Le FIFDA 2017 se place sous le signe de la mémoire et de l’identité

Gurumbe. Copyright

Pour sa cinquième édition, le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA), qui aura lieu du 8 au 11 septembre dans plusieurs cinémas parisiens, célèbre la mémoire et l’identité. Mémoire des Africains du continent vue de l’intérieur, mémoire de leur diaspora située entre deux rives : de ces deux faces de l’Histoire découlent les questionnements identitaires que vivent au quotidien les milliers d’Africains, locaux ou immigrés, et d’afro-descendants de la diaspora.

Des mémoires enfouies ou niées  

Après Tango Negro, de Dom Pedro de Angola, qui remettait au goût du jour les origines africaines du tango, Gurumbe exhume les traces de la présence d’esclaves en Espagne : les racines profondément africaines de la musique andalouse. Independencia nous envoie vers d’autres mémoires ibériques : celles de la lutte angolaise pour l’indépendance, une des plus longues et des plus éprouvantes de l’Histoire. Des vétérans joignent leur témoignage à des images inédites. Dans le registre de la lutte, le Maroc n’est pas en reste : Fidaa relate le dilemme d’un résistant anti-colonial face à un beau-père collaborateur ayant participé à l’emprisonnement et à la mort de nombreux résistants.  Même combat pour les rastafari de la Jamaïque dans The price of memory, qui demandent réparation à la reine Elisabeth II d’Angleterre pour les années d’esclavage qui ont marqué la belle île, s’inscrivant dans la lutte pour la reconnaissance de l’esclavage qui a pris racine dès 1960.

FIFDA
Mariannes noires, de Mame-Fatou NIANG & Kaytie NIELSEN, à l’affiche du FIFDA 2017.

Un présent à réinventer  

Pour les protagonistes des Mariannes Noires, il est avant tout question de liberté. Liberté de choisir à quelle(s) culture(s) on appartient, à quels principes on adhère. La question de la liberté d’être est tout aussi prégnante chez les héros de Dites-leur que nous avançons, sur l’histoire des universités noires aux Etats-Unis, de Mohammed le prénom, ou de Medan Vi Lever, où l’on explore la problématique du retour avec un humour salvateur. S’y ajoute l’effet de miroir en rapport avec le regard de l’autre. Stand down Soldier, qui met en scène une femme soldat témoignant de son expérience en Irak, inscrit les parcours de la diaspora dans un destin détaché des carcans identitaires, et pose la question du rôle de chacun dans la destinée universelle. Chez le réalisateur de N.G.O. (Nothing Going On), c’est l’espoir suscité par l’ ailleurs qui ressort, poussé par la représentante américaine d’ une fausse ONG. Avec, en prime, une réalisation teintée d’humour pour évoquer des sujets d’une extrême gravité. Déroutant, le FIFDA, comme chaque année !

Voir l’intégralité du programme et les dates de projection

Touhfat Mouhtare

Le khanga, témoin du patrimoine culturel et historique Swahili

khanga tissu zanzibar
Femmes de Zanzibar portant le khanga. Source : African Fashion Design.

Khanga, c'est le nom swahili de l'un des tissus les plus répandus en Afrique du Sud-Est. Il est orné de motifs d'une beauté impressionnante, mélange surprenant d'Afrique et d'Orient, et porte toujours un message sur l'une de ses bordures, ce qui en fait un véritable moyen de communication entre les femmes. Le khanga puise ses origines dans un passé alourdi par l'esclavage et sublimé par la résilience d'un peuple : il est le témoin, par son histoire, mais aussi par les messages qu'il porte, de l'Histoire et des bouleversements culturels de tout un pan de la côte swahilie, depuis le Burundi et le Kenya jusqu'aux îles Comores, en passant par le carrefour culturel qu'est l'île de Zanzibar. 

Une étoffe d'amour, de politique et d'autres choses

Le khanga est avant tout une histoire d’amour. Les mères l’offrent à leurs filles à l’âge de la puberté pour célébrer leur passage à l’âge adulte. Symbole de féminité, il les accompagne tout au long de leur vie, orné de motifs qui évoluent avec le temps. Leur particularité, c’est le message qu’ils portent, et que les femmes véhiculent en le portant. Une femme blessée peut arborer un khanga porteur d’un message plein d’un esprit de revanche sur la vie ; deux amies peuvent porter le même khanga où est inscrit un ode à l’amitié ; l’amour n’est pas en reste. Lors de la saison des mariages aux Comores par exemple, les familles des mariés commandent de nombreux khanga aux motifs similaires pour que les femmes les portent durant les danses et fêtes au programme, avec un message évoquant l’amour, les vœux de bonheur, le triomphe de l’amour. Chaque khanga véhicule un message, ce qui fait que chaque khanga est unique : c’est ce qui fait la particularité de cette étoffe, héritage de la rencontre violente entre l’Afrique et l’Occident lors de la traite négrière.

khanga obama
Un khanga en l'honneur d'Obama, Tanzanie.

Le khanga est aussi un instrument de propagande politique : il se recouvre du portrait des candidats aux élections présidentielles ou gouvernementales, avec force messages et slogans de campagne. C’est aussi un support religieux : à Zanzibar, il peut porter des versets bibiques ou coraniques, célébrer des personnages hautement révérés tels que Jésus, et inciter les gens à s’en remettre à Dieu.

Une étoffe, plusieurs histoires

Il est difficile de retracer l’histoire du khanga. Le nom khanga, qui signifie pintade en swahili, viendrait de ce qu’en général, les motifs du khanga sont dessinés sur un fond de points noirs, imitation du pelage de la pintage. Chaque élément a son nom : le motif, la bordure, toujours noire, et le message (jina). L’histoire la plus répandue fait état d’une mode qui serait née dans les années 1800 à Zanzibar, après que les négriers aient débarqué des esclaves enveloppées dans des étoffes grossières qu’elles se sont ensuite appropriées en les ornant de motifs. N’ayant pas le droit de s’exprimer, elles auraient pris le parti d’inscrire leur pensée sur ces étoffes. Une autre version relate qu’une comerçante zanzibarite a décidé de se procurer des carrés de tissus venus d’Europe pour les orner avec des motifs orientaux et swahilis. Quoi qu’il en soit, le khanga a fait son petit bonhomme de chemin, et constitue aujourd’hui l’élément central de la garde-robe féminine. On les vend par paires, appelées leso, que les époux offrent à leurs femmes tous les deux mois, et que l’on garde précieusement dans un coffre embaumant l’encens.

Une célébration des âges de la féminité

Le khanga sert aussi de relais entre les âges. Tous les khangas n’ont pas la même épaisseur. Toujours en coton, ils sont fins pour les jeunes filles, et s’épaississent et s’anoblissent en fonction de l’âge et du statut social, selon les codes culturels du pays en question. Le plus souvent, on passe à la texture supérieure après trois événements fondateurs d’une vie de femme : la puberté, la maternité, et le mariage de la fille aînée, summum de l’accomplissement pour la mère.

Khanga, 101 uses. Guide de portage du khanga, d'hier à aujourd'hui, par Jeanette Hanby.

Si les femmes se sont davantage tournées vers les vêtements occidentaux, mettant en danger l’économie florissante du khanga, celui-ci revient en force, poussé par l’engouement des jeunes stylistes et de leur public pour un retour à la culture des pays d’origine sur le continent, et par l’avènement de la mode ethnique en Occident. Le khanga, messager silencieux, a encore de beaux jours devant lui. 

Les nouveaux agriculteurs : Anturia Mihidjai, la femme qui change la vision de l’agriculture aux Comores

nutrizone-agriculture-anturiamL’agriculture est, avec la pêche, le pilier de l’économie dans l’archipel des Comores. Mais elle est de loin la plus plébiscitée. La société lui préfère les emplois de bureau, les hauts postes politiques, et les fonctions culturelles, plus prestigieux en surface que les métiers de la terre. Pourtant, la donne est en train de changer. Entretien avec Anturia Mihidjai, fondatrice de Nutrizone Foods, qui instaure le changement avec une démarche innovante : valoriser les ressources alimentaires locales.  

