Écart entre riches et pauvres au Sénégal, les dessous d’une cohabitation difficile!

091_G3962_color_meszarovitsQuatrième économie de l’Afrique de l’Ouest, derrière le Nigéria, la Côte d’Ivoire et le Ghana, le Sénégal voit prospérer depuis l’an 2000 une certaine classe d’hommes et de femmes d’affaires richissimes. D’une part, il suffit de flâner dans le tout nouveau centre commercial de Dakar, le Sea Plaza, pour remarquer la tendance : loisirs, habillement, cosmétiques…De l’autre, des quartiers de la banlieue comme Yeumbeul, Gounass ou les villages en profondeur du pays laissent trainer une pauvreté extrême. Les riches aident ils les pauvres au Sénégal ?

Les grandes marques ont désormais leurs boutiques sur place. « L’Oréal a ouvert un bureau au Sénégal avec un représentant », confirme un consultant dakarois. BMW, Mercedes… « Les ventes progressent car le pouvoir d’achat croît », assure Edward Gonfray, responsable de la marque Mercedes-Benz pour le Sénégal, le Mali et la Guinée. Mais le luxe, ce n’est pas seulement acheter des biens ou habiter de belles villas, c’est aussi une opulence qui se veut visible.

Tout cela génère de nombreuses inégalités sociales au sein de la populations sénégalaise. C’est un phénomène assez répandu en Afrique où les plus nantis envoient leurs enfants dans les meilleures écoles et universités du monde au moment où les plus pauvres peinent à avoir de quoi nourrir la famille. « Ndogalou Yalla la – c’est de la volonté divine » comme aiment le dire les Sénégalais.

D’après le rapport Doing Business 2011, les 5 % des ménages les plus riches s’accaparent de 47 % des revenus alors que 80 % des gens les plus pauvres réussissent à se partager 28 % des revenus.

Le Sénégal est un État prébendier, c’est à dire que conquérir le pouvoir équivaut au contrôle des sites d’accès à la richesse nationale. Dans un ce type d’État, le Président de la République est le gardien de la porte qui mène aux prébendes, prestiges et privilèges et donc peut enrichir qui il veut.

Dans le contexte économique actuel, être milliardaire est le fruit de travail de toute une vie voire de plusieurs générations. Mais la politique est devenue un raccourci pour devenir milliardaire depuis l’an 2000. « Un pays a besoin de milliardaires ». C’est ainsi que le président sortant Abdoulaye Wade lors d’un entretien sur Africa7 parlait. Ajoutait-il : « je ne récuse pas les riches. Je n’ai jamais vu un pays qui se développe avec les pauvres. Même en Occident, il faut des riches pour investir». L’ancien chef de l’État avoue même qu’avec son avènement à la tête du pays, beaucoup se sont enrichis mais réinvestissent dans le pays. Au Président Wade de confirmer qu’il existe «une classe très aisée» et une autre «très pauvre». «On ne peut pas enrichir tout le monde à la fois. Même le bon Dieu ne l’a pas fait».

Des milliardaires dans un pays démontrent le dynamisme des affaires, attirent des investisseurs et contribuent à la création d’emplois. Une économie forte a besoin de consommateurs qui ont un fort pouvoir d’achat. La faible moyenne salariale mensuelle dans les entreprises formelles établie à 221 000 F Cfa en 2006 (ANSD 2006) et à 45 960F dans l’informel justifie le manque de pouvoir d’achat.

La Chine a commencé à émerger quand Deng Xiaoping a lancé son fameux “Enrichissez-vous”, mais il parlait du business. « Politiciens milliardaires » est un indicateur de pays pauvre et sous-développé. Or, l’émergence commence par la séparation des deux sphères, d’un côté les riches et de l’autre les pauvres. L’État crée les conditions d’un enrichissement général, mais n’a pas de vocation à servir de levier d’enrichissement à ceux qui contrôlent les destinées du peuple.

Makhtar Gueye

Les chaînes globales de valeur : le chaînon manquant dans l’intégration des échanges de l’Afrique sub-saharienne

Cafe-670x446Le flux des échanges de l’Afrique sub-saharienne s’est brusquement accru, avec un volume multiplié par cinq sur les deux dernières décennies. Cette explosion des échanges repose-t-elle sur les seuls produits primaires ? À mon sens, pas du tout ! De nombreux pays ont amélioré l’intégration dans le domaine des chaînes de valeur globales. Il reste cependant bien clair que l’Afrique sub-saharienne a encore du chemin à parcourir.

