendies dans tout le pays dont le coût matériel et humain est énorme. De plus, la plupart des commerçants informels transportent les bidons d’essence destinés à la revente sur des motos[6], transformant par là même les motos en véritables bombes ambulantes, pouvant exploser à n’importe quel moment. Par ailleurs, la pollution de l’air, auquel contribue fortement cette activité, a des effets sur la santé qui se manifestent par une augmentation de l’incidence d’un vaste spectre de maladies allant des maladies respiratoires au saturnisme (intoxication due à des concentrations élevées de plomb) en passant par les maladies allergiques et les maladies de peau. Les observations permettent de constater qu’après un certain nombre d’années d’exercice de ce commerce informel, les acteurs informels (surtout les détaillants) abandonnent leur « métier » pour raison de maladies et finissent par en mourir. Le coût des infections respiratoires a été évalué à Cotonou à environ 600 millions de FCFA par an et celui du saturnisme à 20 milliards de FCFA[7].

Sur le plan social, le commerce informel des produits pétroliers provoque la déscolarisation des enfants et l’exode rural des jeunes. Dans le contexte actuel marqué par une pauvreté généralisée, le commerce informel des hydrocarbures attire les jeunes du fait des revenus qu’il leur procure et les incite à quitter l’école. Ils débutent le plus souvent en tant que détaillants. Aussi contribue-t-il au travail des enfants. A différents points de vente informelle, il est aisé d’observer de jeunes filles et garçons (et même des enfants) recrutés pour assurer le service commercial contre une rémunération journalière qui varie entre 600 FCFA à 1000 FCFA (environ 0,92 euros et 1,53 euros). Ces jeunes, pour la plupart, délaissent les travaux champêtres pour s’adonner à la vente de l’essence.

Si la commercialisation informelle de produits pétroliers permet d’assurer un revenu à une tranche de la population, il est évident que cette activité, qui s’est imposée dans l’environnement socioéconomique du Bénin, est un véritable danger tant pour l’économie que pour le bien-être des populations. Face à ses différents maux et aux échecs des mesures prises par les autorités, il urge de rassembler toutes les compétences afin d’envisager un mode de gestion pouvant permettre un meilleur encadrement du secteur, afin de limiter ses impacts mais aussi d’en tirer le maximum en termes de « gains » socio-économiques.

Nicolas Olihide


[1] BOURBAO (Michel), 2006, Porto-Novo, http://gie84.pagesperso-orange.fr/kpayo.htm

[2] MORILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ?, LARES et COOPERATION FRANCAISE, mai 2005, p64.

[3] DOUTETIEN Henri, 2012, Et si nous osions formaliser le « kpayo » ?, Journal La Croix du Bénin N°1159 du 17 Août 2012.

[4] Site Web de l’Ambassade du Bénin en France mise à jour le 20 Novembre 2012 : ce taux de chômage est calculé au sens du BIT selon une étude réalisée en 2007 par la Banque Mondiale. Quant au nombre d’habitants, il est issu d’une étude réalisée en 2011 par le PNUD.

[5] Source : Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. Atelier national sur le passage à l’essence sans plomb au Bénin. Cotonou, le 1er et 2 juillet 2004.

[6] Certains commerçants informels transportent jusqu’à 6 bidons de 50 litres ou environ 12 bidons de 25 litres sur une moto..

[7] Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. « Etude sur la qualité de l’air en milieu urbain : cas de Cotonou », 2000.

Sécurité alimentaire : de la nécessité de lutter contre les maladies pour végétaux

Nouvelle image (56)Alors que l’Union Africaine a célèbré en 2014, l’année de l’Agriculture  et de la Sécurité Alimentaire dans un contexte de guerre civile au Soudan du Sud et d’épidémie de virus Ebola à l’ouest du continent, cette fameuse sécurité alimentaire apparait menacée et il faudra se lever de bonne heure pour faire face à la prochaine véritable guerre qu’il faudra mener : une guerre contre les maladies s’attaquant aux végétaux.

Commençons par évoquer l’Italie. L’exemple italien peut paraître éloigné, mais devrait être scruté avec plus d’attention par les gouvernements africains. Une bactérie, nommée Xylella Fastidiosa, que l’on a d’abord retrouvée présente dans les Amériques, attaque désormais les arbres par centaines de milliers à une allure inquiétante : 800 000 arbres ont ainsi été déjà contaminés dans les Pouilles, une région célèbre pour ses nombreuses plantations d’oliviers.

Cette bactérie, véhiculée par des insectes, a fortement perturbé les chercheurs et agronomes du pays, mais aussi en Espagne, ne leur laissant comme unique solution que celle de couper les arbres infectés pour ralentir la propagation. Un pis-aller qui ne satisfait évidemment pas la communauté scientifique.

A l’instar de l’Ouganda et de bien des pays d’Afrique de l’est, l’économie de la région des Pouilles, où l’on produit l’une des meilleures huiles d’olive d’Italie, repose en grande partie sur la production et les services liés à l’agriculture. Alors que la demande pour « l’or jaune » qu’est l’huile d’olive a augmenté de 60% ces vingt dernières années, les prix du marché devraient souffrir davantage de la prolifération de la bactérie, et pourraient augmenter de 30 à 40% prochainement. Ainsi, en l’espace de quelques semaines, les prix du marché pour un litre d’huile d’olive en Espace sont passés d’une moyenne de 2,40 EUR à 2,70.

Quand on voit les ressources mises à la disposition des scientifiques et agronomes italiens, il y a lieu de s’inquiéter pour l’Ouganda notamment, qui serait sans défense face au danger d’une telle bactérie. Le pays a notamment connu une attaque de Xanthomonas sur les plans de bananes entre 2001 et 2004, un drame qui a causé entre 30 et 50% de pertes sur les exploitations dans le centre du pays. Bien que l’épidémie ait été correctement jugulée selon des analystes reconnus, on peut se demander : que ferions-nous en cas d’apparition d’une bactérie inconnue ?

Le cas du Mozambique, dont les plants de bananes souffrent depuis peu d’une maladie nommée Foc TR4 et encore peu connue, est à cet égard inquiétant.

Si aucune stratégie cohérente n’est mise en place, c’est la sécurité alimentaire nationale qui serait en jeu dans ce cas-là, notamment en Ouganda, dont la population est celle qui consomme le plus de bananes au monde, avec une moyenne de 0,7kg consommé par jour par habitant. Le pays est également le deuxième producteur mondial de bananes, devant la Chine et derrière l’Inde, avec 11 millions de tonnes produites en 2011. 120 variétés différentes de bananes produites dans le pays ne sont d’ailleurs présentes nulle par ailleurs dans le monde.

A l’échelle mondiale, le secteur de la banane permettrait de nourrir environ 400 millions d’habitants dans les pays en développement, et la production africaine de la denrée a doublé ces trente dernières années. L’Afrique consomme d’ailleurs principalement les bananes produites sur le continent, puisque seulement 15% de la production est exportée. On imagine donc bien un scénario catastrophe et des situations alimentaires aggravées en cas de bactérie affectant la production. Pour 70 millions d’Africains, la banane répond même à plus de 25% des besoins alimentaires quotidiens.

Une piste de solution pourrait être d’appliquer dans l’agriculture les stratégies employées dans le secteur de la santé, en développant des dispositifs d’anti-attaques bactériennes à l’instar de celles actuellement employées en Afrique de l’ouest pour le virus Ebola. Une étude approfondie de la faune et de la flore des milieux visés permettrait ainsi de consolider les méthodes déjà mises en œuvre.

Une stratégie plutôt préventive concernant les pathologies végétales et les biotechnologies dans les pays du continent africain permettrait ainsi de prévenir au lieu d’avoir à guérir, et de réduire par-là même les risques de carences alimentaires et de famines sur le continent. Plusieurs plateformes comme le  Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture ont un rôle crucial à jouer dans la prévention de ces risques. Il est nécessaire et urgent que les continents dialoguent davantage et à une échelle globale pour faire face à ces menaces sous-estimées et potentiellement ravageuses.

Solomon Kalema Musisi, président de la section ougandaise de la Société Panafricaine des Etudiants en Agriculture

Data : the next frontier of Development

UntitledHow is the digital tide taking care of the digital divide? At the start of the new millennium, there was global concern that poor countries, especially in Africa, would be twice left out: economically and also technologically. Fortunately, the digital divide never became a global challenge. In fact, it is closing faster than anyone had imagined. In some parts of the developing world there are even budding signs of possible digital overtaking.