Pouvez-vous nous présenter Nutrizone Foods ?

J’ai créé Nutrizone Foods vers fin 2014, dans le but de valoriser les produits alimentaires locaux et d’encourager leur consommation par la population a travers la transformation agroalimentaire.

Comment vous est venue l’idée d’entreprendre ?

L’idée de créer une entreprise m’a habitée depuis mes études universitaires au Kenya. L’environnement entrepreneurial Kenyan m’a vraiment impressionné par son dynamisme. J’ai su, durant mes études, que l’entrepreneuriat était ce que je voulais. De  retour au pays en 2012, je me suis dit que l’agriculture était mon domaine : elle me permettait de commencer avec un capital minimal. Je suis partie avec un avantage non négligeable : celui d’être issue d’une famille d’agriculteurs.

Quelles difficultés avez-vous surmonté pour réaliser ce projet ?

Je n’avais pas fait d’études commerciales : je suis infirmière et prothésiste dentaire. Cela a occasionné quelques doutes. D’autre part, il me fallait convaincre ma famille, ce qui n’était pas simple : culturellement, l’agriculture est vue comme un métier dégradant, « sale », aux Comores. Il était impensable qu’ayant fait mes études à l’université, je décide de m’investir dans une telle activité. Mais à présent, mon entourage l’accepte.

L’autre difficulté est liée à la pénétration du marché, l’environnement entrepreneurial aux Compres étant un peu plus compliqué qu’ailleurs pour un concept nouveau comme le mien. Ce n’est qu’après avoir présenté le projet devant un concours entrepreneurial national en 2013, au cours duquel j’ai été sélectionnée, que j’ai compris que je pouvais bien faire quelque chose.  J’ai commencé a m’impliquer, et à chercher des opportunités de formation.

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Farine de sagou, par Nutrizone Foods.

Et l’environnement entrepreneurial du continent africain, était-il plus favorable ?  

En 2014, j’ai été selectionnée par le Programme Young African Leaders Initiative (YALI) grâce auquel j’ai beneficié de ma toute première formation en entrepreneuriat et affaires a la Clark Atlanta University. J’avais toute la motivation dont j’avais besoin, et tout mon temps aussi : les six semaines durant lesquelles je m’étais absentée de mon travail d’infirmière de pharmacie pour suivre la formation du YALI m’ont valu la perte de mon emploi ! Je n’avais donc qu’un seul choix : exploiter ma motivation et les 150 euros que j’avais avec moi.

Aujourd'hui, l'agriculture est encore vue comme un métier de "paysan", donc forcément dégradant, peut-être à cause des relations féodales qu'entretenaient les grandes cités avec leurs serfs, à qui était réservée l'activité agricole…

Avant, j'avais la même vision que celle que notre culture entretient envers l’agriculture et la pêche. A l’école, j’avais honte de dire que ma mère payait mes frais de scolarité en produisant et en vendant des tomates et des feuilles de feleke*. Ce projet, c’est un hommage à mes parents et à leur noble métier.

 Je me rendais dans les champs de ma famille, je cueillais les sagous*,  les cassais et les séchais. Puis je payais pour le broyage et j’emballais ma farine dans des sachets à fermeture zip que je me suis procurés durant mon séjour aux Etats Unis.

 Je distribuais gratuitement les échantillons a des amis en échange de leur avis sur la manière dont je pourrais améliorer le produit. Apres plusieurs essais, j’ai fini par y arriver. L’étape la plus difficile fut ensuite de convaincre les supermarchés et autres distributeurs d’accepter de proposer ma farine dans leurs rayons. Le sagou est un produit qui d’habitude ne se vend qu’au marche local et non en rayons, et j’avais de bien faibles compétences en vente. Le premier magasin à accepter mes produits fut le supermarché Mag Market.

Les plus grands soutiens que j'ai eu, ont été mes coachs et mentors, et un financement de la fondation Tony Elumelu.

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Le sagou n'est vendu que sur le marché; local. Le commercialiser (ici, sachet de sagou précuit) contribue à changer la vision d'un métier essentiel.

Comment avez-vous fait face aux barrières culturelles ?

Ce qui m'a aidé à continuer, c’est d’abord l’envie de me prouver à moi-même que je suis capable de changer les choses, notamment dans un contexte où la plupart des jeunes sont convaincus que pour réussir dans la vie, il faut soit vivre à l'extérieur, soit s’impliquer dans la politique et les nombreux travers dont elle souffre.

Ayant vécu au Kenya, j'ai été contaminée, si l’on peut dire, par cette niaque entrepreneuriale. Je ne suis pas près d'accepter que ce projet échoue alors que chez mes amis, dans d'autres pays, ce concept fonctionne.

* Le feleke (ou bredy mafana à Madagascar) est une plante dont les feuilles sont appréciées pour leur goût proche de la menthe, et utilisées en sauce. 

** Le sagou est une fécule du sagoutier, probablement un lointain cousin du palmier, connue pour ses qualités nutritives. 

Peinture rupestre en Afrique : et si la première salle de cinéma était une grotte ?

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Peinture rupestre Bushman, Namibie.
Parler de peinture rupestre à notre époque revient à évoquer des peintures plus ou moins approximatives, des silhouettes d’hommes et d’animaux peints à même la roche des grottes de Lascaux, d’Amérique latine ou d’Afrique du Sud. Il est rare que l’on aborde ces oeuvres "primitives" autrement que comme la tentative de l’homme du paléolithique de rendre compte de son environnement. Pourtant, ceux qui ont observé cet art avec attention se sont aperçus qu’il était tout autre chose, de bien plus surprenant : une forme de récit évolutif. L’art rupestre, ancêtre du cinéma ?

Regarder en marchant

La première fois que j’ai entendu évoquer cette hypothèse, j’assistais à la présentation de projets innovants au domicile d’une Brésilienne férue de nouveautés. Benjamin Rassat, journaliste et réalisateur, nous a alors proposé de poser un regard nouveau sur les grottes peintes comme à Lascaux : « Il faut les visiter la nuit, avec une lampe torche. On avance pas à pas, éclairant à chaque pas les parois avec la lampe, et le récit d’une bataille épique, d’un exploit de chasse, ou d’un voyage, vous est raconté image par image. J’imagine les hommes de cette époque, un flambeau à la main, parcourant la grotte avec à leur suite un groupe d’enfants ou d’adultes qui regardent et écoutent le récit, comme nous allons au cinéma aujourd’hui. ».

Ce n’est pas tant le fait que les hommes du Paléolithique furent conteurs autant que chasseurs qui est étonnant ; c’est le fait qu’ils aient utilisé l’image comme instrument de récit, pour accompagner la parole. En cela, ils ne diffèrent guère de nos réalisateurs contemporains, si ce n’est qu’à la place des rochers et des grottes nous utilisions l’écran, à la place de la torche nous utilisions des projecteurs, et qu’au lieu de marcher nous restions assis.

Leroi-Gourhan et les symboles mouvants

André Leroi-Gourhan, anthropologue controversé des années 40, a longuement évoqué cette possibilité.

En étudiant l’art paléolithique de la graphie sur les parois des cavernes, il constate un fait : sur un dessin ou une peinture, les animaux sont placés selon une logique précise, prenant en compte une place qu’ils ont pu occuper, soit dans le quotidien des personnes, soit, plus intéressant, dans le récit qui a donné naissance au dessin.

En effet, dans plusieurs cavernes, on peut constater un schéma de ce type : bisons et chevaux au centre, bouquetins et cerfs sur les bords du cadre, lions et rhinocéros à la périphérie. Le placement nous force à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une représentation accidentelle d’animaux de chasse, mais d’autre chose qu’une écriture ou un tableau. Il s’agit, pour Leroi-Gourhan*, d’un récit que l’on a conservé par un symbole matériel sur un objet matériel. Les dessins évoluent avec le récit : « derrière l’assemblage symbolique des figures a forcément existé un contexte oral avec lequel l’assemblage symbolique était coordonné et dont il reproduit spatialement les valeurs » (LG, Le geste et la parole, P. 273-274, fig 92 et 93).

