FIFDA 2016 : Rencontre avec le cinéma du réel

Le monde est un kaléidoscope. Cylindre magique que l’on tourne dans tous les sens, et qui donne à voir des combinaisons de couleurs et de lumières aussi inattendues que fascinantes. C’est exactement ce qu’est le FIFDA, Festival International des Films de la Diaspora Africaine. Tout y est nouveau, chaque année, tant par les sujets abordés que par l’angle d’approche.

Nouveau et familier à la fois, tant les histoires présentées nous touchent dans nos vies les plus intimes : des tourments de l’exil aux amours rendues impossibles par les différences, de la difficulté de s’aimer dans une humanité multicolore à la magie de nos ressemblances.

Les réalisateurs, venus des quatre coins de l’Afrique, d’Europe et d’Amérique, vous ouvriront les yeux sur des réalités que vous côtoyez sans vraiment les voir. Rejoignez-nous du 9 au 11 septembre dans deux grands cinémas de Paris : Cinéma Etoile Lilas, et le Cinéma La Clef. Laissez-vous porter, rencontrez et discutez avec quelques réalisateurs ; vous ne reviendrez pas indemne de ce voyage.

Le programme 

Le 9 septembre au Cinéma L’Etoile Lilas : 

A 18h30, embarquement pour Image, thriller de Adil EL ARBI et Bilall FALLAH(Belgique), où une jeune journaliste désireuse de couvrir les émeutes à Molenbeek, Bruxelles, se heurte à la machine médiatique et aux impératifs d'audimat.  Un débat aura lieu après la projection. 

A 20h30, aura lieu la réception d’Ouverture, une heure avant la projection de Supremacy, de Deon Taylor(USA), à 21h30 : ne manquez pas ce thriller psychologique qui met en scène deux mondes, celui d'un jeune néo-nazi et d'une famille afro-américaine contraints de passer quelques temps ensemble. Avec le légendaire Dany Glover. Vous êtes invités au débat en présence du réalisateur qui suivra la projection. 

Le 10 septembre, au Cinéma La Clef : 

A 13h30, les Héros Invisibles de Alfonso DO’GO et Jordi TORRENT(Espagne) vous plongeront dans l'épopée de quatre vingt-cinq soldats Afro-Américains qui donnèrent leur vie, dans l'anonymat, à la défense de la République Espagnole.  

A 15h40, avec Mercy's blessing du Malgache Mamihassina RA’OZOA(Madagascar), rendez-vous au Malawi, où un adolescent rêve de s'échapper de la misère qui frappe son village avec sa petite soeur, et se retrouve confronté aux dilemmes du destin. Suivra la comédie romantique du même réalisateur, Dzaomolaza Tsy, qui met en scène un triangle amoureux dans lequel survient une grossesse, ainsi qu'un débat. 

A 19h00, assistez à la première mondiale de Nos Plumes, de Keira MAAMERI(France) : un dialogue-questionnement sur la littérature contemporaine et urbaine qu'ont introduite des auteurs comme Faïza Guène, Rachid Santaki, El Diablo, ou Rachid Djaïdani. Le dialogue se poursuivra par un débat avec la réalisatrice. 

A 21h30, retrouvez Supremacy, de Deon Taylor. 

Le 11 septembre au Cinéma La Clef : 

13h30 : La belle et tragique romance de Ben & Ara. Il est Blanc, Américain et agnostique ; elle est Noire, Africaine et musulmane. C'est au coeur de leur relation qu'a lieu le tumulte du choc des civilisations. Par Nnegest LIKKE(USA). 

15h30 : Hogtown, film le plus original sur Chicago, raconte la disparition du propriétaire d'un théâtre en 1919, lors d'une tempête de neige, avec pour toile de fond les émeutes raciales et le talent naissant d'Ernest Hemingway. Ne manquez pas le débat avec Daniel NEARING(USA), réalisateur apprécié par la critique pour la fibre artistique qui anime ses films. 

17h50 : Deux films, deux combats de femmes : celui de Nour,dont la féminité naissante crée des tensions entre elle et son père dans Printemps Hivernal de Mohamed KAMEL(Egypte), et celui de Laïla, employée d'une exploitation agricole qui se soulève contre les injustices à l'encontre des employés étrangers, dans Insoumise de Jawad RHALIB,(Maroc). 

A 20h30, La Belle Vie clôture le festival avec le passionnant retour d'une cinéaste américano-haïtienne à ses racines haïtiennes, et ses implications identitaires. Un débat avec la réalisatrice, Rachelle SALNAVE (USA/Haïti), suivra la projection. 

La Clôture de FIFDA 2016 aura lieu le 11 septembre à 20h30, avant la projection du film de clôture. 

Bonne rentrée du cinéma ! 

Retrouvez la programmation et les informations sur le site du FIFDA

What a digital world : code binaire et numération africaine

Numérique et numération africaine. Sikidy
Divination Sikidy – Madagascar
Le mot « digital », usité aujourd’hui pour désigner tous les appareils et outils, matériels ou immatériels, dérivés de la nouvelle technologie d’information et de communication qu’est Internet, est un anglicisme. En anglais, « digital system » est le processus de traitement de données construit grâce à l’encodage de tout type d’information à l’aide du code binaire, deux chiffres représentant les deux états électriques de l’ordinateur : 0 et 1.

Peut-on retrouver cette logique binaire, autrement, dans d’autres civilisations ?

Maths pour tous

Des informaticiens, mathématiciens et physiciens tels que Leibniz, Raymond Lull, George Boole, se sont basés sur le système binaire pour construire les prémices de ce qui fait l’informatique aujourd’hui. On note d’ailleurs la référence souvent faite à l’algèbre de Boole en matière d’histoire du numérique.

Là où il est né, le code binaire est associé à l’énergie électrique et aux deux états d’un ordinateur qui fonctionne correctement : l’état de non passage du courant (0), et l’état de passage du courant (1).

Le codage, autrement

 

En Afrique, le stockage et la restitution de données à travers l’utilisation d’un système numérique à deux constantes existe sous la forme que les anthropologues nomment « divination ».

Cette discipline a son équivalent en Europe, sous le nom de divination par le tarot, ou par les runes. Mais en Afrique, elle est fortement attachée à une idée qui rappelle les éléments de l'informatique : stockage des données (mémorisation), traduction en information exploitable (nombres), interprétation.

Répandue dans tout le continent, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, existe sous plusieurs variantes. Leur origine varie selon la région où l’on se trouve : le sikidy à Madagascar, le sâhil aux îles Comores, le Bamana dans la région centrale (Cameroun), le hakata en Afrique du Sud (Zimbabwe, Zambie et Botswana). Du point de vue de l’histoire des mathématiques, on attribue l’origine des systèmes de divination, du moins en grande partie, à l’expansion de la géomancie arabo-islamique (Wim van Binsbergen (2000) et Eglash (1998) )[1].

Cependant, il est intéressant de noter des différences significatives entre ces systèmes ; différences que l’on ne saurait imputer aux seuls effets de l’évolution culturelle d’un savoir originaire des anciens empires arabo-islamiques.