Kenya is one of few African countries driving in the fast lane. Over the past decade, it has experienced a sweeping “digital tide”. Today, Kenya has crossed the 30 million threshold of active cell phone numbers, up 29,000 from 12 years ago! Almost everyone can now afford to buy a phone, which sell for as little as Ksh 500 (or US$5) on the flourishing second hand market.break  People are also spending more on communication. in 2012, Kenyans have spent on average US$65 on communication, compared to US$45 a year ago.

Moreover, Kenya, East Africa’s powerhouse, has reached two other milestones in 2012 : 20 million users of mobile money and 15 million internet users, thanks largely to ubiquitous smart phones (see figure).

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World Bank calculations based on Communication Commission of Kenya

Now that everyone can own a phone, even in poor countries, is the mobile revolution over? Has everything that can be invented actually been invented – a claim famously associated with a commissioner of the US patent office in the 19th century?

We actually think the opposite is true: a new wave of innovation is starting, which will exploit increased connectivity to bring new solutions to old problems, including in development policy and economics. Here are three early examples of such innovation:

First is public sector accountability. In Kenya, a new service called “I Paid A Bribe” lets people expose bribery cases by reporting them online or by SMS. In less than one year, the site has reported corruption cases ‘worth’ over half a million dollars (mainly to traffic police and other government officials).“I Paid a Bribe” has helped to expose the problem publicly, which is the first step to tackling it. Similar services could also help monitor other areas of government performance such as quality of health services, teacher attendance and power services. The Kenyan government’s pioneering resolve to open-up public data at Opendata.go.ke is a good first step in making government and public services more accountable more broadly. The database is a gold-mine for developers and civil society that have already developed great uses.

Second is economic and social welfare monitoring. Previously, socio-economic data was tediously collected via paper surveys. The results were typically available to policy makers and researchers two-to-three years later when, frankly, they were often no longer relevant. In South Sudan, the National Bureau of Statistics and the World Bank have leveraged the expansion in mobile coverage to monitor how economic and social conditions are changing in near-real-time in the young nation. Last year, they conducted a monthly phone survey, with a sample of households, asking questions about their economic situation, security, outlook, and other topics.

This year, they used cellphone-enabled tablets to collect data on food security and market prices. Such high frequency, real-time data has never been available before. It is already revolutionizing how policy makers can identify problems and bring timely solutions. As Marcelo Giugale of the World Bank puts it: High-frequency data has the potential to do “to economics what genetics did to medicine”.

Third, the explosion in mobile phone and internet leaves behind ‘digital traces’ of human behavior which can help to better understand development challenges. For example, recent research by Harvard scientists using Kenya data, published in Science last month, shows how mobile phone data (tracking people’s movements) can be used to trace the spread of malaria. By conducting such monitoring in real-time, officials could for example send text message warnings to people traveling in high-risk areas and pre-position testing equipment and drugs.

There are many other examples of such use of ‘big data’ for economic, social and policy purposes. Google has demonstrated how search data can predict dengue breakouts in Brazil, India and Indonesia by monitoring how people search for dengue-related topics and symptoms. In Indonesia, the UN Global Pulse and a research firm used Twitter data to monitor food prices with surprising accuracy, finding that the way people spoke about rice on Twitter could be correlated with the actual market price of rice. As internet use increase in Africa, large amounts of digital traces will be available and useful for monitoring and tackling social problems also here.

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Google Dengue Trends

These examples are just the tip of the iceberg, with many more applications of new technology to be discovered. Traditionally, data was used and analyzed by “experts” within government and research institutions. Today, with more available (open) data, better visualization tools, and new, socially concerned IT developer communities, the universe of users is expanding fast. Groups of expert and volunteer computer programmers are making data accessible to the public, popularizing its use and finding technical solutions to real-world issues.

The digital divide is behind us. This generation’s challenge is to leverage the new “digital tide” for the public good. Some early innovations are already very promising and there will be many more to come.

An article by Wolfgang Fengler, lead economist in trade and competitiveness (World Bank)

Garantir la sécurité alimentaire en Afrique

Securite alimentaire2Le paradoxe africain est saisissant. Quinze des vingt deux économies qui ont connu la croissance la plus rapide dans le monde sont en Afrique. Et le continent lui-même affiche une croissance dépassant 5% en moyenne. Mais l’Afrique reste la région la plus vulnérable et la plus fortement soumise aux risques liés à la faim et à l’insécurité alimentaire. Pourtant les solutions ne manquent pas. Tous les chefs d’Etat africains qui se sont réunis à Malabo, dans la capitale Équato-guinéenne à l’occasion de la 23 ème session ordinaire du sommet de l’Union africaine savent parfaitement ce qu’il faut faire après les grandes déclarations. Et s’ils passaient enfin aux actes ? 

La volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement en Afrique est encore réaffirmé. En janvier dernier déjà, lors de la 22ème session ordinaire du sommet de l’UA, une feuille de route a été adoptée par les Chefs d’Etat pour lancer formellement le plan d’action de l’année de la sécurité alimentaire. La transformation de l’agriculture africaine pour créer les conditions de la croissance et du développement durable sur le continent ne doit pas être un simple slogan politique mobilisateur. Les défis alimentaires auxquels les pays africains font face actuellement et ceux auxquels ils pourraient être confrontés dans le futur pourraient compromettre tous les progrès réalisés dans différents domaines du développement si les mesures idoines ne sont pas prises sans délai. En 2050, la population mondiale devrait passer à 9.6 milliards de personnes. Le monde aura alors besoin d’augmenter la production alimentaire de plus de 60% pour nourrir cette population. Sous l’effet d’une croissance démographique parmi les plus rapides au monde, de l’urbanisation rapide et de la croissance économique, le continent africain verra une augmentation exponentielle de ses besoins alimentaires. La demande alimentaire devrait tripler, avec une augmentation de l’ordre de 178%, alors que celle de la Chine et de l’Inde par exemple devrait augmenter respectivement de 31% et 89%. On voit donc bien que ce qui semble se présenter aujourd’hui comme un défi pourrait bien se transformer en opportunité si des politiques agricoles efficaces sont mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de développement fondée sur la modernisation des systèmes de production, la transformation industrielle et l’organisation des marchés. 

Chaque année, plus de 45 à 50 milliards de dollars US représentant la facture des importations alimentaires africaines sortent du continent pour enrichir d’autres pays et créer de la valeur et des emplois ailleurs. L’investissement de cette manne financière considérable dans les secteurs de production peut changer complètement le visage de l’Afrique et accélérer sa marche vers le développement économique et social durable. Face à une telle situation, on ne peut que se réjouir de l’intérêt que les Chefs d’Etat africains portent à ce dossier impératif. La prise de conscience de l’intensité du problème de l’insécurité alimentaire est la première étape pour appliquer une thérapie appropriée.
 

Pour un continent dont le premier moyen de subsistance est l’agriculture (17% du PIB), investir durablement dans ce secteur est la meilleure option pour lever le défi de l’alimentation, mais aussi celui de l’emploi, de la pauvreté rurale ou urbaine et du développement en générale. La Présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dlamini Zuma, a affirmé que des ruptures importantes devront êtes opérées aussi bien au niveau des pays que des communautés économiques régionales pour actualiser le potentiel de l’agriculture africaine. On ne peut cependant manquer de s’interroger sur la capacité réelle des pays africains à aller au-delà des simples déclarations d’intention pour traduire leurs décisions en acte concret. La transformation économique d’un pays requiert des politiques et des actions structurées et durables, un leadership fort et engagé et des ressources souveraines pour mettre en œuvre des politiques adaptées aux besoins et conformes aux intérêts de ce pays. Or de nombreux pays africains, pour ne pas dire la majorité, n’ont ni ce leadership ni les ressources. Alors que leurs maigres ressources publiques nationales sont constamment dilapidées ou investies dans des projets peu productifs, nombre de pays africains se tournent vers l’extérieur pour trouver les moyens nécessaires au développement de l’agriculture. Les discours prononcés à Malabo ont déjà été entendus, même si de nombreux africains se sont accrochés à la lueur d’espoir qu’ils ont laissé transparaitre. A Malabo, au moment même où ils prenaient de nouveaux engagements, les Chefs d’Etat africains ont aussi constatés que très peu d’entre eux ont tenu leur engagement à consacrer au moins 10% leur budget national au secteur agricole. Moins d’une quinzaine de pays ont en effet atteint l’objectif de Maputo déterminé en 2003 dans la capitale Mozambicaine. Et la majorité de ces bons élèves sont des PMA (Burkina Faso, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Ethiopie, Malawi). L’évaluation de la mise en œuvre du Programme détaillé de développement de l’agriculture Africaine (PDDAA), dont l’ambition était de porter la croissance du secteur agricole à 6% par an, a aussi montré que de nombreux efforts sont encore à faire. Même si certains pays ont fini d’aligner leurs politiques agricoles nationales au PDDAA, il reste que la croissance attendue du secteur agricole est loin d’être atteinte. 