Cela n’est pas sans rappeler le couple évolutif récit-graphie que l’on retrouve dans les dessins sur le sable des Chokwe en Angola, que les travaux de Paulus Gerdes* ont permis de mettre en avant. Ou, plus récemment, hormis le cinéma, nos pésentations Powerpoint et nos murs sur Pinterest…

De quoi regarder avec un œil nouveau nos ancêtres et notre rapport au temps et au progrès : et si le progrès n’était rien d’autre que la répétition par l’homme des mêmes actions, mais avec des matériaux différents selon les civilisations?

Pour aller plus loin : 

  • André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 1983, Albin Michel. 
  • Paulus Gerdes, Une tradition géométrique en Afrique : les dessins sur le sable, L’Harmattan, 1995

Repenser l’éducation : pour une Afrique qui propose

Une étude menée par les Nations Unies en 2013 a donné lieu à des statistiques affolantes concernant l'éducation en Afrique : près de trois jeunes sur dix ne sont pas capables d'effectuer une opération de calcul simple, et deux jeunes sur cinq sont incapables de lire une phrase malgré leur scolarisation. 

Nietzche disait, à propos de la connaissance, que :

« Ce n’est que lorsque l’homme aura atteint la connaissance de toutes choses qu’il se connaîtra lui-même, car les choses sont les frontières de l’homme. ».

Du point de vue de l'éducation, il est nécessaire de prendre en considération la différence entre les besoins et les contraintes des enfants dans les pays africains et ceux d'autres continents, voire entre les enfants de chaque pays du continent. L'apprentissage, comme le définit Dewey, devrait prendre l'enfant pour base, car il est destiné à répondre à la nécessité de s'adapter à un écosystème donné. 

Or il s’avère qu’en 2014, les outils proposés aux enfants africains sont plus utiles aux enfants européens, car ils répondent aux contraintes de ces derniers. Il est urgent de repenser l’éducation dispensée aux enfants des Afriques de manière à ce que celle-ci réponde à leurs contraintes immédiates, et leur ouvre des pistes d’avenir dans leur propre territoire de naissance. Peut-être cela permettra-t-il aux générations futures de nourrir des rêves qui, loin de rejeter leurs traditions au profit d’un idéal « occidental », les connectera de nouveau à une civilisation dans laquelle, enfin, ils pourront se reconnaître. 

L’éducation comme réponse aux contraintes de notre environnement

La forme graphique dans laquelle se projette la pensée, le mode de compréhension de l'univers qui nous entoure, conditionnent durablement notre manière de réfléchir. Un paradigme se construit autour de cette réflexion, qui traverse les générations. Les pays Africains doivent investir dans des méthodes d'apprentissage qui répondent aux contraintes qui leur sont propres, afin d'apporter à leur tour leur manière de percevoir le monde à la grande fresque du savoir humain. 

Nombre de sociétés considérées comme primitives s’avèrent aujourd’hui détenir une rare connaissance de l’être humain et de son environnement. Que ce soit au fond de l’Amazonie, dans le désert du Kalahari, ou dans les endroits reculés d’Australie, les vestiges de ces civilisations que nous envions aujourd’hui sont encore témoins de systèmes éducatifs qui ont fonctionné. Ceux-ci sont à la peine aujourd’hui, en raison d’une mondialisation agressive et du désamour qui en découle pour tout ce qui concerne l’éducation traditionnelle. 

Se réconcilier avec les repères traditionnels 

Pourtant, les enfants Africains disposent de tous les outils nécessaires à la compréhension et à l’appréhension de leur environnement immédiat, et du grand mystère de la vie. Les contes, pour ne citer qu’eux, sont reconnus par les psychanalystes comme étant des outils qui permettent aux enfants de connaître les dangers auxquels ils peuvent être exposés, de les appréhender, d’y trouver des solutions grâce à leur ingéniosité. 

Il nous appartient d’explorer ces richesses, de les analyser, de nous en inspirer pour permettre à l’Afrique de s’exprimer de sa propre voix. Il est temps que les Africains se saisissent de cet héritage intellectuel et le mettent à exécution à travers le continent. Il est temps que l’Afrique propose, après avoir tant reçu. Qu’elle se construise par ses propres matériaux qu’elle aura solidifiés par les connaissances du passé, et qu’elle arrose la plante qui a longtemps germé dans ses terres. 

Comme les Grecs de l’Antiquité, les Africains doivent entrer en possession d’eux-mêmes. Le monde a aujourd’hui besoin d’une Afrique qui dialogue d’égal à égal avec les autres continents. L’Afrique a un devoir de prise en main et de restitution. Cela commencera par une réappropriation des modes d’enseignement par les citoyens Africains. C’est dans cette démarche que les pays Africains pourraient travailler en tant que partenaires, avec les pays d’Occident, et bénéficier de leur accompagnement durable et de leur expérience en tant que pays ayant eu l’occasion de développer leurs outils éducatifs. 

L’Afrique doit devenir ce qu’elle est déjà, c’est-à-dire un creuset de savoirs, un générateur de connaissances. Elle ne deviendra un partenaire efficace que quand elle apprendra à respecter sa propre individualité. 

Lycée à Abidjan – Copyright Zenman

Après les « grandes figures », quelle succession ? 

Le principe de l’enseignement, comme nous le savons grâce aux données historiques que nous possédons sur les aspects de la civilisation africaine, existe dans les fondements des sociétés africaines. Des auteurs comme Amadou Hampaté Bâ l’ont souligné à plus d’un titre. Les leaders politiques qui ont montré l’exemple de la sagesse africaine ont permis au continent de se hisser sur la scène internationale, tels Nelson Mandela ou Jomo Kenyatta. Dans les mondes Peul ou Bambara, l’homme est tenu, arrivé à un certain âge, d’enseigner aux plus jeunes ce qu’il a appris. Il y a là des leviers sur lesquels nous appuyer pour impulser un souffle nouveau au corps éducatif africain. 

Si les structures éducatives propres à l’Afrique ont disparu face à l’occidentalisation, leurs principes fondateurs demeurent, et leurs témoignages physiques sont encore présents. Il faudra étudier à nouveau ces structures, les replacer dans le contexte actuel, extraire les réponses qu’elles apportent aux contraintes aujourd’hui inhérentes aux sociétés africaines, et les réactiver dans les esprits afin qu’elles donnent naissance à une technologie maîtrisée par les africains sur les plans historique et pratique. Aujourd’hui, le G20 doit accompagner l’Afrique dans un processus de ré-enracinement dans le terreau du savoir. Il est temps de permettre une Renaissance africaine pour que le continent ait une pierre à apporter à l’édifice du savoir humain. 

Nelson Mandela disait que les actes des Sud-Africains devaient désormais déboucher sur une véritable réalité africaine, une société dont l’humanité serait fière. Ces mêmes propos s’étendent à tout le continent africain. Vingt ans plus tard, au devoir de « panser nos blessures » s’est ajouté celui de faire la paix avec une histoire trop longtemps limitée à ses épisodes aliénants, et concerne désormais la totalité du continent. A l’ère du Village Global, il est urgent de parachever la construction d’une Afrique qui propose.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright Photo Bernd Weisbrod

Touhfat Mouhtare

Webdays : un rendez-vous 2.0 en Afrique et au Moyen-Orient

En 2011, en Algérie, un groupe de passionnés des nouvelles technologies décide d'organiser un évènement qui serait dédié à ces dernières. Les Webdays sont nées. Elles deviennent peu à peu un évènement phare dans le domaine en Afrique, présent dans plus de 20 pays. L'association fête ses 5 ans le 30 novembre. L'occasion pour nous d'établir un bilan avec l'une des membres de l'organisation, Mounira Hamdi. 

