Interview de Roland Portella, Président de la Coordination pour l’Afrique de Demain (CADE)

industrie_afrique_sudLa CADE publie un Livret : « Bâtir des industries modernes et compétitives en Afrique » : quel est l’état actuel de l’industrie en Afrique ?

Le secteur industriel en Afrique se trouve dans une situation paradoxale : il représente des opportunités d’investissement énormes et abrite les plus grands gisements d’emplois ; mais il ne contribue actuellement qu’à hauteur de 1,1 à 1,2% de la valeur ajoutée manufacturière mondiale. L’analyse des différents paysages industriels, démontre qu’à l’exception de l’Afrique du sud, du Maroc, et de l’Egypte, et à l’exception de certaines industries extractives tournées vers l’export, les trois quarts des industries en Afrique ont une assez faible productivité par rapport à leur potentiel de développement.

Les raisons sont d’abord d’ordre structurel, du fait de l’insuffisance d’écosystèmes de production, du coût prohibitif et de l’inconstance en approvisionnement de l’énergie électrique ainsi que du manque de fonds propres conséquents pour les PME industrielles. C’est également dû à la faible structuration du marché de l’emploi dont la conséquence est l’inadéquation de l’offre et la demande d’emplois industriels. 

Nonobstant tous ces obstacles, des leaders industriels africains, notamment du Nigéria, du Ghana, d’Egypte, du Maroc ou de la Côte d’Ivoire, commencent à s’imposer nationalement et régionalement, notamment dans l’agro-industrie et la construction ; ils ne sont néanmoins pas encore suffisants en nombre et en qualité, en marques de référence.

Pensez-vous que le développement de l’industrie soit une composante essentielle de la croissance que l’on observe actuellement en Afrique ? Ou l’Afrique peut-elle se reposer sur d’autres leviers ?

La contribution des secteurs industriels à la croissance du PIB a malheureusement baissé de 13% à 10,5% de 2000 à 2010, alors qu’elle est de 36% en Asie et de 18% en Amérique Latine. Nonobstant ce constat, selon nous, la priorité économique des différents Etats africains dans les 10 années à venir doit être la « croissance industrielle ». En effet l’essor industriel crée d’énormes effets induits sur le développement des autres secteurs économiques tels que les services, le transport, les télécommunications, la formation professionnelle, et surtout l’innovation technologique. Nous avons par exemple de plus en plus d’innovateurs scientifiques et technologiques africains, qui créent des concepts et des prototypes en Afrique. Mais le manque d’infrastructures et de productions industrielles les poussent à assembler et produire leurs découvertes plutôt en Asie, et pas encore en Afrique.

Mais attention, la construction d’industries pérennes doit être en phase avec le bien-être des populations et le respect de l’environnement : il est nécessaire de mettre l’accent sur de la production industrielle « propre » afin d’éviter des dégâts irréversibles sur la préservation de la biodiversité ainsi que sur la santé des populations

Alors que des pays comme le Maroc mettent aujourd’hui l’accent sur le haut de gamme industriel des secteurs automobiles et aéronautiques intégrés aux chaines de valeur mondiales, l’Afrique subsaharienne devrait se tourner vers les industries de biens de consommation courants (pour des marchés évalués à 1,1 trillions de dollars en 2012 et qui devraient atteindre 2 trillions de dollars en 2020), de construction et biens d’équipement. Sur la question de la transformation industrielle de matières premières et ressources naturelles, nos analyses sont plus nuancées, et nous le développons dans le livret.

Le développement de l’industrie en Afrique doit-il provenir du secteur public ou du secteur privé ?

Nous avons justement interpellé les « gouvernants » afin qu’ils définissent des politiques et stratégies industrielles de long terme en coopérant constructivement avec le secteur privé qui connaît les problématiques de terrain. Dans nos recommandations, nous proposons des cadres de travail à l’élaboration des cartographies des potentiels et des écosystèmes de production industrielle. Ce qui peut encore rebuter des investisseurs locaux et internationaux, au-delà de leurs propres connaissance d’une activité industrielle, c’est le manque de visibilité d’une stratégie et d’une politique industrielle globale, nationale, régionale et surtout l’inconstance des mesures incitatives et des cadres juridiques permettant de mieux investir et produire, de réaliser des économies d’échelle au niveau sous régional et régional.

Comment une industrie moderne peut-elle se structurer en Afrique ? Ne manque-t-on pas de compétences ?

Au-delà des problématiques d’infrastructures en énergie et en logistique routière ou de conservation des aliments pour les industries agroalimentaires, l’insuffisance de compétences qualifiées pour le secteur industriel freine la productivité. Que faut-il faire ? Nous préconisons dans nos 25 recommandations, au-delà de la création d’instituts aux nouveaux métiers industriels, de créer de vrais pôles de compétences industrielles par le biais l’enseignement supérieur intégré aux tissus industriels ou par la mise en place de formations professionnelles de reconversion pour les chômeurs. Ce qui permettrait de former aussi bien des ouvriers, techniciens supérieurs, ingénieurs, que des dirigeants d’entreprises africains eux-mêmes qui manquent d’humilité pour se remettre en question par rapport à leurs propres compétences, ou par rapport à l’analyse de la performance de leurs entreprises. Ces pôles d’activités ou de filières pourraient permettre la création d’écosystèmes de R&D et d’innovations. Dans les pays où ces pôles existent déjà nous recommandons de procéder à des évaluations et diagnostics d’impact en termes de création de valeurs économiques, techniques, et sociales.

De quel œil voyez-vous l’ouverture d’usines chinoises en Afrique ?

