Le PIB du Bénin en hausse : Bonne nouvelle ou artifice ?

Il est une phrase de la Sagesse populaire béninoise que je paraphrase comme suit : Quand un vodoun (entité transcendante) requiert du sang d’agneau et que tu lui donnes du jus d’hibiscus, ta mort est prochaine. 

Qu’apprend nous cette sagesse à propos d’une des actualités du Bénin?

La Banque mondiale répartit les économies du monde en quatre groupes : faible revenu, revenu intermédiaire de la tranche inférieure, revenu intermédiaire de la tranche supérieure et revenu élevé et publie cette classification le 1er Juillet de chaque année. Pour cette année, la Banque mondiale annonce que le Bénin fait partie désormais du groupe des « pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure » pour la première fois de son Histoire. En effet, au Bénin, le revenu national brut (RNB) par tête est passé de 870 $US par an à 1250 $US par an soit une augmentation de 30% ! 

Qu’est-ce qui explique cette belle performance? Essentiellement, une mise à jour de la comptabilité nationale. L’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE) a procédé à une révision des comptes nationaux en délaissant le Système de comptabilité nationale (SCN) 1993 pour le SCN 2008 développé par les Nations Unies. De plus, il a retenu l’année 2015 comme nouvelle base des comptes nationaux (l’année 2007 était l’année de reference d’usage); c’est que l’on appelle “rebasage” dans le jargon des économistes.

Déchiffrer la tambouille statistique

Suite à ces révisions statistiques, le PIB réel du Bénin a bondi de 36%. Pour information, la différence entre le PIB (Produit intérieur brut) et le RNB (Revenu national brut) réside en ceci que le premier comptabilise l’ensemble des valeurs ajoutées des entreprises domiciliées dans un pays tandis que le second compile les revenus perçus par les agents économiques nationaux, soit les citoyens et les entreprises ayant la nationalité dudit pays.

L’effet du rebasage est une augmentation sensible du PIB. De quoi s’agit-il ?

Supposons une économie lambda qui fabrique 1000 Kg de tomates et 2 ordinateurs. Admettons l’année 2000 comme année de référence et supposons que les tomates de cette année-là coûtent 2 $/Kg alors qu’un ordinateur coûte 2 000 $. Dans ce cas, le PIB réel de cette économie, libellé en dollars de 2000, serait de 6 000 $ . Imaginons qu’en 2001, cette économie  se développe en produisant un ordinateur portable supplémentaire. Cette augmentation signifie que le PIB réel en 2001, exprimé en prix de l’année 2000, est de 8 000 $. Par rapport à l’année 2000, le PIB réel a augmenté de 33,3 % . Il y a une croissance matérielle (un ordinateur produit de plus) qui est sous-jacente à la croissance du PIB réel.

Maintenant, au lieu d’utiliser l’année 2000 comme année de référence, utilisons 2001 (on procède à un rebasage). Les niveaux de production restent inchangés : 1 000 Kg tomates et 2 ordinateurs portables en 2000 et 1 000 Kg de tomates et 3 ordinateurs portables en 2001. Les prix de l’année de base ne sont cependant plus les mêmes : supposons qu’en 2001, notre nouvelle année de base, le prix des tomates a doublé pour atteindre 4 $/Kg tandis que le prix des ordinateurs portables a été réduit de moitié pour atteindre 1 000 $. Dans ces nouvelles conditions, le PIB réel pour l’année 2000, cette fois-ci libellé en dollars de 2001, est de 6 000 $, tandis que le PIB réel pour l’année 2001, également en dollars de 2001, est de 7 000 $. Contrairement à la situation antérieure, la croissance du PIB n’est que de 17 %. (L’on pourrait choisir les prix de la nouvelle année de base de sorte à avoir une croissance plus forte que dans le premier cas).

La leçon de cet exemple pédagogique est la suivante: le PIB réel est affecté non seulement par les quantités réelles produites, mais aussi par notre choix de l’année de référence. Et comme il existe de nombreuses années de reference possibles, le même PIB réel peut se retrouver avec des valeurs très différentes ! 

Quels bénéfices pour l’économie réelle?

Revenons au cas du Bénin. Après le rebasage et autres révisions statistiques, le Bénin a connu une croissance “mathématique” de son PIB réel de 36%. D’abord, il faut saluer la volonté de modernisation de l’appareil statistique béninois des autorités. Ensuite, il faut relever les implications de cette tambouille statistique. Comme le PIB réel a connu une forte croissance grâce au rebasage, la dette béninoise qui était d’environ 60% du PIB est descendue à 40% du PIB. Le Bénin devient un bon élève en ce qui concerne les critères de convergence de l’Uemoa concernant le déficit budgétaire fixé à 3 %. Les marchés financiers réinterprèteront aussi les performances du Bénin. 

Mais, derrière les statistiques se trouve un peuple. La croissance annoncée n’est pas synonyme de “plus de tomates et d’ordinateurs” (cf. l’exemple pédagogique). Des micro-trottoirs réalisés à Cotonou, la capitale économique du Bénin, révèlent un sentiment d’indifférence (au mieux) des citoyens qui ne « ressentent » pas la croissance. Selon la Banque Mondiale, le taux de pauvreté à l’échelle nationale ressortait à 38,2% en 2020 (sans prise en compte de l’impact de la crise de la Covid-19).

Reprenons la sagesse populaire indiquée en début de ce billet. Le vodoun c’est la croissance, le sang d’agneau c’est le progrès matériel et le jus d’hibiscus représente les tambouilles statistiques.

Puisse la proposition subordonnée de la paraphrase de cette sagesse n’être le sort réservé au Bénin. 

Afrique: La croissance démographique comme une aubaine?

 

 

Selon le rapport Perspectives de la population dans le monde de l’ONU publié le 17 juin 2019, la population d’Afrique subsaharienne devrait doubler d’ici 2050 passant de 1,06 milliard d’habitants en 2019 à 2,2 milliards d’habitants en 2050. Ainsi, le Nigeria, avec une population de 191 millions de personnes aujourd’hui atteindra plus de 410 millions d’âmes en 2050, faisant alors de ce pays le troisième le plus peuplé de la planète après l’Inde et la Chine. Le Niger passera de 22 millions d’habitants en 2019 à 69 millions de personnes en 2050. Cette transition démographique rapide est présentée comme le défi majeur du continent ; on parle parfois de “bombe démographique”. Les leaders africains et occidentaux montrent très clairement leur inquiétude face à cette “explosion” démographique.
En premier lieu, remarquons que les démographes préfèrent parler de “projections” (ou de “perspectives”) démographiques que de prévisions démographiques ; c’est un détail de vocabulaire mais qui a son importance. Il s’agit en effet de déterminer une évolution possible de la population sous les conditions imposées à la mortalité, à la fécondité et aux migrations. Ces conditions sont de deux types: soit elles sont choisies comme semblant les plus raisonnables, compte tenu des évolutions antérieures et de celles d’autres pays; soit elles sont du type “Et si …”, destinées à illustrer des hypothèses alternatives, parfois extrêmes ou irréalistes. Pour faire des projections, on part de quelques conditions initiales. Il faut donc disposer de données fiables sur la population initiale, par sexe et âge (recensements) et les niveaux initiaux de la mortalité, de la fécondité et migrations (état civil, enquêtes etc). Il est par ailleurs admis qu’à tout instant, la population d’un pays est connue au mieux avec une précision de l’ordre de 2% ; ce qui n’est pas anecdotique ! Si l’on reprend les travaux de l’ONU en 1994, ils prévoyaient 170 millions d’habitants en Iran en 2050. Ceux de 2014 tablent sur 90 millions. Prenons l’Insee. En 1994, la prévision s’établit à 60 millions de Français en 2050. En 2010, on table sur 73 millions. L’incertitude sur l’évolution des paramètres utilisés en entrée de la projection démographique rend l’exercice prospectif délicat avec des résultats plus ou moins probants. Néanmoins, je prendrai, dans la suite de l’article, pour argent comptant la projection démographique africaine à l’horizon 2050 de l’ONU.

Les frayeurs engendrées par l’accroissement démographique sont généralement de trois ordres. Le premier est celui de la pénurie de ressources comme corollaire de l’abondance d’êtres humains sur une planète à ressources limitées. Le deuxième est celui qui postule sur le ralentissement du développement du continent africain car ce dernier, qui peine déjà à nourrir ses habitants, ne pourra pas amortir un choc démographique. Le dernier est essentiellement occidental et est lié à la problématique de migrations des africains vers les pays du Nord. Si ces frayeurs sont parfois justifiées, nous verrons par la suite qu’un accroissement de population est une bonne nouvelle pour l’Afrique.

L’accroissement démographique, synonyme de pénurie des ressources?

Dans l’histoire, plusieurs scénarios apocalyptiques sur la pénurie de ressources ont prospéré. En 1798, Malthus publie son célèbre ouvrage Essai sur le principe de la population dans lequel il explique que les rendements d’un champ agricole sont décroissants au fur à mesure que l’on y ajoute des travailleurs. Il croyait que les hausses de surplus de nourriture qui accroissent géométriquement la population devraient faire retomber celle-ci dans la disette et la misère. Il a échoué dans sa prévision. En 1968, le biologiste américain Paul Ehrlich, connu pour ses engagements néomalthusianistes, a publié son livre intitulé La Bombe P dans lequel il s’inquiétait des famines que connaîtrait le monde dans les années 70 en raison d’un accroissement démographique. Ses prévisions se sont révélées fausses. Les prévisions techniques du néomalthusianisme sont très souvent mal fondées pour deux raisons principales. La première est relative au fait que la quantité physique d’une ressource dans la terre, si étroite que soit la définition, n’est jamais parfaitement connue, puisqu’on ne cherche des matières premières qu’au fur et à mesure que le besoin se fait sentir; une illustration de ce phénomène est l’augmentation des réserves connues d’une ressource telle que le cuivre. La seconde fait écho à la capacité de l’homme à développer de nouvelles méthodes pour satisfaire ses besoins. L’Homme serait ainsi l’ultime ressource pour reprendre le titre du livre du célèbre économiste Julian Simon publié en 1981. Le think tank Human Progress a développé le Simon Abundance Index pour rendre hommage à l’économiste Julian Simon qui a prit le contre pied des thèses néomalthusianistes. Cet indicateur mesure l’évolution de l’accessibilité des ressources pour l’humanité en calculant l’évolution du temps de travail moyen nécessaire à l’achat d’une unité de ressource particulière à l’échelle mondiale. Il en ressort qu’un individu peut, en 2019, s’offrir 3,6 fois plus d’unités de ressources qu’en 1980 pour une même quantité de travail. La croissance économique va donc de paire avec la croissance démographique.

L’accroissement démographique comme facteur limitant du développement économique de l’Afrique?