Une brève histoire des Webdays ?
A l'origine des Webdays, il y a l'association Founder Family. Elle a été fondée par Farid Arab (Franco-Algérien) et Mehdi Omarouayache (Algérien). Cette association à but non lucratif est axée sur les nouvelles technologies, l'innovation et l'entreprenariat. Les#webdays sont ensuite nées de cette démarche. Ces rencontres sont organisées sous forme de symposiums. Elles visent à favoriser les rencontres entre acteurs des différents écosystèmes numériques. Nous avons organisé plus d'une centaine de rencontres en 5 ans. 

Dans quelq pays les webdays sont-ils présents ?
A ce jour, les Webdays sont présents dans plus de 20 pays, dont  l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Sénégal, le Togo, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Lybie et le Qatar. 
 

Quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
Nous comptons développer les rencontres Webdays dans la majorité des pays d'Afrique et créer des synergies avec d'autres écosystèmes entrepreneuriaux dans le monde.

Les prochaisn rendez-vous #webdays
La prochaine session des Webdays aura lieu le 30 novembre à Oran, pour fêter les 5 ans de l'organisation. Communicants, technophiles, passionnés du web, réservez vos billets ici : https://www.facebook.com/events/1421476624733899/

Mathématiques africaines : entre langage social et débat d’idées

Mathématiqeus africaines - image African Fractals- tresses
Source : African Fractals, par Ron Eglash
« Toute activité mathématique, dans quelque société au sein de laquelle elle opère, résulte d’une interaction entre la liberté de l’imagination humaine et les contraintes universelles qu’imposent l’espace et la logique. ». African Fractals, par Ron Eglash. 

Nous vous avions déjà proposé une lecture des travaux de Ron Eglash, ce mathématicien américain qui, à l'instar de Claudia Zaslavsky en Russie ou de Paulus Gerdes au Mozambique, révèlent la dimension logique de la pensée africaine. Plus que cela, de tels travaux clouent le bec aux théories selon lesquelles une société sans écriture est une société qui ne pense pas, et inscrivent l'Afrique autant qu'une partie de l'Europe antique dans l'Histoire de la pensée humaine. Dans La raison graphique, Jack Goody soulaignait déjà la tendance du milieu de la recherche à vouloir "lire" les sociétés qui donnent la part belle à la matière, aux quantités, et au discours, avec une grille influencée par l'histoire occidendale de l'écriture ; il appelle cette tendance l' "habitus littératien". Ron Eglash propose ici de regarder autrement les manifestations de l'art dans certaines sociétés africaines, et d'y voir l'expression d'une pensée mathématique qui s'écrit autrement. Tour d'horizon. 

Plus proche d’une intention que de la nécessité de représenter un concept social, l’art recèle lui aussi des concepts mathématiques complexes que l’auteur fait ressortir. Ceux-ci peuvent, ou non, se rapprocher de notre compréhension euclidienne des mathématiques ; mais si l’auteur avoue ne pas avoir les outils nécessaires pour affirmer avec fermeté que l’intention est animée par une même passion pour les nombres que les contemporains de Pythagore ou d’Euclide, il n’en précise pas moins qu’il existe, dans certaines formes d’art, une volonté assumée de faire apparaître des idées mathématiques telles que les angles ou les algorithmes. Celle volonté peut être issue de stimuli différents :

Les angles : On observe ainsi que les Mangbetu du Congo Kinshasa(Nord-Est) expriment l’angle 45° dans la plupart de leurs créations artistiques (instruments de musique, coiffures…), et que celui-ci est répété à l’infini selon un système fractal d’échelles. Une telle création artistique est considérée comme un challenge, un défi que se lancent les artistes Mangbetu, et a pour principal leitmotiv la compétition des idées.

Les algorithmes et le graphe eulérien : caractérisé par l’exigence d’exécuter un dessin reliant des points dans l’espace sans jamais lever la main, le graphe qui porte le nom du mathématicien Euler se retrouve dans plusieurs sociétés africaines, dont les Chokwe, en Angola. Ici, le graphe, qui fait appel aux propriétés scalaire et récursive des fractales, a un rôle initiatique pour les enfants : à mesure que ceux-ci grandissent, ils relèvent le défi d’en dessiner un plus grand et plus complexe.

Les transformations affines contractantes : on en retrouve la logique dans les motifs réalisés à la main des tissus ghanéens Kente, construits sur la base de rectangles dont la taille se module en conservant le parallélisme. L’auteur souligne ici que selon les tisserands, il s’agit de suivre l’itinéraire de l’œil quand il parcourt un objet.

Les fonctions exponentielles : elles se retrouvent dans le tressage des clôtures de millet au Mali, dont les finitions plus effilées que la base sont travaillées en fonction de la puissance estimée du vent. Il est intéressant de noter que lorsqu’on calcule, grâce à l’outil informatique, les dimensions et les propriétés qui permettraient à un mur de millet de freiner la course du vent – sachant que la puissance du vent est fonction de sa vitesse à un temps T, de son point de départ (mesurable sur un repère cartésien, par exemple), et de la distance qu’il parcourt – celles-ci se rapprochent du travail effectué par les bâtisseurs.

Le calcul informatique est d’ailleurs un outil que l’on retrouve tout au long de l’ouvrage, puisqu’il sert d’outil de modélisation et de mise en équation des différentes structures construites selon un mode fractal. L’auteur précise sans cesse que l’on retrouve, pour chacune des formes et des associations de formes étudiées, des données quasi précises à travers un calcul mécanique.

Alors qu’ailleurs les maths s’expriment à travers des symboles écrits, ici, elles sont palpables. Evidemment, on pourrait répliquer que dans toute construction humaine se trouve un concept mathématique : dans une brosse à dent ou une chaise, comme dans une équerre ou un double-décimètre. La question qui se pose concerne alors la conscience, ou l’inconscience, qui accompagne les oeuvres humaines lorsqu’elles expriment des idées mathématiques. Mais ça, c’est un autre débat.

Pour aller plus loin : 

African Fractals, Ron Eglash, Rutger’s university press, 2012.

FIFDA 2016 : Rencontre avec le cinéma du réel

Le monde est un kaléidoscope. Cylindre magique que l’on tourne dans tous les sens, et qui donne à voir des combinaisons de couleurs et de lumières aussi inattendues que fascinantes. C’est exactement ce qu’est le FIFDA, Festival International des Films de la Diaspora Africaine. Tout y est nouveau, chaque année, tant par les sujets abordés que par l’angle d’approche.

Nouveau et familier à la fois, tant les histoires présentées nous touchent dans nos vies les plus intimes : des tourments de l’exil aux amours rendues impossibles par les différences, de la difficulté de s’aimer dans une humanité multicolore à la magie de nos ressemblances.

Les réalisateurs, venus des quatre coins de l’Afrique, d’Europe et d’Amérique, vous ouvriront les yeux sur des réalités que vous côtoyez sans vraiment les voir. Rejoignez-nous du 9 au 11 septembre dans deux grands cinémas de Paris : Cinéma Etoile Lilas, et le Cinéma La Clef. Laissez-vous porter, rencontrez et discutez avec quelques réalisateurs ; vous ne reviendrez pas indemne de ce voyage.

Le programme 

Le 9 septembre au Cinéma L’Etoile Lilas : 

A 18h30, embarquement pour Image, thriller de Adil EL ARBI et Bilall FALLAH(Belgique), où une jeune journaliste désireuse de couvrir les émeutes à Molenbeek, Bruxelles, se heurte à la machine médiatique et aux impératifs d'audimat.  Un débat aura lieu après la projection. 

A 20h30, aura lieu la réception d’Ouverture, une heure avant la projection de Supremacy, de Deon Taylor(USA), à 21h30 : ne manquez pas ce thriller psychologique qui met en scène deux mondes, celui d'un jeune néo-nazi et d'une famille afro-américaine contraints de passer quelques temps ensemble. Avec le légendaire Dany Glover. Vous êtes invités au débat en présence du réalisateur qui suivra la projection. 