Notre principe de base est que le paradigme de « l’Afrique comme nouvel atelier du monde » est dangereux, procède d’une vision de court terme, de spécialisation dont l’impact réel en création de valeurs ajoutées dans les chaines mondiales d’approvisionnement reste faible. Même si les usines chinoises, et turques aujourd’hui, peuvent permettre dans certains pays comme l’Ethiopie d’embaucher des populations dites à « faibles revenus », ce ne doit pas être des constantes de solutions sociales pour les Etats africains. D’ailleurs des analyses détaillées démontrent que la plupart de ses emplois sont précaires, et ne favorisent pas la montée en gamme en compétences qualifiées, et non plus une montée en gamme des processus de production industrielle. Une véritable stratégie industrielle définie par des gouvernants politiques et économiques africains d’un pays, et qui incorporent des investissements étrangers, doit avoir pour socle de « mixer » les transferts de technologies à la libération endogène des capacités de création technologique, de mobilisation interne de capitaux de proximité, de faire éclore des industriels locaux solides qui peuvent créer des alliances stratégiques avec des investisseurs étrangers si besoin est ou évoluer seuls.

Comment les diasporas africaines peuvent s’intégrer au développement industriel de l’Afrique ?

ENDA et la CADE ont travaillé sur ces questions. Des analyses et des expériences de terrain que nous en tirons :il existe ce que j’appelle un « capital entrepreneurial » des diasporas africaines dont certains ont acquis des connaissances en ingénierie, en direction d’entreprise, en intelligence économique et stratégique dans les pays où ils exercent : USA, Canada, Europe, Australie, etc. A défaut d’investissements financiers de masse de ces diasporas dans les secteurs industriels, car cela demande en fonction des projets des levées de capitaux assez conséquentes, les Etats et entreprises africaines devraient « capter » et utiliser à bon escient ce savoir-faire des diasporas, ce « capital immatériel ». Mais à condition que ceux-ci sachent créer leurs propres écosystèmes d’offres et partenariats de transferts de compétences, et qu’ils ne soient pas coupés des réalités socio-culturelles africaines !

Interview réalisée par Rouguyatou Touré

 

 

Rencontr’Afrique avec Mongi Marzoug: Pour une mise en lumière des enjeux du numérique en Afrique

1L’Afrique des Idées a eu l’honneur de recevoir samedi 7 mars 2015 à Paris, Monsieur Mongi Marzoug[1], expert en télécommunications et Ministre tunisien des Technologies de l’Information et des Communications de décembre 2011 à Janvier 2014. Lors de cet échange passionnant, Monsieur Marzoug a partagé avec nous son expertise et son expérience en matière de Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications et présenté les questions fondamentales qu’elles mettent en jeu sur le continent africain.

La transition numérique, une grande question pour l’Afrique

Cette Rencontr’Afrique très enrichissante a mis en lumière les enjeux colossaux que présentent les Technologies de l’Information et des Communications en Afrique ; en effet, les télécommunications, et notamment l’Internet constituent un monde parallèle, un espace virtuel qui reflète les même réalités et opportunités que l’espace physique dans lequel nous évoluons ; existe ainsi dans ce monde virtuel du commerce électronique, de la politique, voire même des guerres du numérique.

Le problème de la réglementation du numérique

Puisque le monde virtuel est aussi complexe que le monde réel, il est nécessaire qu’existe une réglementation exhaustive encadrant tous ses aspects, qu’ils soient juridiques, économiques, sociétaux ou politiques. Monsieur Marzoug pointe la faiblesse, voire l’inexistence de la réglementation dans ce domaine en Afrique ; or il est nécessaire que des questions relatives à la protection et l’hébergement de données, à l’ouverture et à l’accès au réseau, à la confiance dans le numérique, à la transparence ou encore à la gestion des trafics soient encadrées juridiquement.

En outre, il est impératif que les Etats adoptent des réglementations adaptées à l’économie numérique (services numériques et accès, infrastructures du numérique, protection des données, fiscalité, et autres), et instaurent des règles équitables entre les différents acteurs de l’économie numérique, fondées sur les services offerts et non les technologies utilisées (« same services, same rules ») ; à cet égard, les entreprises du Net (ou Over The Top) posent une véritable question ; les géants de l’internet tels que Google ou Amazon offrent des services et récoltent des bénéfices dans les pays d’Afrique, tout en étant basés à l’étranger, échappant ainsi à toute réglementation ou fiscalité, alors qu’ils devraient être soumis aux mêmes règles que les opérateurs qui fournissent des services en étant basés sur le territoire de l’Etat concerné.

Un secteur privé dynamique et des Etats en retrait

Le fait marquant à l’égard des réseaux mobiles en Afrique est leur ouverture à l’investissement privé d’une part, et étranger d’autre part. Il y a donc des enjeux économiques colossaux, et cette ouverture à l’investissement privé pose la question du service public ou du service universel des télécoms. En effet, les opérateurs qui bénéficient de licences ont tendance à déployer leurs services dans les zones urbaines qui sont les plus rentables, tournant ainsi le dos aux zones reculées et moins peuplées. Il est nécessaire donc que les Etats imposent à ces investisseurs privés de participer financièrement au service public des télécoms pour assurer sa continuité, et ce même dans les zones les plus en retrait.

Par ailleurs, il est de la responsabilité des gouvernements africains garantir la qualité des services de télécommunications offerts à leurs citoyens ; à cet égard, on observe, suite à l’octroi de licences à des opérateurs privés, peu de suivi de l’exécution de ces licences.

Beaucoup d’Etats africains travaillent à implémenter une identification numérique de leurs citoyens, qui permettrait à ces derniers d’accéder en ligne aux services de l’Etat et des entreprises publiques, et faciliterait leurs relations avec les administrations publiques ; dans ce cadre il est nécessaire de garantir la sécurité de des flux et stockage des données.

Un modèle à définir pour le développement du numérique

Pour les Etats africains se pose la question du modèle à adopter pour le développement du numérique : faut-il développer une industrie des télécoms, ou focaliser les efforts sur le développement des services numériques ? Selon Monsieur Marzoug, les ressources humaines et financières en Afrique sont insuffisantes pour développer une industrie complète des télécoms ; il serait préférable d’effectuer des choix sur des segments pour lesquels des ressources et compétences existent.