Un accroissement des échanges qui dope la croissance

Au cours des deux dernières décennies, le ratio des exportations rapporté au PIB de l’Afrique sub-saharienne est passé de 20,5 % en 1995 à 27,5 % en 2013. Cela est dû en grande partie à un accroissement de la demande de matières premières, mais pas uniquement : dans cette région, certains exportateurs hors produits de base ont réalisé des progrès impressionnants. Durant cette période, les zones vers lesquelles l’Afrique sub-saharienne exporte ont également beaucoup évolué en raison du développement des échanges avec les pays émergents tels que le Brésil, la Chine et l’Inde. La Chine est notamment devenue le plus important partenaire commercial de l’Afrique sub-saharienne.

Lire la suite de la tribune de Roger Nord sur le site de notre partenaire http://ideas4development.org/ (Le Blog animé par l'Agence Francaise de Développement).

La mauvaise idée de juger Hissène Habré

HabréLe Sénégal juge l'ancien président tchadien Hissène Habré. J’ai rarement été d’accord avec l’ancien Président Wade mais si je trouvais ses tergiversations ignobles, j’ai toujours trouvé que son refus de juger Habré était la seule décision non seulement honorable mais également réaliste pour le Sénégal et l’Afrique. J’aurais juste préféré qu’il ait exprimé un refus clair et net de juger Habré au lieu de louvoyer avec la soi-disant communauté internationale.

Je n’ai strictement aucune sympathie pour Habré. C’est un affreux personnage, un tortionnaire, un assassin et un dictateur de la pire espèce. Je lui souhaite de mourir dans d’atroces souffrances et de griller en enfer. Je trouve malgré tout qu’il aurait dû bénéficier de la protection de l’État du Sénégal contre vents et marées. Non pas, comme le disent certains, parce qu’il s’est intégré à la communauté sénégalaise, a épousé une sénégalaise et a corrompu nos chefs religieux – ça, c’est les raisons pour lesquelles nous aurions dû le juger – mais tout simplement à cause de la continuité de l’État.

À un moment en 1990, l’État du Sénégal s’est engagé à accueillir un ancien dictateur de sorte que ne se perpétue pas dans son pays une sanglante guerre civile [1]. Quoi qu’on pense du personnage, dès l’instant où l’État du Sénégal a décidé de l’accueillir et de lui accorder l’immunité, je crois que la seule attitude républicaine était de s’y tenir de manière trans-temporelle. Par ailleurs, au delà de cet aspect républicain dont j’estime qu’il devrait suffire à clore le débat si nos dirigeants n’étaient pas des carpettes décidées à plaire à tout prix aux desiderata des occidentaux, j’estime que ce procès est dangereux pour l’Afrique. On peut le déplorer mais il y a encore des dictateurs en Afrique.

Ce sont des vestiges de l’histoire mais leur pouvoir de nuisance est grand et il faudra au moins une vingtaine d’années pour que nous en soyons débarrassés. Une question qui se pose est de savoir comment nous allons nous en débarrasser. Sera-ce sanglant ou pacifique ? Ce qui pourrait inciter certains dictateurs à ne pas mourir au pouvoir, c’est la certitude qu’en cas de départ négocié, ils peuvent vivre une retraite paisible aux Almadies et que les cris de leurs victimes ne les y dérangeront jamais. S’ils savent qu’en cas de démission, ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ne les juge, ces psychopathes préféreront, à l’instar de Bachar El-Assad bombarder leur propre peuple et mourir au pouvoir que de s’exiler et être rattrapés par la justice 25 ans plus tard.

On parle ici de milliers voire de millions de morts potentielles. Je préfère un Mugabé ou un Sassou Nguessou qui se prélassent dans le luxe à Dakar à un Zimbabwe ou un Congo totalement ravagés par la guerre civile juste parce qu’ils ont peur de se faire juger quelques années après avoir volontairement cédé le pouvoir. Or, c’est exactement ce message que le procès Habré envoie à tous les dictateurs africains : accrochez-vous au pouvoir ou bien il n’y aura pas un endroit dans le vaste monde où vous pourrez tranquillement jouir de la fortune que vous avez volée.