Le 10 septembre, au Cinéma La Clef : 

A 13h30, les Héros Invisibles de Alfonso DO’GO et Jordi TORRENT(Espagne) vous plongeront dans l'épopée de quatre vingt-cinq soldats Afro-Américains qui donnèrent leur vie, dans l'anonymat, à la défense de la République Espagnole.  

A 15h40, avec Mercy's blessing du Malgache Mamihassina RA’OZOA(Madagascar), rendez-vous au Malawi, où un adolescent rêve de s'échapper de la misère qui frappe son village avec sa petite soeur, et se retrouve confronté aux dilemmes du destin. Suivra la comédie romantique du même réalisateur, Dzaomolaza Tsy, qui met en scène un triangle amoureux dans lequel survient une grossesse, ainsi qu'un débat. 

A 19h00, assistez à la première mondiale de Nos Plumes, de Keira MAAMERI(France) : un dialogue-questionnement sur la littérature contemporaine et urbaine qu'ont introduite des auteurs comme Faïza Guène, Rachid Santaki, El Diablo, ou Rachid Djaïdani. Le dialogue se poursuivra par un débat avec la réalisatrice. 

A 21h30, retrouvez Supremacy, de Deon Taylor. 

Le 11 septembre au Cinéma La Clef : 

13h30 : La belle et tragique romance de Ben & Ara. Il est Blanc, Américain et agnostique ; elle est Noire, Africaine et musulmane. C'est au coeur de leur relation qu'a lieu le tumulte du choc des civilisations. Par Nnegest LIKKE(USA). 

15h30 : Hogtown, film le plus original sur Chicago, raconte la disparition du propriétaire d'un théâtre en 1919, lors d'une tempête de neige, avec pour toile de fond les émeutes raciales et le talent naissant d'Ernest Hemingway. Ne manquez pas le débat avec Daniel NEARING(USA), réalisateur apprécié par la critique pour la fibre artistique qui anime ses films. 

17h50 : Deux films, deux combats de femmes : celui de Nour,dont la féminité naissante crée des tensions entre elle et son père dans Printemps Hivernal de Mohamed KAMEL(Egypte), et celui de Laïla, employée d'une exploitation agricole qui se soulève contre les injustices à l'encontre des employés étrangers, dans Insoumise de Jawad RHALIB,(Maroc). 

A 20h30, La Belle Vie clôture le festival avec le passionnant retour d'une cinéaste américano-haïtienne à ses racines haïtiennes, et ses implications identitaires. Un débat avec la réalisatrice, Rachelle SALNAVE (USA/Haïti), suivra la projection. 

La Clôture de FIFDA 2016 aura lieu le 11 septembre à 20h30, avant la projection du film de clôture. 

Bonne rentrée du cinéma ! 

Retrouvez la programmation et les informations sur le site du FIFDA

What a digital world : code binaire et numération africaine

Numérique et numération africaine. Sikidy
Divination Sikidy – Madagascar
Le mot « digital », usité aujourd’hui pour désigner tous les appareils et outils, matériels ou immatériels, dérivés de la nouvelle technologie d’information et de communication qu’est Internet, est un anglicisme. En anglais, « digital system » est le processus de traitement de données construit grâce à l’encodage de tout type d’information à l’aide du code binaire, deux chiffres représentant les deux états électriques de l’ordinateur : 0 et 1.

Peut-on retrouver cette logique binaire, autrement, dans d’autres civilisations ?

Maths pour tous

Des informaticiens, mathématiciens et physiciens tels que Leibniz, Raymond Lull, George Boole, se sont basés sur le système binaire pour construire les prémices de ce qui fait l’informatique aujourd’hui. On note d’ailleurs la référence souvent faite à l’algèbre de Boole en matière d’histoire du numérique.

Là où il est né, le code binaire est associé à l’énergie électrique et aux deux états d’un ordinateur qui fonctionne correctement : l’état de non passage du courant (0), et l’état de passage du courant (1).

Le codage, autrement

 

En Afrique, le stockage et la restitution de données à travers l’utilisation d’un système numérique à deux constantes existe sous la forme que les anthropologues nomment « divination ».

Cette discipline a son équivalent en Europe, sous le nom de divination par le tarot, ou par les runes. Mais en Afrique, elle est fortement attachée à une idée qui rappelle les éléments de l'informatique : stockage des données (mémorisation), traduction en information exploitable (nombres), interprétation.

Répandue dans tout le continent, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, existe sous plusieurs variantes. Leur origine varie selon la région où l’on se trouve : le sikidy à Madagascar, le sâhil aux îles Comores, le Bamana dans la région centrale (Cameroun), le hakata en Afrique du Sud (Zimbabwe, Zambie et Botswana). Du point de vue de l’histoire des mathématiques, on attribue l’origine des systèmes de divination, du moins en grande partie, à l’expansion de la géomancie arabo-islamique (Wim van Binsbergen (2000) et Eglash (1998) )[1].

Cependant, il est intéressant de noter des différences significatives entre ces systèmes ; différences que l’on ne saurait imputer aux seuls effets de l’évolution culturelle d’un savoir originaire des anciens empires arabo-islamiques.

Les systèmes de divination mathématiques

Attention : Lire une pensée qui ne privilégie pas l’écriture comme mode d’échange reviendrait à non seulement s’exposer à de fausses interprétations, mais aussi acquérir une vision "primitiviste" de cette pensée. De quoi voir le "sauvage" tel qu'il est : cette part de nous qui reste liée au monde du vivant, à la faune et à la flore.

Ainsi, pour éviter toute interprétation teintée de primitivisme, il vaut mieux prendre en compte, dès à présent, le caractère différent, et néanmoins tout à fait égal à toute autre pensée, de la pensée développée en Afrique. Les mathématiques ne se développent et ne s’étudient pas de la même manière en Afrique que dans les civilisations gréco-romaines, pour la simple raison qu’elles ne sont pas abordées de la même manière.

Revenons-en aux différences entre les systèmes de divination. En Afrique du Nord et en Afrique de l’Est, la divination numérique repose sur trois éléments matériels : le sable, les instruments et le devin. Le sable sert de support aux outils que le devin utilisera. Les instruments seront les représentations visuelles et matérielles des données numériques qui vont être utilisées. Il peut s’agit de cailloux, de cauris, de bâtons de petite taille ou d’os. Le devin, quant à lui, est l’interprète.

1ère analogie : Je ne peux m’empêcher ici de faire l’analogie entre le sable et l’écran, les instruments de codage et le code binaire, et le devin et le processeur/serveur.

Le principe, partout, consiste à isoler des éléments générateurs, toujours en nombre pair, et, à partir de celui-ci, à dégager une suite infinie de combinaisons paires ou impaires. Partout, le système semble être le même ; mais il diffère dans le nombre d’éléments utilisés.

A Madagascar (sikidy), au Nigeria (Ifa), le devin commence par tracer, ou poser, deux objets sur le sable. Ces deux objets seront les générateurs. Il lance ensuite les objets restés dans sa main. Chaque fois, il en retirera un ou deux, jamais plus, de sorte que se met en place un système basé sur une valeur impaire et une valeur paire. Ces valeurs, dans la plupart des régions, sont appelés la fille et le garçon, et le système générateur porte le nom de mère.

En Afrique du Sud, plus particulièrement chez certaines populations comme les Shonas, les Tswana ou les Kwi, également appelés Khoï, Kua ou Khoe, le système hakata diffère dans le sens où la combinaison génératrice est composée de quatre valeurs. Ces valeurs donneront ensuite naissance à des combinaisons diverses, au nombre de 16. Le caractère binaire ici concerne les faces des bouts de bois que l’on utilise : ils ont tous une face sombre et une face claire, et il existe deux probabilités : all faces up et all faces down.

L’humanité n’a donc pas fini de s’étonner elle-même !