Les systèmes de divination mathématiques

Attention : Lire une pensée qui ne privilégie pas l’écriture comme mode d’échange reviendrait à non seulement s’exposer à de fausses interprétations, mais aussi acquérir une vision "primitiviste" de cette pensée. De quoi voir le "sauvage" tel qu'il est : cette part de nous qui reste liée au monde du vivant, à la faune et à la flore.

Ainsi, pour éviter toute interprétation teintée de primitivisme, il vaut mieux prendre en compte, dès à présent, le caractère différent, et néanmoins tout à fait égal à toute autre pensée, de la pensée développée en Afrique. Les mathématiques ne se développent et ne s’étudient pas de la même manière en Afrique que dans les civilisations gréco-romaines, pour la simple raison qu’elles ne sont pas abordées de la même manière.

Revenons-en aux différences entre les systèmes de divination. En Afrique du Nord et en Afrique de l’Est, la divination numérique repose sur trois éléments matériels : le sable, les instruments et le devin. Le sable sert de support aux outils que le devin utilisera. Les instruments seront les représentations visuelles et matérielles des données numériques qui vont être utilisées. Il peut s’agit de cailloux, de cauris, de bâtons de petite taille ou d’os. Le devin, quant à lui, est l’interprète.

1ère analogie : Je ne peux m’empêcher ici de faire l’analogie entre le sable et l’écran, les instruments de codage et le code binaire, et le devin et le processeur/serveur.

Le principe, partout, consiste à isoler des éléments générateurs, toujours en nombre pair, et, à partir de celui-ci, à dégager une suite infinie de combinaisons paires ou impaires. Partout, le système semble être le même ; mais il diffère dans le nombre d’éléments utilisés.

A Madagascar (sikidy), au Nigeria (Ifa), le devin commence par tracer, ou poser, deux objets sur le sable. Ces deux objets seront les générateurs. Il lance ensuite les objets restés dans sa main. Chaque fois, il en retirera un ou deux, jamais plus, de sorte que se met en place un système basé sur une valeur impaire et une valeur paire. Ces valeurs, dans la plupart des régions, sont appelés la fille et le garçon, et le système générateur porte le nom de mère.

En Afrique du Sud, plus particulièrement chez certaines populations comme les Shonas, les Tswana ou les Kwi, également appelés Khoï, Kua ou Khoe, le système hakata diffère dans le sens où la combinaison génératrice est composée de quatre valeurs. Ces valeurs donneront ensuite naissance à des combinaisons diverses, au nombre de 16. Le caractère binaire ici concerne les faces des bouts de bois que l’on utilise : ils ont tous une face sombre et une face claire, et il existe deux probabilités : all faces up et all faces down.

L’humanité n’a donc pas fini de s’étonner elle-même !

Rentrée du cinéma 2016 : la sélection ambitieuse du FIFDA

Le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) déballe ses valises dans les cinémas parisiens du 9 au 11 septembre, à l'occasion de la rentrée du cinéma. Nous vous invitons à l'édition 2016, qui, fidèle à la philosophie du festival, comprend cette année des perles de réalisation francophones et anglophones, où la profondeur et les relations humaines occupent le haut du pavé. Diarah Ndaw-Spech, organisatrice du festival, a bien voulu répondre à nos questions. 

 

Selon vous, quel film nous transportera, cette année ? 

Il y en aura plusieurs:

La première mondiale du documentaire de la réalisatrice Keria Maamei « Nos Plumes » qui explore le travail d’une "nouvelle vague" littéraire hétéroclite française issue des banlieues.

«Image» un thriller à propos des relations entre  le monde des média  et les quartiers populaires de Bruxelles. Le film a fait la une des salles en Belgique pendant plus de 10 semaines.

« Supremacy » un thriller avec Danny Glover basé sur une histoire vraie qui illustre vivement les tensions raciales constantes aux Etats Unis aujourd’hui.

« Héros Invisibles : Afro-Américains Dans La Guerre Civile Espagnole » une page de l’histoire de la solidarité entre les peuples devant un ennemi commun.

Pensez-vous que le cinéma est plus à même de faire passer certains messages mieux que d'autres médias comme le livre par exemple ? 

Déjà, en 1960, celui qui est considéré par beaucoup comme le père de Cinéma Africain, Ousmane Sembène, a choisi de passer de l’écriture au cinéma pour mieux faire passer ses messages. Il avait compris, déjà à son époque, la force de l’image pour communiquer plus facilement et à plus large échelle. L’impact de l’image est plus important que jamais aujourd’hui. Pas juste en Afrique, dans le monde entier !  C’est pour ça que le cinéma a un grand potentiel pour aider à faire évoluer les idées et les sociétés.

Quels sont les grands thèmes abordés cette année ? 

La grande turbulence dans nos sociétés contemporaines.  Les tensions montent, l’intolérance s’installe, l’abus de pouvoir et la corruption abondent, et les gens se révoltent contre les injustices.  Ces thèmes sont présents dans Image, Supremacy, Insoumise, Hogtown et Dzaomalaza Et Les Mille Soucis.

Les questions identitaires d’appartenance et d’acceptation sont abordées dans Nos Plumes, Ben & Ara, et la Belle Vie. 

Diriez-vous que nous allons vers un cinéma plus international, plus porté vers l'innovation ? 

Avec la globalisation, l’information circule plus que jamais. Cela peut avoir un effet de standardisation à travers les cultures.  Beaucoup de jeunes réalisateurs partout dans le monde prennent comme modèle le cinéma fait à Hollywood. Cela peut limiter les initiatives novatrices. D’un autre côté, la technologie a démocratisé cette forme d’art.  Cela permet à de nouvelles voix de s’exprimer sans dépendre d’un système qui a le pouvoir de la censure et de l'argent.  Des films indépendants comme Nos Plumes, Hogtown ou Ben & Ara sont des films d’auteurs où sont abordés des thèmes  qui les concernent les créateurs. Ces films n’auraient probablement pas pu exister sans les nouvelles technologies.  Un cinéma plus international ? Certainement. Plus porté vers l’innovation ? C’est encore à débattre.

Rendez-vous aux Cinémas La Clef (Paris 5ème, 34 rue Daubenton, métro Censier-Daubenton), et Etoile Lilas (Paris 20ème, Place du Maquis du Vercors, métro Porte des Lilas).  

Pour aller plus loin : Rendez-vous sur le site du FIFDA (www.fifda.org). 

Marthe Faré, la féministe « antiféministe » du roman togolais

Marthe Faré féministe antiféministe du roman togolaisEspoir de la littérature féminine au Togo, Marthe Faré, ancienne étudiante ès  lettre de l’université de Lomé a aujourd’hui beaucoup  mûri. Noun Faré est diplômée de l’Ecole Supérieure de journalisme de Lille et vis actuellement au Togo. Souvent vue comme féministe, entre ses différentes occupations professionnelles, elle trouve le temps d’écrire, d’assouvir sa passion et de mettre en mots certaines réalités.