2A propos de l’utilisation de satellites pour garantir l’accès au réseau, à l’image des fameux « Ballons Google », qui visent à permettre l’accès à internet dans les zones reculées, Monsieur Marzoug note, qu’au-delà des questions d’autorisation et de licence qu’ils soulèvent s’agissant de Google, leur efficacité trouve ses limites dès lors que l’on se trouve en présence d’une importante concentration de population. Ainsi, s’ils peuvent être adaptés pour couvrir des zones vastes et peu peuplées, un réseau de type cellulaire est nécessaire pour garantir l’accès au réseau dans les zones à forte concentration de population.

Pour le développement des infrastructures haut débit (mobiles et fixes), la meilleure solution pour les Etats consisterait donc à mettre en place le partage d’infrastructures en particulier dans l’accès avec des processus de planification et de coordination efficaces entre les autorités et les différents opérateurs des services de communication électronique.

Dans la plupart des Etats africains, les infrastructures existantes étaient suffisantes pour le développement de la 2G, mais il faut maintenant les améliorer pour développer le haut débit mobile (3G et 4G) et fixe, notamment grâce à la fibre optique. Des solutions hybrides permettraient d’améliorer la qualité des réseaux en minimisant les coûts; dans ce cadre une coordination entre tous les opérateurs de télécoms pour le partage de l’accès à la fibre optique serait nécessaire.

Rouguyatou Touré


[1] Mongi Marzoug est directeur dans le Groupe Orange en charge de la gouvernance de l'Internet et du développement du Numérique. Il était ministre des Technologies de l'Information et de la Communication de décembre 2011 à janvier 2014 en charge des technologies du numérique et des services postaux. Il a exercé entre 1999 et 2011 dans la direction technique du Groupe Orange. Il a occupé les fonctions de responsable du Département "Architecture & Fonctions",  Directeur Adjoint chargé des études, de l'ingénierie et des produits, responsable du Département "Networks Quality & Cost Modeling", et enfin responsable du Département "Roaming, Networks Modeling & Performance". Auparavant, il était pendant dix ans à Orange Labs en charge des projets et équipes de R&D dans les domaines de télédétection, imagerie radar et planification des réseaux mobiles. Il est auteur d'un brevet sur la modélisation des interférences et l'affectation des fréquences dans un réseau mobile. Il est également auteur de plusieurs articles scientifiques dans des revues internationales  en particulier IEEE et JAOT et de nombreux rapports techniques et communications dans des conférences et forums internationaux. Il est diplômé de l'“Ecole Polytechnique” et de Télécom ParisTech. Il est titulaire d'un doctorat en physique expérimentale et d'une Habilitation à Diriger des Recherches

 

 

Rencontr’Afrique avec Khadidiatou, Fondatrice du réseau médical NEST

rencontrafrique_khadidiatou_1Ceux qui ont participé à la Rencontr’Afrique du dimanche 23 novembre 2014 ont eu l’opportunité de découvrir le parcours d’entrepreneuriat social de Khadidiatou Nakoulima, qui diplômée de l’Ecole des Mines de Paris en 2009, ne s’est pas tournée vers un parcours professionnel classique de jeune diplômée, mais est rentrée dans son pays d’origine, le Sénégal, pour y créer un réseau médical dédié aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge.

Tout est venu d’une idée…

Alors qu’elle termine ses études, son frère lui fait part de l’existence, en Inde, d’un réseau médical destiné aux classes moyennes, spécialisé dans l’accouchement et la pédiatrie. Tous deux sont conscients de la binarité du marché sénégalais dans ce secteur : il y a soit le secteur public, son engorgement et ses insuffisances, soit le secteur privé, très onéreux et destiné aux classes sociales les plus favorisées. Khadidiatou et son frère Ousseynou se lancent alors dans un défi de taille : créer au Sénégal un réseau du même type, assurant un suivi médical de la grossesse, de l’accouchement et du nourrisson, et pas seulement accessible aux élites. Ce projet se veut d’une qualité irréprochable, avec d’excellents services médicaux appuyés par une technologie de pointe, tout en étant abordable pour les classes moyennes. C’est donc un projet d’entreprenariat social, en ce qu’il combine deux objectifs : créer un système profitable d’un point de vue économique, tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie de la population au Sénégal.

A laquelle il a fallu donner vie…

Khadidiatou et son frère établissent un Business Plan, qu’ils font concourir dans des compétitions d’entreprenariat internationales. Ces évènements leur donnent l’occasion de rencontrer des investisseurs et de leur présenter leur projet. Ce dernier gagne en visibilité en arrivant en finale de la Global Social Venture Competition, la plus prestigieuse compétition d’entrepreneuriat réservée à des projets alliant viabilité économique et impact social positif.

L’étape des concours terminée, Khadidiatou décide d’apporter une nouvelle dimension à son projet en allant s’immerger pendant trois mois au sein d’une clinique indienne. Cette immersion lui permet de mieux s’imprégner du modèle avant de se lancer au Sénégal.

rencontrafrique_khadidiatou_2Et à laquelle il a également fallu donner corps…

De retour au Sénégal en 2011, Khadidiatou ouvre un premier plateau médical avec son père pédiatre qui assure les services médicaux. Pour donner plus d’envergure à son projet, il lui faut des autorisations administratives, notamment celle du ministère de la santé, qu’elle n’obtiendra qu’au bout d’un an, grâce à l’appui de l’APIX, l’Agence sénégalaise de promotion des investissements.

Quand on lui demande si elle a vécu des obstacles en tant que femme au Sénégal, Khadidiatou répond que la principale difficulté était plutôt liée à son jeune âge. Ses interlocuteurs la prenaient souvent pour l’incarnation d’une jeunesse utopique… En outre, le fait de vouloir ouvrir un réseau médical tout en étant ingénieur, et non médecin de formation, était une démarche innovante au Sénégal.