Rentrée du cinéma 2016 : la sélection ambitieuse du FIFDA

Le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) déballe ses valises dans les cinémas parisiens du 9 au 11 septembre, à l'occasion de la rentrée du cinéma. Nous vous invitons à l'édition 2016, qui, fidèle à la philosophie du festival, comprend cette année des perles de réalisation francophones et anglophones, où la profondeur et les relations humaines occupent le haut du pavé. Diarah Ndaw-Spech, organisatrice du festival, a bien voulu répondre à nos questions. 

 

Selon vous, quel film nous transportera, cette année ? 

Il y en aura plusieurs:

La première mondiale du documentaire de la réalisatrice Keria Maamei « Nos Plumes » qui explore le travail d’une "nouvelle vague" littéraire hétéroclite française issue des banlieues.

«Image» un thriller à propos des relations entre  le monde des média  et les quartiers populaires de Bruxelles. Le film a fait la une des salles en Belgique pendant plus de 10 semaines.

« Supremacy » un thriller avec Danny Glover basé sur une histoire vraie qui illustre vivement les tensions raciales constantes aux Etats Unis aujourd’hui.

« Héros Invisibles : Afro-Américains Dans La Guerre Civile Espagnole » une page de l’histoire de la solidarité entre les peuples devant un ennemi commun.

Pensez-vous que le cinéma est plus à même de faire passer certains messages mieux que d'autres médias comme le livre par exemple ? 

Déjà, en 1960, celui qui est considéré par beaucoup comme le père de Cinéma Africain, Ousmane Sembène, a choisi de passer de l’écriture au cinéma pour mieux faire passer ses messages. Il avait compris, déjà à son époque, la force de l’image pour communiquer plus facilement et à plus large échelle. L’impact de l’image est plus important que jamais aujourd’hui. Pas juste en Afrique, dans le monde entier !  C’est pour ça que le cinéma a un grand potentiel pour aider à faire évoluer les idées et les sociétés.

Quels sont les grands thèmes abordés cette année ? 

La grande turbulence dans nos sociétés contemporaines.  Les tensions montent, l’intolérance s’installe, l’abus de pouvoir et la corruption abondent, et les gens se révoltent contre les injustices.  Ces thèmes sont présents dans Image, Supremacy, Insoumise, Hogtown et Dzaomalaza Et Les Mille Soucis.

Les questions identitaires d’appartenance et d’acceptation sont abordées dans Nos Plumes, Ben & Ara, et la Belle Vie. 

Diriez-vous que nous allons vers un cinéma plus international, plus porté vers l'innovation ? 

Avec la globalisation, l’information circule plus que jamais. Cela peut avoir un effet de standardisation à travers les cultures.  Beaucoup de jeunes réalisateurs partout dans le monde prennent comme modèle le cinéma fait à Hollywood. Cela peut limiter les initiatives novatrices. D’un autre côté, la technologie a démocratisé cette forme d’art.  Cela permet à de nouvelles voix de s’exprimer sans dépendre d’un système qui a le pouvoir de la censure et de l'argent.  Des films indépendants comme Nos Plumes, Hogtown ou Ben & Ara sont des films d’auteurs où sont abordés des thèmes  qui les concernent les créateurs. Ces films n’auraient probablement pas pu exister sans les nouvelles technologies.  Un cinéma plus international ? Certainement. Plus porté vers l’innovation ? C’est encore à débattre.

Rendez-vous aux Cinémas La Clef (Paris 5ème, 34 rue Daubenton, métro Censier-Daubenton), et Etoile Lilas (Paris 20ème, Place du Maquis du Vercors, métro Porte des Lilas).  

Pour aller plus loin : Rendez-vous sur le site du FIFDA (www.fifda.org). 

L’art contemporain africain, langage de l’engagement

L'art contemporain africain, comme partout, demande du temps pour mûrir et être reconnu. C'est justement à la reconnaissance des particularités de l'art africain qu'Aude Minart, gérante de la Galerie Africaine, dédie sa carrière. Après sept ans passés sur les routes du continent, sept ans qui ont "révolutionné sa vie", cette galeriste itinérante porte sous le bras les oeuvres nées de talents du Togo, du Sénégal ou du Soudan, entre autres, pour les exposer à travers l'Europe. Elle est messagère d'une Afrique résolument moderne et tournée vers l'avenir, sans être porte-parole: les oeuvres, pièces rares et inattendues, parlent d'elles-mêmes. Entretien au coeur de la mairie du XVIème arrondissement de Paris, où se tient l'exposition l'Afrique au-delà des Masques. 

Art contemporain africain- exposition
Exposition l'Afrique au-delà des masques, jusqu'au 8 juillet.
L'art à bras-le-corps

Dès son retour en France, Aude Minart décide de prendre un tournant dans sa carrière de publicitaire et de réaliser quelque chose qui soit en rapport avec le continent africain. Après avoir essuyé quelques objections de la part des galeries françaises, elle décide de repeindre son appartement et d'y exposer les oeuvres qu'elle a glanées. L'effort porte ses fruits, et bientôt de nombreux peintres trouvent leur place dans Paris. Ils sont très vite sollicités par les dispositifs d'accompagnement des artistes en France et en Europe. Yao Metsoko(Togo), Birame Ndiaye(Sénégal), Julien Sinzogan(Bénin) : autant de noms qui résonneront bientôt dans les esprits des passionnés d'art d'Europe et, qui sait, d'Amérique du Nord. 

Difficile de parler d'Afrique à l'extérieur quand le continent est souvent abordé comme un seul bloc où les populations se ressemblent. Une confusion dans laquelle Aude Minart ne risque pas de tomber : quand elle parle d'Afrique, c'est bien du continent, qu'elle connaît bien pour l'avoir exploré sous différentes facettes, coté anglophone et francophone. Deux cotés qui, selon elle, ne sont pas plus différents par leur passé colonial que par des enjeux plus profonds, comme le besoin d'investissement des autorités dans l'accompagnement et l'encadrement des artistes, tout comme le besoin d'acquéreurs locaux pour les oeuvres. "La reconnaissance des artistes ne doit pas se faire systématiquement à l'extérieur du continent : ce dont nous avons besoin, c'est que l'acquisition par des collectionneurs locaux soit plus encouragée". 

Les grands thèmes 

Dénoncer la corruption, les conditions de vie sur le continent et dans les banlieues : la peinture africaine reste très empreinte d'engagement politique, comme le précise Aude Minart. Ce qui est normal, étant donné le contexte de certains pays. Tout art n'est-il pas, à l'instar de la littérature, le langage d'un engagement ? Sur une toile de jute où l'on peut encore lire "Ghana Cocoa Board", les personnages hybrides de Yao Metsoko, entre l'homme politique en cravate et la pintade ou le margouillat, comme une satire visuelle qui empreinte au cubisme, font sourire. En face, Birame Ndiaye, en peignant à même des affiches arrachées aux murs, revendique le street art, et dans le box d'à coté, les photographies de Emeka Udemba (Nigéria) montrent sur leur lieu de travail des vigiles et des agents de sécurité, qui ne sont pas sans rappeler le roman de Gauz, Debout Payé. 

Tandis que je contemple des ventilateurs de Lamyne M (Cameroun),  aux hélices délicatement enveloppées de différents tissus du monde entier, évocation du réchauffement climatique et de l'écologie, Aude Minart souligne l'orientation universelle que prend l'art africain comme engagement et moyen d'expression, malgré un encadrement encore hésitant. 

Artiste : le métier impossible ?

 "Il est difficile d'en faire un métier quand on sait que les Beaux-Arts n'existent pas partout ; ils existent au Sénégal, et dans certains pays d'Afrique anglophone, et c'est en cela que certains pays d'Afrique sont différents, bien plus que par leurs langues officielles héritées des colons. Cependant, les vocations n'en meurent pas pour autant, et je suis impressionnée devant la ténacité de ces artistes ancrés dans les technologies actuelles, que tout contrarie et qui émergent chaque jour de plus en plus nombreux. ",

souligne la galeriste. 