Je crains de savoir ce que ces psychopathes choisiront confrontés à une telle alternative et je ne crois pas que ce soit bénéfique à leurs victimes actuelles et futures. Quid de la morale ? Habré, comme je l’ai dit plus haut est un horrible personnage et je suis de tout cœur avec ses victimes. Malgré tout, je crois que le plus immoral dans cette histoire, ce n’est pas que Habré ne soit pas jugé ; c’est que son jugement ne soit rien d’autre qu’une vengeance. Habré sera jugé. Gageons qu’à aucun moment ne seront évoqués ses liens avec la CIA et l’État français.

Habré n’est pas n’importe quel chef de guerre inculte ; c’est d’abord un intellectuel diplômé de Sciences Po Paris, qui ayant pris le pouvoir, a gouverné et torturé avec l’aide de puissances occidentales en guerre contre la Libye. Juger Habré en restant muet sur les bras qui l’armaient et l’aidaient à contrôler sa population, ce n’est pas de la justice, c’est du théâtre. Si Human Rights Watch veut aider les Africains, je lui suggère de s’intéresser aux forces économiques qui pillent méthodiquement le continent et empêchent que n’émergent de vraies démocraties.

Ce sont ces forces là qui nous empêchent de mettre en place des systèmes de santé et d’éducation viables et c’est cette oppression économique là qui permet la naissance de monstres comme Habré. Juger Habré 25 ans plus tard nuira peut-être au Zimbabwe et ne fera rien pour le Niger dont Areva continuera à voler l’uranium tout en polluant la région d’extraction.

[1] Je sais, ce n’est là que la raison officielle. La vraie raison est que le mec avait rendu des services à la CIA et aux français et qu’on lui renvoyait l’ascenseur. Sur les liens entre Habré et la CIA, cet article de Foreign Policy est instructif: http://foreignpolicy.com/2014/01/24/our-man-in-africa/

Hady Ba

 

Article initialement paru sur le blog de Hady Ba : https://hadyba.wordpress.com/2015/07/20/pour-habre-et-le-zimbabwe-accessoirement/

Migration ne doit pas forcément rimer avec répression

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Plus de 1 100 personnes sont décédées au large de Lampedusa dans la nuit du 19 au 20 avril 2015, ce qui porte à plus de 1 800 le nombre de migrants morts depuis le début de l’année. Ce triste record s’ajoute aux drames récurrents de l’actualité euro-méditerranéenne : 220 000 personnes ont risqué leur vie en traversant la Méditerranée en 2014 et en 6 mois, en 2015, 54 000 migrants ont gagné l’Italie, 48 000 la Grèce, 920 l’Espagne et 91 Malte. Cette tragédie humaine qui dure impose un constat : l’Union européenne ne change pas radicalement d’approche sur la question migratoire et s’entête dans la répression alors que des alternatives existent.

Le principe de solidarité s’effrite face à la réalité, les États membres étant peu disposés à partager le poids de l’accueil, supporté principalement par l’Italie et la Grèce. Paralysés par une opinion publique séduite par des droites extrêmes, à tendance xénophobe, ils s’arcboutent sur des principes souverainistes et anti-immigration. Leurs réactions à la proposition de la Commission d’un système de quotas de demandeurs d’asile par pays illustrent à merveille le court-termisme de politiques destinées à ne traiter la question migratoire que dans l’urgence.

 

L’immigration, une question de sécurité intérieure ?

Jusque dans les années 1990, en Europe, la question migratoire était intimement liée à celle des besoins du marché du travail. Le regroupement familial étaient quant à lui accepté. Les réfugiés étaient traités à part et ne mobilisait pas l’opinion publique. Celle-ci manifestait en revanche de la solidarité à l’égard des victimes de guerres civiles, par exemple les Vietnamiens ou encore les Chiliens.

Depuis le traité d’Amsterdam de 1997, les politiques d’immigration et d’asile relèvent du pilier « Sécurité et Affaires intérieures » de l’Union européenne. Il s’agit donc d’une question de sécurité traitée comme les autres compétences de ce pilier : lutte contre la criminalité, répression et moyens de contrôle typiques des organismes de défense. Le respect des droits fondamentaux est passé au second plan et l’Europe de la sécurité intérieure est devenue celle de l’insécurité pour les entrants sans visa. Malgré cela, l’Europe est devenue la première destination au monde pour les flux migratoires Nord-Sud.

Pourquoi ces flux ?