Après l’obtention des autorisations nécessaires, Khadidiatou peut véritablement développer son projet. En discussion avec la société d’investissement Investisseurs et Partenaires (IetP) depuis un certain temps, elle obtient un financement qui lui permet de mettre en place les infrastructures qui vont fournir les services médicaux et accueillir la clientèle. Ce financement lui permet également de lancer les premiers recrutements. Ces recrutements portent non seulement sur le personnel support administratif, mais aussi sur le personnel médical : sages-femmes, infirmières, aides-soignants et bien sûr médecins ; ces derniers qui s’associent aux premiers promoteurs pour le développement du projet. Au-delà du financement, IetP lui permet aussi d’avoir accès à de l’assistance technique là où les compétences locales font défaut. Enfin, Khadidiatou peut s’appuyer sur un comité stratégique qui compte parmi ses membres des conseillers dont l’expertise est reconnue et indispensable à NEST.

Nest est désormais un réseau médical, composé d’un plateau médical, qui offre un pôle de consultations et de soins d’urgences pédiatriques ouvert 24h/24 et 7J/7, ainsi qu’une clinique permettant la réalisation d’échographies obstétricales, du monitoring materno-fœtal, des analyses de laboratoire ainsi que des interventions chirurgicales. La clinique dispose également d’un bloc opératoire.

Aujourd’hui, Nest voit sa clientèle croître de jour en jour, et, bien qu’encore fragile en raison de sa jeunesse, le réseau affiche tous les signes positifs pour s’installer durablement sur le marché médical sénégalais.

Espérons que le parcours courageux et exemplaire de Khadidiatou inspire d’autres talents, issus de la diaspora africaine ou non, et nous la remercions vivement d’avoir bien voulu le partager avec l’Afrique des Idées.

Rouguyatou Touré

L’Afrique francophone est-elle moins propice aux affaires que l’Afrique anglophone ?

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L’Afrique francophone est-elle moins propice aux affaires que l’Afrique anglophone ?

Dans le classement Doing Business 2015, révélé hier, l’Afrique, comme à son habitude, ne brille pas. Mais plus encore, les pays d’Afrique subsaharienne francophone font figure de derniers de la classe, derrière leurs camarades anglophones. Ainsi, si les pays d’Afrique subsaharienne anglophone sont représentés dans le classement, hors Afrique du Sud, dès la 46ème place grâce au Rwanda, l’Afrique francophone fait une apparition bien moins glorieuse à la 144ème place seulement, avec le Gabon. Le classement des autres pays francophones s’inscrit dans cette lignée, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Cameroun, le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, la Mauritanie, le Congo, la République Démocratique du Congo, le Tchad et la République Centrafricaine étant classés entre les 146ème et 187ème places. L’Afrique anglophone s’en sort mieux avec déjà une bonne dizaine de pays classés avant le Gabon, premier au classement des pays francophones.

Inévitablement, on s’interroge sur les raisons d’un tel écart : qu’est-ce qui explique que le climat des affaires des pays d’Afrique anglophone soit généralement considéré comme plus sain par les acteurs du projet Doing Business ?

Vous avez dit Doing business ?

L’indice de facilité de faire des affaires ou Ease of Doing Business en Anglais a été mis en place en 2002 par le groupe de la Banque Mondiale. Il a pour objet de mesurer la réglementation des affaires et son application effective dans les pays qui font l’objet d’études, afin de déterminer si l’environnement réglementaire de ces pays est propice aux affaires des petites et moyennes entreprises. Pour établir ce classement, le groupe s’appuie sur des avis d’autorités publiques, d’universitaires, de praticiens et d’observateurs. Le classement 2015 a été établi sur 189 pays et s’est appuyé sur dix critères: la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le raccordement à l’électricité, le transfert de propriété, l’obtention de prêts, la protection des investisseurs minoritaires, le paiement des taxes et impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution de contrats et le règlement de l’insolvabilité.

Ce classement a un réel impact : il remplit non seulement un rôle d’information auprès des investisseurs, mais instaure également une concurrence stimulante entre les États objets du classement ; il a ainsi inspiré aux gouvernements de ces pays d’importantes réformes ambitionnant d’améliorer le climat des affaires dans leurs États.

Dans ce contexte, on peut aisément expliquer que l’Afrique en général ne figure pas en pole position : elle n’est pas connue comme un berceau du capitalisme. Mais comment expliquer une telle disparité entre les pays d’Afrique subsaharienne anglophone et ceux d’Afrique subsaharienne francophone ?

Une question de stabilité politique ?

Hormis l’Afrique du Sud, tous les pays d’Afrique francophone et anglophone ont été colonisés par le Royaume-Uni, la France ou la Belgique. Tous ont accédé à l’indépendance dans les années 1960, et ni les uns, ni les autres n’ont fait preuve d’une stabilité politique exemplaire ; des dictatures flamboyantes se sont illustrées dans une catégorie comme dans l’autre, et le Rwanda, qui se situe à l’honorable place 46, a connu une crise politique sans précédent dans les années 1990. Il n’y a donc pas de différence notoire en termes de solidité des institutions politiques des pays d’Afrique francophone ou anglophone.

Une question de corruption ?

Ce n’est pas nouveau : l’Afrique est minée par la corruption, et le moindre service requérant l’intervention d’une émanation de l’Etat, que ce soit du gouvernement lui-même ou un simple agent d’administration publique est complexifié par la volonté de ces intervenants d’en tirer un bénéfice (monétaire) personnel. Les acteurs des affaires en Afrique sont confrontés à ces problèmes dans tous les pays et l’on ne pourra raisonnablement affirmer qu’il y ait plus de corruption en Afrique francophone qu’anglophone.

Une question de tradition juridique ?

A l’indépendance, les Etats d’Afrique se sont inspirés de leurs anciens colonisateurs pour établir leur système politique et juridique : ainsi, les pays francophones sont plus influencés par la tradition du droit écrit français ou belge tandis que les pays anglophones sont influencés par celle du Common Law, qui est réputée plus souple et moins formaliste. Ajoutons à cela que des corps de règles archaïques et peu adaptés au fonctionnement des affaires sont parfois toujours en vigueur dans les pays francophones.