L’insécurité alimentaire et la malnutrition ne sont pas une fatalité. D’autres pays ont eu le courage de lancer une véritable révolution agricole et sont parvenus à des résultats impressionnants. La révolution verte indienne a permis à ce pays d’opérer des transformations radicales dans sa situation alimentaire alors que l’Inde faisait l’objet des projections les plus pessimistes au début des années 60. Même si les défis alimentaires restent encore très préoccupants en Inde, ce pays ne cesse de montrer que son engagement en faveur de la sécurité et la souveraineté alimentaire est plus que jamais résolu. Il suffit de voir comment l’Inde a défendu son droit « inaliénable » de recourir à des achats publics pour constituer des stocks de sécurité alimentaire lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Bali pour se convaincre de sa détermination. 

Plus récemment, le Brésil, grâce à l’initiative Fome Zero (faim zéro), a réussi à tirer près de 28 millions de personnes de la faim. 

Le Brésil comme source d’inspiration pour l’Afrique

Lors de la cérémonie d’investiture qui inaugurait son premier mandat à la tête du Brésil, le Président Lula affirmait son engagement à mener une guerre sans merci à la faim et à la malnutrition : « Nous allons créer les conditions nécessaires pour que chacun dans notre pays puisse manger convenablement trois fois par jour, tous les jours, sans avoir besoin de dons de quiconque. Nous devons vaincre la faim, la misère et l’exclusion sociale. C’est d’une guerre qu’il s’agit – non pas d’une guerre pour tuer, mais une guerre pour sauver des vies ». Une dizaine d’années plus tard, plusieurs dizaines de millions de Brésiliens ont été objectivement tirés des affres de la faim et de la malnutrition. Certes le Brésil ne ressemble en rien à la plupart des Etat africains et les conditions socioéconomiques de ce géant Sud américain n’ont rien à voir avec celles des pays africains. Mais ce qui reste constant, quelque soit le pays, c’est la détermination et la constance des leaders dans la poursuite des objectifs fondamentaux du développement qui peut faire la différence. Au moment du lancement de l’initiative Faim Zéro, près de 44 millions de personnes, soit près de 28% de la population, souffraient de la faim au Brésil. La politique agricole brésilienne a articulé les besoins et l’agrobusiness avec les particularités des exploitations familiales. Ces dernières fournissent 60 à 70% de l’alimentation au Brésil.

L’accès à l’alimentation a fait l’objet d’un encadrement juridique à travers la Loi nationale sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. A partir de 2010, le droit à l’alimentation a été constitutionnalisé. La mobilisation sociale et le caractère ouvert et inclusif des politiques ont permis de réunir les franges les plus représentatives de la société brésiliennes autour des initiatives gouvernementales. La reconnaissance de l’importance des exploitations familiales a permis d’en faire des réservoirs d’expérimentation d’initiatives agricoles endogènes qui ont été par la suite étendues sur de grandes échelles. La dualité du secteur agricole brésilien caractérisé par l’existence concomitante d’exploitations familiales de petite taille et d’entreprises agricoles de grande envergure a amené le gouvernement brésilien à créer un ministère pour chaque catégorie d’exploitation et d’assurer la cohérence de leurs interventions à travers une même politique agricole. Ces ministères sont épaulés par le Ministère du développement social et du combat contre la faim et tous travaillent en synergie avec une quinzaine d’autres ministère sur toutes les questions touchant la sécurité alimentaire. 

Dans de nombreux pays africains, c’est la coordination de l’action gouvernementale dans le domaine agricole et alimentaire qui est le ventre mou des politiques contre la faim. Il n’est pas rare de voir dans un même pays une panoplie de programmes et de projets exécutés par des ministères différents et qui font presque la même chose. Le chevauchement de ces programmes engendre un gaspillage de ressources et des problèmes de coordination, de suivi et d’évaluation qui réduisent la portée des résultats. Un autre défi dans ces pays est le caractère souvent « court-termiste » des politiques qui sont changées au gré des changements de gouvernement ou de Président dans les rares pays où l’alternance politique est une réalité. 

En dépit de l’engagement récurrent des Chefs d’Etat africains, peu d’entre eux ont donné un caractère constitutionnel au droit à la l’alimentation. En Afrique de l’Ouest par exemple, seuls le Niger et la Côte d’Ivoire ont atteint ce niveau. Il ne faut pas pourtant beaucoup d’efforts pour inscrire le droit à l’alimentation dans les constitutions. Certes, cela ne suffit pas pour régler le problème de la faim en Afrique. Mais ce sera déjà beaucoup plus fort que les déclarations creuses faites lors des sommets sans lendemain. 

Article proposé par notre partenaire Enda/Cacid

Youth employment in Africa : what to do when informal is normal

carriere3In low-income African countries, most people cannot afford to be unemployed. Lacking any significant safety net, 70 to 80 percent of the labor force ekes out a living by working in low-productivity, informal farms or household enterprises. Private-sector wage and salary jobs have been growing at a fairly rapid clip—at 7.3 percent a year between 1992 and 2005 in Uganda, for instance (Exhibit 1)—but this growth is from such a small base that it cannot come close to absorbing the 7 million to 10 million young people entering the labor force every year. Furthermore, some of these young people are not qualified for the wage jobs that are available. As a result, most young people will end up working in the same place as their parents—small farms or household enterprises. Taking the example of Uganda again, under optimistic assumptions about economic growth and wage-employment creation, the share of the labor force in informal activities will only fall from 79 percent today to 74 percent in 2020 (Exhibit 2). In short, informal is normal.

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Calculations by World Bank staff from household and labor-force surveys

The challenge of youth employment in Africa, therefore, is not just to create more wage and salary jobs—important as this may be—but to increase the productivity, and hence earnings, of the majority of young people who will be employed in informal farms and household enterprises. How can this be done? In general, workers’ productivity can be increased by (i) “demand-side” measures, such as better infrastructure and business climate, that lower the costs of production and thus increase the demand for labor; and (ii) “supply-side” measures that improve the skills of workers. In the case of farms, agricultural development is already geared toward increasing agricultural productivity. This will result in higher incomes but lower demand for labor in agriculture. This is how all economies develop; Africa is no exception. In the case of household enterprises (where the farm labor will move to), most are tiny—mom-and-pop or pop-and-son shops—that do not benefit from capital investment and economies of scale of larger enterprises. Small and medium enterprises that hire 5 to 20 people enjoy higher productivity. The problem is that very few of the household enterprises grow into larger ones; most remain very small or die.

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Calculations by World Bank staff from household and labor-force surveys

There appears to be greater scope for supply-side measures. People with a primary education or less are disproportionately concentrated in the informal sector. By increasing the skills of those who leave school, we can increase their productivity in farm and nonfarm household enterprises. With higher skills, new entrants can increase their earnings by moving out of the farm sector and eventually the household-enterprise sector. Such an investment will not be lost if the worker moves out of the informal sector: they can take their human capital with them.

How can the skills of these new entrants be increased? Even among students who have completed primary school, a disturbingly high share has difficulty with reading and writing. A survey in Tanzania showed that, among seventh-grade students, 20 percent could not read a sentence in Kiswahili, 30 percent could not perform a two-digit multiplication problem, and 50 percent could not read English, which is the language of instruction in secondary school. One reason for these disappointing results is that teachers in public primary schools in Tanzania are absent 23 percent of the time. When present, they spend just over two hours a day teaching. And only 11 percent of the teachers had minimal language skills. Thus, increasing informal workers’ productivity by strengthening their skills requires reforms in basic education—making teachers more accountable to students, and politicians accountable for delivering on education outcomes.

Does this mean that there should be no effort on the demand side? No. Large-scale efforts are unlikely to work, especially if workers are eventually going to move out of agriculture. But it is possible for local governments to support the growth of informal nonfarm-sector enterprises by enabling them to conduct business—rather than suppressing them for violating property rights. Increasing access to financial services would also help these capital-strapped enterprises.

Finally, what about the wage and salary sector? Jobs in factories and services will be the final destination for all workers (possibly over a generation), so the growth of this sector is clearly important. Achieving this growth will involve a multitude of efforts to raise the competitiveness of the economy, with a better investment climate and improved infrastructure the main ingredients. Programs that support matching the skills of educated workers (secondary school and university graduates) to jobs will probably not see returns as high as those produced by simply creating more formal-sector jobs.