La généralisation du passeport dans la plupart des pays du monde depuis 1989 a libéralisé le droit sortie, tandis que les volumes des revenus de transferts (400 milliards de dollars en 2013) ont amené beaucoup de pays de départ à accepter la réalité migratoire, accentuant partiellement l’essor des migrations économiques. En revanche, le droit d’entrée s’est durci et l’on parle de la « forteresse Europe » pour ceux qui ne parviennent pas à obtenir un visa.

Au Sud, le passage de la Méditerranée est devenu un rêve à atteindre, ce qui n’est pas sans rapport avec l’accès aux nouvelles technologies, le chômage des jeunes, leur désir de changer de vie et l’absence d’espoir dans les pays d’origine mal gérés et corrompus.

Les crises et conflits (révolutions arabes, corne de l’Afrique, Syrie, Irak), notamment dans les pays proches de l’Europe et avec lesquels elle a des liens historiques, accentuent une dynamique migratoire déjà forte. À ceux qui partent chercher du travail, s’ajoutent donc les demandeurs d’asile. L’Allemagne a reçu 240 000 demandeurs d’asile en 2014 et la France 61 000. Parmi les pays les plus sollicités, la Suède et le Royaume-Uni les suivent de près.

Comme l’entrée légale n’est ouverte qu’aux nantis, le trafic du passage irrégulier prospère : pateras, zodiacs, vieux cargos ou chalutiers recyclés sillonnent la Méditerranée au péril des passagers, souvent abandonnés par les passeurs. Les coûts de passage sont considérables. Ce sont souvent les économies de la famille duharrag[1] qui sont investies dans ce voyage, ce qui ne laisse d’autre choix aux transgresseurs de frontières que de réussir et explique qu’ils ne sont pas prêts à abandonner leur course vers l’Europe.

Lire la suite de la tribune de Catherine Wihtol de Wenden sur le site de notre partenaire http://ideas4development.org/ (Le Blog animé par l'Agence Francaise de Développement).

Ebola, paludisme et choléra, des tueurs complices à combattre simultanément

Image-Ebola-670x503Il est à craindre que les ravages provoqués par la résurgence soudaine et meurtrière d’Ebola en Afrique de l’ouest continueront après la fin de l’épidémie. Car en plus d’emporter des vies, de semer la terreur et d’abattre des économies déjà fragiles, le virus a également désorganisé et mis à terre les systèmes de santé des pays les plus touchés, laissant les populations à la merci des autres maladies tueuses qui sévissent dans la région, particulièrement le paludisme et le choléra.

Des maladies tueuses tapies dans l’ombre d’Ebola

L’année 2014 restera dans nos mémoires comme celle de la soudaine résurgence en Afrique de l’ouest de l’épouvantable virus Ebola. En quelques semaines, la Sierra Leone, le Liberia et la Guinée ont été traversés, les populations durement frappées,les gouvernements débordés.

Près d’un an après le déclenchement de cette crise meurtrière, on peut tirer un premier bilan humain de la razzia du tueur Ebola : près de 25 000 personnes infectées et plus de 9 500 morts. Et des mois de peur pour plus de vingt millions de citoyens vulnérables.

Mais si on peut désormais espérer une maîtrise rapide de la situation, il ne faut pas relâcher l’effort, car d’autres tueurs restent malgré tout tapis dans la région. Des tueurs qui depuis des décennies déciment des millions de personnes, et singulièrement les femmes enceintes et les enfants d’Afrique : le paludisme et le choléra.

Les chiffres sont parlants. En 2012, après plusieurs années d’accalmie, la région a été frappée par une épidémie de choléra qui a touché environ 30 000 personnes, et tué 138 patients en Guinée et 296 patients en Sierra Leone. En 2013, juste avant la réapparition d’Ebola, le Sierra Leone, le Liberia et la Guinée ont enregistré près de 5 millions de cas de paludisme ! Selon l’OMS, 5 625 personnes ont perdu la vie dans les trois pays cette année-là, foudroyées par la malaria, cette maladie pourtant curable si elle est rapidement diagnostiquée et correctement soignée. Cela représente plus de la moitié des décès enregistrés à cause d’Ebola.