Dans la théorie du développement économique, il est largement admis que l’accroissement démographique est un frein au développement car l’objectif du développement qui est la hausse du revenu par tête est la maximisation d’une expression ayant au dénominateur la variable population. L’économiste Hans Singer utilise l’image de la montée d’un escalator dans le sens de la descente pour décrire le caractère nuisible d’un accroissement démographique dans les pays sous développés (Voir Singer: “Economic progress in underdeveloped countries” p.7). Joseph Schumpeter, dans “The creative response in economic history” à la page 149, est moins tranché. Il dit: “Parfois, un accroissement de population ne produit vraiment pas d’autres effets que celui prévu par la théorie classique: une chute de revenu réel par tête ; mais parfois il peut avoir un effet énergétique, qui provoque de nouveaux développements aboutissant à des hausses du revenu par tête”. Cette phrase de Schumpeter laisse évidemment les choses dans un état d’indétermination.
Partons du “postulat psychologique” de James Duesenberry dans son ouvrage Income, Saving and the Theory of Consumer Behavior qui est le suivant: Les individus, en période de dépression économique, opposeront une résistance à un abaissement de leur niveau de vie. Pourquoi, les africains ne réagiraient-ils pas ainsi afin d’empêcher la chute de leur revenu? En effet, la pression exercée sur les revenus par une surpopulation engendre une pression inverse ; une activité visant à maintenir ou restaurer le niveau de vie traditionnel de la communauté (Voir The Strategy of economic development, Albert Hirschman). Cette activité déployée par la communauté pour empêcher la chute de sa richesse la rend potentiellement plus capable de contrôler son environnement et de s’organiser pour le développement. En reprenant l’image donnée par Hans Singer, monter des escalator dans le sens de la descente est un excellent entraînement pour ceux qui ont besoin d’améliorer leurs performances en matière de course.
L’approbation la plus nette donnée en faveur de l’accroissement démographique est celle du sociologue belge Eugène Dupréel dans son essai Population et progrès publié en 1928. Il y retrace les mécanismes engendrés par une croissance démographique qui, in fine, conduisent à une meilleure gestion des affaires administratives, politiques et culturelles. Il y démontre comment l’accroissement démographique a des effets positifs directs sur les motivations individuelles. Le biais des raisonnements pessimistes sur l’avenir de l’Afrique est l’incapacité à prendre en compte la capacité d’innovation et de contribution positive des africains. A court terme, des enfants additionnels impliquent des coûts supplémentaires, quoique les coûts imposés aux personnes autres que les parents soient relativement faibles. Sur une période plus longue, cependant, le revenu par habitant croîtra vraisemblablement plus vite dans le cas d’une population en croissance que dans celui d’une population stationnaire, aussi bien dans les pays développés que dans les pays africains.
Je reconnais que mon analyse souffre d’empiricité. Néanmoins, j’ai un point d’échantillonnage dans l’histoire. L’accroissement démographique a fait partie intégrante du processus de développement dans les pays aujourd’hui économiquement avancés. Il serait malhonnête de considérer la croissance démographique de l’Europe au 19e siècle comme ayant eu une influence déprimante sur le développement économique de ce dernier.

Quid des migrations de demain?

La transition démographique de l’Afrique représente un sujet d’inquiétude chez les leaders occidentaux. Le problème migratoire est en partie une construction médiatique. Les thèses comme celle de la “ruée de l’Afrique vers l’Europe” de Stephen Smith manquent cruellement de fondement scientifique (Voir L’Urgence Africaine de Kako Nubukpo). La migration est plutôt sud-sud que sud-nord. La Banque Mondiale (2016) estime à 67% la migration sud-sud en Afrique. La migration est donc essentiellement dans les pays voisins. La migration de demain sera encore nettement atténuée car l’accroissement démographique de l’Afrique s’accompagnera d’une croissance économique soutenue.

 

 

Afrique : L’heure de la conjugaison du développement et de l’écologie

Le réchauffement climatique fait planer une menace globale sur notre planète. Une prise de conscience au niveau international est en cours depuis trois décennies à travers une pléthore de déclarations et accords internationaux. Du premier rapport du club de Rome en 1972, Les limites de la croissance – qui a attiré l’attention sur le conflit inhérent à une croissance démographique- à la COP21, accord international pour contenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C, en passant par le protocole de Kyoto qui visait à réduire, entre 2008 et 2012, d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 les émissions de certains gaz à effet de serre, on peut dire sans se tromper que le sujet du réchauffement climatique est une préoccupation mondiale. Si le climat constitue un enjeu global, les écosystèmes étant interconnectés, les causes et les conséquences du changement climatique ne sont pas uniformément réparties sur la planète. Dit autrement, la Terre est Une mais le monde ne l’est pas (pour reprendre la célèbre phrase d’ouverture du rapport de la commission Brundtland en 1987). Les pays du Nord présentent toujours le problème du changement climatique comme global dans sa genèse alors que la plupart des pays du Sud le regardent comme un problème de surconsommation dans les pays du Nord. 

L’Afrique et le mythe de la démocratie

Le voyage du navire économique du continent africain se poursuit péniblement. On ne sait si le navire domine les eaux ou s’il est plutôt porté par les courants et les vagues. S’il est incontestable que les agrégats macroéconomiques écartent l’hypothèse de la navigation à vue, il est aussi vrai que la croissance économique du continent est purement scripturale. Dit autrement, la croissance du continent africain est visible dans les statistiques plus que dans la réalité quotidienne des africains. L’une des hypothèses les plus partagées est celle qui impute le sous-développement de l’Afrique à un déficit de “démocratie”.

Pour une refonte des politiques énergétiques et minières en Afrique

Le continent africain est très riche en ressources minières et énergétiques. Les réserves prouvées de pétrole du continent constituent 8% du stock mondial soit plus de 130 millions de barils et celles de gaz naturel à 7%. Environ 30% de toutes les réserves mondiales de minéraux se trouvent en Afrique. Grâce à cette “richesse du sous-sol”, l’Afrique a connu une croissance économique vigoureuse au cours des deux dernières décennies même si cette croissance ne s’est pas traduite en avantages correspondants sous forme de diversification économique, d’emplois stables et non précaires et de développement social rapide.

ECO, future monnaie unique ouest-africaine, est un pharmakon

L’idée de la création d’une monnaie unique ouest-africaine a été l’un des principes fondateurs de la CEDEAO (Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest). Elle a été ensuite reléguée au second plan des priorités. Son lancement a été repoussé au moins trois fois depuis 1983. La prochaine tentative de lancement est fixée en 2020. Cette échéance sera vraisemblablement respectée.

Nous devrions plutôt lutter pour la modération des richesses!

Les Nations Unies ont inscrit dans leur agenda pour le développement durable « la Lutte contre la pauvreté » en reconnaissant le défi et l’impact global pour l’humanité. La pauvreté est une préoccupation de longue date à laquelle beaucoup de héros civilisateurs se sont attelés pour essayer de la rendre supportable. Le IESU (Incarnation de l’Esprit de Sainteté Universel) a déclaré: « Vous aurez toujours les pauvres parmi vous, mais vous ne m’avez pas toujours. » (Jn 12: 8) et le 3ème calife de l’Islam Seydina Uthman (RA) a déclaré que la pauvreté à un endroit est sans nul doute due à un excès de richesse ailleurs. Certains vont peut-être sentir de la gêne à lire des citations de Classiques et Éternels Livres saints ou d’un dirigeant musulman, tant les paroles de Dieu semblent, à notre époque, moins « hot » que les pensées d’un Deepak Chopra ou d’une Oprah. Cependant, ces deux citations nous donnent une orientation sage et simple dans notre lutte actuelle pour améliorer les conditions de vie des pauvres. Nous devons reconnaître que la pauvreté a longtemps été décrite du point de vue de Nations « très riches et puissantes » qui considèrent les pays pauvres comme une malformation économique pour le marché. Cela a toujours été un paradigme irrévocable de rendre les pauvres riches et développés depuis que le monde de la finance et du capitalisme, qui sont la référence sociale et économique actuelle, guident la croissance voulue et continue de la consommation par l’innovation de contenu. Ainsi, tout entrepreneur ou toute entreprise aura pour but de maximiser les profits, de créer de la richesse et de créer de la valeur. Nous avons été gouvernés par cette cupidité depuis trop longtemps maintenant. Et les peuples des pays du Sud (dans une perspective d’économie informelle), ceux en particulier de la Terre mère originelle (dans une perspective d’écologie d’urgence) et ceux de l’extrême Nord (dans une perspective d’humanité éthique) revendiquent à présent le droit à une plus grande éthique d’équité et à une justice socioéconomique.

La nouvelle donne de cette époque consiste à trouver dans la pauvreté la solution de nos problèmes socioéconomiques et écologiques. Le modèle économique informel prend en compte l’interdépendance de chacun de ses acteurs (on ne rivalise pas entre nous et ne s’entre-assassine d’aucune façon pour survivre), la relation à la Nature et sa préservation en tant que Source de durabilité et de nourriture de l’âme et enfin et surtout de la reddition et dédicace à Dieu et aux règles cosmiques. En effet, le problème n’est pas et n’a jamais été de réduire la pauvreté et de lutter pour le développement des pays du Sud, qui possèdent la plupart des ressources de la Terre, mais de réduire le rythme de consommation frénétique et faussement avalisée du reste de la planète. Les habitants de cette « plats nets » étant une minorité de morts-vivants endettés affectivement (individualité) et financièrement (insolvabilité). La solution consiste donc principalement à modérer les richesses et à partager les revenus. Nous pouvons examiner deux faits saillants différents pour connaître la vision des pays du Sud sur lequel je veux attirer votre attention. Si vous lisez les statistiques et l’analyse sur la pénétration des technologies de l’information en Afrique, par exemple, les investisseurs seront convaincus que les Africains sont des acheteurs d’appareils mobiles, de puces, de crédits de communication, etc., mais ne parlent jamais du faible investissement réalisé pour améliorer la qualité de la communication ou de l’offre de services des fournisseurs, principalement de gros joueurs qui peuvent se le permettre. Eux qui comptent honteusement sur l’abnégation des devoirs et l’ignorance des droits de ces personnes qui leur servent d’usagers. L’accent est toujours mis sur la consommation de biens et non sur le confort d’utilisation, comme dans les pays occidentaux. Pendant ce temps, dans les pays occidentaux, le gaspillage des ressources est courant car on aime y acheter plus d’aliments qu’une bouche ne peut avaler raisonnablement ou changer fréquemment d’appareils mobiles ou électroniques pour suivre les tendances et les objectifs sans être objectif. Rien que dans une ville de Montréal et peut-être aussi ailleurs, il semble que la même route ou le même trottoir fassent l’objet de fréquentes réparations suspectes, car l’usage courant amène le public ou les administrateurs municipaux à brûler tout le budget alloué (le monde de la construction demeurant juteux et d’Anges heureux en jeux) afin d’éviter de renvoyer un montant substantiel de subvention aux contribuables  ce qui pourrait le réduire pour la reconduction de son attribution de l’année suivante. Secret de polichinelle et de police fidèle.

Pendant ce temps, le Peuple (migrants de diaspora et résidant de perfora) des pays du Sud, principalement avec une organisation de vie ethnique, s’adaptent et font face à ce système factice. Les membres les plus riches des communautés ont souvent la responsabilité implicite d’aider les plus démunis lorsque ces derniers ont des problèmes à se maintenir en vie socioéconomique : collectif et solvable. Ce, avant même d’avoir de meilleures conditions dites de bien-être (sécurité) et de devenir plus forts (confiance) avec leurs propres efforts socioéconomiques, canevas, capital, capacités, qualité et karma. La plupart des gouvernements de pays ou d’Etats ont leurs limites d’intervention socioéconomique. De plus, les actions de solidarité ethnique doivent se faire idéalement sans la déplorable intention lâche de réaliser un profit ou de voler en arrière-plan ou de prendre un avantage à long terme dans le cadre d’un agenda caché ou de cachets. C’est l’attitude et la foi du modèle de la Civilisation africaine qui doivent être conservées, régénérées et étendues pour l’Afrique d’abord et l’affirmation économique de tous les pays du Sud, en dépit de la grande angoisse de l’ère qui est manifeste dans la philosophie occidentale de l’occupation stressante. Quant au Communisme, qui était l’alternative avant ce modèle informel africain renaissant, il a échoué car il prétendait répondre aux différents besoins de toute la population; même avec une identification de classe socioéconomique réduite. La Providence est un attribut de Dieu et personne ne joue ce rôle de Dieu sur Terre, en particulier lorsque vous en niez l’existence et la majesté dans votre système de société. Cette philosophie informelle incluant l’approche d’économie de communauté donne une utilité importante en raison d’un autre parti pris dans l’appel naturel et divin et le rappel de « Partage » des opportunités et des ressources économiques, par le biais du marché et du travail, et respectivement dans les débouchés et l’ouvrage. Comme nous le voyons, l’Économie Informelle et sa forte Identité d’être et d’Organisation de Vie ethnique constituent de nos jours plus une solution qu’un inconvénient face au changement climatique ultime dans les environnements social, économique, naturel et cosmique.

Panafricanisme et intégration africaine : Un état des Lieux

Puls de  60 ans après les indépendances, le panafricanisme rêvé par les pères fondateurs du jeune continent, tarde à devenir une réalité. Pourtant, lorsqu’en 2002 l’Union Africaine (UA) succède à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), les états membres voyaient en la nouvelle organisation l’incarnation d’une intégration régionale aboutie.