Les prochains rendez-vous de la Galerie Africaine auront lieu à Paris : Migrations, du 28 juin au  23 juillet, Galerie Mailletz, au 17 rue du Petit Pont, Paris 5ème, et l'exposition de Yao Metsoko, du 9 au 25 juillet, 19 rue du Pont Louis-Philippe, Paris 4ème.

Courez-y : bouleversements garantis ! 

Visitez le site de la Galerie Africaine : www.lagalerieafricaine.com

Touhfat Mouhtare

Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

Congo RDC : loin des conflits, la peinture qui relie

Photo de l'exposition Paroles de Femmes à la Maison des Métallos, Paris.
Kushiripa. Coywright Matthieu Lombard

La première fois que j’ai entendu parler de peinture Kushiripa, c’était avec Manon Denoun, doctorante en anthropologie. Elle s’est penchée sur cette pratique qui consiste, entre le Congo Kinshasa et le nord de la Zambie, à agrémenter les façades des maisons avec des ornements divers. Ce qu’elles ont de particulier ? Elles sont une vitrine sur plusieurs mondes, elles sont différentes d’un village à l’autre, et surtout, elles cristallisent des relations. Entretien.

Une pratique domestique avant tout

Les décorations murales comme la peinture sont un phénomène assez répandu. On pourrait se demander en quoi celles de Mudenda, en Zambie, de Makwacha et de Calcielo, au Congo Kinshasa, sont particulières. Certaines de ces créations murales ont donné lieu à une exposition à la Maison des Métallos de Paris*, en mars 2014. On pouvait y voir, entre autres, des références à l’industrie pétrolière, des fleurs, des références à la bande dessinée. Une forme de résistance face à la mondialisation et au climat électrique qui règne dans la capitale du Congo Kinshasa ?

Manon Denoun n’est pas de cet avis : Je n’inscrirais pas ces pratiques dans la résistance. C’est  quelque chose de  propre à chaque village, c’est  le but de ma recherche. La première raison d’être de ces décorations est  domestique : à Calcielo, il y a quelques années, ce sont les habitants qui payaient un artisan pour réaliser des tableaux dans leurs maisons. En période pérenne, ils sont preneurs d’artisans. J’insiste sur la dimension domestique, qu’il ne faut pas sous-estimer ; c’est un foyer, on l’agrémente.

S'inscrire dans la mondialisation

Alors il s’agit probablement d’une manière de s’approprier les aspects de la mondialisation. Et cependant, il semble que chaque village, dans cette région de la Copperbelt, cultive son propre style :

MD : J’ai trouvé qu’il y avait des styles qui se renforçaient dans chacun des villages. On peut observer des bases et des motifs récurrents : les fleurs reviennent souvent, même si elles ne sont pas dessinées de la même manière. Des citations bibliques, des imprégnations Rastafari, de la part des jeunes qui font de la musique, et se projettent dans un idéal d’humanité  « peace and love ». Bob Marley  apparaît de temps à autre sur les façades.

Mais alors, comment cette pratique purement domestique s’est-elle retrouvée à la Maison des Métallos ? Les habitants ont-ils décidé d’exporter leur art ?

MD :  Le propre de ces décorations, c’est que c’est public, c’est une offrande aux passants. Parce que Makwacha est en bord de route, pas mal de voitures passent par cet axe. Il s’avère qu’un jour le directeur du centre culturel français de Lumumbashi est passé par cet axe routier, et s’est arrêté pour rencontrer les habitants. Une sorte de partenariat est né avec un collectif artistique de Lumumbashi, qui se sont mêlés aux habitants de Makwacha, et de ces échanges sont nées de plus en plus de décorations murales, travaillées par ces rencontres. A Makwacha, la décoration des maisons reprend beaucoup d'éléments figuratifs.

Faire tomber les clivages 

Exposition Paroles des femmes, Maison des Métallos, mars 2014.
Femme devant peinture murale. Copywright Picha

D’ailleurs, la plupart des œuvres exposées étaient réalisées par des femmes.. De quoi titiller la fibre féministe chez certaines d’entre nous, moi y compris. Très vite, l’idée d’une pratique artistique d’abord exclusivement féminine, sorte de revendication d’un espace propre aux femmes, me traverse l’esprit. Encore une fois, la réalité du terrain vient nuancer mes emportements :

MD : Si la pratique est principalement féminine, c’est parce qu’elle renvoie au soin de la maison, de l’habitat, chose traditionnellement dévolue à la femme. J'ai également rencontré des   hommes qui habitaient seuls et prenaient prennent plaisir à illustrer et enjoliver leur habitat.

Cette exposition au monde, cette ouverture artistique, n’ont-elles pas altéré, en quelque sorte, l’authenticité des oeuvres ?

MD: Je suis contre le procès d’intention concernant la production, cette sorte de clivage entre ce qui serait authentique et ce qui serait altéré. De manière subjective, je dirais que certaines choses sont très jolies… il est vrai que d'autres me paraissent vouloir plaire de manière trop évidente aux visiteurs. Des personnes sont sensibles et désirent encourager certains talents : reconnaître la dimension marchande ou l'influence d'une forme de mécénat n'enlève rien à la qualité et au plaisir associés à ces décorations. C'est une manière plus saine, à mon avis, d'aborder la question.

Poursuivez le voyage sur le blog de Manon Denoun.

* Cette exposition présente pour la première fois au public français l’art mural du village de Makwacha au sud de la province du Katanga en République démocratique du Congo (RDC).

A voir en Zambie : Le Moto Moto Museum, où sont conservées des traces de la pratique Kushiripa dans le cadre d’un rituel.

 

Spiritualités mêlées : le soufisme en terre animiste

Soufisme aux ComoresDans un article du Nouvel Obs, Souleymane Bachir Diagne s’imaginait expliquant à son enfant les fondements du soufisme. Tantôt définie comme la branche mystique de l’Islam, tantôt vue comme une démarche purement spirituel et indépendante du dogme, le soufisme est aujourd’hui plus que jamais d’actualité : Eric Geoffroy en parlant de la spiritualité musulmane, la désignait comme la seule solution pour la pérennité de l'Islam.

Quand on parle de soufisme en terre africaine, le nom qui vient à l’esprit est souvent celui de Thierno Bokar, enseignant de l’écrivain Amadou Hampate Bâ. Au Mali comme au Sénégal, et aujourd’hui en Afrique du Sud, le soufisme est une démarche adoptée de façon individuelle ou communautaire. Cependant, il existe un pays où le soufisme est non seulement une démarche communautaire, mais aussi une tradition nationale : il s’agit des Comores. Si le pays est peu connu pour sa pratique spirituelle, il n’en est pas moins imprégné au point que les rituels soufis font partie du quotidien. La confrérie, la relation de maître à disciple, les savoirs ésotériques s’y croisent sans dire leur nom. Attitude humble propre à la spiritualité, ou symptôme d’une exposition à l’endoctrinement ?

Aux origines : un terreau propice au mysticisme

La légende voudrait que les Comores aient d’abord été peuplées par des djinn, “esprits” en arabe, enfermés dans les îles par le roi Salomon, fils de David. Les récentes fouilles archéologiques laissent supposer que la théorie serait fondée sur un réel passage des troupes de Salomon, puisque des reliques de tombes portant le sceau du personnage biblique, ainsi que des pratiques juives, ont été répertoriées dans l’archipel. A cela peut s’ajouter la forte présence, encore aujourd’hui, de rites purement animistes hérités des esclaves venus du Mozambique, du Zimbabwe et probablement du Botswana. Les coeurs étaient déjà sensibles aux discours religieux. Selon la tradition orale, au 7ème siècle, deux hommes en quête spirituelle auraient quitté l’archipel pour se rendre à la Mecque, où un certain Muhammad prêchait la nouvelle religion, héritière du christianisme et du judaïsme. Arrivés après la mort de Muhammad, ils seraient retournés aux Comores avec un enseignement fortement imprégné de la dimension spirituelle de l’islam, qui n’a eu aucun mal à se mêler aux croyances existantes pour donner lieu à une richesse spirituelle inédite.