Les statistiques pour 2014 seront probablement similaires et le risque d’épidémie de choléra, on l’a vu, n’a pas disparu. Le bilan pourrait même être plus sinistre encore, car dans les pays concernés, les énormes besoins mobilisés pour lutter contre Ebola ont paralysé les autres services de soin, décimé le personnel de santé, épuisé les économies locales. Les personnes les plus vulnérables — les femmes enceintes et les enfants — risquent d’être durement affectées.

En Guinée par exemple, Ebola a tout désorganisé ; les avancées de ces dernières années ont été perdues : dans la commune de Matoto, à Conakry, le taux de fréquentation des centres de santé est passé de 73% en 2013 à 34% cette année ; dans la commune de Ratoma, celui-ci est passé de 65% à 23% ! Le travail de prévention et les campagnes pour inciter les femmes à un suivi médicalisé de leur grossesse ont été stoppés ; les femmes enceintes se sont détournées des centres de santé et restent confinées à la maison pour accoucher sans personnel qualifié.

Avec le retour de la saison des pluies, Ebola maîtrisé ou pas, il n’y pas de doute : la situation en Afrique de l’Ouest reste inquiétante.

Lire la suite de la tribune de Sinan Khaddaj et Caty Forget sur le site de notre partenaire http://ideas4development.org/ (Le Blog animé par l'Agence Francaise de Développement).

Ghana : quel modèle de développement à moyen terme ?

Croissance-Ghana-670x446Au cours de la dernière décennie, le Ghana a enregistré des taux de croissance moyens supérieurs à 7 % par an, ce qui lui a permis d’accéder au statut de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Toutefois, la croissance a récemment marqué le pas pour s’établir à 4,2 % en 2014, ce qui soulève la question de la pérennité du modèle de développement du pays. Le Ghana se trouve désormais à un stade critique de son processus de développement.

Une transformation structurelle de l’économie relativement modérée

Après être restée relativement stable de 1970 à 1990, la structure de production de l’économie ghanéenne s’est progressivement modifiée, en particulier au cours de la dernière décennie. L’examen de la décomposition sectorielle du PIB ghanéen révèle deux caractéristiques majeures dans la structure et l’évolution de la répartition de la valeur ajoutée par secteur. Premièrement, le Ghana demeure un pays fortement agricole dans la mesure où la part du secteur primaire représente toujours près d’un tiers de la valeur ajoutée totale et plus de 40 % de l’emploi total. Toutefois, à l’instar de la plupart des exemples de développement, la croissance ghanéenne s’est caractérisée par un recul marqué de la part du secteur agricole dans l’économie, laquelle est passée de 56,5 % de la valeur ajoutée totale au cours des années 1970 à environ 26 % sur la période 2010-2012. Deuxièmement, la diminution progressive de la part du secteur agricole s’est essentiellement effectuée au profit du secteur des services et non du secteur secondaire. La part du secteur des services est ainsi passée d’un peu moins de 25 % dans les années 1970 à près de 50 % en 2010-2012. La part du secteur industriel est quant à elle restée stable depuis 1990, à moins de 25 % de la valeur ajoutée totale. En outre, la part du secteur manufacturier accuse un recul significatif, passant de 10 % au cours des années 1990 à 7 % sur la période 2010-2012.

Comme de nombreux pays africains, le Ghana connait un processus de transformation structurelle relativement lent et récent. 

En outre, la transformation structurelle s’opère par la voie des services et non par une hausse des activités manufacturières. Toutefois, le secteur des services demeure très concentré dans les services informels à faible valeur ajoutée comme le commerce de détail ou les services à la personne. Le secteur informel représente 80 % de l’emploi total au Ghana.

Malgré la vigueur de la croissance (taux de croissance annuel soutenu de plus de 5 % depuis 1990), pourquoi la transformation structurelle de l’économie ghanéenne en cours se fait à un rythme lent ?

Lire la suite de la tribune de Clémence Vergne sur le site de notre partenaire http://ideas4development.org/ (Le Blog animé par l'Agence Francaise de Développement).

 

 

 

L’Afrique que nous voulons (suite et fin)

c68a72e0-2Nous évoquions la semaine dernière dans nos colonnes la nécessité d’une prise de recul critique face aux changements de paradigme qui s’opèrent sur le continent : plus riche, plus urbain, plus ouvert au monde, plus structuré ; mais  également plus déraciné, plus consumériste, plus « aculturel » et toujours aussi peu uni.  Posant les principes de base du concept d’afro-responsabilité, nous souhaitions en filigrane réaffirmer notre capacité à détenir les ressorts de notre propre bonheur et de notre propre émancipation.