La situation s’est tout de même nettement améliorée depuis la création en 1997 de l’Organisation pour l’Harmonisation du droit des Affaires en Afrique (OHADA), qui réunit 17 Etats (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo) et qui édicte des Actes uniformes directement applicables dans ses Etats membres instituant ainsi un droit harmonisé dans différents domaines, tels que le droit commercial général, le droit des sociétés, le droit des sûretés ou encore les procédures de recouvrement et voies d’exécution. Ce droit est également fortement inspiré du droit français, mais, bien qu’il apporte d’indéniables améliorations, il comporte un formalisme qui peut se révéler contraignant.

Par exemple, en droit des sociétés : jusqu’à la réforme intervenue en janvier 2014, il était impossible pour une entreprise de tenir une assemblée générale ou un conseil d’administration à distance dans les pays d’Afrique francophone : toutes les réunions devaient être physiques ce qui est extrêmement contraignant pour les entreprises tournées vers l’international et dont les acteurs sont localisés dans différents pays, et qui ne favorise pas la prise de décision rapide. Dans la plupart des pays anglophones, il est depuis longtemps possible de tenir des réunions à distance en utilisant les moyens de télécommunication existants tels que la conférence téléphonique ou la visioconférence.

Le cadre réglementaire plus souple des pays anglophones explique donc certainement leur meilleur positionnement dans le classement Doing Business.

Une question de dynamisme législatif ?

Le Rwanda, premier de la classe, a récemment entrepris des réformes dans huit des domaines couverts par l’indicateur Doing Business : les pays d’Afrique anglophone feraient preuve d’un plus grand dynamisme législatif ; mais le fait est qu’en Afrique francophone le droit des affaires est un droit harmonisé dans de nombreux domaines dans le cadre de l’OHADA, et que des réformes d’envergure sont plus complexes à mettre en place lorsque plusieurs Etats membres doivent parvenir à un accord ; on ne peut néanmoins que saluer l’existence d’un droit régional qui ne peut que contribuer à la sécurisation du climat des affaires. D’ailleurs, dans le classement 2014, l’Afrique francophone n’apparaissait qu’à partir de la 154ème place, et plus généralement, on observe une domination moins forte des pays anglophones ; il y a donc du progrès, et la récente réforme OHADA y est certainement pour quelque chose. 

Le droit bancaire en Afrique : quels enjeux, quel dynamisme ?

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On pointe souvent du doigt le règne de la finance, sans partage et sans merci. Qu’en est-il en Afrique, et plus précisément du point de vue de la réglementation bancaire ? Car si l’on peut se plaindre de l’obsolescence des nombreuses règles restées inchangées ou presque depuis leur mise en place lors de la décolonisation, voire avant, force est de constater que la réglementation bancaire est un droit vivant.

Qu’est-ce le droit bancaire ?

Le droit bancaire est celui qui régit essentiellement l’activité des établissements de crédit et les opérations de banque, et dont le but est d’assurer la stabilité monétaire de son territoire d’applicabilité.

Quels acteurs ?

La mise en œuvre de ce droit est assurée par des organes régulateurs, les banques centrales, qui existent à l’échelle nationale ou régionale depuis les indépendances des années 1960. On peut ainsi citer à titre d’exemples la Banque Centrale du Congo ou la Banque de Tanzanie (Bank of Tanzania), créées respectivement en 1961 et 1965. A plus grande échelle existe l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), descendante de l’UMOA elle–même créée en 1962, et qui réunit le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, et dont l’organe régulateur est la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Existe également la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), qui réunit le Tchad, la Centrafrique, le Cameroun, la Guinée-Equatoriale, le Gabon ainsi que le Congo et a pour organe régulateur la Commission bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Du côté de l’Afrique anglophone, a été annoncée, fin 2013, la création d’une union monétaire est-africaine réunissant le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, projet qu’il reste à concrétiser.

Quelles sources ?

Les organismes de régulation bancaire sont généralement régis par une ou plusieurs lois qui elles-mêmes donnent autorité aux banques centrales pour édicter des textes réglementaires plus précis. Les banques centrales jouent donc un rôle primordial dans l’édiction du droit bancaire, et l’on observe un réel dynamisme de leur part dans ce domaine, avec la publication régulière d’instructions ou de communications.

Quelle communication ?

Un élément frappant qui doit être relevé à propos du droit bancaire en Afrique est son accessibilité. Tous les praticiens du droit vous parleront de la difficulté de trouver des sources de droit africain: les sites internet gouvernementaux sont souvent laissés à l’abandon et trouver un texte officiel peut relever du parcours du combattant. En revanche, les Banques Centrales nationales et régionales disposent quasiment toutes d’un site internet nourri de toute la réglementation bancaire existante et mis à jour régulièrement.

Quel rôle ?

Au-delà du pouvoir de création du droit évoqué plus haut, les banques centrales veillent à son application. Elles contrôlent donc de près l’installation et l’activité des banques de leur territoire de compétence. Ainsi, lorsqu’une banque souhaite s’implanter, l’organisme régulateur local vérifie que la forme juridique qu’elle compte emprunter est conforme à celle imposée par la loi bancaire. Il s’assure également que le capital social du futur établissement financier est au moins égal au capital social minimum fixé par la loi, qui impose également une proportion minimale de fonds propres.

Les banques centrales étudient minutieusement le plan d’affaires établi par les futurs actionnaires et la viabilité du projet. En outre, les actionnaires eux-mêmes doivent fournir un certain nombre de garanties démontrant leur sérieux, et des documents sociaux tels que leurs statuts ou leurs extraits de registre de commerce leur sont réclamés à cet effet. Ce n’est qu’après de longs mois que les candidats à l’implantation dans le paysage bancaire obtiendront leur agrément.