Ecrivaine, femme de médias, enseignante, Marthe Faré a de multiples facettes. De La Sirène des bas-fonds, sa première expérience littéraire, une nouvelle, à Rivales, son premier roman, Marthe (ou Noun) Faré a pris de l’épaisseur dans son écriture. Celle qui revendique une filiation littéraire de Sami Tchak et de Calixthe Béyala semble aujourd’hui prête à relever de nouveaux défis dans le landernau littéraire, finalement très masculin, du Togo.

« J’écris à des heures impossibles »


Dans un milieu où la femme commence petit à petit par prendre l’entièreté de sa place, l’écrivaine reconnait la difficulté d’être en même temps femme et  auteure. Elle nous confie d’ailleurs : « J’écris à des heures impossibles. Parfois, quand je cuisine ou quand  je fais d’autres travaux domestiques, quand je suis inspirée, je n’hésite pas, je vais écrire ». Dans les sociétés africaines encore très fortement patriarcales, Noun Faré détonne par sa liberté de ton et la façon dont elle assume certaines thématiques encore « tabous » comme la sexualité ou le corps de la femme. Et si ses lecteurs tendent rapidement à l’assimiler à ses héroïnes, des femmes libres et libérées, l’auteure s’amuse de cette confusion : «  Dans la sirène des bas-fonds en particulier, le premier réflexe du lecteur, c’est souvent de confondre le « je » du narrateur et le « je » de l’auteur. Moi, j’aime jouer avec ces « je » ». Elle assure, toutefois, puiser dans son expérience personnelle des éléments qui l’aident à créer la trame narrative de ses oeuvres.

La sexualité, une thématique naturelle

Chez Marthe Faré comme chez ses modèles, la sexualité n’est pas taboue. « C’est un sujet comme un autre » déclare-t-elle de façon sentencieuse et péremptoire. Chez elle, le sexe n’est pas qu’un objet de plaisir. C’est « l’origine du monde ». Plus encore, c’est l’arme avec laquelle l’auteure veut aller vers « la déconstruction des idéaux de la famille traditionnelle ». A l’instar d’un Sami Tchak dans Place des Fêtes par exemple, l’écrivaine togolaise veut aller au-delà du mythe de la famille africaine parfaite. Elle s’insurge surtout contre le silence qui est fait autour de tragédies familiales comme le viol : « Je veux attirer l’attention sur le phénomène du viol familial qui existe aussi en Afrique » tonne-t-elle. Et pour elle, cette mise à nu ne peut passer que par la libération du corps de la femme : « le corps n’est pas le seul moyen mais il permet de renverser les rapports de force », des rapports de force imposés jusque-là par la puissance des hommes et l’apathie complice des femmes, constate-t-elle.

L’écriture au service d’un engagement social

S’il y a un concept que la femme de lettres togolaise ne porte pas dans son coeur, c’est le féminisme tel qu'il est conçu aujourd'hui. Elle affirme sans hésiter : « je suis une féministe antiféministe. «  Je suis féministe seulement pour les femmes qui veulent qu’on lutte pour elles ». Noun Faré fustige la résignation de ses consoeurs et prône un féminisme quasi guerrier sinon très militant : « notre féminité n’est pas un handicap alors nous devons nous battre à armes égales avec les hommes » conclut-elle. L’auteure se dit engagée avec son écriture dans la lutte pour l’amélioration des conditions de vie de la femme togolaise et africaine.

Par ailleurs, la réflexion sur la famille que Noun Faré mène  dans cette œuvre, soulève de grande questions comme : Quelle est la définition de la famille et de ses composantes que sont le père, la mère et les enfants ? Quelle est la nature des relations qui lient la mère à la fille d’une part et la fille à la mère d’autre part ? 

Il est une évidence que la notion de famille telle que la société traditionnelle la présentait, a considérablement évolué. Et les familles monoparentales sont plus nombreuses de nos jours. De facto, la vie sociale connait des métamorphoses que Noun Faré dépeint avec dextérité et sans détour dans la dialectique mère-fille qu’elle propose dans Rivales, titre assez trompeur car plus d’un pensera à une scène entre coépouses. Erreur ! C’est plutôt un glissement de sens qui révèle certains travers de la vie familiale.
Il se trouve que la mère n’a pas cessé d’être une fille dans son subconscient  et voit en sa fille une concurrente donc une rivale au point de tenter de dissuader le partenaire de sa fille. «  Dommage pour toi, tu es un bol homme qui traîne avec cette traîné (..). Il n’y a aucune maison du quartier où elle n’ait traîné ses fesses. Dommage pour toi. Tu racleras le fond bol… » (p.10).  
Cet acte langagier de la mère fait d’elle non plus une mère mais une rivale. Aussi cette Noun Faré dit-elle notre société où les réalités parfois dépassent les réalités fictionnelles. 
L’Absence du père donc de l’autorité régalienne  semble être à la base de cette déchéance familiale, de ce drame qui se joue sous nos yeux et sous la plume de celle que nous espérons compter parmi les grandes auteures de demain. 

La Quête de la liberté


La résignation est une mort pire que celle naturelle, semble dire Noun Faré qui  oblige Leckta à chercher des formes d’exil psychologique et affectif dans ses amitiés où elle va se libérer sexuellement parlant.
Elle a fini par s’accoutumer aux injures de la mère et la narguait. Ce qui est pour elle une forme de révolte contre la violence. « Je le connaissais déjà, ce monologue de ma mère. Je pouvais même le réciter en même temps qu’elle. C’était même devenu amusant » p14-15.
« Je fis le même geste que précédemment. Toujours le même. Celui qui m’attirait des torrents d’injures. Je passai à nouveau devant elle. (…). Cette fois-ci ma mère n’avait pas réagi. Comme fatiguée elle-même de s’acharner sur moi ».
Puis elle fit sa première expérience sexuelle avec Chikita, une amie plus aguerrie avant de connaître d’autres délices avec son petit ami. Cependant, elle garde une éthique et un respect profond pour la mère puisqu’il lui arrive de lire la souffrance de sa mère en se mettant presque à sa place. Noun Faré est une auteure dont le travail est porteur et Rivales son premier roman est à lire absolument.

                                                                                                                  Komlan Toulassi Mensah, Edem Latévi

Cet article a été rédigé à six mains avec la complicité de Anas Atakora
 

Femmes d’Afrique, reines et guerrières : quel héritage aujourd’hui ?

A l’occasion du 12ème festival Africa fête à Marseille, l’exposition itinérante « Femmes, d’Afrique », sur les figures féminines d'Afrique qui ont marqué l'Histoire, a posé ses valises dans la cité Phocéenne. Le vernissage a eu lieu le 9 juin dernier au CRIJPA (Centre Régional Information Jeunesse Provence Alpes), sur la plus célèbre avenue de Marseille, la Canebière.
Depuis bientôt 5 ans, j’entends parler chaque année du festival artistique « Africa Fête ». Je me souviens même avoir tenté de décrocher un stage dans la production de cet événement. Alors, lorsque j’ai reçu l’email promotionnel de l’édition 2016, comme chaque année, je me suis promis d’essayer de participer à l’un des nombreux concerts programmés du 10 au 18 juin. Mais cette année une représentation a particulièrement attiré mon attention : la tenue de l’exposition itinérante « Femmes, d’Afrique  ». 