In sum, because most young Africans will work in informal farms and household enterprises, the challenge of increasing their productivity needs to be met by first, increasing their basic skills, which they can take with them when they move to new enterprises; and second, creating jobs in the formal sector by improving the economy’s competitiveness, so that this sector can absorb more qualified workers into a productive workforce.

An article by Shantayana Devarajan,  initially published on McKinsey on Society

Plaidoyer pour un capitalisme d’État en République du Congo

UntitledL'expression "capitalisme d’État" désigne un système économique dans lequel l'Etat possède ou contrôle une part essentielle des moyens de production, notamment le capital des grandes entreprises. L'Etat intervient alors directement dans l'économie et dans la conduite des entreprises qu'il possède ou contrôle.

Notion qui naguère avait été mise à mal en Afrique par la vague des privatisations des années 80, celle-ci semble avoir été remise au goût du jour avec la crise financière et économique que connaît le monde actuellement. En effet, certains Etats, en recapitalisant massivement des entreprises menacées de faillite par la crise financière internationale, en ont pris dans certains cas, le contrôle. C’est ainsi qu’en France par exemple, il a été crée le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI)[1] qui a pour objectif de prendre des participations dans des entreprises opérant dans des secteurs porteurs ou en restructuration. Dans le même élan, un ministère, celui du redressement productif, dont le rôle s’apparente à celui d’un pompier, a été créé. Même les Etats-Unis, pourtant haut lieu du libéralisme économique n’échappent pas à cette tendance. En effet, au plus fort de la crise économique en 2008-2009, le gouvernement avait décidé de nationaliser le constructeur automobile, General Motors, en faisant l’acquisition de 60% du capital social de cette société. Cette décision est intervenue dans le cadre du financement de la restructuration du constructeur automobile[2].

Dans le contexte congolais, ce n’est pas la crise financière qui justifierait ce postulat mais plutôt la préparation de l’après pétrole. Cela nécessitera toutefois la mise en place de certains préalables.

1. La préparation de lAprès pétrole

Les échanges extérieurs du Congo sont dominés par le pétrole, qui représente près de 85 % des exportations et près de 65% du PIB. Le taux de croissance du PIB réel a baissé à 3.4 % en 2013, contre 3.8 % en 2012, en raison de la chute de la production pétrolière consécutive au vieillissement des puits pétroliers.

Bien que les performances et les perspectives économiques du Congo demeurent globalement favorables, la transformation structurelle de l’économie reste un défi majeur. Il est impératif d’envisager la diversification de l’économie, afin que celle-ci puisse générer des revenus complémentaires. L’atteinte en janvier 2010 du point d’achèvement à l’initiative PPTE[3] qui a abouti à la réduction de la dette extérieure de la République du Congo de 1,9 milliard de dollars, participait à cet objectif.

L’usage de la Provision pour Investissements Diversifiés (PID)[4] pourrait ainsi servir au financement des entreprises opérant dans des secteurs vitaux de l’économie ou à rentabilité avérée. Cela pourrait se faire ainsi via un fonds d’investissement national qui en serait alimenté. Les secteurs de l’immobilier, de l’énergie et de l’agriculture, par exemple, pourraient ainsi bénéficier de ces fonds.

Aussi, à l’instar des dragons asiatiques ou des émirats du golfe, cette politique se traduirait au Congo  par la création de « Champions nationaux[5] » qui interviendraient dans des secteurs stratégiques et seraient soutenus par la présence de l’Etat dans leur actionnariat. L’Etat s’associerait avec des entreprises jouissant d’une certaine expertise dans le secteur en question de telle sorte qu’un transfert de technologie au profit de l’entreprise publique soit possible. Contrairement à une privatisation totale, cette option intermédiaire offre l’avantage à l’Etat, d’intervenir dans la définition de la stratégie de l’entreprise et à l’investisseur de réduire le risque associé à ce type d’opération.

Pour finir, la mise en place d’un secteur public ou parapublic fort au Congo viendrait pallier aux faiblesses du secteur privé, qui pour de multiples raisons est encore embryonnaire, et peine  à se développer. Bien entendu, l’idée ici n’est pas d’empêcher l’éclosion d’un secteur privé mais de participer également à son développement en lui offrant notamment des débouchés.

2. Aménagement du cadre juridique et institutionnel

Le capitalisme d’Etat comme modèle de développement économique n’est pas une nouveauté au Congo, même si pendant la période marxiste-léniniste qu’a connu notre pays, il n’était pas fait mention du terme capitalisme, il n’en demeure pas moins que le fond et l’esprit étaient bien les même que l’idée défendue dans cet article. En effet, pour des raisons idéologiques l’ensemble de l’appareil de production était aux mains de l’Etat. Déjà en 1963, une ordonnance consacrait les Sociétés d’Economie Mixtes (SEM). La loi du 22 juin 1967 qui détermine certaines modalités d’administration et de gestion communes aux entreprises d’Etat, a fait de l’Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC) le mode privilégié de l’entreprise publique. C’est ainsi que la plupart des entreprises publiques congolaises (SNE, SNDE, SNPC…etc.) ont la forme d’EPIC.

Les dispositions de la loi de 1967 ont été complétées par la loi instituant la Charte des Entreprise du 14 mars 1981, qui à ce jour constitue le texte de référence des entreprises publiques au Congo. Toutefois, le régime juridique des entreprises publiques devrait pouvoir évoluer de telle sorte qu’elles soient en mesure de s’adapter aux contraintes des entreprises modernes et qu’elles acquièrent leur autonomie vis-à-vis de l’Etat. La forme juridique ou le montage juridique retenu devrait permettre à l’Etat de s’associer à des partenaires stratégiques bénéficiant d’une expérience certaine dans le domaine d’activités susvisé.

La transformation de ces entreprises publiques en société anonyme par exemple, pourrait constituer un début de réponse à cette problématique. Cette forme juridique aurait l’avantage de permettre, une fois devenue mature, d’être cotée en bourse en vue de lever des fonds sur les marchés de capitaux et ainsi ne plus vivre de subventions de l’Etat. Il n’est donc pas illusoire d’imaginer que ces entreprises puissent être cotées à la Bourse des Valeurs Mobilières d’Afrique Centrale (BVMAC). En outre, une forme juridique appropriée devra également permettre aux créanciers de ces entreprises de faire valoir leurs créances et le cas échéant d’engager des procédures d’insolvabilité.

L’acte uniforme OHADA sur les sociétés récemment amendé offre des possibilités intéressantes en termes de forme et de montages juridiques.  La seule exigence tient au fait que les choix effectués doivent correspondre aux missions et objectif de ces entreprises. Le rôle du législateur sera donc de faciliter une telle évolution.

Concernant le cadre institutionnel, nous  ne pouvons que saluer son évolution notable, en ce qu’il consacre le rôle de l’Etat actionnaire. Aujourd’hui, le Ministère des Finances comprend en son sein, une Direction Générale du Portefeuille Public. Cette direction assiste le Ministère dans la conduite de ses missions, à savoir :

  • Veiller à la gestion optimale du portefeuille public,
  • Acquérir et gérer les participations de l’Etat dans les entreprises,
  • Proposer des stratégies de prise et de cession des participations de l’Etat,
  • Procéder à l’évaluation économique et financière des droits, actions, parts sociales et obligations souscrits par l’Etat.

Cette organisation a, à notre avis, toutefois l’inconvénient de confier les fonctions de l’Etat actionnaire et celle de l’Etat régulateur à une même entité : le Ministère des Finances.

On pourra objecter à juste titre que les fonctions de l’Etat actionnaire seront quant à elle, accomplies par la Direction Générale du Portefeuille, il n’en demeure pas moins que celle-ci est une entité administrative dépendant dudit ministère. Aussi, l’initiative de créer le fonds congolais d’investissement[6] doit-elle être saluée. Le fonds congolais d’investissement, qui est un établissement public à caractère industriel et commercial, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, est placé sous la tutelle du Ministère chargé des finances.

Le fonds congolais d’investissement a pour mission principale l’acquisition et la gestion des actifs financiers étrangers, en particulier les bons de trésor, les obligations des Etats et les autres obligations ; la prise des participations dans des entreprises étrangères susceptibles d'investir au Congo ; la gestion des actions des entreprises étrangères en sa possession, en visant à maximiser la rentabilité des capitaux investis ; ainsi que l’acquisition et la gestion des actifs immobiliers et autres produits dérivés étrangers. Cette structure jouerait ainsi pour le compte de l’Etat, le rôle d’un investisseur et d’un actionnaire professionnel à même de dialoguer avec le management des entreprises dont il détient des participations. Pour remplir la mission qui lui est assignée, le nouvel établissement public disposera de ressources provenant des produits de ses activités, des dividendes des participations, des autres apports de l’Etat, et de divers dons et legs. Ce mode d’organisation est déjà utilisé dans beaucoup de pays émergents. Le Gabon et l’Angola pour ne citer qu’eux ce sont dotés de fonds souverains qui fonctionnent selon la même logique.