Le propos n’étant pas d’aller à l’encontre de la marche de l’Histoire (pourquoi n’aurions nous pas, nous aussi, voix au chapitre de la modernité ?) ; mais plutôt de rester alertes pour ne pas céder aux sirènes d’un développement illusoire et d’un vernis temporaire. Heureusement, les acteurs de la construction de cette autre Afrique, durable, inclusive, en avance sur les problèmes de son temps, existent. Héros ordinaires d’un quotidien qui se cherche, ils bâtissent dans l’ombre une vision nouvelle de l’Afrique et dessinent ensemble, et souvent sans le savoir, les  contours de nouvelles utopies et de solutions inédites. Qui sont-ils ?

Nouvelle donne, les moteurs du changement.

En dépit des pesanteurs précédemment citées, qui sont le lot d'un continent qui a raté son départ post indépendance, des moteurs du changement existent. Et ce, dans un contexte de fertilité des outils et des idées, parfois hors du circuit classique de l’État et de ses démembrements.  Nous en identifions ici trois principaux : la société civile de plus en forte et influente qui émerge ; la jeunesse véritable potentiel et première richesse du continent qui s'organise et montre son envie pour le choix d'un nouveau braquet ; enfin la technologie qui permet d'imaginer un nouveau champ des possibles plus large et plus crédible.

Les acteurs culturels du continent qui, chaque jour, jouent leur rôle de moteurs importants dans le changement des sociétés. Pourquoi ? En raison de leur sensibilité à saisir l’ère du temps et le vent qui tourne. Qu’apportent-ils dans l’édification de cette autre Afrique ? De cette 3ème voie ? Trois éléments fondamentaux à tout projet d’envergure : l’audace d’y croire, la folie d’essayer,  l’énergie d’avancer. Les artistes africains n’y font pas exception et prennent de plus en plus en compte leur rôle avant-gardiste dans le changement qualitatif des pays. Véritables éclaireurs du temps présents, il dessinent les contours d’une société à venir et mettent en lumière les maux de notre temps, à l’image par exemple du projet Prophétie au Sénégal.

Dans un autre registre, les think tanks et instituts de mesure et d'influence positive, à l’instar de la Fondation Mo Hibrahim,  prennent leur  place dans l'architecture institutionnelle de l’Afrique en faisant avancer la démocratie et élargissant le cercle des outils d'aide à la décision pour les décideurs. Car pour insuffler des politiques adéquates, faut-il déjà mesurer de façon juste l’existant : nous l’avons vu avec le PIB du Nigéria par exemple, révisé à la hausse de façon considérable suite à un ajustement méthodologique.

Les réseaux sociaux enfin sont un moteur pour davantage de transparence, de réédition des comptes pour les gouvernants et de capacité de mobilisation et de lobbying pour avancer certaines causes justes. Désormais intrinsèquement ancrés dans les pratiques quotidiennes, ils deviennent également le lit d’une remise en question des structures hiérarchiques habituelles et donc le lieu d’une émancipation créatrice.

Le temps des solutions, vers un continent agile.

Afro-responsables, nous nous voulons également afro-optimistes. Car oui, ce n’est qu’au goût du risque et d’un brin de folie que nous aurons l’audace de penser une 3ème voie à la confluence des réalités actuelles et à la hauteur des défis qu’elle comporte. Oui il est aujourd’hui plus que temps de ne plus regarder dans le rétroviseur, de pardonner au passé ses serments pour achever un nécessaire et sine qua non travail de mémoire afin de bâtir un avenir fécond. Oui enfin ce n’est qu’au prix de nos efforts que nous parviendrons à lutter contre ce que La Boétie appelait « la servitude volontaire » pour construire l’Afrique que nous voulons.

Ce n’est qu’en adoptant une approche introspective que le continent, déjà adepte des sauts : technologiques, créatifs, humains ; pourra trouver les ressources nécessaires pour catalyser ses énergies et devenir un continent visionnaire.