A la recherche du modèle féminin

Je suis moi-même une femme, d’origine africaine, pleine d’ambition ayant été élevée par une femme africaine seule devant assurer à la fois le rôle du père et de la mère. 
Sans parfaitement connaitre les rites et coutumes de mes deux pays d’origine, le Bénin et la Guinée, je ne sais que trop bien l’importance du rôle de la femme dans ces sociétés : A la fois arme, bouclier, et parfois paillasson…
Ces dernières années, peut-être par intérêt grandissant pour ce sujet ou par hasard, j’ai vu et lu pas mal d’articles sur la femme africaine, sur LES femmes africaines. Martyres ou entrepreneures, elles attirent la lumière et leurs actions font parler d’Elles ! 
Maureen Ayité, Aissa Dione, Fatou Diome… leurs parcours me fascinent, me motivent, chaque jour. Comme elles, j’aimerais laisser ma trace, montrer que l’on peut être femme, noire et réussir ! Alors, comme en quête de conseils, d’une recette, ou de formules magiques pour atteindre cet objectif, j’ai décidé d’aller voir « Femmes, d’Afrique ». L’exposition en 32 panneaux dresse les portraits de figures féminines emblématiques qui ont impacté l’Afrique, redonnant aux femmes du continent leurs places dans une histoire et une société qui ne les présentent que trop souvent comme des victimes et non des héroïnes.

Exposition sur les figures féminines d'AfriqueMes impressions : quid des femmes africaines d'aujourd'hui ? 

De l’Antiquité à nos jours, l’exposition propose des portraits photographiés et écrit de La Yennega, Ruwej, Nzinga, la Reine Pokou, Gankabi, Naga, Les Djamila, Awa Keita ou encore Césaria Evora et bien d’autres.
L’exposition que je me faisais une joie de découvrir m’a en partie déçu. Je n’ai pas trouvé dans cette exposition ce que je recherchais. Je n’ai trouvé que de longs paragraphes, des légendes parfois lointaines.
Je me suis arrêtée sur 4 ou 5 panneaux (sur 32) que j’ai pris le temps de lire ; principalement sur des femmes contemporaines et d’Afrique de l’Ouest. Après un verre de bissap et quelques mots échangés avec le groupe Swing Mandingue, j’ai quitté l’exposition prématurément. Sans vouloir me l’avouer, je suis sortie avec une sensation de mission en partie accomplie mais tout de même inachevée, et une désagréable sensation de déception. Les figures représentées étaient bien souvent inconnues pour moi, trop éloignées. Les textes descriptifs étaient bien trop longs. Les titres n’étaient pas assez « aguicheurs ». L’ambiance, malgré les rythmes familiers joués par Swing Mandingue, n’était pas au rendez-vous… Enfin de mon côté, je ne suis pas assez rentrée dans le sujet, je ne me suis pas sentie invitée à m’imprégner des parcours qui étaient présentés… 
Cette exposition n’a pas pu satisfaire mon besoin de comprendre : Comment ces femmes ont su faire bouger les murs, quels étaient leurs défis, leurs contraintes, quelle a été leur force et leur conviction ? Et surtout, au-delà de la connaissance, quel héritage pour nous aujourd’hui ?
Ma frustration est légitime car le thème des « femmes africaines » est relativement récent comme sujet de recherche, notamment en Afrique francophone. Ma sensation de manque et d’inachevé à la sortie de cette exposition est plus liée au manque général de connaissance, ou plutôt au manque d’accessibilité à la connaissance sur ce sujet. L’exposition femme d’Afrique agit ainsi comme un levier, suscitant l’intérêt pour l’histoire de la femme africaine, pour comprendre la condition des femmes noires de nos jours et le rôle qu’elles pourraient jouer pour leur cause. 
Au-delà des icônes parfois lointaines, c’est l’évolution de la gente féminine du continent qu’il faudrait étudier, ou tout du moins analyser, pour percevoir l’héritage de siècles d’histoire. Car de l’emblématique femme africaine à la simple ménagère, chacune a dû faire avec son temps ; intégrer les valeurs transmises et les transformer face aux défis de son époque.
Il ne suffit pas de retenir qu’il exista jadis des amazones, ou que la Kahena mena une valeureuse guerre, il est nécessaire de comprendre le contexte qui les a menées à prendre cette place dans l’histoire, pour faire de même de nos jours à notre tour.


Pour aller plus loin sur le thème :
–    le site de l’UNESCO qui met en lumière certaines icones africaines : http://fr.unesco.org/womeninafrica/ 
–    Catherine COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire des Femmes d'Afrique », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 6 | 1997, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 14 juillet 2016. http://clio.revues.org/373  
L’exposition « Femmes, d’Afrique » est une exposition itinérante qui peut être louée pour un temps plus ou moins long en fonction de vos besoins ou de la durée de votre événement.
Coopération par l’Education et la Culture
19, avenue des Arts – 1000 Bruxelles
tél. : 02.217.90.71 – fax : 02.217.84.02 – info@cec-ong.org

Michelle Camara

Terre ceinte : la résistance intellectuelle face au terrorisme

Terre ceinte. Le titre de ce roman traduit une esthétique exigeante et une extrême subtilité de l'auteur quand on aborde le roman. Nous sommes sur une terre ceinte, un espace assiégé. Des miliciens djihadistes imposent leur diktat depuis plusieurs années dans une ville du Sumal, pays sahélien imaginaire. Sous la direction d’Abdelkarim Konaté, une police religieuse réprime violemment toute transgression aux lois imposées par les occupants islamistes.

Ce roman est introduit par une exécution publique. Un couple de jeunes amoureux a été pris sur le fait par les miliciens rigoristes. Devant toute la communauté, leurs parents, ces deux jeunes qui refusent de renoncer à l’amour qui les lient sont abattus froidement. Face à cette situation extrême, un groupe d’individus s'organise pour tenter de réagir, d'éveiller et de sensibiliser la population. Le projet d'un journal clandestin prend forme pour dénoncer les exactions des milices, proposer une relecture de certains extraits du texte sacré.  C'est autour de Malamine, chirurgien dans l’hôpital principal de la ville, que ce projet prend corps. Le profil de ces résistants est assez divers : Enseignant, libraire, étudiant, infirmier, informaticienne, etc.

Mohamed Mbougar Sarr. Source : seneweb.comMohamed Mbougar Sarr propose plusieurs postes d’observation des différents acteurs du drame qui secoue cette ville. Une focale est faite sur Abdelkarim, tête pensante des djihadistes, chef de la police de la ville. Dans sa description minutieuse de l’univers de cet illuminé, l’écrivain dresse le portrait somme toute assez juste d’un homme prêt à tout pour aller au bout de ses convictions, au bout de ce qu’il estime être juste… pour son dieu. Habité par un idéal divin, incarnation dans cette ville de la justice divine, il est d'une remarquable indifférence ou distance par rapport aux actes qu'il pose : tortures, mutilations, exécutions sommaires. Et l’une des forces de ce roman réside dans l'arrière-plan psychologique des protagonistes qui est décrit avec maestria et densité. Ainsi l’engagement de Malamine est ausculté avec minutie au fil des événements qui impactent directement son foyer. Figure emblématique des résistants, il est habité par une colère sourde dont le lecteur comprendra progressivement l'origine. Son épouse Ndey Joor Camara fait également partie des personnages attachants, complexes, forts de ce roman.