Cette gouvernance, bien que remaniée, continue de  faire face à des écueils majeurs qui freinent son efficacité et sa force opérationnelle.  A l’instar de tout ce que l’Afrique compte comme instances continentales et sous régionales (CEDEAO, UEMOA, CEMAC etc.), l’UA est mal outillée et trop procédurière pour faire face aux défis politiques, socioéconomiques et sécuritaires auxquels le continent africain est confronté.  Le manque de volonté politique, l’absence de moyens financiers des états membres et le peu de clarté dans le mandat octroyé aux institutions régionales et sous régionales, sont autant de contraintes qui ralentissent le processus d’intégration continentale.

L’Union Africaine : deux visions du panafricanisme qui s’affrontent

L’UA vit en réalité une dualité entre le panafricanisme politique, dont les partisans rêvent de constituer les Etats Unis d’Afrique sur le modèle des Etats Unis d’Amérique (USA) et une vision beaucoup plus réaliste qui vise la mise en place d’un modèle d’unité continentale reposant sur les organisations sous régionales et les spécificités nationales.

Au final, c’est l’unité continentale qui en sort perdante.  Bien que l’Union Africaine professe vouloir développer des politiques communes dans les domaines de la sécurité, de l’énergie et de la paix et se pose en champion de l’intégration économique, le mandat conféré à ses organes reste bien trop théorique pour avoir un réel impact.

La mise en place d’une union de 55 pays requiert des prérogatives clairement définies pour chaque instance et à ce jour, les politiques ne sont pas systématiquement harmonisées entre l’union africaine et les communautés économiques régionales et le parlement panafricain n’est doté que d’un rôle consultatif.

Intégration régionale : raisons d’un échec

L’échec apparent de l’intégration régionale s’explique principalement par le manque de  volonté politique des chefs d’états africains de prendre des décisions communes face aux nombreux maux qui frappent aujourd’hui le continent tels que le retour des crises politiques (Togo, Guinée, Zimbabwe, etc.) , le recul de la démocratie, les mauvaises performances économiques et la recrudescence des actes terroristes dans certaines parties du continent qui très souvent nécessitent des réponses transnationales.

La force du G5 Sahel constituée pour lutter contre les djihadistes qui sévissent dans la zone sahéelienne, en est l’exemple parfait. Des puissances économiques et militaires régionales telles que le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou encore le Nigéria, qui à terme peuvent à leur tour être menacés se font remarquer par leur absence du théâtre des opérations, préférant laisser aux forces onusiennes (MINUSMA) et Françaises (Barkhane) le soin d’accompagner leurs voisins.

On retrouve ce manque d’enthousiasme dans d’autres secteurs et dans d’autres régions du continent où les états concernés gagneraient à développer des politiques communes.

Ceci s’explique également par l’absence de pays moteurs, à l’instar du couple Franco-Allemand sans lequel aucune intégration supplémentaire de l’UE n’est possible. En Afrique, on voit que les pays susceptibles d’assumer ce rôle de « leader » tels que le Nigéria ou l’Afrique du Sud ont des problèmes majeurs de sécurité, de gouvernance et de crédibilité des institutions ce qui explique leur manque d’appétit pour porter le processus d’intégration Africaine.

Le manque de financement des états membres constitue également un réel frein pour une suprématie politique de l’UA. Jusqu’en 2017, 70% du budget de l’UA était financé par l’UE, les Etats Unis et la Chine.  Même si en 2018, cette part de financements extérieurs a été réduite à 58%, il en demeure néanmoins que les 55 états membres de l’UA devront faire plus pour donner à l’institution les moyens de leurs ambitions.

Réformes de l’UA : vers un nouveau modèle de gouvernance institutionnelle ?

Le Président Rwandais, Paul Kagamé, a dessiné une réforme de l’UA qui préconise l’autofinancement(basée notamment sur une taxe sur les importations africaines) afin d’accroitre l’indépendance de l’institution et une gouvernance institutionnelle qui reposerait sur une répartition plus équitable des responsabilités.

A ces réformes vient s’ajouter la création récente de la Zone de Libre Echange Continentale (ZLEC) qui devrait à terme assurer la libre circulation des biens et des personnes sur le territoire africain.

Ces actes posés illustrent bien la prise de conscience des Africains que le panafricanisme, qu’il soit politique ou autre, ne deviendra une réalité qu’une fois que les prises de décisions au sein de l’UA seront mieux harmonisées, indépendantes financièrement des bailleurs étrangers et que l’intégration africaine tiendra compte des spécificités régionales et nationales.

Les réformes Kagamé sont un début intéressant particulièrement en matière de financement et de mandat des institutions, mais une intégration africaine effective aura besoin de plus de réformes et surtout de la volonté politique des états membres.

Intangibilité des frontières en Afrique et panafricanisme : Une équation quasi-irréductible ?

La règle de l’intangibilité des frontières est un principe de droit international très important dans la définition actuelle des frontières des Etats africains. C’est le principe par  lequel des États nouvellement indépendants conservent leurs possessions pour l’avenir, indépendamment des conditions de traités antérieurs. Cette règle, issue du droit romain, encore appelé uti possidetis juris était largement appliquée pour la définition des frontières américaines et est intervenue au lendemain des indépendances des Etats africains pour fixer l’établissement des frontières. Sa version africaine est l’intangibilité des frontières. Elle ne s’est toutefois pas seulement appliquée à l’Afrique des indépendances. Elle s’était aussi appliquée en Asie lors du retrait des puissances coloniales européennes.

En ce qui concerne l’Afrique, ce principe a trouvé son droit de cité à l’issue du sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (actuelle Union Africaine) qui s’est tenue au Caire en juillet 1964. Il a trouvé naissance dans la résolution A.H.G./16-1 du 21 juillet 1964 qui proclamait « que tous les Etats membres (de l’OUA) s’engagent à respecter les frontières existant au moment où ils ont accédé à l’indépendance ». Cette résolution mettait fin à toute question relative aux revendications territoriales qui pouvaient surgir à la fin de l’ère coloniale. Guidée par des motivations pacifiques, la survenance de ce principe n’a toutefois pas empêché des lancées belliqueuses variées sur la question du territoire. Et des affaires africaines portées devant la Cour internationale de Justice, celles portant sur les revendications territoriales sont les plus nombreuses. On est donc en droit de se demander si la règle de l’Uti possidetis a tenu ses promesses.

Une règle établie au prix du compromis

Le droit international africain, dès sa genèse a toujours attaché un prix fort à l’intégration africaine, manifestée par la théorie du panafricanisme. Cette aspiration était portée par une poignée de leaders postindépendances à l’instar de Kwame Nkrumah. L’idée était de faire de l’Organisation de l’Unité Africaine un gouvernement central (même si cette idée ne fut pas retenue par la Charte). Les nouveaux chefs d’Etats pro-fédéralistes trouvèrent toutefois leur compensation dans l’affirmation par la charte de l’Organisation de l’Unité africaine de l’intégration africaine. L’élaboration de la Charte de l’OUA a été le carrefour de deux grandes théories divergentes. Les partisans du fédéralisme s’opposaient aux partisans d’une « Afrique des Etats ». Les partisans de la première thèse,  les « révolutionnaires » du groupe de Casablanca, plaident avec le Guinéen Sékou Touré et le Ghanéen Kwame Nkrumah pour la création d’un État fédéral africain doté d’un gouvernement, d’un budget et d’une armée, alors que les partisans de la seconde thèse, les « réformistes » du groupe de Monrovia, de l’Ivoirien Houphouët et du Malgache Tsiranana prêtent la main à Senghor pour maintenir le cap sur une Afrique des patries coopérant avec ses anciens colonisateurs.

L’opposition entre les sectateurs du panafricanisme et de l’unité aux sectateurs du micro nationalisme et de la souveraineté nationale, héritée du congrès de Berlin, va monter progressivement en intensité pour finalement donner naissance à une organisation politique africaine matérialisée par l’OUA.

La règle de l’Uti possidetis, un principe bien établi

Si le principe de l’intangibilité des frontières fut retenue, c’est qu’elle fut bien le fruit d’un compromis entre les nouveaux Etats souverains. Par ce principe, naquit en Afrique des Nations dont la qualité n’est pas redevable de l’homogénéité linguistique ni culturelle mais de l’appartenance au même territoire régi par une même structure politique. Cela a contribué à geler un certain nombre de problèmes liés aux territoires qui s’étaient fait jour dès la veille de l’indépendance, notamment le problème de l’Eweland au Togo.  En réalité, c’était un problème qui en cachait un autre, le premier était celui de l’émergence d’une nation éwé, qui faisait écran à celle du rattachement du Togo britannique au Togo sous tutelle française. L’indépendance des nations frontalières, des tractations à l’échelle internationale et une consultation populaire ont fini par rattacher définitivement le territoire du Togo sous tutelle britannique au Ghana, solution confirmée par l’Uti possidetis. A ce jour, la frontière Togo-Ghana est considérée avec nostalgie par ce peuple séparé.

La règle de l’int angibilité des frontières, les pieds d’argile de l’Union Africaine

Les problèmes frontaliers qui ont été traités par la Cour Internationale de Justice sont nombreux, donnant à l’Afrique le record du continent du plus grand nombre de contentieux. On peut citer de façon non-exhaustive le différend entre le Tchad et la Libye à propos de la bande d’Aouzou (décision CIJ 03 janvier 1994), le différend entre le Mali et le Burkina Faso  avec un verdict de la CIJ accepté par les parties datant du 26 décembre 1986 et attribuant les « quatre villages » au Mali et la zone d’Agacher au Burkina Faso.

La jeune Organisation de l’Unité Africaine a été tôt confrontée à des oppositions internes. Les lignes de fracture ne manquaient pas. La première était historique et séparait les Arabes blancs des noirs. La deuxième était un résidu de la colonisation et opposait les francophones aux anglophones. La troisième opposait les souverainistes aux fédéralistes.

Mais l’opposition qui a porté un premier coup à l’institution est le désaccord du royaume marocain quant à la reconnaissance de l’Etat mauritanien puis de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Le problème du Sahara Occidental tire sa source du fait que le Maroc considère ce territoire comme faisant partie intégrante de ses Provinces du Sud. Ce territoire est le support de l’Etat Sahraoui autoproclamé. Ces oppositions se sont vu décupler par la reconnaissance par l’OUA de la République Arabe Sahraouie, Etat autoproclamé par le Front Polisario et ont abouti à la sortie fracassante du Maroc de l’OUA le 12 novembre 1984. Le problème du Sahara occidental perdure jusqu’à ce jour, faute d’entente entre les parties et malgré la décision de la Cour Internationale de justice. Cela met en cause la capacité du droit international à faire face aux problèmes suscités par la mise en œuvre de la règle de l’Uti possidetis.

Même si le Maroc est retourné l’Union africaine et qu’il accepte de siéger avec ce qu’il doit considérer de mauvaise grâce comme ses pairs (la RASD compris), le différend perdure jusqu’à ce jour. Sur ce différend, deux courants s’affrontent toujours, les Etats  qui reconnaissent la RASD et ceux qui ne la reconnaissent pas.

Une Afrique toujours secouée par les conséquences de la règle de l’Uti possidetis : un echec du droit international ?

Si le principe de l’intangibilité des frontières est bien établi et sa mise en œuvre sans cesse peaufiné par l’Union Africaine, les remises en cause ne manquent pas.

L’Organisation de l’Unité Africaine puis l’Union africaine ont été confrontés à la résolution de crises dont les portées sont territoriales. Et jusqu’à ce jour, certains d’entre eux durent toujours et consacrent l’inefficacité du droit international. Le Nord-Mali est déchiré par des conflits aux teintes terroristes et aux allures sécessionnistes. Récemment, des voix discordantes se sont fait entendre depuis le Cameroun sur fond de revendication d’indépendance d’une communauté linguistique.