La création d’un fonds souverains permet à l’Etat de générer des ressources supplémentaires grâce aux fonds provenant des activités liées à l’exploitation de ressources naturelles et de ce fait de développer son économie, de la rendre moins dépendante de ces ressources. Pour le Congo qui affiche un taux de croissance de 5 % en moyenne depuis quelques années, il s’agit principalement d’excédents budgétaires ou de liquidités liés aux ressources pétrolières dont le pays est doté et qui représentent près des deux tiers du PIB national, près de 75 % des recettes publiques et environ 90 % des recettes d’exportations. Le fonds d’investissement congolais n’étant pas encore opérationnel, il est trop tôt pour tirer un bilan de son action. Espérons toutefois qu’il réponde aux promesses placées en lui, à savoir contribuer à la préparation de l’après pétrole. 

Article de Loïc Mackosso, associé-gérant à ARIES Investissements


[1] Le FSI a été créé le 19 décembre 2008 sous la forme d’une société anonyme détenue à 51 % par la Caisse des dépôts et 49 % par l’État français.

 

 

[2] La dette de General Motors qui était évaluée à 172,8 milliards de dollars pour des actifs de 82,3 milliards de dollars, l’a contraint a déposer le bilan et invoquer le « Chapitre 11 » de la loi américaine sur le faillite.

 

 

[3] L'initiative pays pauvres très endettés est une initiative qui vise à assister les pays les plus pauvres du monde en rendant leurs dettes internationales « soutenables ». Les pays doivent satisfaire à certains critères, s’engager à réduire la pauvreté par des réformes et établir de bons antécédents au fil du temps.

 

 

[4] La PID ou provision pour investissements diversifiés est fixé à 1% de la valeur de la production nette. Elle est destinée à être utilisée pour des investissements en dehors du secteur pétrolier

 

 

[5] Un champion national est une entreprise choisie par l'Etat pour devenir le producteur ou prestataire dominant sur le marché national.

 

 

[6] Loi n°1 2014 du 6 janvier 2014 portant création du fonds congolais d’investissement

 

 

Ruée mondiale vers les terres agricoles du sud : quels enjeux pour l’Afrique ?

57522021L'intérêt actuel des investisseurs étrangers pour  les terres agricoles du sud qui serait justifié par les enjeux liés  à l'approvisionnement du monde  en produits alimentaires dans un contexte marqué  la crise alimentaire qui sévit dans plusieurs pays d’Afrique doit pousser le continent à envisager des stratégies en vue de tirer profit de ces offres d'investissement.

Depuis la triple crise alimentaire, financière et énergétique de 2008, les terres agricoles des pays en développement sont l’objet d’une convoitise inégalée de la part des investisseurs étrangers. Les premiers chiffres annoncés en ce qui concerne les acquisitions foncières transnationales variaient de 56 millions d'hectares (World Bank, 2010), à 70 millions d'hectares (Land Matrix, 2012) ; et même plus de 200 millions d'hectares (Oxfam, 2011). Récemment ces estimations ont été fortement revues à la baisse. Le projet Land Matrix a récemment (Janvier 2014) communiqué le chiffre de 936 transactions portant sur 36 millions d'hectares. Cette ruée vers les terres du Sud est essentiellement motivée par le besoin de production agricole (produits vivriers et/ou agro-carburants) souvent destinée à l'exportation : d'après le projet Land Matrix 51 pourcent des terres acquises sont destinées aux produits vivriers, contre 28 pourcent pour les agro-carburants, et 21 pourcent à des produits mixtes (agro-carburants et vivriers) et l'élevage. L’Afrique est la principale cible des chercheurs de terres agricoles fertiles: 50 à 70 pourcent des acquisitions foncières transnationales portent sur l'Afrique, suivie de l'Asie et de l'Amérique Latine (Banque Mondiale, 2010, op.cit.; Land Matrix, 2014, op.cit.). Face à cette situation, comment l'Afrique doit-elle répondre à cet intérêt mondial pour ses terres agricoles?  La réponse à cette question nécessite une bonne compréhension du  contexte géopolitique actuel de l'alimentation mondiale.

Pour mieux comprendre les raisons de l'intérêt actuel des investisseurs étrangers pour  les terres agricoles du sud il convient de retracer l'évolution de la géopolitique de l’alimentation dont les grandes étapes suivantes peuvent être identifiées:

  • Le régime de l'économie coloniale (années 1870- 1930) caractérisé par la dépendance externe des pays africains pour leur alimentation. En effet, durant cette période les puissances coloniales européennes ont organisé les économies des pays colonisés pour servir de pourvoyeurs de matières minérales et agricoles aux industries métropolitaines.
  • La période couvrant les années 1940 et 1950 a vu les Etats Unis jouir d'une position hégémonique sur le marché mondial de l'alimentation, face à une agriculture européenne dévastée par la Deuxième Guerre Mondiale.
  • La période allant de la fin des années 1950 aux années 1970 au cours de laquelle on a enregistré une augmentation spectaculaire des importations de produits alimentaires et surtout de céréales par des pays à l'époque émergents  (Japon et Corée) ainsi que les pays pétroliers. Des stratégies nationales d'autosuffisance alimentaire seront mises en œuvre dans les pays pauvres, soutenues par les solutions de la Révolution Verte et un important appui des pays riches et organisations d'aide au développement. En conséquence, l'Afrique sub-Saharienne parvint à rester exportatrice nette de produits alimentaires, ceci jusqu'à la fin des années 1970.
  • A partir de la fin des années 1970 – début des années 1980, des quantités importantes de produits agricoles inondèrent le marché mondial, entrainant la chute vertigineuse des prix. C'est dans ce contexte qu'un nouveau paradigme, celui de sécurité alimentaire, invitant à miser davantage sur le marché international plutôt que sur la production locale, fit son émergence. Les agences d'aide au développement, imposèrent aux pays pauvres la libéralisation de leurs économies, à travers l'arrêt des subventions, y compris à des secteurs tels que l'agriculture, le démantèlement des barrières douanières, la privatisation ou la dissolution des entreprises publiques et parapubliques d'appui à la production nationale et en particulier à la production agricole.
  • Depuis 2007-2008, suite à l'incapacité de l'offre en produits agricoles (en particulier en céréales de base) à suivre la demande en augmentation soutenue, les pays qui comptaient sur le marché international pour assurer leur sécurité alimentaire découvrirent subitement leur vulnérabilité, qu'ils soient riches ou pauvres. On assiste donc à l'effondrement du paradigme de la sécurité alimentaire basé sur le marché mondial.

La question qui s'est alors posée est de savoir si la situation que l'on a vécu en 2007-2008 (marché international insuffisamment approvisionné en denrées alimentaires, flambée des prix, etc.) était conjoncturelle ou durable, structurelle. L'analyse de certains des facteurs qui sous-tendent la demande et l'offre en produits alimentaires accréditent davantage l'hypothèse d'une tension structurelle sur le marché mondial des produits alimentaires. En tenant en compte l'évolution de la démographie mondiale –qui devrait atteindre plus de 9 milliards dans une quarantaine d'années– et des changements de régimes alimentaires (surtout au sein de la classe moyenne en expansion des pays émergents), la FAO prévoit qu'il est nécessaire d'accroitre la production agricole de 60 à 70 pourcent d'ici 2050 (Alexandratos et Bruinsma, 2012).

De grandes incertitudes pèsent sur la façon dont on pourra répondre à cette demande. Le miracle passé (multiplication par 2.5 de la production agricole mondiale sur la période 1960-2000) est difficile à reproduire. Cette performance était avant tout basée sur l'intensification de production agricole, donc l'augmentation des rendements à l'hectare, plutôt que sur l'expansion des superficies cultivées, lesquelles n'avaient augmenté que de 11 pourcent sur la même période. Aujourd'hui le gap de productivité (différence entre productivité potentielle théorique et productivité actuelle), et donc la marge disponible pour l'accroissement significatif des rendements, est très étroit, surtout dans les principaux pays producteurs actuels : Amérique du Nord, Europe, Asie (Banque Mondiale, 2010, op.cit.).  La possibilité d'augmenter les rendements de façon substantielle se heurte à un autre défi. Les gains de productivité ont été largement basés sur l'expansion des superficies irriguées, avec des prélèvements massifs d'eau douce. En conséquence, plusieurs régions jadis greniers du monde font aujourd'hui face à l'épuisement de leurs réserves d'eau douce (Chine, Inde, Moyen Orient). Reste la possibilité d'étendre les terres agricoles. Un premier défi est d'arrêter le rétrécissement des surfaces arables, résultant soit de la dégradation des terres, soit de leur conversion à d'autres usages (urbanisation, parcs industriels et commerciaux, routes). Un autre aspect c'est que dans plusieurs régions du monde les terres cultivables sont pour  l'essentiel déjà en exploitation.