Du point de vue de la gouvernance, les administrateurs des institutions bancaires et parfois les membres des organes exécutifs doivent, outre leur irréprochabilité d’un point de vue pénal (ici les infractions financières sont particulièrement visées), répondre à des conditions de niveau académique et d’expérience. Leur sont ainsi toujours demandés au moins un extrait de casier judiciaire, une copie de leurs diplômes et un curriculum vitae. Ainsi, en cours de vie sociale, les membres des organes dirigeants ne peuvent être nommés sans avoir obtenu l’approbation préalable de la banque centrale. Ce processus prend parfois plusieurs mois, délai peu adapté au rythme des affaires.

Ces délais se révèlent encore plus contraignants s’agissant des transactions affectant significativement la situation financière des établissements de crédit: ainsi les augmentations ou diminutions de capital social, fusions ou scissions ou dissolutions anticipées sont soumises à l’autorisation préalable de l’organisme régulateur. Le contrôle s’effectue également au niveau comptable : les établissements financiers doivent en effet tenir à leur siège social une compatibilité établie selon des modèles fournis par les banques centrales, qui fixent également les dates de début et de fin de l’exercice comptable. Chaque année, les banques doivent leur communiquer les comptes annuels de leurs établissements.

Les banques centrales ont à ce titre un droit de regard sur les commissaires aux comptes choisis, qui soit figurent sur une liste de personnes agréées, soit font l’objet d’un agrément préalable au même titre que les organes dirigeants.

Quelles sanctions ?

Les banques centrales sont des organes régulateurs mais il arrive souvent qu’elles aient la possibilité, au-delà de leur pouvoir disciplinaire qui se traduit par des sanctions financières, d’édicter des sanctions pénales qui peuvent aller de simples amendes, plus ou moins lourdes, à des peines d’emprisonnement.

Quelle réception ?

Il est intéressant de noter que la plupart des banques qui s’implantent en Afrique sont les filiales de grandes banques occidentales, donc habituées aux contraintes réglementaires. Elles s’y plient donc sans difficulté, et posent régulièrement questions aux banques centrales ; ce faisant elles participent sans doute à la vivacité de la réglementation bancaire africaine.

Quelle efficacité ?

Le grand public africain recourt de plus en plus à des banques de particuliers pour déposer ses fonds. Il est donc nécessaire que cet argent soit en sécurité, que les banques où il dort ne soient pas menacées de faillite et que les particuliers puissent avoir confiance en ces banques, banques qui par ailleurs, en disposant des fonds du public, participent activement au dynamisme de l’économie.

Les banques centrales contribuent à la solidité des acteurs du marché bancaire et ainsi à son dynamisme. Cependant, la lourdeur des procédures mises en place par les banques centrales et les délais qu’elles impliquent peuvent se révéler très contraignantes dans un contexte où les affaires n’attendent pas.

 

Agitations autour du cheveu crépu

JPG_Afrohair040914Le cheveu crépu est-il beau ?

Pendant plusieurs siècles, on en a plus que sérieusement douté, et Voltaire, en son temps, avait tiré de cette caractéristique parmi d’autres propres aux nègres un verdict sans appel : « leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses ». De cette analyse marquée par l’ignorance de son temps, il avait conclu à l’infériorité de cette catégorie d’hommes en provenance d’Afrique.
Ces propos ont-ils marqué l’inconscient collectif ? Les premiers concernés, bien aidés par le regard porté sur eux par les Blancs, ont en tout cas longtemps considéré cette caractéristique comme un handicap.

Tournons-nous vers l’Amérique noire, dont la culture irradie le monde entier et influence indéniablement les peuples africains et caribéens : au début du XXe siècle les Afro-Américains sont, après trois siècles d’esclavage et de maltraitance, victimes d’une cruelle ségrégation raciale, et font tout pour gommer les caractéristiques physiques qui leurs sont propres ; et s’ils ont peu d’armes contre leur nez épaté ou leur teint sombre, ils découvrent un remède redoutable contre leurs cheveux : le défrisage, qui devient une véritable obsession. Dès la fin du XIXe siècle, ils utilisent déjà des solutions temporaires telles que le fer à boucler et le peigne à lisser. Dans ce contexte, une certaine C.J. Walker (1867-1919), joue un rôle majeur : elle développe une gamme de produits lissants complète, et, grâce à une technique marketing agressive, met à la mode les cheveux défrisés : de nombreuses publicités sont diffusées dans les journaux, et ses Walker Agents, qu’elle missionne par centaines, effectuent un démarchage redoutablement efficace. Notons par ailleurs que Madame C.J. Walker, en exploitant cette question sensible du cheveu, sera la première femme noire américaine à devenir millionnaire. D’autres hommes d’affaires, notamment G.A. Morgan et Georges Ellis Johnson, viendront développer et perfectionner les techniques de défrisage.

Dès lors, cheveux défrisés s’érigent en véritable norme, chez les femmes, mais aussi chez les hommes, comme en témoignent les premières vedettes noires américaines, tels Louis Armstrong ou Nat King Cole qui n’osaient pas une apparition sans leurs cheveux lissés et gominés comme il se doit : en ce temps-là, porter ses cheveux crépus semble pour certains aussi impensable que monter sur scène en pyjama !

La mode perdure jusqu’au déclenchement de la lutte pour les droits civiques en marge de laquelle s’affirme, à partir des années 1960, le mouvement culturel « Black is beautiful », au nom évocateur : il a pour but de démentir l’idée reçue générale selon laquelle les caractéristiques inhérentes aux personnes noires sont foncièrement disgracieuses. Ce mouvement consacre leur culture comme indépendante. C’est à cette époque que James Brown chante : « Say it Loud, I’m Black and I’m Proud ». Les cheveux défrisés appelés également les « good hair » ne sont désormais plus une obligation, et la coiffure afro, coupe arrondie de cheveux crépus laissés au naturels, est alors une affirmation de la fierté noire et s’étend au monder entier. C’est également à cette époque qu’apparaît le peigne afro, peigne à très longue dents surmonté d’un « black fist », un poing symbolisant le combat des Afro-Américains pour leurs droits civiques ; il fait le tour du monde et l’on peut encore aujourd’hui en trouver un peu partout.