Continent de tous les défis, serions-nous en train de devenir celui de tous les espoirs ? Nous l’espérons et le souhaitons. Ainsi, à problèmes inédits, solutions inédites. La restriction nous pousse à l’ingéniosité. Preuve en est, les innovations africaines sont aujourd’hui exportées hors de nos frontières. C’est le cas par exemple de la solution de M-banking M-Pesa, pensée au Kenya et commercialisée en Roumanie depuis 2014. Car, ne nous leurrons pas, face à l’immensité des défis qui nous attendent et à commencer par le premier d’entre eux, nourrir et instruire 1, 5 milliards d’âmes à l’horizon 2030[1], soit demain, les solutions devrons être « jugaad », c’est à dire agiles, innovantes, inédites ou ne serons pas.

C’est d’ailleurs sur cette incitation à l’ingéniosité collective et individuelle que nous souhaitons conclure cette réflexion en deux temps, dont la 1ère partie est accessible ici. A notre sens et en définitive le mot de la fin doit aller à la responsabilité individuelle, car l’Afrique, et au delà le monde de demain, habite un peu en chacun d’entre nous. C’est la fameuse théorie du colibri, cet oiseau qui face à l’incendie de la forêt a continué selon la légende indienne à apporter sa goute d’eau, aussi modeste fût-elle, pour contribuer à éteindre le feu, là ou tous les autres animaux fuyaient. Soyons colibris, soyons exigeants, soyons optimistes, soyons aigris mais surtout, soyons unis… Car, dans un monde globalisé, les propos de Fatou Diome doivent trouver une résonnance particulière : « nous serons riche ensemble, ou nous coulerons ensemble ». Ne rêvons plus simplement l’Afrique, rêvons là plus fort et surtout, construisons la, habitons la.

 

Hamidou Anne et Christine Traoré

 

A lire dans nos colonnes sur le même sujet :

La thématique de l’afro-responsabilité vous intéresse ? Poursuivez votre lecture sur le sujet  à travers une sélection de notes et analyses publiés récemment sur Terangaweb.com :

           

 

 

 


[1] Soit autant que l’Inde ou la Chine. Sur ce sujet voir l’ouvrage CHINDIAFRIQUE, Boillot et Dembinski (2013).

 

 

Karim Wade, de l’arrogance à la trahison des siens

 

Photo+Karim+WadeLe prononcé du verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite contre Karim Wade et ses complices, ce lundi 23 mars 2015, a été accueilli par une immense clameur de désolation dans la salle 4 du Palais de justice Lat Dior de Dakar. Celle des partisans de l’ancien ministre d’État, finalement condamné à six ans de prison ferme, une amende de 138,293 milliards de francs Cfa, la confiscation de tous ses biens identifiés par l’enquête, mais gardant ses droits civils et politiques.

A dire vrai, cette sentence n’a surpris personne en dehors de ceux qui avaient la naïveté de croire que la machine judiciaire, sur ce dossier de la traque dite des biens mal acquis, avait les moyens de « négocier » quelque arrangement spécifique au statut du fils de l’ancien président de la république. Patatras ! Quoique modérée, la main des juges du tribunal de la Crei n’a pas tremblé, même si le président Henri Grégoire Diop a paru s’essouffler au terme de deux heures de lecture d’une sentence historique.

En soi, nous ne nous réjouissons pas de la condamnation de monsieur Karim Wade à six années de prison. Simplement, nous avons le devoir de saluer la détermination politique du pouvoir sénégalais à aller, pour une fois, au bout d’une logique saine et salutaire : la protection des ressources de la collectivité nationale contre les criminels économiques et financiers de passage dans les hautes (ou basses) sphères de l’État.

Karim Meïssa Wade, ancien tout-puissant ministre d’État aux responsabilités stratosphériques, paie aujourd’hui les pots cassés d’une ascension irréfléchie, brutale, sans commune mesure avec le vécu réel qui était le sien au moment de l’accession de son père à la magistrature suprême. Plastronnant sous une littérature directement extraite d’un conte de faits pour enfants, l’ex-ministre d’État s’est vu trop beau trop tôt, trop fort trop vite, ignorant volontairement ou naïvement les ingrédients de base constitutifs de la carapace d’un vrai homme d’État. 

Sans base ni éducation politique, dépourvu de charisme, sans relais structuré dans le Sénégal des profondeurs, il avait fait le choix de vivre sur l’énorme capital politique et humain de son père, Abdoulaye Wade. Or ce dernier, faut-il le rappeler, s’est assujetti à endurer vingt six ans de carrière dans l’opposition avant de toucher le Graal de son engagement et de ses sacrifices. Le fils, lui, se forgeant des ambitions phénoménales avec la complicité irresponsable des ascendants, s’est laissé embarquer dans ces réseaux inextricables d’intérêts et de magouilles que seule l’immersion dans le pouvoir permet. 