C'est au regard de ces contraintes liées à l'augmentation de la production alimentaire mondiale que l'on comprend mieux la place stratégique de l'Afrique et pourquoi ses terres fertiles font l'objet aujourd'hui d'un enjeu géostratégique. L'intérêt actuel des grandes compagnies multinationales agro-alimentaires pour les terres du Sud qui  s'explique par les enjeux financiers liés à l'approvisionnement du monde (surtout les pays riches et émergents) en produits alimentaires, doit pousser l’Afrique à adopter une stratégie pour faire face à l'offre d'investissement des acteurs extérieurs surtout dans ce contexte de la crise alimentaire qui sévit dans plusieurs pays du continent. A cet égard, l’Afrique pourrait envisager les stratégies suivantes :

  • La première consiste à accepter les demandes de terres des investisseurs et spéculateurs, suivant leurs termes, en matières de superficies (des dizaines voire centaines de milliers d'hectares pour un seul investisseur), de spéculations à produire (des cultures vivrières de base, des produits horticoles, des agro carburants, etc.), de marchés à cibler (marché intérieur ou exportation). La conséquence d’une telle posture est de créer un contexte très proche de celui qui prévalait dans la période coloniale
  • Une autre posture pourrait consister pour les pays africains à mettre l'accent exclusif sur la nécessité d'assurer la sécurité alimentaire des populations et de les mettre à l'abri d'un marché international imprévisible avec des prix des denrées alimentaires trop élevés et volatiles. Une telle posture rappelle le paradigme de l'autosuffisance alimentaire qui prévalait dans les décennies 1950 à 1970. Mais la globalisation a atteint aujourd'hui un niveau tel que toute tendance à l'autarcie est mal avisée. Un autre problème de taille est de savoir qui va financer des telles politiques alimentaires nationales, voire nationalistes, et autocentrées.
  • Une troisième posture consiste à s'appuyer sur la volonté de garantir à la population un accès sécurisé aux denrées alimentaires de base, tout en permettant au secteur agricole, modernisé d’être le moteur de l'émergence économique en Afrique, comme cela a été le cas pour la Chine, le Brésil et le Vietnam. Une telle démarche n'exclut pas les investissements étrangers ni même la possibilité de cessions de terres à des promoteurs agricoles privés au regard des énormes besoins de financement du secteur. Mais elle prendra soin de subordonner ces investissements à des priorités nationales clairement définies –notamment en matière de sécurité alimentaire—, en misant avant tout sur les populations rurales qui détiennent et travaillent la terre. En pratique, le contenu réel de cette troisième posture est à définir par chaque pays de façon inclusive et concertée, tenant en compte le contexte national, les ressources disponibles, en terre et en eau.

A la question de savoir qui va nourrir le monde, on peut répondre que tout ou l'essentiel se jouera en Afrique. Mais par qui ? La réponse va de soi: Ce sont ceux qui contrôleront les terres agricoles d'Afrique qui nourriront le monde. La balle est donc dans le camp des Africains eux-mêmes. Ces offres d'investissement sont une opportunité qu’il faut saisir. Mais il convient définir les conditions de leur acceptabilité dans le cadre des stratégies nationales concertées qui donnent la priorité à la sécurité alimentaire et qui misent sur les paysans locaux en promouvant ce que le Rapport mondial sur le développement 2008 de la Banque Mondiale appelle une "révolution productiviste basée sur la petite exploitation agricole". Même si de telles stratégies doivent être adaptées au contexte national de chaque pays, elles n'ont aucune chance de réussir si les droits fonciers des petits producteurs ne sont pas clarifiés et sécurisés.

Article publié initialement sur le site du CICAD par Madiodio Niasse, Directeur du Sécrétariat de la Coalition Internationale pour l'accès à la terre (ILC)

Chine en Afrique : acteur majeur de l’accaparement des terres ?

57522021En l’an 2011 la population mondiale a dépassé la barre des sept milliards d’habitants. La FAO estime qu’elle atteindra les neuf milliards d’ici 2050 et que la production alimentaire mondiale devra croitre de 70% afin de pouvoir nourrir la planète. En même temps, de nombreuses régions du monde sont victimes de la dégradation de leurs ressources naturelles et de l’épuisement de leur potentiel agricole. Dans ce contexte l’attention des observateurs internationaux s’oriente surtout vers les régions caractérisées par une raréfaction (réelle ou supposée) des ressources ainsi que vers les régions caractérisées par leurs réserves (réelles ou supposées) en ressources. Ainsi les regards se tournent principalement vers la Chine (raréfaction) et l’Afrique (réserves). Une conviction largement répandue veut que la Chine soit à la conquête des terres en Afrique au péril de la sécurité alimentaire et de la stabilité politique des pays africains. Mais qu’en est-il réellement ?

 

Qu’est ce que l’ « accaparement des terres » ?


Avant de discuter du rôle des activités foncières de la Chine sur le continent africain, il est important de récapituler brièvement les raisons de l’accélération de l’ « accaparement des terres ». La structure sous-jacente à la ruée mondiale sur les terres arables telles que nous l’observons nettement depuis 2007/2008 a été mise en place au cours de la libéralisation des marchés fonciers initiée depuis les années 1990. Mais son véritable moteur est l’accélération inquiétante des multiples crises du capitalisme depuis le début du nouveau millénaire: crises alimentaires, économiques, financières, environnementales, climatiques, énergétiques, politiques, etc. Les réponses apportées à ces différentes crises ont pour point commun d’être toutes étroitement liées à la ressource terre et donc de renforcer la ruée vers celles-ci. Par exemple, les crises alimentaires sont perçues comme des crises de sous-production et les réponses envisagées passent principalement par l’intensification de l’utilisation de la ressource terre. De même les crises environnementales, climatiques et énergétiques ont renforcé la pression sur les ressources des pays du sud car les réponses apportées sont toutes friandes de terres (« green grab »). Enfin les crises économiques et financières ont également orienté l’attention internationale vers la ressource terre car, en raison de sa raréfaction relative, elle devient un objet d’investissement attrayant pour les promoteurs.

 

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La savane guineenne est une region vide a 93 pour cent

L’Afrique : le continent des terres vacantes ?


Le débat sur les acquisitions foncières est mené de façon très controversée. Les pourfendeurs de l’accaparement des terres qualifient le processus de « large scale investments in agricultural land » qui selon eux, est nécessaire au développement des régions jusqu’à présent « sous-développées » à travers les infrastructures, le transfert de savoirs et de technologies, les investissements dans le secteur agricole,… Les acteurs qui considèrent ces acquisitions d’un oeil plus critique les qualifient de « land grabbing » ou d’« accaparement des terres » et mettent en garde contre les dépossessions et expulsions, la destruction des petites et moyennes fermes et le danger du chômage, l’introduction de l’agro-industrie et d’organismes génétiquement modifiés, la pollution et la dégradation des ressources, la violation du droit à la terre et du droit à l’alimentation. 

Accusés de mettre en danger la sécurité alimentaire des populations locales, les pourfendeurs des acquisitions foncières se sont vus obligés de développer des nouveaux arguments et c’est ainsi que sont apparus sur le devant de la scène les concepts du « yield gap » et des « marginal lands ». Si l’on en croit la Banque Mondiale, l’Afrique  serait le continent avec le plus grand potentiel agricole inexploité. Nul autre continent ne possèderait un « yield gap » supérieur, c’est-à-dire une différence plus importante entre les récoltes maximales potentielles et les récoltes effectives. La Banque Mondiale estime que le plus gros potentiel se situe dans les savanes guinéennes africaines. 93% de la savane guinéenne est sous ou non-exploitée et quantifie les réserves en terres vacantes (« marginal lands ») à plus de 200 millions hectares. A titre de comparaison, la surface agricole utile de la France s’élève à 29 millions d’hectares. 