On le sait, les Afro-Américains finissent par avoir gain de cause, et obtiennent non seulement l’égalité des droits, mais bénéficient également de mesures de discrimination positive. Aussi, dans les années 1980, les coiffures se font moins revendicatrices et les canons européens reviennent à la mode, pour concerner cette fois principalement les femmes. Le défrisage est à nouveau couramment utilisé (peu de femmes peuvent se vanter d’en n’avoir jamais utilisé), et de nouvelles coiffures font leur apparition : ainsi le tissage, ou greffage de cheveux, qui consiste à coudre des cheveux synthétiques, voire naturels sur cheveux tressés D’autres coiffures comme les mèches, nattes faites avec des rajouts, les locks, ou même les nattes couchées, remises à la mode par la chanteuse Alicia Keys au début des années 2000, témoignent néanmoins du retour vers une ethnicité assumée.
Mais tous ces trésors d’imagination ont un désavantage commun : celui d’éloigner les femmes noires de leurs cheveux naturels, qui souffrent du traitement qui leur est imposé et le font savoir : le défrisage, et ses composants chimiques dévastateurs, est une catastrophe pour les cheveux et brûle parfois le cuir chevelu. Les coiffures évoquées plus haut, parce que souvent bien trop serrées, traumatisent et entraînent chutes et délaissement de cheveux ayant besoin de traitements réguliers : ceux-ci deviennent secs, cassants, et donc ne prennent pas de longueur, ternes, touffus, en un mot indomptables.

C’est donc dans un contexte de non maîtrise totale du cheveu crépu que se développe le phénomène  « Nappy », contraction des mots « Natural » et « Happy ». Né encore une fois aux États-Unis, il s’étend massivement dans le monde entier depuis le milieu des années 2000 : constatant une méconnaissance totale du cheveu crépu, plus occulté par les coiffures couramment utilisées qu’apprivoisé, des jeunes femmes se sont penchées sur leur étude, la manière d’en prendre soin et ont communiqué à ce sujet afin que les Noires puissent ré-apprivoiser leur chevelure. Dès lors, on assiste à un véritable engouement des concernées pour leur chevelure, qu’elles découvrent belle, vivante, abondante… et potentiellement longue. Les sites spécialisés sur l’entretien des cheveux crépus et le vidéos présentant des suggestions de coiffure (car l’afro ne se limite désormais plus à la coupe arrondie) foisonnent sur internet et les journaux destinés au grand public s’intéressent au phénomène ; en se promenant dans Paris, on croise très régulièrement des jeunes femmes d’origine africaine ou antillaise arborant fièrement leurs boucles. Plus qu’une mode, il s’agit d’un véritable retour aux sources qui ne semble pas prêt de s’essouffler.

Espérons que ces femmes sauront tirer profit de la variété de coiffures que l’histoire a mis à leur disposition sans pour autant imposer un nouveau totalitarisme capillaire !

Rouguyatou Touré

1914-1918 : Ces soldats venus d’Afrique

JPG_Tirailleurssénégalais060814L’année 2014 est marquée par le centenaire du début de la Première Guerre mondiale : le 3 août 1914, l’Allemagne déclarait la guerre à la France, déclenchant un conflit armé qui devait durer quatre années. Alors que les présidents français et allemand ont ouvert les cérémonies de commémoration de cette Grande Guerre dimanche dernier, il semble utile de rappeler le rôle non négligeable, mais souvent oublié, des soldats venus d’Afrique dans ce conflit.

Des troupes coloniales…

En 1914, l’Empire colonial français s’étend sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest (Afrique Occidentale Française) et de l’Afrique centrale (Afrique Equatoriale Française). Des troupes coloniales françaises existent alors déjà. Elles ont été créées en 1857, à l’initiative de Louis Faidherbe ; nommé Gouverneur en 1854, ce dernier arrive à la tête de la colonie du Sénégal avec d’ambitieux projets de conquête. Il entreprend alors avec succès de doubler les effectifs existants, et attire les nouvelles recrues en leur offrant un meilleur solde, des meilleures conditions de vie, et un nouvel uniforme chatoyant. Les soldats sont dès lors professionnalisés, et au fur et à mesure de la colonisation, l’armée française recrute des tirailleurs « sénégalais », bien au-delà du Sénégal, dans toute l’Afrique noire.Ces troupes n’ont alors pas vocation à être utilisées en dehors de l’Afrique noire, même si quelques bataillons sont amenés à combattre en Europe entre 1854 et 1871.

Mais en 1910, le lieutenant-colonel Mangin publie un ouvrage intitulé « La Force noire », qui milite en faveur de l’utilisation des troupes noires en Europe, clairement dans la perspective d’une guerre à venir contre l’Allemagne. Mangin décrit alors les soldats noirs comme des soldats valeureux, dotés selon lui de qualités physiques particulières (une plus grande résistance à la douleur, notamment), pouvant utilement compléter les contingents français. Son livre provoque un débat à la Chambre des députés, qui vote en 1912 la conscription des colonisés et le principe d’utilisation des troupes coloniales en métropole.

…Mobilisées et agrandies pour la grande guerre

La mobilisation des troupes coloniales se fait donc assez rapidement dès le début de la grande guerre. Mais ce n’est qu’à partir du mois d’août 1914, lorsqu’il apparaît que le conflit doit durer, qu’un recrutement de masse est organisé. Les révoltes locales ne font que freiner ou reporter les campagnes de recrutement. Ainsi, en Afrique Occidentale Française, le Gouverneur demande instamment à Paris d’ordonner l’arrêt des recrutements en 1917. 