Dans cette ville qui fait penser à Tombouctou, la question est de savoir comment résister efficacement.  Cette élite qui refuse d'abdiquer mesure ou fait également face aux conséquences que toute prise de parole ou action peut avoir sur les événements, sur le peuple déjà oppressé.

Le jeune romancier sénégalais pose des questions très intéressantes. Il met en remarquablement en scène par exemple la radicalisation du fils de Malamine. Dans un échange d’une étonnante profondeur, le positionnement de ce fils « perdu » renvoie le père à sa responsabilité et son éloignement. Le fait qu’une telle situation touche une famille appartenant aux classes moyennes de cette ville confirme la complexité du problème et remet en cause l’unique excuse de la pauvreté. Mbougar Sarr introduit aussi la question de la prise de parole et de son pouvoir quand elle est utilisée à bon escient. Elle est à la fois le fait des élites mais aussi celle des « badauds ». Ces hommes miséreux qui, la nuit,  sont molestés parce qu'ils habitent cette dernière de leurs chants anciens.

Le journal publié de ces résistants incarne cette mise en situation avec toutes les conséquences possibles. Il est difficile de ne pas voir dans ces débats clandestins sur des thématiques touchant au peuple, son éducation, sa capacité à oser l'insurrection, l'émergence nouvelle de l'écrivain guide. Une nécessité de dire, de s'engager face l'indicible et de conduire, d'orienter la réflexion. Une approche qui semble totalement assumée. Mbougar Sarr fait partie de cette nouvelle génération qui se démarque de ses aînés qui s'employaient dans des narrations nombrilistes et qui refusaient toute assignation à écrire sur des problématiques sociétales africaines. Il participe avec Max Lobé,Elgas, ou Hakim Bah à cette prise de parole différente, nerveuse parfois, engageante toujours.

 

 

Terre Ceinte s’inscrit dans ces œuvres qui se sont construites après l’occupation de Tombouctou par Ansar Dine et AQMI. Il y a beaucoup de similarités avec le film Timbuktu du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, le roman explosif d’Ousmane Diarra (La route des clameurs). Si ce dernier rythme son roman sans concession par une colère profonde, Mbougar Sarr se démarque par une distance qui peut se comprendre : là où le malien réagit avec véhémence face à un désastre subit, le sénégalais anticipe. Il pose le problème dans toute sa complexité et autorise ainsi un échange à tous les niveaux de la société face à un danger qui peut toucher le Sénégal. Au niveau de son style, j'ai apprécié la pluralité des prises de paroles, la construction non linéaire de la narration ou encore les échanges épistolaires entre les mères des deux amoureux suppliciés.

Je note une étonnante similitude dans ces trois œuvres produites simultanément : l'intellectuel est le cœur du sujet dans ces trois histoires. Le politique ne l'est pas.

Mohamed Mbougar Sarr, Terre ceinte
Editions Présence Africaine, première parution en 2014, Prix Kourouma 2015, Grand Prix du roman Métis 2015

Lareus Gangeous

 

 

L’art contemporain africain, langage de l’engagement

L'art contemporain africain, comme partout, demande du temps pour mûrir et être reconnu. C'est justement à la reconnaissance des particularités de l'art africain qu'Aude Minart, gérante de la Galerie Africaine, dédie sa carrière. Après sept ans passés sur les routes du continent, sept ans qui ont "révolutionné sa vie", cette galeriste itinérante porte sous le bras les oeuvres nées de talents du Togo, du Sénégal ou du Soudan, entre autres, pour les exposer à travers l'Europe. Elle est messagère d'une Afrique résolument moderne et tournée vers l'avenir, sans être porte-parole: les oeuvres, pièces rares et inattendues, parlent d'elles-mêmes. Entretien au coeur de la mairie du XVIème arrondissement de Paris, où se tient l'exposition l'Afrique au-delà des Masques. 

Art contemporain africain- exposition
Exposition l'Afrique au-delà des masques, jusqu'au 8 juillet.
L'art à bras-le-corps

Dès son retour en France, Aude Minart décide de prendre un tournant dans sa carrière de publicitaire et de réaliser quelque chose qui soit en rapport avec le continent africain. Après avoir essuyé quelques objections de la part des galeries françaises, elle décide de repeindre son appartement et d'y exposer les oeuvres qu'elle a glanées. L'effort porte ses fruits, et bientôt de nombreux peintres trouvent leur place dans Paris. Ils sont très vite sollicités par les dispositifs d'accompagnement des artistes en France et en Europe. Yao Metsoko(Togo), Birame Ndiaye(Sénégal), Julien Sinzogan(Bénin) : autant de noms qui résonneront bientôt dans les esprits des passionnés d'art d'Europe et, qui sait, d'Amérique du Nord. 

Difficile de parler d'Afrique à l'extérieur quand le continent est souvent abordé comme un seul bloc où les populations se ressemblent. Une confusion dans laquelle Aude Minart ne risque pas de tomber : quand elle parle d'Afrique, c'est bien du continent, qu'elle connaît bien pour l'avoir exploré sous différentes facettes, coté anglophone et francophone. Deux cotés qui, selon elle, ne sont pas plus différents par leur passé colonial que par des enjeux plus profonds, comme le besoin d'investissement des autorités dans l'accompagnement et l'encadrement des artistes, tout comme le besoin d'acquéreurs locaux pour les oeuvres. "La reconnaissance des artistes ne doit pas se faire systématiquement à l'extérieur du continent : ce dont nous avons besoin, c'est que l'acquisition par des collectionneurs locaux soit plus encouragée". 

Les grands thèmes 

Dénoncer la corruption, les conditions de vie sur le continent et dans les banlieues : la peinture africaine reste très empreinte d'engagement politique, comme le précise Aude Minart. Ce qui est normal, étant donné le contexte de certains pays. Tout art n'est-il pas, à l'instar de la littérature, le langage d'un engagement ? Sur une toile de jute où l'on peut encore lire "Ghana Cocoa Board", les personnages hybrides de Yao Metsoko, entre l'homme politique en cravate et la pintade ou le margouillat, comme une satire visuelle qui empreinte au cubisme, font sourire. En face, Birame Ndiaye, en peignant à même des affiches arrachées aux murs, revendique le street art, et dans le box d'à coté, les photographies de Emeka Udemba (Nigéria) montrent sur leur lieu de travail des vigiles et des agents de sécurité, qui ne sont pas sans rappeler le roman de Gauz, Debout Payé. 

Tandis que je contemple des ventilateurs de Lamyne M (Cameroun),  aux hélices délicatement enveloppées de différents tissus du monde entier, évocation du réchauffement climatique et de l'écologie, Aude Minart souligne l'orientation universelle que prend l'art africain comme engagement et moyen d'expression, malgré un encadrement encore hésitant. 