Novice dans la manipulation du principe de puissance, imprudent face aux conséquences imprédictibles permises par la volonté démocratique des peuples, Karim Wade s’est aveuglé avec l’aide des siens, intransigeant contre ceux qu’il considérait à tort ou à raison comme des ennemis bruts de son ascension, n’écoutant que ceux qui lui contaient sornettes pour tirer profits et avantages de son propre éclosion, autour d’une tasse de thé ou de café, quelque part entre Dubaï et Monaco, mais aussi dans Dakar intra muros. 

L’échec d’une défense

Wade Jr. n’a pas été seulement victime de faux-amis qui, incapables d’assumer par eux-mêmes leurs propres ambitions, avaient fini de dissoudre leur destin politique dans le sien. Il l’a été également d’un père devenu dieu de ses obligés mais qui avait envisagé que seule une double succession monarchique dans « son » parti et dans un État capturé depuis 2000 était en mesure de lui assurer la postérité qu’il revendiquait à la hauteur de son égo. De fait, il ferma peut-être les yeux – s’il était au courant – sur tous les stratagèmes que son fils développait à partir de ses positions de pouvoir au sommet de l’Etat. Abdoulaye Wade était-il informé des pratiques peu orthodoxes auxquelles se livrait Karim Wade et que l’énoncé du verdict de la Crei a mises en lumière ce 23 mars ?
Victime, Karim Wade l’a aussi été de ses avocats et conseils. La plupart de ceux-ci, donc pas tous, sont reconnus comme des professionnels aguerris des prétoires. Des hommes d’expérience aux capacités tactiques qui peuvent être utiles à leurs clients. Mais ne se sont-ils pas trompés de procès au bout du compte ? Le caractère exceptionnel de la Crei, ses procédures aux antipodes des juridictions classiques, sa résurgence en ces temps de la maturité des peuples et des exigences morales liées au principe de la reddition des comptes, ne suffisaient-ils pas à leur imposer une démarche plus efficace pour sauver leur client ? Comment expliquer que des manquements inhérents à ce type de procès aient pu servir de motif pour déserter ainsi le prétoire ?

On peut respecter leur stratégie, cela n’empêche pas d’avancer le propos qui fâche : ils ont opté pour la facilité, plaidant plus dans les médias que devant le tribunal, arc-boutés à des principes universels de droit qui ne font pas tout le droit, finissant par boycotter un procès que la lourdeur des charges contre Karim Wade rendait ingagnable à leurs yeux, oubliant même que, « en matière pénale, la preuve est libre », ainsi que leur rappelait un de leurs confrères.

Le principal concerné n’a pas été exemplaire non plus ! Emmuré dans le silence face aux accusations précises et accablantes de ses contradicteurs, Karim Wade ne s’est pas révélé courageux, en droite ligne d’ailleurs de l’ascension couvée dont il a bénéficié durant sa (brève) carrière politique. Son mutisme, il le voulait sélectif : en extase quand il fallait parler du fameux compte de Singapour et des bijoux de sa défunte femme, deux dossiers sur lesquels il savait qu’il aurait gain de cause ; aphone lorsqu’il était question de AHS, ABS, Blackpearl Finance, etc.

Et maintenant ?

Dans notre entendement, si ce procès historique ne devait pas être l’amorce d’une transformation radicale des modes de gouvernance en vigueur dans notre pays depuis cinquante cinq ans, il n’aura servi à strictement rien, sauf à donner bonne conscience à des politiciens professionnels. C’est le moment pour les politiques au pouvoir de confirmer leur détermination à promouvoir un Sénégal en lutte perpétuelle contre la corruption. Les Sénégalais les ont à l’œil, patients.

Mais le nœud gordien de notre salut à tous réside dans l’émancipation du pouvoir judiciaire, garant de nos libertés, arbitre de nos turpitudes. Car, si nous laissons les politiciens de ce pays conduire seuls nos destinées selon leurs agendas, des centaines d’énoncés de verdict comme celui de ce 23 mars 2015 nous sont d’ores et déjà promis. Encore que, dans l’attente, il y en a qui méritent le sort de Karim Wade.

 

Momar Dieng

Article initialement paru sur le blog http://momardieng.blogspot.fr/