Le Soudan reste menacé par les mouvements centrifuges de la rébellion du Darfour sur son front ouest. Les espaces sahéliens échappent aux contrôles des Etats centraux. Une bande de terre entre le Niger et le Nigeria n’a plus de réalité en tant que frontière. La frontière entre l’Erythrée et Djibouti reste un sujet sensible dans la région de Ras Doumeira. Celle entre l’Erythrée et l’Ethiopie est restée longtemps délicate jusqu’à la récente résolution du Conseil de Sécurité du 14 novembre 2018. La Casamance connaît des violences sur fond d’aspirations indépendantistes. Le problème malien qui mobilise l’attention des Nations Unies et du G5 Sahel n’est pas à négliger.

Dès 2017, les relations entre l’Egypte et le Soudan se sont à nouveau tendues à propos du triangle de Halayeb, zone autrefois cogérée mais militairement occupée et développée par l’Egypte depuis que le Soudan a accordé des droits d’exploitation de pétrole à une compagnie canadienne. Ce territoire revendiqué par les deux parties a été défini  en tant que frontière par le condominium anglo-égyptien en 1899 (ce à quoi l’Egypte souhaiterait s’en tenir) mais une décision des Britanniques datant de 1902 définissait une nouvelle frontière administrative (ce dont les Soudanais se prévalent). Enfin, jusqu’à ce jour l’énigme du Sahara occidental reste entier (malgré l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur le Sahara occidental), tant pour les protagonistes que pour les internationalistes.

Problèmes territoriaux, suites sur l’économie et la géopolitique africaine

Si la question des frontières reste une grande équation dont l’Union africaine doit s’atteler à la résolution, sa portée ne doit pas être négligée, en raison des défis importants. Il est bien constant que les conséquences ne peuvent qu’être importantes, à l’échelle des Etats membres de l’Union Africaine. L’enjeu est donc économique, juridique et même politique.

Les problèmes de définition et de redéfinition des frontières entraînent bien souvent des gelées préjudiciables aux échanges économiques inter frontaliers. Les revendications territoriales et les aspirations sécessionnistes entrainent bien souvent des incertitudes et des relents d’insécurité, non propices aux échanges économiques inter frontaliers. Les violences nées de mouvements d’aspiration sécessionnistes entraînent de nombreuses pertes humaines et matérielles, qui ne contribuent pas au rayonnement économique. Les problèmes frontaliers favorisent parfois des insécurités, bien propices au développement d’activités illicites, aux trafics prohibés et au terrorisme.

Les incidences politiques et géopolitiques des revendications territoriales ne sont pas à négliger. La question du Sahara occidental entraîne nécessairement l’apparition de deux courants. Le premier courant est celui qui reconnaît l’Etat sahraoui et le second courant préférant s’accorder avec la voix marocaine. Depuis le retour du Maroc dans l’institution panafricaine, la question se pose avec une toute nouvelle acuité. Quelle sera la qualité des relations du Maroc avec les Etats qui n’épousent pas ses vues ? La réponse ne sera pas difficile à trouver. Cela ramène encore à la question économique. Sur la question du Sahara occidental, l’Algérie et le Maroc se boudent depuis 1994. Les frontières sont fermées. Alors que les échanges de ces deux pays avec leurs voisins et l’Europe sont importants, leurs échanges commerciaux inter frontaliers sont pratiquement minuscules. Par la fermeture de la frontière, les acteurs économiques marocains et algériens perdent tout simplement les opportunités de commerce et d’investissement. En outre, ces désaccords creusent une tombe de plus en plus profonde pour l’Union du Maghreb arabe (UMA) qui est dans un état végétatif.

L’arlésienne d’une Afrique aux problèmes frontaliers résolus

Le problème des frontières en Afrique trouvait ses justifications dans l’accusation portée aux conférenciers de Berlin de n’avoir pas tenu compte des Nations et ethnies dans le tracé des frontières. Même si certains auteurs, tels que Catherine Coquery-Vidrovitch pensent que « Les fonctionnaires coloniaux n’étaient pas des imbéciles » et qu’ils auraient, «dans la mesure du possible (c’est-à-dire en fonction des ambitions des concurrences européennes), tenu compte des espaces politiques antérieurs », il a bien été évident que ces définitions de frontières n’étaient pas parfaites. L’intangibilité des frontières, même si elle était la solution la plus simple à mettre en œuvre, n’a pas empêché aux revendications de se produire, ni aux violences de se perpétrer.

La justification majeure des tendances sécessionnistes reste liée aux allégations de mauvaise gouvernance, de pauvreté et de marginalisation d’une région d’un pays. C’est le soubassement des conflits internes observés au Nord-Mali, au Cameroun anglophone, en Casamance. L’autre source de dissensions est liée à la religion, telle qu’on a pu le constater dans les événements qui ont conduit à la naissance du Sud-Soudan.

Les problèmes territoriaux ont des dimensions diverses et la communauté africaine des Etats s’emploie avec force solutions à en venir à bout. C’est par exemple le cas du le programme de frontières de l’Union africaine. Toutefois, même si ce programme de l’Union africaine est un grand effort afin de favoriser la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération, le problème ne sera résolu qu’avec le consensus des parties prenantes, les problèmes du continent étant aussi particuliers les uns que les autres.

L’autre option pour une Afrique stabilisée où toutes les entités territoriales se sentent bien malgré les frontières dans lesquelles elles sont entourées est la bonne gouvernance et la culture du vivre-ensemble. L’inclusion est le défi d’une Afrique sans revendications identitaires. Les Etats africains devraient travailler à la réalisation de véritables nations qui font ne sont pas fragilisées par les différences ethniques, religieuses, linguistiques ou culturelles, mais qui s’en enrichissent.

Faut-il se plaindre pour autant ?

Les actes de la Conférence de Berlin ont été happés par le principe de la loi postérieure du fait de l’adoption de la résolution de l’Organisation de l’Unité Africaine instituant l’intangibilité des frontières. La tentation d’un retour au statu quo ante n’est qu’un mirage. Les problèmes de frontières, malgré toutes les approches, gardent leurs proportions. Si le panafricanisme est un idéal, il tend à se réaliser autrement que par la mise en commun des territoires. Il se réalise par la tentative réussie d’une Union Africaine mais aussi par la réussite relative des communautés économiques régionales africaines. Les gestions des Etats laissant encore à désirer dans les micro-Etats, qu’adviendrait-il si cette gestion devait s’étendre à une Afrique fédéralisée ? L’Afrique fédérale des rêves de Kwame Nkrumah ne reste toujours qu’un rêve. Cette fédération ne peut se réaliser en supprimant les frontières. L’Afrique n’est pas encore prête pour cela.

Le développement global de l’Afrique doit nécessairement passer par la résolution des équations frontalières réputées insolvables. Les différences sanctionnées par les frontières sont une opportunité de développement sur laquelle on peut encore parier.

Le monde à dos d’Afrique

Les villes africaines, trace de modernité...La Modernité pourrait se définir par la distinction épistémologique fondatrice sujet / objet et découlant de celle-ci la production de l’opposition structurante nature / culture.  Ce rapport au Monde, détachant l’Homme de la Nature et le plaçant en surplomb, permit l’élaboration et le développement de technologies d’exploitation des ressources de la nature, pensées alors comme illimitées, au profit de l’espèce humaine (anthropocène), ou plutôt de l’échantillon d’elle qui s’était érigé en étalon de l’humanité (capitalocène ou occidentalocène).

Cette ontologie moderne aura en fait été le principal moteur de l’imperium européen dans son projet de domestication et d’exploitation de la Nature mais aussi de toute autre forme d’altérité culturelle.

Aujourd’hui, cette modalité culturellement située de représentation des interactions entre les activités humaines et le reste des entités du vivant, humain et non humain pour le dire dans des termes latouriens, se heurte aux signes alarmants révélant l’infinie complexité des actions et des rétroactions des différents êtres composant le système Terre.

L’Homme, occupant désormais l’espace d’une force géologique, influe globalement sur l’histoire récente du système Terre. Mais, comme Marx le faisait déjà remarquer pour l’histoire des sociétés humaines : « l’Homme fait l’histoire mais il ne sait pas l’histoire qu’il fait ». Ainsi la puissance acquise par l’espèce humaine, désormais capable de modifier la trajectoire du climat, l’acidité des océans, la biodiversité, etc. révèle, paradoxalement, une impuissance tout aussi vertigineuse.

Et il est tout à fait troublant de constater que la perturbation des équilibres qui ont permis jusqu’à présent le maintien, dans des conditions de relative stabilité, de l’espèce humaine trouve son origine la plus immédiate dans les excès du capitalisme et sa sécrétion d’inégalités et d’injustices.

Le projet désormais impératif de déconstruction de la modernité, afin notamment d’essayer de proposer des alternatives politiques crédibles et des institutions démocratiques ad hoc destinées à réduire l’empreinte écologique de l’espèce humaine sur Gaia, doit se nourrir de la multiplicité des discours critiques portés par la cohorte de corps5  que l’effectuation de la modernité, sur ces quelques trois siècles écoulés, aura marginalisé ou marchandisé (critique féministe, critique post-coloniale, critique queer, etc.).

Cette réflexion se propose de poser les pistes de la spécificité d’une contribution africaine, pensée à partir de son historicité propre, pour appréhender les nouveaux enjeux globaux, en formulant la question suivante :

L’Afrique est-t-elle parmi les lieux que l’on puisse privilégier pour penser l’effectuation moderne du Monde afin de mieux comprendre et déjouer le réseau d’asymétries tendues qu’elle a tracé, au cours des derniers siècles, dans la valeur de la vie et du vivant?

L’Afrique au cœur des marges de la Modernité

De part et d’autre de la science, les spécialistes ne cessent plus de tirer la sonnette d’alarme et de s’interroger: l’Homme serait rentré dans une course poursuite contre lui-même. Comment donc sortir de cette effectuation moderne prédatrice qui nous mène vers notre extinction ?

Peut-être, conviendrait-il de prendre pour point de départ des espaces en résistance contre le projet moderne. En résistance, justement parce que le projet moderne a, d’une certaine manière, contribué à les exclure d’un sanctuaire des privilèges qu’il travaillait à faire advenir et auquel il assujettissait tout le reste, ou presque. C’est donc qu’à partir de ces lieux sujets, de ces marges, que nous souhaiterions penser ce qui pourrait être un enversde la Modernité. Non pas qu’il s’agisse, dans la fièvre d’une pureté toute révolutionnaire de détruire la Modernité et l’ensemble de ses édifices, mais davantage qu’il faille la penser avec ses contraires et ses en-dehors. Et là, force est de constater que certains lieux à la margerecèlent un pouvoir de dévoilement plus important que d’autres (et c’est l’objet de cette réflexion).

Le concept de marge pourrait être défini comme cet espace où le discours du pouvoir sur lui-même se heurte à son mensonge et donne à voir l’ampleur réelle d’une politique sur l’ensemble du vivant. C’est à ce titre un concept d’une grande fécondité heuristique et, pour ce qui nous concerne, un outil conceptuel précieux pour la déconstruction de la Modernité, à partir d’une certaine perspective. En cela, nous nous inscrivons dans la continuité des efforts de Michel Foucault pour lequel, selon Lautier Bruno :

« L’objectif […] n’était pas de « parler des exclus » ; il l’a d’ailleurs fort peu fait dans ses écrits théoriques, il réservait ça à son activité militante. Son objectif était un objectif de méthode : montrer qu’on comprend une société non pas en en faisant une analyse de l’intérieur, mais depuis les marges : les fous, les malades, les criminels, les pervers, ne nous apprennent pas grand-chose sur eux-mêmes, mais beaucoup sur nous. »

Nous proposons ainsi l’hypothèse que l’Afrique constitue cette marge à partir de laquelle la Modernité, comme projet biopolitique, se révèle pour ce qu’elle est véritablement : Lumièrestout autant que Ténèbres.

Afrique, pivot d’un universel de la circulation et du mouvement

Sur un plan méthodologique, à ce premier temps qui est un arrêt sur l’Afrique (conçue comme une margestratégique de la Modernité) doit être agrégé un second temps ancré dans le mouvement. Un mouvement circulaire constant, passant sans cesse d’une expérience historico-culturelle à une autre, d’un mode d’être à un autre. Le mouvement comme fondement et éthique, expression, pour le dire comme Bachir Diagne, d’un universalisme latéral révélé par le processus même de la traduction; mais une traduction élargie permettant tout aussi bien de passer d’une expérience culturelle à une autre (d’une langue à une autre) que d’un mode d’être à un autre (une ontologie à une autre).