Artiste : le métier impossible ?

 "Il est difficile d'en faire un métier quand on sait que les Beaux-Arts n'existent pas partout ; ils existent au Sénégal, et dans certains pays d'Afrique anglophone, et c'est en cela que certains pays d'Afrique sont différents, bien plus que par leurs langues officielles héritées des colons. Cependant, les vocations n'en meurent pas pour autant, et je suis impressionnée devant la ténacité de ces artistes ancrés dans les technologies actuelles, que tout contrarie et qui émergent chaque jour de plus en plus nombreux. ",

souligne la galeriste. 

Les prochains rendez-vous de la Galerie Africaine auront lieu à Paris : Migrations, du 28 juin au  23 juillet, Galerie Mailletz, au 17 rue du Petit Pont, Paris 5ème, et l'exposition de Yao Metsoko, du 9 au 25 juillet, 19 rue du Pont Louis-Philippe, Paris 4ème.

Courez-y : bouleversements garantis ! 

Visitez le site de la Galerie Africaine : www.lagalerieafricaine.com

Touhfat Mouhtare

Livre : Jussy Kiyindou et l’aller-retour en soi

Etrange construction que le texte de Jussy Kiyindou. Encore un congolais. Pour mon plus grand plaisir car j’avais le sentiment que les plumes congolaises trop fragiles, se brisaient au contact du papier. Les textes publiés étant d’une profonde médiocrité. Avec Kiyindou, c’est le crépuscule d’une nouvelle génération, la formation lointaine d’une vague venant d’Afrique centrale…

Quand tombent les lumières du crépuscule est une auto-fiction. Le genre fait des émules dans l’espace francophone. On a aimé le camerounais Eugène Ebodé. On a relu Théo Ananissoh dans ce type de narration où le lecteur pris au piège de l’écrivain tente de démêler le vrai du faux. Exercice naturellement vain et puéril puisque le lecteur distant ne maîtrise aucune clé de décryptage. Dans l’ouvrage de Jussy Kiyindou la frme prend, en y repensant, une forme particulièrement exquise. Ici, nous suivons un jeune français d’origine congolaise. Ou un jeune congolais ayant grandi en France. Le suivre est en soi une mission périlleuse puisque l’on ne sait jamais trop bien à quelle période de sa vie on se trouve. 2008. 2009. 2014. Sont-ce des dates. On a même des mois. Kinsoundi. Saint-Germain-des-Prés. Rouen. 1997.

Jussy Kiyindou - credit Présence Africaine
Jussy Kiyindou – credit Présence Africaine

Je cherche la trame. Le personnage lui se cherche. C’est sûrement pour cela que ce roman n’a pas de trame. Pas de commencement. Pas de fin. Des questions… Un repère central. Le grand père qui vient de mourir. Non, il est mort il y a quelques temps. Grand-père auquel on s’accroche dans une croyance farouche, bien bantoue, celle du culte des ancêtres. Les morts continueraient d’accompagner les vivants et il serait possible de communier avec eux… Ce roman qui est construit comme une errance où les jeunes femmes que rencontrent Jussy ne sont que des lieux de passage, des exutoires dont la mission n’est pas de recueillir la confidence, la douleur, l’enfermement du personnage central. C’est le récit d’une non rencontre. Et c’est assez troublant.

Pourquoi? Parce que ce jeune homme possède, ou plus prudemment, semble posséder tous les codes de l’intégration. Il ne manque pas d’ambition. Il évolue dans un milieu où il pourrait véritablement prendre ses marques dans la terre d’accueil. Mais la contemplation du patriarche prend une forme oppressante.trame. Pas de commencement. Pas de fin. Des questions… Un repère central. Le grand père qui vient de mourir. Non, il est mort il y a quelques temps. Grand-père auquel on s’accroche dans une croyance farouche, bien bantoue, celle du culte des ancêtres. Les morts continueraient d’accompagner les vivants et il serait possible de communier avec eux… Ce roman qui est construit comme une errance où les jeunes femmes que rencontrent Jussy ne sont que des lieux de passage, des exutoires dont la mission n’est pas de recueillir la confidence, la douleur, l’enfermement du personnage central. C’est le récit d’une non rencontre. Et c’est assez troublant.

Ecrit dans une forme littéraire très classique par ce jeune auteur de 25 ans (entendons-nous bien, je parle de l’écriture, pas de l’architecture de l’oeuvre qui en porte toute la richesse) Kiyindou me fait penser à un autre romancier congolais de talent, Wilfried N’Sondé qui a abordé l’écartèlement culturel dans une approche assez similaire dansle coeur des enfants léopards, mais un contexte complètement différent. Celui attendu de la banlieue. Kiyindou dépasse cette étape. Son lieu d’interpellation n’est pas la cellule froide d’une garde à vue mais la marche forcenée d'un jeune africain après un coït satisfaisant. Ce roman n’a pas de début. Il n’a pas de fin. Il a des questions. Il traduit une triste errance solitaire.

Jusqu'à quand? L’important pour Kiyindou semble être le mouvement. Avancer. A tâtons. Mais avancer tout de même.

Jussy Kiyindou
Quand tombent les lumières du crépuscule
Editions Présence Africaine, Parution 2016

La lente évolution de l’édition numérique africaine – volet 1

Quid de l'édition numérique en Afrique ? Une étude a été réalisée sur la période du 15 mai 2015 au 15 octobre 2015 dans le cadre d’une thèse professionnelle en marketing digital portant sur les leviers de promotion pour une plateforme de livres numériques. Elle porte essentiellement sur les maisons d’édition localisées en Afrique francophone ou spécialisées sur le monde africain. A partir des plateformes Afrilivres et Francographies, une soixantaine d’éditeurs référencés ont été identifiés, accessibles par les moyens du numérique. 20 maisons d’éditions ont bien voulu répondre à nos questions, soit 34% des sites identifiés. Avant d’éplucher les données recueillies, nous avons tenu à réaliser une photographie de la présence de ces acteurs du livre sur le web francophone.
 

Chiffres clés et Infographie 


Numérisation de l'édition africaine : infographie

Il est important de noter le caractère jeune des maisons d’édition dédiées aux lettres africaine L’historique éditeur Présence Africaine a été créé en 1947. Le chiffre de 66 éditeurs représente le nombre d’acteurs de l’édition répertorié dans le cadre de cette enquête. Nous avons tenu à traduire le niveau d’expérience respective.

Le catalogue moyen de ces maisons d’édition contient 237 livres en tout genre. En phase de développement, l’éditeur Athéna Diff (Sénégal) récemment créé en 2014 comprend une douzaine d’ouvrages (chiffres recueillis sur la période de l’étude) tandis que la maison d’édition Chihab (Algérie) compte le catalogue le plus fourni de nos interlocuteurs.