La Chine dans le foncier africain 

Avec ses 1,3 milliard d’habitants, il n’est pas étonnant que les politiques alimentaires et  agricoles de la Chine aient des répercussions directes au niveau mondial et soient perçues comme menaçantes par les puissances traditionnelles. Aujourd’hui la Chine a développé pratiquement tout son potentiel agricole et une extension supplémentaire des surfaces agricoles semble impossible. Les contraintes sont majeures : alors que vit en Chine 20% de la population mondiale, elle ne dispose que de 8% des surfaces agricoles mondiales et seulement 6% des réserves annuelles en eau douce. En même temps, la Chine connait une croissance rapide de la demande en produits agricoles, estimée à 23% par an depuis le début du nouveau millénaire, en raison des transformations sociales majeures et du changement des habitudes alimentaires avec l’émergence d’une classe moyenne estimée à 20% de la population. Ainsi la consommation de viande a augmenté entre 1980 et 2010 de 15 à 70 kg par personne et par an (à titre de comparaison, cette consommation est de 88 kg en Allemagne et 123 kg aux USA). Un autre facteur non moins important entrainant une explosion de la demande en agro-ressources est la forte croissance de l’industrialisation. Compte tenu de cette situation, de nombreux observateurs occidentaux estiment que la Chine est dans l’incapacité de faire face à sa demande interne en ressources agricoles et sera donc contrainte de développer une politique de outsourcing agricole et donc de going-out foncier. Ceci explique pourquoi la Chine est souvent mentionnée comme l’un des acteurs principaux de l’accaparement des terres. 

Cette analyse semble se confirmer si l’on regarde les données de la land matrix, la banque de données open access la plus complète qui existe actuellement sur les activité foncières au niveau mondial (www.landmatrix.org). Lors du lancement de la land matrix en avril 2012 la Chine semblait faire partie des acteurs majeurs dans le domaine des acquisitions foncières en Afrique.

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Provenance des investisseurs fonciers en Afrique entre 2000 et 2012 et surface accaparee en millions de hectares selon les donnees de land matrix en avril 2012 (en rouge la chine)

Après la mise en ligne de la land matrix, divers spécialistes ont remis en question de nombreuses données et notamment certaines transactions asiatiques. Ces critiques ont eu pour effet de modifier les informations dans la banque de données au point de livrer, un an après, une toute autre image (figure suivante). Les corrections effectuées dans la banque de donnée jusqu’en avril 2013 suggèrent que les principaux investisseurs fonciers en Afrique ne proviennent pas d’Asie mais d’Europe. Selon la land matrix d’avril 2013, les dix plus importants acteurs des acquisitions foncières en Afrique sont (en million d’hectares): les Émirats Arabes Unis (1,9), l’Inde (1,8), le Royaume-Uni (1,5), les USA (1,4), l’Afrique du Sud (1,3), l’Italie (0,6), l’Allemagne (0,5), le Soudan (0,5), l’Éthiopie (0,4) et le Portugal (0,4). La Chine n’arrive qu’en 19ème position avec 0,16 million d’hectares.



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Provenance des investisseurs fonciers en Afrique entre 2000 et 2012 et surface accaparee en millions de hectares selon les donnees de land matrix en avril 2013 (en rouge la chine)

La question est alors de savoir pourquoi la Chine est aussi peu présente dans la ruée mondiale sur les terres agricoles alors que son développement démographique et les transformations socioéconomiques majeures laissent penser qu’elle n’a pas d’autre choix que de s’engager sur ce chemin. Pour répondre à cette question il faut différencier entre la production agricole alimentaire pour les humains et la production agricole d’aliments pour animaux et/ou de ressources industrielles, car les stratégies chinoises diffèrent nettement sur ces deux plans.

 La Chine couvre son besoin en aliments pour animaux et en agro-ressources agricoles principalement à travers le marché mondial, notamment depuis son adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce en décembre 2001. Les produits agricoles importés par la Chine proviennent majoritairement de l’Asie et des Amériques. L’Afrique joue un rôle mineur aussi bien en ce qui concerne les importations que les exportations agricoles chinoises.

Pour ce qui est des productions agricoles destinées à l’alimentation des populations chinoises, il faut tout d’abord constater que le potentiel agronomique de la Chine a été et est toujours sous-estimé par les observateurs occidentaux. Jusqu’à présent la Chine est pratiquement auto-suffisante dans de nombreux domaines (fruits, légumes, mais, céréales, riz, etc.). Malgré la hausse de certaines importations il n’y a pas de signaux d’une dépendance alimentaire de la Chine et l’acquisition internationale de terres ne semble pas faire partie de la stratégie chinoise de sécurisation alimentaire.

L’Afrique est devenue depuis le début du nouveau millénaire un lieu de l’affrontement accru entre les anciennes puissances (Europe, USA) et les nouvelles puissances émergentes (Chine, Brésil, Inde, etc.). La Chine a notamment transformé et rompu les normes occidentales de coopération internationale avec l’Afrique. Il faut cependant noter que l’analyse des commentateurs occidentaux est malheureusement souvent partie prenante et réduite aux stéréotypes Afrique égale victime et Chine égale menace. Ainsi il existe bien plus d’analyses sur le rôle de la Chine en Afrique que sur les négociations des Accords de partenariats économiques, sur la politique sécuritaire Américaine (AFRICOM) ou du African Growth and Opportunity Act (AGOA). Et il faut aussi noter que l’Afrique n’est pas seulement le lieu de ces affrontements mais que les Africains eux aussi sont des acteurs de plus en plus importants dans cet affrontement, que ce soient par exemple les opposants à l’accaparement des ressources ou les « responsables » politiques qui les bradent, même si souvent elles ne leurs appartiennent pas. Ainsi il faut aussi constater que selon les chiffres de la land matrix l’Afrique serait même le second plus important accapareur des terres en Afrique (voir figure ci dessus).

Sans pour autant perdre des yeux les activités de la Chine, il serait souhaitable de surveiller de plus prêt les autres acteurs majeurs de l’accaparement des terres, et notamment les acteurs européens. Mais plus important encore serait de remettre en question nos catégories d’analyses nationales, afin de tenter de mettre à jour les dynamiques plus abstraites et sous-jacentes à l’origine des acquisitions foncières (marchandisation et financiarisation des terres, libéralisation des marchés 
alimentaires, agro-industrialisation, etc.).

Article écrit par Philippe Kersting, initialement publié sur le site du CACID

Des infrastructures « made in China » en Afrique: une contribution au développement?

arton44Le secteur ferroviaire a été l’un des premiers secteurs des investissements chinois en Afrique. Dans les années 1970, la construction de la ligne ferroviaire entre la Tanzanie et la Zambie (TANZAM) symbolisait la première étape de la contribution  de la Chine à l’aide au développement en Afrique. Dans sa politique d’urbanisation et de modernisation de ses villes, d’abord côtières et aujourd’hui intérieures, la Chine investit massivement dans les infrastructures. La volonté des gouvernements africains de favoriser le développement des infrastructures coïncidant avec la présence croissante d’entreprises chinoises va très vite promouvoir l’implication de celles-ci dans les projets de développement d’infrastructures en Afrique.

Des grands chantiers dans le domaine du transport (routier, ferroviaire et portuaire), des télécommunications et de l’hydroélectricité par exemple ont été attribués à des entreprises chinoises. Mais est-ce que les infrastructures « made in China » en Afrique, contribuent au développement ?

Comment la Chine a-t-elle réussi à simposer dans le secteur des infrastructures en Afrique ?

Le secteur de la construction occupe une place importante dans l’économie chinoise. La Chine depuis son ouverture s’est investie dans la construction d’infrastructures adéquates et modernes pour promouvoir sa croissance économique.

Afin de développer son réseau ferroviaire et assurer une mobilité rapide à sa population sur un vaste territoire, la société chinoise des chemins de fer a modernisé le réseau de transport ferroviaire en Chine. De nouvelles lignes ferroviaires ont été développées et des trains à grande vitesse ont été construits afin de réduire les longues heures de voyage entre les villes éloignées. En ce qui concerne le réseau routier, de vastes autoroutes et ponts ont été construits à travers le pays. Toutes ces réalisations ont contribué à la modernisation de la Chine. En 2008 avec l’organisation des Jeux Olympiques de Beijing, il y avait plus de chantiers en construction dans la seule ville de Pékin que dans toute l’Europe.

Ces chantiers infrastructurels de grandes envergures engagés par la Chine ont permis aux entreprises chinoises, qui ont largement contribué à leur réalisation, d’acquérir une expertise locale et de cibler aujourd’hui les marchés étrangers.