A l’évidence,une telle d’approche a vocation à s’écarter de toute logique du ressentiment, portée par un afro-centrisme d’arrière-garde, tout autant que d’une logique de la pitié, même dans ses expressions les plus distinguées, réduisant toujours au final l’Afrique à un manque qu’elle ne saurait, par nature, combler d’elle-même.

L’effort vers ce mouvement circulatoire, questionnant la modernité à partir de tous ses en-dehors, est le prix de l’écriture d’un récit partagé du devenir. Et l’Afrique peut réellement, à partir de son expérience propre (c’est-à-dire celle d’une vulnérabilitédans l’ère moderne), ouvrir de nouveaux possibles sur les enjeux globaux qui traversent les débats intellectuels et politiques contemporains, couvrant d’une extrémité à une autre la question de la survie de l’Homme (pour les plus pessimistes) ou plus simplement celle de la vie bonne (pour moins alarmistes).

Le souci d’une politique globale du vivant apparait aujourd’hui comme une des dimensions fondamentales d’une pensée critique qui aurait vocation à proposer des mécanismes de partage équitable des ressources et de sauvegarde de la vie humaine sur Terre. Partant de la perspective des Amérindiens d’Amazonie, un auteur comme Philippe Descola en appelle à l’abandon de ce qu’il appelle une vision naturaliste du mondequi a conduit le monde occidental à réduire l’ensemble des entités naturelles (dans lequel les Africains ont souvent été rangés d’ailleurs) à une réserve inépuisable de biens et d’énergie.

Et lorsque l’on aborde de manière anthropocentrée la question de la vie, de la variabilité de ses formes, de ses conditions de possibilité biopolitique et de ses limites (jusqu’à quel point peut-on décemment rester vivant), l’Afrique se présente effectivement comme une masse colossale dont l’occultation risquerait de masquer la partie immergée de l’iceberg.

Dans une telle perspective, l’Afrique apparait comme un espace singulier qui donne à voir, sans fard, ce que le pouvoir peut faire de la vie et, plus particulièrement, ce que l’exposition prolongée à la brutalité des systèmes d’exploitation née de la Modernité a fait des différentes formes de vie sur ce vaste territoire.

Ce que penser l’Afrique veut dire

Achille Mbembe invite toute réflexion sur l’Afrique à se projeter vers quatre directions, de manière disjointe ou articulée. Penser l’Afrique, c’est :

1 Rétablir un nom. Combattre des préjugés séculiers nés de la pensée coloniale et impériale.

2 Ramener à la vie ce qui avait été abandonné aux puissances de la négation et du travestissement

3 Rouvrir l’accès au gisement du futur pour tous.

4 Contribuer à l’avènement d’un monde habitable.

Cette invitation appelle donc à tracer les contours d’un champ, certes déjà arpenté, mais pas encore totalement balisé. La présente proposition s’inscrit indubitablement dans les perspectives ainsi ouvertes, tout en gardant la dynamique propre qui la fonde :

  • Symétrisation des formes du vivant
  • Saisissement du devenir monde du monde dans un mouvement circulatoire

Ce qui importe donc, c’est que l’Afrique partage le Monde avec les autres, y compris cet agrégat abstrait que l’on appelle l’Occident. L’objectif de telles approches, tel qu’initiées par des intellectuels africains comme Valentin Yves Mudimbe, Souleymane Bachir Diagne ou Achille Mbembe, pourrait donc être la mise en exergue, l’amélioration et surtout la création de mécanismes de partage équitable du monde. C’est à ce prix seulement que le monde deviendra monde.

Ce n’est donc pas l’irréductibilité d’une expérience intérieure proprement africaine (quoique nous ne cherchons pas non plus à nier cela, ou du moins, les effets des récits différentialistes) qui structure cette discussion mais plutôt l’expérience fragmentée de la Modernité et la manière dont certaines de ces expériences peuvent nous informer davantage sur le visage de celle-ci, particulièrement lorsqu’elle se confronte au dissemblable. Cette méthodologie permet d’en faire le diagnostic le plus fidèle, à la fois pour la vie humaine que l’ensemble des entités du vivant.

L’Afrique, le Nègre et les Autres

D’emblée il faut également préciser que l’Afrique dont il est question ici ne se limite pas aux frontières de la géographie statique. En effet, l’Afrique et le Nègre constituent les deux mêmes faces d’une imagerie complexe construite par la Modernité comme différence de la différence, reflet inversé de la raison, située dans une sorte d’espace intermédiaire entre culture et nature.

Peut-être faut-il rappeler également que, sous le règne de la Modernité, certains phénomènes d’oppression d’ampleur subis par les Africains et/ou les personnes d’ascendance africaine ont également frappé d’autres communautés dont les traits physiologiques ne pouvaient pourtant être totalement capturés par la figure du Nègre, du fait de sa teneur en mélanine. Mais sans doute était-il encore possible à celles-ci de sortir de cet épiderme social et d’abandonner, dans le jeu des échelles sociales, cette peau sociale infâme.

Le Nègre est donc aussi cette assignation dont, certains, ont pu besogneusement se défaire. Les Africains et leurs descendants, moule dans lequel avait été produit cette figure monstrueuse, n’ont, en dehors de l’Afrique elle-même, aucune possibilité définitive de réellement s’extraire de cette clôture. Ainsi, plus de trois siècles après la fin de l’esclavage transatlantique, la possibilité pour eux d’échapper à cette figure reste dépendant de procédures socio-économiques complexes à l’issue incertaine et in fine fragilisées par une opposabilité toujours ouvertes. Qui que soit l’Africain ou l’Afro-descendant, l’interpellation de « sale nègre » au coin d’une rue reste toujours de l’ordre du possible et du plausible.

Le Devenir Nègre du Monde

L’une des spécificités de l’action de la Modernité sur l’Afrique, c’est cette opération à la fois pratique et intellectuelle qui a consisté à transformer des êtres humains en chose et à les réduire drastiquement en combustible pour la machine économique. Ce processus miraculeux par lequel un homme devient un bien meuble, pour le dire comme le Code Noir, marque durablement le rapport du corps noir à soi et sa circulation dans l’espace globalisé.

En cela, le Nègre aurait, selon Achille Mbembe, devançait le monde. En effet pour lui, les dernières formes du capitalisme financier ne tendraient qu’à élargir le plus possible ce geste de réduction miraculeux à l’ensemble du globe, y compris au monde occidental lui-même.

La modernité a produit une véritable métaphysique de la race, celle-ci naissant et venant alimenter d’abord la structure morale et discursive de légitimation de la traite de l’esclave atlantique puis ensuite le désir colonial tout autant que sa justification.

Césaire nous dévoile ainsi la véritable nature de la relation dans l’économie morale de la colonisation :

« Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production »

Ce devenir Nègre du monde pourrait bien faire de l’Afrique un des rouages essentiels de tout nouveau chantier significatif d’une pensée matérialiste ayant pour projet une émancipation ouverte à tous les vivants. Ce repositionnement inattendue de l’Afrique n’est en aucun cas celle annoncée par les nouvelles forces carnassières du capitalisme financier. Celles-là ne jurent désormais que par ce qu’elles ont appelé « l’émergence » économique de l’Afrique, laquelle, si les responsables africains n’y prennent garde, pourrait bien ressembler à s’y méprendre à une recolonisation du continent, non plus par la forme classique des trois M (missionnaires, militaires, marchands) mais par du pur capital. Bis repetita.Ce qui nous intéresse ici est certainement plus fondamental, plus grand que l’Afrique elle-même d’ailleurs; c’est l’Afrique comme structure d’émancipation du seul monde souhaitable pour tous, c’est-à-dire un monde devenu monde.

Tabué NGUMA

Mahamadou ISSOUFOU, le Président de l’Etat d’urgence ?

La vie politique nigérienne n’a jamais été un long fleuve tranquille. Alors que l’actualité du pays est marquée par de vives tensions sur plusieurs fronts[1], l’élection présidentielle de 2021 cristallise les rivalités et les ambitions notamment au sein du parti du Président sortant, que la constitution empêche de se représenter.

Une forte implication face à une situation sécuritaire régionale sous tension …

Dans ce contexte, le positionnement du Président Mahamadou ISSOUFOU est donc particulièrement scruté et interprété.

Taxée de dérive autoritaire, sa ligne politique est actuellement critiquée pour être trop proche des occidentaux et en particulier des français et des américains. L’implantation de bases militaires sur le sol nigérien et l’autorisation de survol du pays par des drones armés américains, ainsi que l’adoption  d’une loi de finance favorisant l’implantation de sociétés étrangères tout en créant dans le même temps de nouveaux impôts pour les nigériens, lui ont définitivement collé cette image et celle « d’ami de la France ».

Sans chercher à s’en défaire, au contraire le Président ISSOUFOU revendique et met en avant son rôle central face à la menace terroriste, cerné par le Mali en partie occupé par les hommes du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et de l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara), le Nigéria où sévi Boko Haram et au nord par une frontière notamment avec la Libye, très difficilement contrôlable.

A ceux qui lui reprochent de jouer le jeu du néo-colonialisme, le Président nigérien oppose la gravité de la situation et une nécessaire mobilisation internationale pour empêcher l’implantation d’un « Etat islamique au Niger ».

Rempart face au terrorisme ou relais des occidentaux, le Président nigérien n’en demeure pas moins un allié de premier plan pour la France. En attestent les relations entretenues avec Emmanuel MACRON et l’aide apportée par ce dernier pour les 23 milliards de dollars de promesses de financement, obtenus à Paris auprès des bailleurs internationaux, pour financer le « plan de renaissance » en faveur de l’industrie agroalimentaire nigérienne.

A l’échelle sous régionale, sa désignation à la tête du G5 Sahel en février 2018 pour un mandat d’un an, donne au Président ISSOUFOU une position stratégique.

Composée de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, cette organisation créée en 2014 ayant justement pour mission principale d’œuvrer en faveur de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité.

Enfin, le lancement de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECA), lors d’un Sommet Extraordinaire de l’Union Africaine (UA) à Kigali en mars 2018 est venu couronner de succès l’investissement du Président nigérien, en charge de l’ambitieux projet depuis janvier 2016.

… Au détriment  d’une politique intérieure en demi-teinte ?

Seulement, si Mahamadou ISSOUFOU est courtisé sur le plan régional et international, il semble en revanche faire face à une défiance de plus en plus importante sur le plan intérieur.

Qu’elle semble lointaine sa réélection triomphale en 2016 avec 92,4% des voix. Porteur de grands espoirs lors de son arrivée au pouvoir en 2011, Mahamadou ISSOUFOU n’a manifestement pas encore fait de miracles et sorti le pays de sa situation d’extrême pauvreté.

Force est de constater qu’en 7 ans le Niger reste l’un des cinq derniers pays dans le classement mondial du PIB par habitant, que son taux de fécondité demeure le plus élevé au monde avec 7,6 enfants par femme en moyenne, que l’accès aux biens essentiels, à la santé, à l’eau, à l’électricité des nigériens reste dramatique, que le taux d’analphabétisation y est encore l’un des trois plus élevés du monde.

Alors que le Président ISSOUFOU était présenté par Paris Match en 2013 comme « Le nouveau visage de l’Afrique », son pays n’a quant à lui pas changé de visage depuis et demeure en 2018 extrêmement pauvre, fragile et oublié.

Le drame du Niger est également démographique puisque la population a quadruplé depuis les années 1960, doublé depuis 1980, pour dépasser à présent les 20 millions d’habitants. Un nigérien sur cinq à moins de 5 ans et l’espérance de vie au Niger est l’un des plus faible du monde.

L’économie quant à elle repose toujours essentiellement sur l’élevage et l’exploitation de l’Uranium.

S’il est effectivement moins affecté par l’insécurité et le terrorisme que plusieurs de ses voisins, le Niger semble également ne pas évoluer et rester bloquer avec ses mêmes maux et ses mêmes difficultés.

Certes, la croissance économique est toujours forte, mais les promesses d’embellie liées au développement des industries extractives se font toujours attendre.