Chiffres : ventes annuelles

Ces chiffres sont très fluctuants d’une maison d’édition à une autre. De plus, ils sont augmentés pour certains éditeurs qui comprennent dans leur catalogue des manuels scolaires (à l'instar des éditions Chihab, en Algérie ou Eburnie Editions en Côte d’Ivoire). Il est essentiel de souligner que le modèle économique des plus grandes maisons d’édition localisées en Afrique et qui se sont exprimées dans le cadre de cette enquête, repose sur le marché du manuel scolaire et des ouvrages scientifiques et/ou universitaires. La littérature générale n’est réellement bankable que lorsqu’un roman rentre dans le programme d’enseignement général ou technique de l’éducation nationale d’un pays. Pour peu qu’il ne soit pas aux prises avec le piratage et le photocopillage de masse. Donc les chiffres ci-dessus sont plutôt encourageants dans leur globalité.

Nous sommes en présence des chiffres de l’année 2014 en termes de publications par maison d’édition, soit 22 publications en moyenne. Certaines données relatives à la publication peuvent paraître importantes. C’est le cas pour les Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA) qui font un travail de numérisation constant et acharné (155 publications en  2015). Les données de publications annuelles sont logiquement importantes pour cet acteur singulier du livre en Afrique. De manière générale, il faut compter en moyenne une vingtaine de publications annuelles par maison d’édition. 

Ligne éditoriale

35% des éditeurs choisissent de s’enfermer dans des silos nationaux comme l’éditeur comorien Cœlacanthe basé en région parisienne. Il y a donc pour ce type d’éditeur la volonté de ne promouvoir que des auteurs venant des îles Comores, choix respectable. La réticence pour les solutions numériques est donc naturelle pour ce profil d’acteurs du livre. Il existe même des cas d’éditeurs centrés sur une littérature régionaliste. En considérant que pour beaucoup d’éditeurs locaux, un lien étroit existe avec l’éducation nationale et le besoin d’avoir des ouvrages pédagogiques produits localement ou répondant à des besoins spécifiques. La stratégie de ces éditeurs nationaux ne se soucie pas de la nécessité d’élargir le cercle du lectorat. Toute solution technique poussant le développement d’un réseau n’est d’aucun intérêt dans ce cas de figure.

Malgré les résistances que les plateformes de numérisation constatent dans leur travail de démarchage et d’engagement des éditeurs locaux sur le continent ou pour les éditions africaines en Europe, il est important de réaliser que 60% des éditeurs sont favorables à la numérisation de leurs fonds éditoriaux. Mais il est essentiel d’entendre les points d’inquiétude que mentionnent les autorités publiques, les éditeurs ou les écrivains quand ils sont questionnés.


 La transparence autour des données commerciales

 
1. Le point de vue des éditeurs 
Les retours des éditeurs qui tentent de s’essayer au numérique sont très intéressants. Par exemple, un éditeur explique lors du salon du livre de Genève (avril 2016) ses déboires avec Amazon. Cette plateforme propose un processus de numérisation assez rapide et automatisé. Mais quand l’éditeur progresse dans sa relation avec Amazon, le constat d’une impossibilité d’avoir un suivi détaillé des ventes sur les échantillons numérisés par le géant américain du numérique. Cela peut paraître étonnant, mais cela dénote pour cet opérateur d'un manque d’accompagnement des petits éditeurs censés enrichir la longue traîne par un contenu diversifié. Ce questionnement, cette inquiétude est aussi le fait de certaines autorités dans le domaine du livre comme Ibrahima Lo (directeur du livre et de la lecture au Sénégal) qui exprime une réserve sur une numérisation non contrôlée. Une volonté de contrôle légitime pour ce représentant de l’état sénégalais dans le conseil d’administration des Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, éditeur historique de grands classiques de la littérature africaine comme Une si longue lettre et Un chant écarlate de Mariama Ba, La collégienne de Marouba Fall, Le revenant d’Aminata Sow Fall…

2. Le point de vue des auteurs 
En questionnant quelques auteurs, il est surprenant d’entendre le peu d’intérêt, l’attention distraite qu’ils prêtent à la question du livre numérique et de leur droit lié à la propriété numérique. Certains ne font d’ailleurs pas attention en signant leur contrat d’édition aux clauses relatives au volet numérique de leur droit d’auteurs. Ce qui peut donner des pourcentages de rémunération de l’œuvre étonnamment bas (i.e le cas d’un auteur rémunéré à 2% sur le prix d’achat de son livre). Ces pratiques qui peuvent relever de l’escroquerie donnent le sentiment aux écrivains que ce qui se vend bien et mieux, au final, c’est le livre papier. A un point tel que de nombreux écrivains vivants et édités dans de grandes maisons d’éditions européennes ne semblent pas se soucier de la présence de leur œuvre au format numérique. Il semble donc y avoir de la part des auteurs une méconnaissance ou un désintérêt pour le sujet. Le rapport au livre papier, ouvrage matériel, y forcément pour quelque chose. Mais, dans le cadre de la rencontre d'un public, est-il logique pour des acteurs qui produisent des œuvres dans un environnement où la chaîne du livre n'a jamais fonctionné de n'avoir qu'une corde à son arc. Si on doit rajouter la question des ayants droit sur certaines œuvres appartenant au pantheon des lettres africaines, ayants droit qui parfois peinent sinon s'opposent à toute forme de numérisation de quelques grands auteurs, nous nous retrouvons face un contenu du catalogue numérique des littératures africaines peu fourni pour ne pas dire pauvre et rebutant pour les primo e-lecteurs.

 

 

Catalogue de l'édition numérique africaine 


Catalogue de l'édition numérique africaine

Sur le niveau de numérisation des fonds éditoriaux, les chiffres sont assez révélateurs d’une forme de réserve des éditeurs. En abscisse, nous avons le pourcentage de numérisation de fonds éditoriaux et en ordonnées, les valeurs proposées nous permettent de nous représenter le nombre d’éditeurs par niveau de numérisation. Plus de la moitié des éditeurs locaux africains n’ont pas procédé à une numérisation de leurs fonds éditoriaux. Nous passons à 71% de ces éditeurs si nous étendons notre regard à ceux dont 5% du catalogue est numérisé. A noter que l’intégralité du catalogue des Nouvelles Editions Numériques Africaines est numérisée. Néanmoins, cette étude souligne tout de même que 60% des éditeurs interrogés dans cette enquête estiment que le numérisation des œuvres est une opportunité pour la chaîne du livre en Afrique.

Nous aborderons dans un prochain article les axes de résistance à la numérisation relevés par les éditeurs.