Mais les recrutements reprennent, dès 1918, sans coercition, grâce à une campagne énergique du député Blaise Diagne, premier Africain à siéger au palais Bourbon en 1914. En janvier 1918, ce dernier est nommé Commissaire de la République par Clémenceau et effectue une tournée de six mois en Afrique Occidentale Française au cours de laquelle il parvient à convaincre 63 000 Africains, principalement issus des élites occidentalisées des villes, de s’engager volontairement au secours de la « Nation Civilisatrice ». Mais le député Blaise Diagne ne doit pas leur accord qu’à sa force de conviction : il leur promet en effet qu’ils obtiendront la citoyenneté française pleine et entière à l’issue du conflit, et certains avantages matériels. Ce sont au total 189 000 hommes de l’Afrique Occidentale Française et de l’Afrique Equatoriale Française qui seront mobilisés pour la Première Guerre Mondiale.

Sur le front et dans les villes

Les bataillons africains participent à toutes les grandes offensives de la grande guerre, dont Verdun en 1916 et le Chemin des Dames en 1917. Les troupes de tirailleurs, donnent entière satisfaction aux autorités, et leur qualité de militaires sont louées par leurs supérieurs hiérarchiques et les hommes politiques, y compris le président de la République Raymond Poincaré. La presse renchérit et souligne leur courage, leur loyauté et leur civilité. C’est alors la première fois que les populations françaises militaires comme civiles sont amenées à interagir fréquemment avec des Africains : en quatre ans de guerre, les Blancs de métropole voient arriver plus de Noirs qu’en quatre siècles. Les autorités françaises souhaitent néanmoins limiter leurs relations autant que possible ; ainsi les camps d’entraînement sont situés à distance de la population civile, et les premières permissions ne sont accordées aux tirailleurs qu’en 1918, lorsque les autorités s’inquiètent de leur moral. 

Dans les tranchées, la dureté des conditions de vie fait oublier toute forme de discrimination voire de différenciation : enfoncés dans la boue, couverts de poux et de rats, les soldats sont tous égaux face au danger, à la peur et aux souffrances de la guerre. Les autorités militaires ont la tâche délicate d’assurer les bonnes relations entre Noirs et Blancs tout en décourageant une trop grande proximité. Des bagarres peuvent éclater entre soldats : il est ainsi rapporté que le soldat Ndiaga Niang s’entend dire un jour, au moment de trinquer, par un camarade blanc « ne touche pas à ma tasse, tu es trop sale ». Niang réplique par un coup de poing, une bagarre s’ensuit et se termine devant le capitaine, qui donne raison à Niang. Les deux hommes deviendront finalement amis. Dans l’ensemble, le racisme est peu présent et la camaraderie l’emporte. Des amitiés se nouent et se prolongent par des visites dans les familles lors des permissions.

De même, les soldats noirs sont globalement bien accueillis par les populations civiles ; passée la surprise de l’arrivée de ces nombreux hommes à la peau sombre, les tirailleurs font très bonne impression : la Première Guerre mondiale efface l’image du sauvage cannibale vivant dans la jungle pour imposer celle du Noir enfantin, du tirailleur rieur à la chéchia « y’a bon Banania » figuré sur les célèbres boîtes de cacao jaunes. Les relations amoureuses avec des Françaises (marraines de guerre, infirmières, etc.) inquiètent les autorités françaises. Au-delà de ces liaisons, les témoignages font état de meilleures relations avec les femmes, souvent plus respectueuses et moins agressives. Ainsi, en dépit de quelques témoignages humiliants et brutaux de racisme, les relations sont plutôt bonnes, trop bonnes même, au goût des autorités. 

A titre de comparaison, leur situation est bien meilleure que celle des soldats noirs américains, dont les premiers régiments de volontaires arrivent en France en décembre 1917, emmenant avec eux une ségrégation raciale implacable. L’état-major américain refuse ainsi d’armer ces soldats noirs et les cantonne à un rôle de soutien logistique. En 1918, face à la pression des autorités françaises et pour satisfaire aux revendications de ces régiments, quelques bataillons sont envoyés sur le front, mais sous commandement français. Ils s’illustrent par leur bravoure, notamment dans les violents combats en Champagne. De nombreux soldats noirs feront partie des premiers soldats étrangers à recevoir la croix de guerre. De retour chez eux, ces soldats noirs américains raconteront avec enthousiasme n’avoir vécu aucune ségrégation raciale en France.

Le bilan

Sur les 189 000 tirailleurs « sénégalais », 31 000 environ furent tués, soit une proportion de pertes assez voisine de celle de l’ensemble de l’armée française sur cette période. Ces chiffres masquent néanmoins une autre réalité : alors que les pertes françaises sont terribles pendant les deux premières années de la guerre, elles déclinent par la suite tandis que celle des tirailleurs augmentent pour atteindre leur maximum en 1918 ; à la fin de la guerre, l’utilisation massive des tirailleurs a clairement pour objectif de sauver des vies françaises, et plusieurs responsables militaires et politiques français, dont Clémenceau, expliquent que la mise en première ligne des troupes coloniales permet d’épargner le sang français qui a déjà suffisamment coulé. 

Malgré ces dizaines de milliers de soldats africains morts ou portés disparus et la « dette de sang » qui en découle, les autorités décident d’organiser le rapatriement rapide des survivants vers les colonies, afin d’empêcher l’installation de ces combattants en métropole. Ils n’obtiennent donc ni la citoyenneté française, ni les avantages matériels promis, et la colonisation ne connaît aucun aménagement significatif après la Guerre. Par la suite, la République Française n’entretiendra pas la mémoire de ces tirailleurs, et la question du montant de leurs pensions, cristallisé au moment de la décolonisation, soulèvera un contentieux qui durera  près de cinquante ans, et dont nous avons tous entendu parler de notre vivant.

Rouguyatou Touré

 

Sources :

Pap Ndiaye, La Condition Noire : Essai sur une minorité française, Editions Calmann-Lévy, 2008

Philippe Dewitte, Deux siècles d’immigration en France, La Documentation française, 2003

Juan Gelas et Pascal Blanchard, Noirs de France, De 1889 à nos jours – 130 ans d’histoires partagées [DVD], 2012