Autre signe encourageant, le pays renforce ses relations de coopération avec la Turquie, l’Iran, le Maroc, la Chine ou encore l’Inde, qui investissent dans les domaines économique, touristique et culturel, ainsi que ceux de la santé, ou encore des transports.

Néanmoins les inaugurations comme celle, en grande pompe d’un nouveau centre hospitalier moderne construit par les chinois en 2016, semblent encore surtout symboliques et être l’arbre qui cache le désert. Pendant ce temps, la population s’impatiente de plus en plus.

De la difficulté de gouverner une démocratie fragile et fébrile.

Les élections présidentielles de 2021 et l’impossibilité pour le Président Mahamadou ISSOUFOU de se représenter pour un troisième mandat, font donc gonfler les spéculations, exacerbent les ambitions et renforcent le sentiment d’attente et d’exaspération.

Néanmoins, dans l’un des pays les plus jeunes du monde, où la moyenne d’âge est de 15 ans seulement, ce sont les mêmes visages qui accaparent la scène politique et s’affrontent depuis les années 1990.

En outre, les scrutins sont très marqués par l’ethnicisation des votes. Chaque candidat mobilise avant tout sa région et les siens.

Enfin, la démocratie nigérienne reste fragile, le pays ayant cette caractéristique d’avoir été frappé par quatre coups d’Etat depuis 1960, dont le dernier en 2010.

A 46 ans, après une candidature aux élections présidentielles en 2016, où il était arrivé 5ème avec 4,3%, ex Ministre des transports (2012-2013) et à présent ex Ministre des Affaires étrangères (2016-2018), Ibrahim YACOUBA fait figure de nouveau de la politique nigérienne.

Officiellement poussé vers la sortie en raison de son désaccord sur la réforme du code électorale, l’énarque nigérien, jugé « trop ambitieux » par les proches du Président a préféré annoncer sa démission avant de se la voir notifier et se positionne clairement pour la présidentielle 2021. Ancien militant altermondialiste, Ibrahim YACOUBA réussira-t-il à faire bouger les lignes d’ici là, s’appuyer sur la contestation sociale et la jeunesse, tout en prouvant qu’il en a déjà l’envergure et ainsi menacer le successeur désigné par le Président sortant ?

Alors que l’on ne connait pas encore sa position pour les prochaines échéances, Mahamadou ISSOUFOU semble affronter des manifestations et des opposants de plus en plus véhéments et prend le risque de quitter bientôt la scène politique nigérienne en laissant son pays sensiblement au moins point que celui dans lequel il l’avait trouvé en arrivant au pouvoir en 2011.

En misant sur une posture internationale intransigeante vis-à-vis de la menace terroriste, quitte à en faire sa priorité, Mahamadou ISSOUFOU peut-il prendre de la hauteur et se construire l’image de protecteur et garant de la sécurité des nigériens et ceux-là lui en seront-ils reconnaissants ?

[1] Entre  autres, manifestations à répétition, l’arrestation de leaders de la société civile, d’importants mouvements étudiants, le limogeage médiatique du Ministre des Affaires étrangères, une situation sécuritaire précaire ponctuée d’attaques sporadiques par des groupes djihadistes.

La Chine en Afrique : un loup dans la bergerie ?

Le 03 septembre, le président chinois, Xi Jinping, annonçait au profit de l’Afrique une enveloppe de 60 Mds USD (15 en dons ou prêts sans intérêt ou concessionnels, 20 en crédits, 10 pour l’aide au développement et 5 pour supporter les importations chinoises en provenance d’Afrique ; le reste devrait être porté par le secteur privé) pour les trois prochaines années. Pour les occidentaux, c’est un cadeau empoisonné[1] alors que les autorités africaines voient en la Chine, ce partenaire qui va les aider à atteindre « l’émergence », tant souhaité.

La Chine est prédatrice ; ce n’est pas nouveau ! Depuis 2013, avec le lancement du projet de « nouvelles routes de la soie » (la Belt and Road Initiative – BRI), les intentions des autorités chinoises sont plutôt claires. Le pays veut s’imposer comme la première puissance économique mondiale. La BRI n’est qu’une déclinaison de cette volonté. Et l’Afrique n’est pas le seul continent au cœur de cette stratégie. Se positionnant comme l’usine du monde, la démarche chinoise apparait évidente : acheter les matières premières en Afrique (et aussi en Amérique Latine), les transformer chez elle et inonder le marché occidental. Pour atteindre cet objectif, la Chine use de toutes les armes dont elle dispose. Et en Afrique, c’est la puissance financière qui est de rigueur. Elle offre aux autorités africaines une alternative réelle par rapport aux partenaires traditionnels, dont les actions en Afrique n’ont pas permis « l’émergence » du continent, un demi-siècle après les indépendances.

Chine ou Occident, les intentions et les regards portés sur l’Afrique restent les mêmes : l’Afrique est un marché de matières premières et de consommation de produits finis ; alors chacun essaie de se tailler sa part. Les méthodes ne divergent pas non plus grandement. Tout passe par la puissance financière. Seulement, alors que l’Occident dont les moyens financiers sont limités usent de conditionnalités relatives aux conditions socio-politiques et économiques pour rationner ses aides ; la Chine se soucie peu ou pas de leur solvabilité[2] ou des conditions socio-politiques et ses actions en Afrique sont visibles. Elle apporte une réponse aux défis du continent en matière d’infrastructures[3]. Son influence s’accroît et dépasse même les aspects économiques. On va progressivement vers l’installation de bases militaires chinoises sur le continent ; une existe déjà à Djibouti. Aujourd’hui la plupart des pays africains, à l’exception du Swaziland, ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan pour s’attirer les faveurs de Pékin. Par extension, il serait difficile pour l’Occident aujourd’hui d’user de voix africaines pour faire voter des décisions contre la Chine à l’échelle internationale.  En bref, la Chine ne fait pas pire, ni mieux que les occidentaux. Elle dispose seulement d’une assise financière plus robuste, évite de s’ingérer dans les questions politiques (ce que la jeunesse africaine reproche de plus en plus aux occidentaux) et faire preuve de pragmatisme en s’assurant de rendre très « concrète » son action en Afrique, de sorte à s’imposer sur les marchés que les occidentaux leur croyaient acquis. En fait, les accusations de néocolonialisme formulées à l’encontre de la Chine par les occidentaux s’apparentent aux pleurs du renard qui voit le loup entrer dans son garde-manger.

L’acharnement médiatique vis-à-vis de la Chine quant à ses actions financières en Afrique n’a pas lieu d’être. Certes les risques liés à la dette chinoise, et à l’évolution rapide de la dette des pays africains en général, nécessite d’être discutée, pour identifier les goulots d’étranglement et proposer des solutions, au lieu de rester dans une forme de dénonciation. La Chine adopte aujourd’hui une démarche qui permet de financer et de réaliser des projets, en s’affranchissant des multiples procédures et règles souvent de rigueurs avec les partenaires traditionnels des pays africains. Cette démarche est à parfaire pour inclure davantage l’expertise locale avec une stratégie d’endettement cohérente, afin de paver la voie pour une transformation structurelle des économies africaines.

Une chose est certaine, c’est que l’Afrique appartient aux africains et à ce titre, ils feront à travers leur dirigeants les choix qui leur conviennent le mieux pour atteindre leurs objectifs. Il convient pour ce faire de tirer les leçons d’un demi-siècle de partenariat avec l’Occident pour améliorer le cadre des partenariats avec le reste du monde et d’en minimiser les risques potentiels. « Tout est bon mais tout n’est pas utile ».

Mais au-delà de tous ces discours experts sur la relation sino-africaine, une question devrait retenir toute l’attention. Que pensent réellement les africains de la présence chinoise ? Ce partenariat change-t-il pour le mieux leurs conditions de vie ?

[1] Voir ces articles de Telegraph, de BBC ou du Monde.

[2] L’évolution de la dette des pays africain reste quand même un facteur d’inquiétudes. Les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012). Les emprunts auprès de la Chine y contribue considérablement. En 2016, les prêts chinois aux gouvernements africains atteignaient 30 Mds USD.

[3] Même si les conditions d’octroi et d’exécution des projets restent fortement discutables. Ces financements créent sur le sol africain des marchés pour les entreprises chinoises, qui empêchent le développement d’une expertise locale. Aussi en ne s’intéressant pas aux conditions socio-politiques, la Chine favorise le maintien d’un environnement socio-politique délétère. Toutefois, la démarche occidentale n’a pas résolu la question ; elle pourrait même être à l’origine de cette situation. Les récentes discussions sur les activités de Bolloré en Afrique constituent une preuve en la matière.

G5 Sahel : l’espoir est-il encore permis ?

Le G5 sahel a été lancé en grande pompe et son avènement était porteur d’espoir. Il donnait tous les signes évidents d’une bonne solution africaine pour venir à bout du terrorisme dans le sahel. Cependant à ce jour, cette lueur semble vacillante. Les regards sont tournés vers les puissances occidentales pour réveiller cette force qui se targuait d’être une initiative africaine. Le dernier Sommet de l’Union africaine s’en est en fait une préoccupation. Etait-il possible d’envisager déjà dès sa naissance que cette force se heurterait au mur ? Le G5 Sahel peut-il honorer les espoirs ? Faut-il envisager les choses autrement ?

Le G5 Sahel aux origines

Le G5 Sahel ou « G5S » est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Il a été créé lors d’un sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel à savoir le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.  Ces 5 Etats s’étaient mis en commun pour venir à bout de la menace terroriste commune. En effet, la région du Sahel est souvent aux prises avec des forces terroristes telles qu’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), Al Mourabitoune, l’Etat islamique dans le Grand Sahara, Ansar Dine, Boko Haram.

Il  trouve donc sa justification dans la volonté des chefs de ses Etats membres d’éradiquer la menace terroriste et amorcer une marche commune vers le développement, persuadés que les questions du développement économique et de la sécurité étaient interdépendantes. Toutefois, le G5 Sahel est-elle la seule et la première organisation régionale à se pencher sur la question ?

Multiplicité des organisations régionales sur la question du terrorisme

Le G5 Sahel n’est pas la première organisation à lutter contre la menace terroriste en Afrique. Chacun de ses Etats membres fait partie d’au moins une organisation régionale travaillant sur les mêmes thématiques que le G5 Sahel.

Ainsi, sur le plan de développement (et de l’intégration économique), on peut énumérer l’UEMOA et la CEDEAO en Afrique de l’Ouest, la CEMAC pour l’Afrique centrale et l’UMA pour l’Afrique maghrébine. Il faut toutefois rappeler que l’Union du Maghreb Arabe dont est membre la Mauritanie avec les autres pays du Maghreb arabe n’existe aujourd’hui que de nom en raison de ses difficultés à décoller réellement. Cela plante déjà le décor de l’efficacité relative de l’UMA et de sa capacité à faire face à la menace terroriste.

Sur la question de la lutte contre le terrorisme (et par là-même du blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), les Etats du G5 Sahel appartiennent encore à d’autres organisations. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont membres du GIABA ou Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent (et le financement du terrorisme) en Afrique de l’Ouest qui regroupe 16 pays d’Afrique de l’Ouest, par ailleurs membres de la CEDEAO, la Mauritanie est membre de l’organisation GAFIMOA / MENAFATF avec les pays du Maghreb et du monde arabe et le Tchad est membre du GABAC, une organisation dépendant de la CEMAC et créée en 2000.

Fortes ambitions et faibles moyens

Parmi les principaux objectifs du G5 Sahel, il y a entre autres, la création d’une force d’intervention commune, la création d’une école de guerre en Mauritanie, le lancement d’une compagnie aérienne, la construction d’une voie ferroviaire reliant les cinq pays et la suppression des visas entre les pays de la région. Seulement, faire face à la menace terroriste n’est pas sans susciter des difficultés d’ordres financiers et logistiques. La forte ambition économique du G5 Sahel a donc été freinée par les difficultés à réunir les fonds nécessaires à la réalisation des projets, d’où la nécessité de se tourner vers l’extérieur. Le coût de fonctionnement du G5 Sahel pour est estimé à environ 350 millions d’euros par an. Celui-ci a été au niveau des promesses, plus que rempli, puisqu’il y a eu plus de 400 millions d’euros de financements promis. La force ambitionne compter un effectif de 5000 hommes et la moitié n’est pas encore atteinte. La force conjointe souhaite être pleinement opérationnelle au printemps 2018 pour appuyer les 4 000 hommes de l’opération Barkhane et les 12 000 soldats de la MINUSMA (Mission onusienne au Mali). A ce jour, sur les 480 millions d’euros nécessaires, 414 millions sont disponibles.