Des savoirs jalousement gardés

Certaines familles semblent être gardiennes de savoirs ésotériques associés au soufisme. Cela est dû à la présence, très tôt, des confréries les plus influentes du monde soufi : Les confréries Qadirî, Shadhilî et Ba Alawiya. Héritage du chiisme, seconde mouvance adoptée par les musulmans à l’aube de l’expansion de l’Islam, qui accordent une place particulière à la famille du prophète, et du shérifisme, de même nature, également observé au Sénégal, le respect accordé au prophète et à sa famille alimente la pratique religieuse. Les sharifs sont, selon la tradition, chargés d’être les “éclaireurs de l’humanité”, donc les gardiens de certains savoirs sensibles. C’est ainsi que l’on retrouve dans les foyers sharif, ainsi que chez certains initiés, des corpus contenant invocations et talismans, qui sont dispensés au reste de la population avec parcimonie. La littérature poétique soufie y est enseignée de fait dans les écoles coraniques : la période du Mawlid, célébration de la naissance du prophète, fait l’objet d’une fête nationale. Des noms comme Al Habib Umar, Mwinyi Baraka, sont connus dans la sphère soufie mondiale.

Manifestations

L’amour du prophète, et par extension l’amour de l’humanité, sont les socles de la tradition soufie. C’est cet amour que femmes et hommes célèbrent lors de séances de méditation plus ou moins animées et riches de sens : les hommes se laissent porter par la transe mystique lors des cérémonies de daïra*, chantent leur amour pendant les madjliss**, quand les femmes se parent les mains de henné pour les ouvrir à la manière d’une corolle de fleur lors des dayba***. Car le mysticisme, aux Comores, est festif, et il n’est pas rare de déceler dans certaines célébrations une énergie semblable à celle des cérémonies animistes, qui ont elles aussi leur place – la danse des djinn est en l’occurrence la plus courante.

Le danger des fondamentalismes

Néanmoins, on peut se demander si cette omniprésence ne menace pas, justement, le caractère unique de la spiritualité. Presque toutes les familles comoriennes disposent d’un corpus immatériel de rituels tirés de la tradition soufie : invocations qui suivent chacune des 5 prières quotidiennes, anecdotes sur des personnalités marquantes. Bien souvent, ces rituels sont répétés sans que les auteurs en sachent l’origine ou la signification profonde, et la langue arabe, utilisée pour la plupart des rites, n’est pas comprise du plus grand nombre. Un détail qui, s’il ne constitue pas un problème en soi, fait des plus jeunes, en cette terre où les musulmans avaient su préserver la tolérance, l’ouverture et l’émulation intellectuelle prônées par l’Islam, une proie facile pour les fondamentalistes de tout horizon.

Touhfat Mouhtare

1  Eric Geoffroy, L'islam sera spirituel ou ne sera plus, Seuil

2 Carte blanche à SB Diagne, Le Nouvel Obs : http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151115.OBS9536/le-soufisme-explique-a-mon-fils.html

3 Tradition orale. Gevrey, 1870

4 Comores, plaque tournante de l’esclavage, Ali T. Ibouroi, 2002. * Cérémonies de célébration soufie.

Photo : le deba-chant soufi de mayotte- Source  cfred-toulet

Le racisme local aux Comores

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Et si le racisme, cette fâcheuse tendance dont nous aimons tant blâmer les autres, prenait racine chez nous, en nous, dans nos foyers ? Il s’agit, dans cet article, non pas de ce que Frantz Fanon nomma plus justement « haine de soi », mais d’une forme de racisme qui se rapproche de la xénophobie. J’ai choisi de parler de celle qui sévit encore aux Comores, archipel connu pour son brassage multiculturel, et dont les mœurs sont encore, malgré un léger progrès, bien loin d’atteindre l’idéal du melting pot. Comme tout cas de xénophobie, ce cas a sa propre histoire. 

Washenzi, ou les barbares d’Afrique de l’Est

Les missionnaires Européens arpentant l’Afrique de l’Est se sont heurtés à une curieuse dénomination destinée à ce qu’ils appelaient une « mystérieuse tribu » rejetée par les habitants de la région : Washenzi. Depuis, Shenzi, un terme Swahili signifiant « sauvage », « barbare », a fait son petit bonhomme de chemin vers l’archipel voisin des Comores. Le terme fut d’abord attribué aux esclaves Makuwa importés de la côte mozambicaine. Ceux-ci, installés dans des cantons selon un système proche du féodalisme européen, étaient relégués vers l’intérieur des îles, soumis aux descendants d’Arabes venus de Zanzibar et constituants de la noblesse comorienne. Aujourd’hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne toute personne aux habitudes sales, indécentes, ou, dans les accès de colère, une famille ou un village dont la physionomie des habitants rappelle les ancêtres Africains…Une connotation qui agit encore aujourd’hui sur les choix de mariage. 

Sabena, les rescapés de Madagascar

Une compatriote me racontait un jour l’histoire houleuse de son mariage avec un jeune homme dont sa famille ne voulait pas. Les raisons du refus étaient motivées par un argument simple : ce jeune homme était un Sabena. 

La compagnie aérienne belge éponyme a joué un rôle majeur dans les années 70s, et son nom est resté dans les mémoires comme un hommage à l’un des conflits les plus destructeurs entre deux populations. Cette période, qui fut celle des indépendances et d’une toute nouvelle fragilité économique et identitaire aux Comores et à Madagascar, fut également le théâtre d’une haine latente entre les Comoriens immigrés sur la Grande Ile et les habitants de celle-ci. Le 20 décembre 1976, l’année suivant l’indépendance des Comores, un incident apparemment minime donne lieu à une escalade de violence qui coûtera la vie à 2000 Comoriens. Le gouvernement comorien fait alors appel à la compagnie belge Sabena pour rapatrier ses ressortissants. Démunis, traumatisés par l’expérience, certains ayant adopté les habitudes et la langue de leur pays d’accueil, d’autres étant des métis Comoriens-Malgaches, les rescapés hériteront du nom de la compagnie qui les ramena sur l’archipel. Aujourd’hui, comme une sangsue laissée par l’histoire sur une identité nationale qui se cherche encore, les « Sabena » sont encore méprisés par une partie de la population. 

Beau comme un Arabe, un Indien ou un Blanc 

Aujourd’hui, le résultat de ces préjugés est encore visible, même s’il s’est fondu dans des mœurs de moins en moins marquées par la division raciale de la société. On dit spontanément d’un nouveau-né qu’il est beau dès lors qu’il a la peau plus claire que la moyenne ; on se moque « gentiment » quand il naît avec les oreilles foncées, prélude à une pigmentation prochaine. On dit d’un homme bien habillé et plus basané que foncé qu’il est « beau comme un Arabe », d’une femme aux cheveux lisses et à la physionomie évocatrice qu’elle est « belle comme une Indienne ». Et si les parents rechignent moins à laisser leur enfant épouser la personne de son choix, quelle que soit sa couleur dominante, le changement dans le mode de pensée n’est visible qu’à l’échelle insulaire. Car entre les quatre îles qui composent ce petit archipel de quelques 700 mille habitants, les clichés ont, comme en n’importe quel pays, la vie dure. Ainsi, les habitants de l’île d’Anjouan sont des « travailleurs acharnés », mais des « fourbes dont il faut savoir se méfier » ; ceux de l’île de Mohéli de « simples paysans qui reculent sans cesse face au progrès » ; ceux de l’île de Mayotte les « traîtres » (parce qu’ils persistent à rester dans le giron Français) et des « incultes » ; les trois groupes sont nommés avec condescendance Wamassiwa, « Gens des îles », par les habitants de Ngazidja, et le nom français de cette île, Grande-Comore, n’offre qu’un aperçu de l’image que certains habitants gardent de leur terre (la plus grande île, celle dont la langue est mère des « dialectes » parlés dans les autres îles). 

 

Touhfat Mouhtare