Ainsi l’avantage compétitif des entreprises chinoises à gagner les appels d’offre grâce à l’appui politique et financier des institutions chinoises d’Etat contribue à la présence galopante de la Chine dans le secteur des infrastructures en Afrique. Des prêts concessionnels et préférentiels octroyés à travers des accords entre la Chine et les différents pays africains sont consentis pour financer divers projets (ports, barrages, lignes ferroviaires, etc.).

Des financements de la banque chinoise d’exports et imports (EXIMBANK) et de la banque chinoise de développement ont également permis aux entreprises chinoises de travaux publics et de génie civil d’acquérir des projets au Gabon, en Mauritanie et plus récemment en Afrique du Sud. La crise financière de 2008 qui continue de secouer les pays développés a aussi contribué à cette forte présence des entreprises chinoises en Afrique. En effet, cette crise a réduit la capacité des institutions financières et entreprises occidentales à financer de grands projets de construction ; ce qui, d’une certaine manière, a contribué à la présence des entreprises chinoises dans le secteur de la construction d’infrastructures en Afrique. A cela s’ajoute la sous-traitance entre les grandes multinationales et les Petites et Moyennes Entreprises (PME) chinoises de construction qui elle a elle aussi facilité la présence d’entreprises privées chinoises de construction sur le continent.

Le manque d’infrastructures adéquates susceptibles de tirer la croissance en Afrique a été un frein aux investissements africains et étrangers. Pour palier ce manque, les Etats africains ont décidé de faire du développement des infrastructures une priorité. Ce besoin a été un des leitmotivs de la présence chinoise dans la construction d’infrastructures en Afrique. Ainsi, les entreprises chinoises sont présentes dans différents secteurs d’investissement: énergie, télécommunications, hydraulique; etc. 

LIDE chinois et développement dinfrastructures en Afrique 

Dans sa politique de coopération économique avec les pays en voie de développement, la Chine envisage de sécuriser des ressources tout en contribuant à la construction d’infrastructures. Par exemple, « l’Angola model », qui consiste à échanger des ressources parfois à de bas prix pour des projets de construction d’infrastructures, est une politique d’investissement de la Chine spécifique aux pays riches en ressources et parfois même là où le système politique est controversé.

L’expansion des investissements chinois à l’étranger permet à la Chine non seulement d’acquérir de nouvelles technologies, de nouveaux marchés mais aussi à ses entreprises de mettre en pratique et de tester leur expertise. Elle permet aussi à de nombreuses entreprises de construction d’accéder à un grand nombre de marchés étrangers, créer des emplois pour les ouvriers chinois et acquérir une réputation internationale dans le domaine de la construction.

Dans plusieurs pays d’Afrique – Angola, Zambie, Nigeria, RDC, Djibouti et Tanzanie – la Chine s’investit dans la construction ou la réhabilitation de routes ou voies ferrées. Le besoin accru de produire de l’électricité et de faciliter l’accès à l’eau a incité des pays  africains tels que le Ghana, le Soudan ou encore le Botswana à axer leur priorité sur la construction de barrages hydroélectriques qui intéresse les entreprises chinoises. A partir des années 2000, les entreprises chinoises ont été présentes dans la rénovation et la construction de voies ferrées en Afrique comme en Angola et au Nigeria où la rénovation de lignes ferroviaires (respectivement Benguela et Lagos-Kano) a été entreprise par la China Civil Engineering Company (CCEC). En 2009, les entreprises chinoises s’étaient investies dans 18 projets de construction au Botswana.

La Chine respecte-t-elle les normes et priorités de construction en Afrique? 

La présence galopante de la Chine dans le secteur du développement des infrastructures en Afrique suscite des questions liées aux normes et au développement durable par rapport notamment à la qualité de ses propres réseaux routiers et ferroviaires. 

Le problème immobilier qui secoue particulièrement les grandes villes chinoises s’ajoute aux défis auxquels le gouvernement chinois fait face pour éviter une crise immobilière qui pourrait toucher des millions de Chinois qui ont de bas salaires et qui voudront acquérir des logements. Cependant, de nombreux scandales liés à la corruption, à une mauvaise gestion et aux accidents (effondrements de ponts, collisions et déraillements de trains) sont apparus dans ces secteurs en Chine. Ainsi, des questions relatives à la qualité des infrastructures conduisent à réfléchir sur le savoir-faire des entreprises chinoises. 

L’ancien ministre chinois des chemins de fer a été déjà jugé coupable pour corruption et autres malversations financières qui ont mis certains projets d’Etat au ralenti. Des accidents sur les routes et les voies ferrées chinoises ont attiré l’attention des Chinois et de la communauté internationale sur l’exigence de normes et sur la qualité des projets de construction en Chine. Bien que le gouvernement chinois ait entrepris des réformes dans l’amélioration de la qualité et dans le système d’appels d’offres public de nombreux problèmes subsistent.

En effet, la courte durée de construction des chantiers chinois, les normes de construction non conventionnelles, la détérioration rapide des infrastructures après livraison et la corruption ont été déjà mentionnées à travers l’implication de la Chine dans des projets de construction à l’étranger.

La construction de barrages hydroélectriques qui doit générer de l’électricité et faciliter l’accès à l’eau dans plusieurs pays africains, tels que le Soudan, le Botswana et le Ghana a pollué des fleuves et conduit au déplacement de populations qui ont perdu leurs activités économiques.

De telles menaces encourues ont poussé certains pays à être plus exigeants en termes de contrôle des normes de qualité. En 2009, les entreprises chinoises s’étaient investies dans 18 projets de construction au Botswana. Mais récemment, le président du Botswana a déclaré que des systèmes de contrôles stricts devaient être mis en place pour évaluer de plus près l’implication des entreprises chinoises dans le secteur de la construction au Botswana. Des entreprises chinoises ont vu leurs projets suspendus afin d’évaluer si les règles et normes de construction en vigueur au Botswana sont respectées.

Un des projets de développement des infrastructures chinois en Afrique qui a récemment attiré l’attention de l’opinion publique est la construction d’une toute nouvelle ville à Luanda en Angola. Nova Cidade de Kilamba a été entièrement construite par l’entreprise chinoise d’Etat China International Trust and Investment Corporation (CITIC). Ce projet  s’est inspiré des nombreux projets immobiliers de la CITIC, en Chine, qui a développé de nouvelles cités avec tout un confort incluant système de transport, écoles, boutiques, cliniques, salles de sports, restaurants, etc.; autour aussi bien dans les grandes villes côtières que dans les provinces de l’intérieur. Mais ces villes chinoises qui restent encore inhabitées sont des « villes fantômes ». En effet compte tenu du prix élevé du loyer et de la grande majorité des Angolais vivant dans la pauvreté, la « ville fantôme » de l’Angola n’a pas attiré suffisamment de clients pour occuper ses 750 buildings de huit étages, chacun équipés de 12 écoles et de plus de 100 boutiques. Dans un pays comme l’Angola qui manque d’infrastructures de base et dont la capitale est surpeuplée, un tel investissement de luxe n’est pas une priorité! Il ne répond pas aux besoins de la grande majorité des Angolais qui ne bénéficient pas des revenus générés par les importantes ressources minières dont regorge le pays. Il est dit que l’Angola aurait échangé des ressources pour la construction de cette « ville fantôme ». Cet exemple devrait pousser les autorités africaines, particulièrement celles des pays riches en ressources naturelles, à savoir que le modèle d’échanges « ressources contre infrastructures » n’est pas à long terme durable.

Certes, les investissements chinois en Afrique constituent une opportunité et contribuent à diversifier le partenariat économique des pays africains mais ne sont pas une garantie pour le développement du continent. Une attention particulière des pays africains par rapport à l’engagement de la Chine en Afrique doit être portée sur l’exportation des problèmes d’environnement et de développement durable de la Chine en Afrique. La priorité doit être axée sur les besoins en infrastructures qui satisfont les populations dans les différents pays d’Afrique pour une relation à long-terme basée sur le développement durable entre la Chine et l’Afrique. Et pour ce faire, l’engagement des gouvernements africains à travers leurs ministères et agences compétents est nécessaire pour l’exécution des règles. La présence de la Chine dans le secteur de la construction d’infrastructures en Afrique devrait contribuer à la création d’emplois pour l’expertise locale dans les différents pays africains et au transfert de technologies et de connaissances. Bien que le manque d’infrastructures dans plusieurs secteurs pousse les gouvernements africains à favoriser des investissements étrangers de la part des bailleurs traditionnels et des économies émergentes, le modèle d’échange « ressources contre développement d’infrastructures » n’est pas durable et nécessite des critiques constructives. Le développement des infrastructures contribue au développement mais cela doit se faire sans heurts pour les populations.

Article écrit par Daouda Cissé et publié initialement sur le site du CICAD