La campagne pour le financement de la force a abouti à l’appui, de l’Union européenne (UE), les États-Unis, de l’Arabie saoudite et de quelques pays du Golfe. Cependant, cette aide, ne pourra permettre au G5 Sahel d’être opérationnel que lorsqu’elle sera réellement versée. En outre, le problème se pose au niveau des effectifs. Les militaires formés et affectés au G5 Sahel sont déjà en service soit au MINUSMA, soit dans leur armée d’origine, ce qui suppose la constitution d’effectifs de remplacements. Un défi humain en perspective pour chacun des Etats membres. La France quant à elle soutient sans réserve le G5 Sahel et encourage à une prise en main africaine de la question du terrorisme sur le continent, ce qui permettra à terme à un retrait de l’Opération Barkhane.

Réactivité et ingéniosité des groupes terroristes

Les groupes terroristes ne semblent pas manquer de réactivité. En effet, les cinq groupes terroristes en activité dans le Sahel ont créé ensemble une nouvelle entité « Jamaât Nosrat Al-Islam Wal Mouslimine » (groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, principale alliance djihadiste du Sahel, liée à Al-Qaïda). Et alors que le Sommet de l’Union Africaine prenait ses marques à Nouakchott, un attentat suicide a été perpétré vendredi 29 juin 2018 contre le quartier général de la force du G5 Sahel au Mali. L’attentat a été revendiqué par le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Dans le même sillage, des militaires  français de l’opération Barkhane ont été victimes d’un attentat à la voiture piégée le dimanche 1er juillet.  Cela repose avec une toute nouvelle acuité la question de la sécurité dans la région du Sahel et appelle à la mobilisation de moyens nécessaires.

La menace terroriste au Sahel, un frein au développement

La menace terroriste dans le Sahel se fait de plus en plus lourde et les groupes terroristes semblent être de plus en plus organisés. L’effort entrepris pour la lutte contre ce fléau détourne sans doute des priorités en matière de développement. Le terrorisme a transformé la configuration internationale d’autant qu’elle laisse encore le droit international tétanisé et pantois. A ce fléau, de solutions nouvelles devraient être proposées. La question du terrorisme au Sahel ne manque pas certainement d’avoir des ramifications avec des questions d’ordre économiques et politiques relatifs avec l’immigration aux portes de l’Europe, le chômage. Les Etats membres du G5 Sahel, n’étant pas des Etats économiquement avancés, la lutte contre le terrorisme pourrait faire dépenser une précieuse énergie utile au développement.

 Perspectives incertaines

La question du G5 Sahel était à l’ordre du jour des discussions prévues pour le 31 Sommet de Nouakchott (du 1er au 2 juillet 2018) et le président français était attendu pour redynamiser cette alliance militaire. En réalité, la France qui conduit dans la région l’opération Barkhane, voit dans la force du G5 Sahel un possible modèle de prise en main par les Etats africains de leur propre sécurité. Seulement la question du financement pérenne reste une équation difficile à résoudre  et ce en raison du véto américain au financement par les Nations Unies de la force anti djihadiste. Si le Conseil de Sécurité avait pu réussir à placer l’activité du G5 Sahel sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, cela aurait résolu durablement la question du financement.

En revanche, le G5 Sahel pourrait s’inspirer du modèle de la Force d’intervention conjointe multinationale (MNJTF), qui lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. La forte collaboration de ces Etats membres et la mobilisation des moyens conséquents ont permis d’avoir des réduire la capacité de nuisance de la secte et la confiner dans ses retranchements.

Si la question se pose autrement pour le G5 Sahel avec des enjeux qui affectent nécessairement les pays occidentaux, il semble tout de même contre-indiqué, au vu des récents développements d’envisager la prise en main totale du G5 Sahel par ses initiateurs.

Voir au-delà de l’aspect militaire

En sept mois, la force a mené deux opérations dans la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger où sévissent notamment le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). Les accusations de violations des droits de l’homme perpétrés par les militaires du G5 Sahel lors de l’Opération Hawbi amènent aussi à s’interroger sur la confiance qu’il peut susciter au plan international et même auprès des populations locales.  Il a été rapporté que des violations des droits de l’Homme ont été perpétrées. Ne serait-il pas temps de repenser la stratégie afin de ménager les populations locales? Ne faudrait-il pas voir au- delà de l’aspect militaire pour éduquer les populations civiles qui sont parfois victimes de bavures afin d’éviter qu’elles se radicalisent et ne rejoignent les rangs des terroristes ? La lutte contre le terrorisme ne doit pas être perçue par les autochtones comme une lutte dirigée contre leurs religion ou groupes ethniques. Aussi la réponse militaire doit être respectueuse du Droit international et minimiser les risques pour les civils.

Le football, première étape vers les Etats-Unis d’Afrique?

L’union fait la force, dit-on souvent. Cette force dont l’Afrique a tant besoin pour peser elle aussi sur la scène internationale, les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine en ont rêvé. Dire aujourd’hui que de l’intégration africaine est un échec n’est que pur euphémisme.  La révolution que devait constituer l’Union Africaine, substitut de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), n’a été qu’un écran de fumée. Les pouvoirs politiques ne sont pas encore prêts à donner à une telle organisation supranationale les moyens dont elle a besoin pour une réelle politique d’intégration devant baliser le terrain vers de véritables « Etats-Unis d’Afrique », comme le préconisait l’ancien dirigeant de la Jamahiriya arabe libyenne Mouammar Kadhafi. Outre quelques timides réalisations telle que la mise en place du conseil de sécurité de l’UA (dont l’efficacité et l’utilité restent à démontrer), l’adoption récemment  de l’accord sur la zone  de libre échange continentale, que peut-on bien mettre en toute objectivité à l’actif de cette organisation ?

Le cas des organisations sous-régionales est encore plus patent. Que ce soit la CEDEAO, L’UEMOA ou encore la CEMAC, les objectifs fixés par ces différentes institutions sont loin d’être atteints. Les fréquentes raquettes aux frontières des Etats de la CEDEAO témoignent de la difficulté de mise en œuvre de la liberté de circulation des personnes et des biens dans la sous-région. L’appartenance à une identité africaine est loin d’être acquise. La symbiose entre l’échec politique de l’intégration et l’absence de sentiments d’identité panafricaine constituent le véritable frein d’une avancée vers les Etats-Unis d’Afrique.

Le football, notre rédempteur ?

Le constat décrit perd tout son sens lorsque nous parlons d’activités sportives et précisément de football. En effet cette discipline sportive à un impact de transcendance certain sur le panafricanisme, notamment lors des rendez- vous mondiaux.

Rappelons-nous de l’été 2002, lorsque des foule immenses inondaient les villes africaines pour célébrer les successives victoires et qualifications du Sénégal pour les huitièmes et quarts de finale de la Coupe du monde organisée en Asie. Avant ce rendez-vous planétaire du football, les Togolais connaissaient-ils ne serait ce qu’une partie de l’Histoire de cette Nation ouest-africaine ? Aurais-je demandé à un Loméen lambda le nom du Premier ministre Sénégalais de l’époque, tout porterait à croire qu’il aurait été incapable de répondre. Et pourtant ils étaient dans les rues pour célébrer la victoire de cette Nation. La Nation, ce solide terme riche d’Histoire et d’appartenance à une certaine identité culturelle perd tout son sens lors des rendez-vous planétaires du football. En tout cas ceci est vrai en ce qui concerne le continent africain. L’appartenance à une Nation s’éclipse derrière une identité continentale, une appartenance à cette terre mère de l’humanité qu’est l’Afrique. Aujourd’hui il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux lors des rencontres des Nations africaines lors du Mondial pour attester de la véracité de mes dires.

Quel Tanzanien n’était pas fier du parcours des Black stars lors du Mondial africain de 2010 ? Quel Malien n’était pas révolté et désolé des frasques et de la piètre image laissée par les Camerounais lors des coupes du monde 2002 et surtout 2014 ? Allons encore plus loin et sortons la boite à archives avec la victoire de l’équipe olympique du Nigéria en 1996 en éliminant des grandes nations du football telles que le Brésil et l’Argentine.  L’identité africaine avait pris le pas sur la Nation nigériane. La question qui traverse l’esprit ne peut pas être posée en des termes on ne peut plus clair : et si les Etats-Unis d’Afrique se faisaient à travers le football ?

Football, élément pacificateur ?

Plus de 50 années après les indépendances, l’Afrique est toujours minée par des crises politiques de forte envergure. Nombreux sont les pays au sein desquels le tissus national est déchiré et la « réconciliation nationale » est devenue une marque de fabrique. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo mais aussi l’actuel président de la république Alassane Ouattara ont misé sur le talent et les prouesses de l’équipe nationale pour ramener la paix et la réconciliation dans le pays. Si les résultats escomptés sont loin d’être atteints, il faut quand même souligner le poids politique de ce sport. L’implication de Didier Drogba, la grande star ivoirienne du football, dans le processus de réconciliation nationale n’est pas anodine et témoigne une fois encore de l’influence politique du football. On peut citer aussi l’exemple du Togo. Après une année 2005 obscure marquée par le décès du président Eyadema et les violences pré- et post-électorales qui ont émaillé le processus devant désigner son successeur, la qualification des éperviers pour le Mondial 2006 a apporté du baume au cœur à cette nation. Le temps d’une qualification, les clivages politiques et ethniques ont été oubliées pour laisser place à la fierté vis-à-vis de cette équipe nationale.

Lors du mondial 2014 au Brésil, le Premier ministre centrafricain a voulu surfer sur la vague de la Coupe du monde pour ramener la paix dans son pays en demandant aux différents belligérants de faire une trêve le temps du plus prestigieux tournoi planétaire.

 Le football possède des vertus pacificatrices. On ne saurait expliquer les raisons mais ceci est une réalité. Si sur le plan politique, la conception d’une Afrique politique unifiée demeure à l’heure d’aujourd’hui une chimère, sur le plan sportif, notamment, dans le cadre du football, le propos doit fortement être nuancé.

Fédérer les compétences des différentes instances dirigeantes de notre football, premier pas vers une véritable Union africaine

Contrairement au début du tournoi 2018, le mondial brésilien a  révélé les tares organisationnelles et managériales de certaines fédérations africaines de football. Des maux qui ont une conséquence directe sur les prestations mais surtout sur les comportements de joueurs desdites nations. Le cas du Cameroun qui n’est pas à son premier chef d’œuvre est d’une tristesse inouïe pour cette grande Nation du football africain. C’est toute l’Afrique qui a pâti de ces comportements déplorables. Il n’y avait pas que les Camerounais qui se sont indignés car cette équipe représentait également tout un continent.

La synergie des fédérations africaines de football peut constituer une hypothèse de solution pour éviter de pareilles crises dans l’avenir. Il pourrait s’agir d’une sorte de coopération sud-sud, coopération qui est citée parmi les conditions incontournables du développement économique du continent africain. Si cette coopération sud-sud a du mal à poser les bases tant sur le plan politique qu’économique, pourquoi ne pas l’enclencher par le football ? Au moins sur ce terrain l’unanimité ou dans une moindre mesure le compromis est plus facilement trouvé car le seul et plus grand intérêt, c’est le rayonnement international du football africain.

Cette coopération pourrait par exemple se matérialiser par des échanges d’expériences entre différentes fédérations afin de s’instruire des réussites des fédérations sœurs mais également de tirer des leçons des échecs des autres fédérations. Pourquoi les dirigeants camerounais ne coopéreraient-ils pas avec leurs homologues Nigérians pour bénéficier de l’expérience de cette dernière dans la gestion de leur football ? Pourquoi la fédération togolaise ne signerait-elle pas des contrats de coopération avec sa sœur et voisine ghanéenne pour apprendre de cette dernière les raisons de ses gestions plutôt bien réussies des grands rendez-vous ?

Cette coopération pourrait même aller plus loin par la mise en place par exemple d’organisations africaines ou sous-régionales ayant pour mission de coordonner et de gérer les fédérations des différents pays pour ainsi améliorer leur qualité. Ne dit-on pas que qu’ensemble, on va plus loin ? C’est bel et bien dans ce domaine que les africains peuvent montrer au monde entier que l’Union africaine est une réalité. Il suffit de mettre en place les organes indispensables et de fixer les objectifs nécessaires à atteindre pour montrer la voie aux politiques africains.

Le rôle central du politique dans un tel projet

En effet si l’objectif de cet article est bien une « union sportive des peuples africains » pour baliser la route ensuite vers une « union politique », le rôle du politique dans une telle entreprise n’est pas moins importante. C’est une vérité que l’immixtion du politique dans les affaires du football est scrupuleusement interdite par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). Cependant avec la nouvelle stature du football, comment pourrait-il en être autrement ? L’ancien président Sepp BLATTER confessait cette réalité il y a quelques jours dans une interview.

En France après la débâcle de l’équipe nationale au mondial 2010 avec comme summum la grève de Knysna, le président de l’époque a reçu certains joueurs pour élucider les causes  de cet invraisemblable scénario. En Afrique, il est de notoriété publique que les chefs d’Etat reçoivent les joueurs leader des sélections pour discuter des problèmes et de l’avenir du football dans leurs pays respectifs.

Aussi faut-il noter, que contrairement à l’occident, la concentration du pouvoir caractérise toujours la plupart des Etats Africains. Ceci a un impact plus ou moins direct sur les organisations sportives. Les élections ou les nominations à la tête des instances dirigeantes ne sont pas exempts de coloration et de connotation politique. Le rôle du politique se trouve encore plus renforcé par le fait que les fédérations des pays africains n’ont pas d’autonomie financière et dépendent largement du budget des Etats.

Partant de ces constats, le rôle du politique peut et doit être déterminant dans la mise en place d’une politique d’intégration régionale en matière sportive et spécifiquement concernant la question du football. Tout comme les ministres des finances et de la défense se réunissent occasionnellement pour discuter entre eux, il devrait être de même pour les responsables politiques chargés du sport de nos différents pays afin de pouvoir mettre en place de stratégies et prendre des décisions allant dans le sens de l’amélioration de la qualité de nos différentes instances dirigeantes. Utopie d’un rêveur ? Réponse certainement affirmative. Mais où va l’Afrique quand ses enfants cessent de rêver ?

Giani Gnassounou

En Côte-d’Ivoire l’histoire d’Houphouët-Boigny veut-elle se répéter ?

En un petit fracas, le Président Ouattara met en pièces la nouvelle Constitution ivoirienne et repositionne le pays vers une potentielle nouvelle période d’instabilité. Morceaux choisis : «… la nouvelle constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020… la stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes »[1]déclare-t-il. Mais dans la réalité cette posture, outrageusement incarnée par ceux qui ne veulent pas respecter les termes fixés par les mandats constitutionnels, n’est en rien nouvelle. Mieux, elle est contre-productive et génère des tensions.

Sorti de Ivy League et après avoir arpenté les couloirs des grandes institutions financières, Ouattara a bâti une réputation de développeur efficace en Afrique et notamment en Côte-d’Ivoire où il a fait ses armes en politique auprès du Président Houphouëten tant que Premier Ministre. Lorsqu’il prenait les rênes de la Côte-d’Ivoire en 2010 après une longue et coûteuse crise, personne ne se doutait que la Côte-d’Ivoireconnaîtra un come-back économique. Le pays est redevenu la locomotive de UEMOA et affiche des performances économiques à faire pâlir. Après une croissance économique soutenue sur le quinquennat 2010-2015, les perspectives sont tout aussi bonnes. Selon la BAD[2], le pays connaîtrait 7,9 % de croissance en 2018 et 7,8 % en 2019, malgré une chute de 35% des cours du cacao[3]entre novembre 2016 et janvier 2017. Par ailleurs, le déficit est projeté pour être en baisse de 1 point (de 3.8% à 2.8% du PIB). L’endettement reste maîtrisé même si sa soutenabilité deviendra problématique lorsque les remboursements exigibles des euro-obligations s’entasseront entre 2024-2028. La Côte-d’Ivoireest un turbo économique qui surfe sur des investissements publics aussi structurants que dynamiques et un boom des investissements privés. Néanmoins les performances sociales et de redistribution de la croissance sont encore attendues. Et, Ouattara doit encore donner la preuve de sa bonne gouvernance en matière de sécurité et de stabilité politique. Les sautes d’humeur des mutins à Bouake et l’attaque terroriste de Grand-Bassam en 2016 rappellent fort bien que le pays est encore vulnérable sur ce plan. Ils ont tôt fait de faire sauter le verrou de la fragile stabilité avant même que Ouattara lui-même ne se prépare à assener au pays le coup de grâce avec l’idée d’un troisième voire quatrième mandat. Bien qu’il y ait une nouvelle Constitution, les compteurs des acteurs politiques et même de la population ne se remettent pas à zéro, bien au contraire, ces acteurs sont impatients.

Mieux, les germes de la crise ivoirienne n’ont pas pour autant disparus comme par enchantement. L’alliance entre le Rassemblement des Républicains (RDR) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) n’est pas une soupape sûre contre les interminables luttes de positionnement entre le clan Ouattara et celui de son allié circonstanciel, Bédié. Gbagbo est toujours à La Haye et ses partisans n’ont certainement pas bu jusqu’à la lie les appels au dialogue, lequel dialogue n’est pas encore synonyme de réconciliation. Le passif de la crise n’a pas encore pas épongé par les ivoiriens et malgré les interventions extérieures, la réconciliation devra être ivoirienne ou ne sera pas. Même les circonstances de l’arrivée au pouvoir de Ouattara appellent à la prudence et à plus d’investissement dans le processus de liquidation du passif couvé de la crise. Les protagonistes de la crise sont encore presque tous vivants. Pire, ils sont mécontents pour certains, impatients pour d’autres, à noter qu’être pensionnaire de la Haye ne rime pas avec inactivité politique.

Pour l’ascension au pouvoir du Président Ouattara, remontons rapidement dans le temps. Sur les cendres chaudes de la crise d’« ivoirité », en 2002 lors d’un putsch, un groupe de jeunes échoue à prendre la Présidence de la République mais se replie sur la moitié Centre et Nord du pays où il organise une administration parallèle. Les processus de paix de Marcoussis et de Ouagadougou vont coup sur coup produire des résultats mitigés jusqu’aux élections qui opposeront Ouattara et Gbagbo en 2010. Les résultats, contestés par Gbagbo, donnent Ouattara gagnant et plongent le pays dans une crise post-électorale pendant laquelle les exactions reprochées à Gbagbo sont perpétrées. Le pays parvient néanmoins à retrouver le chemin d’une certaine accalmie après l’installation du Président Ouattara qui déroule un quinquennat à succès macro-économique. Entre temps, il renouvèle son mandat et fait adopter une nouvelle Constitution en 2016. Parce qu’il arrive au pouvoir tel qu’il y est arrivé et malgré la paix mosaïquement maintenue sur le territoire, même la « légalité » de se présenter à de nouvelles élections ne garantira pas une légitimité à Ouattara.

Les acteurs de l’opposition ivoirienne trouvent de quoi alimenter leur réprobation contre le Président Ouattara. Si les partisans du Président atténuent le choc, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) monte au créneau et à travers son Secrétaire Exécutif se fend d’un communiqué : « Ouattara ne sera pas candidat pour un troisième mandat. C’est écrit dans la Constitution qu’au plus tard, le 5 décembre 2020, le président sortant devra se soumettre à une passation des charges avec le nouveau président »[4]. Quant à Pascal Affi N’Guessan, Président d’un camp du Front Populaire Ivoirien (FPI), il s’indigne en ces termes : « comment Ouattara peut s’imaginer un troisième ou un quatrième mandat. Ce serait même une violation flagrante de la Constitution et de la volonté exprimée par les Ivoiriens. On ne peut pas dire que l’application de la loi dépend des circonstances, des situations, ou des ambitions des uns et des autres. La loi, c’est la loi. »[5]. Le camp du Président de l’Assemblée à travers la voix de Félicien Sekongo, Président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI, composé d’ex-rebelles) « invite les Ivoiriens à se concentrer sur l’essentiel, contenu uniquement dans la sauvegarde de la démocratie, l’amélioration des conditions de vie du peuple, largement endommagées et laisser monsieur Ouattara, assis seul devant la marre à s’amuser à y lancer des pavés… »[6]. Au fond l’intérêt général et la stabilité qu’évoque le Chef de l’État ivoirien sont fortement menacés et malgré toute la mesure dans ses propos, l’avis de l’ancien Président de la Cour Constitutionnelle, Francis Wodié, le révèle : « Nous en sommes encore au stade des supputations, des hypothèses. Mais le président de la République est un homme majeur, un homme responsable qui sait ou doit savoir ce qu’il doit faire, non pas seulement pour lui-même, mais d’abord pour le pays. Donc c’est à lui de voir, de juger pour n’avoir à faire que ce qui va dans le sens de l’intérêt de la Côte d’Ivoire, donc de l’intérêt général »[7].

Mais en réalité, la position de Ouattara rappelle bien celle du Président Houphouët,qui, au nom de sa Côte-d’Ivoire chérie qu’il a bâtie de sa main et de son intelligence, a voulu garder les choses en main jusqu’à ce que la mort l’en sépare en 1993. Seulement, Ouattara n’est pas Houphouët. C’est un principe de gouvernance très usité dans nos contrées : on préfère une stabilité coûteuse au respect des principes d’alternance politique. Et, dans les pays africains où les modèles politiques sont encore à l’essai, avec une tendance accrue au rétropédalage sur les avancées démocratiques, il est bien fréquent que le chef pense qu’il est indispensable, irremplaçable et que la stabilité du pays ne tient qu’à lui. Il se fait cheviller au corps une certitude que les choses tiennent parce qu’il les maintient. Dans l’absolue hypothèse que c’est le cas, il est aussi d’évidence que lorsqu’il ne les tiendra plus, qu’avec certitude les choses vont péricliter. Et tout naturellement, les exemples foisonnent pour démontrer qu’à une administration forte et longue succède une crise qui décape tout le progrès économique construit au long des années : Côte-d’Ivoire, Gabon, Lybie, Togo, etc. Face au dilemme institutions fortes ou hommes forts, nos modèles peinent à choisir les formes résilientes qui ne peuvent en rien dépendre de la finitude des hommes mais uniquement de la chaîne générationnelle qui donne aux institutions une forme d’infinitude. Peut-être qu’il n’y a même pas de dilemme et que le bon sens voudrait que l’on s’attèle à bâtir des institutions fortes quitte à les voir occasionnellement, si bonne fortune nous arrive, sous le leadership d’hommes forts. A tout le moins, quand bien même on aurait la maladresse de les confier à des hommes faibles, la force des institutions, leur fondation légale et légitime survivront au temps.

Parce que la Côte-d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA et joue un rôle stratégique pour toute la sous-région Ouest Africaine, les autres pays doivent s’y intéresser. Ils doivent proactivement préparer leur leadership à prévenir et notamment à éviter la contagion qui commence par les exemples complaisants. Les aventures de structuration de la CEDEAO plutôt ambitieuses sur l’intégration économique et monétaire sont des enjeux assez colossaux qui dépendent d’une Côte-d’Ivoire stable, solide, prospère et où l’histoire d’Houphouëtne se répète pas.

[1]http://www.jeuneafrique.com/565618/politique/cote-divoire-comment-le-discours-dalassane-ouattara-sur-le-3e-mandat-a-evolue/  Edition n° 2995 de Jeune Afrique

 

[2]https://www.afdb.org/fr/countries/west-africa/cote-d%E2%80%99ivoire/cote-divoire-economic-outlook/

[3]Le cacao est le principal produit d’exportation du pays

[4]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[5]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[6]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[7]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/