Laréus Gangoueus

Cet article est extrait de la thèse professionnelle de Réassi Ouabonzi, sur le thème "Quels leviers du marketing digital pour la promotion d'une plateforme de livres numériques en Afrique" – MBA Marketing et Commerce sur Internet – Institut Léonard de Vinci, Paris la Défense
Les chiffres ci-dessus cités ont été obtenus à partir d'une enquête réalisée auprès de 23 éditeurs basés sur le continent Africain ou étant spécialisés sur les littératures africaines.
Voir l'infographie reprenant tous les chiffres ci-dessus et complétée par d'autres pointsest consultable en ligne en cliquant ici

 

Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

Art contemporain africain au Dak’Art 2016 : coups de coeur

Dak'Art 2016-Art contemporain africain : L'homme clous d'Alexis Peskine


L'homme-clous, d'Alexis Peskine

Pour les amateurs d’art contemporain africain et les artistes, la Biennale de l’Art – Dak’Art est un événement important à inscrire dans les agendas. Ayant lieu tous les deux ans dans la capitale sénégalaise, elle s’étale sur un mois, trente jours durant lesquels Dakar vibre au rythme de la création artistique. Instituée en 1989 par l’Etat du Sénégal (avec une seule édition dédiée aux Lettres en 1990), elle aura pour volet l’art contemporain deux ans plus tard, en 1992, avant de se tourner définitivement vers la création africaine contemporaine en 1996. Sans faire ma chauvine (sisi un peu quand même !), le Dak’Art subsiste vingt – six ans encore, bon an mal an, car c’est l’un des seuls événements ayant lieu en terre africaine qui met à l’honneur les créateurs africains. 

Petite, je ne me rendais pas compte qu’une telle manifestation se tenait dans nos murs. Je passais devant la galerie nationale, qui se situait à quelques encablures de mon ancien collège, en jetant un œil distrait à ce lieu brillamment éclairé et empli de tableaux. Mais en grandissant, j’ai pris la mesure de cet événement de haute facture. Son logo, créé par feu Amadou Sow, peintre, sculpteur et artiste graphique sénégalais, subit à chaque édition une légère modification, mais la trame reste la même.

L’édition 2014 m’avait trouvée en sol sénégalais, et lorsque ma venue au pays a coïncidé avec l’édition 2016, je me suis dit que décidément j’étais bénie des dieux !

 

Réenchanter la ville

Avec comme thème le réenchantement, la 12ème édition du Dak’Art avec comme commissaire Simon Njami, enchante les innombrables visiteurs qui prennent d’assaut les « OFF » dispersés aux quatre coins de la capitale.

"La cité dans le jour bleu", l’exposition phare du Dak’Art, est la première que j’ai visitée. Installée dans l’ancien palais de justice, sis au Cap Manuel, haut lieu symbolique de la vie politique du Sénégal post – indépendance, mais dans un état de décrépitude avancé, regroupe une palette de créations répondant au thème choisi sous fond bleu, pour coller au thème. Salles d’audience réenchantées en galeries d’art, le lieu est méconnaissable et fait peau neuve.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016 : trône des dictateurs déchus
Le trône des dictateurs déchus – Dak'Art 2016 – crédits photo Ndeye F. Kane
Homme-clous et souvenirs de dictature 

Au rez – de – chaussée, l’on tombe sur un portrait grandeur nature fait à partir de clous d’un homme qui vous fixe et semble vous suivre du regard à mesure que vous vous déplacez dans l’édifice. Ce portrait, œuvre de l’artiste Alexis Peskine, continue dans la lignée de la création personnelle de l’artiste : l’acupeinture, où les clous, le bois, et la peinture sont mixés pour donner un mélange éclectique. En traversant la cour du bâtiment, l’on accède par une porte mitoyenne à une grande salle où trône un trône recouvert de velours rouge et surmonté d’un aigle doré … Le trône d’un empereur, dirait – on. L’artiste Fabrice Monteiro invite le visiteur à une réflexion autour des dérives du pouvoir. Des hauts-parleurs distillent des bribes de discours de dictateurs déchus tels que Mobutu, Idi Amin Dada … En partant, le visiteur peut laisser quelques mots dans le livre d’or intitulé ‘Vox Populi’ (la voix du peuple) …

A part l’ancien Palais de Justice, l’exposition qu’a proposée l’artiste Pascal Nampémanla Traoré a largement valu le détour. Sise dans une cour en plein centre-ville dakarois et intitulée Daily Report, elle est essentiellement faite de dessins sur papier journal. Le journal, cet élément faisant partie intégrante de nos vies et qu’on jette une fois « consommé », à savoir lu. Pascal lui donne une seconde vie et nous pousse à voir d’un œil nouveau ce support de lecture. Masques, dessins, portraits sont habilement réalisés dans un savant mélange d’encre et de café. L’artiste réussit un coup de maître dans son « café de l’info » au goût doux-amer.

Art contemporain africain - Dak'Art 2016
Galerie Antenna – crédits photo Ndeye F. Kane
L'or du temps 

La Galerie Antenna n’a pas été en reste dans cette programmation du Dak’Art 2016. Située en plein centre-ville dakarois, à quelques encablures du palais présidentiel, elle a offert une intéressante programmation sous le signe de l’or du temps. Papi, jeune artiste sénégalais dont les tableaux revêtent un délicat liseré doré, a exposé ses tableaux dans la galerie. Portraits (notamment du célèbre photographe Malick Sidibé), scènes de vie, tableaux à thèmes ont constitué l’essentiel de sa production mise à disposition chez Antenna. Maud Villaret, jeune artiste française travaillant autour du wax à travers sa marque Toubab Paris, a aussi exposé ses créations dans la galerie. Colliers, broches, bracelets, véritables œuvres d’art mixées avec du jean, des pierres Swarovski pouvaient être admirées dans la galerie. Comme quoi, la galerie ce n’est pas uniquement des peintures et des sculptures !

 

L'art au secours de l'Histoire

Rufisque, ville située à 25 km au sud-est de Dakar, est une localité empreinte d’Histoire(s). Ancienne commune de plein exercice du temps de la colonisation au même titre que Dakar, Gorée et Saint – Louis, elle est dans un état de délabrement avancé. Les édifices coloniaux, vieux de plusieurs décennies, n’ont jamais été restaurés ou même remplacés. Boubacar Touré Mandemory, photographe issu de la ville, mène depuis longtemps un combat de sensibilisation pour la sauvegarde de ce patrimoine historique. Pour les besoins du Dak’Art, il s’est entouré d’un collectif de jeunes photographes. Avec l’appui de la fondation Sococim, les photographies sont exposées au Centre culturel Maurice Guèye et redorent le blason de cette vieille ville qui a vu passer d’illustres hommes tels que le romancier Abdoulaye Sadji.

Ces quelques expositions visitées ça et là à travers Dakar constituent l’essentiel de mes plébiscites pour le Dak’Art 2016. Pour le moment … Car il faut bien que le réenchantement dure encore longtemps, pour coller au thème de cette biennale 2016 !

Le Grand Palais consacre le photographe malien Seydou Keita

Homme a la fleurL’exposition au grand palais sur Seydou Keita est l’occasion de revenir sur l’œuvre d’un photographe qui a été et reste une grande source d’inspiration pour bon nombre de photographes sur le continent et en dehors. Ce pionnier de la photographie africaine est né en 1921 dans ce qui était encore le Soudan Français (actuel Mali). Son sens extraordinaire de la mise en scène, sa maîtrise de la lumière et du cadre feront de lui le photographe officiel du jeune Etat malien lorsque le soleil des indépendances se mettra à briller. Aujourd’hui, il devient le premier photographe africain exposé seul au Grand Palais.

Un autodidacte brillant

Le parcours de Seydou Keita est d’abord celui d’un brillant autodidacte. Il commença à l’âge de 12 ans, à s’exercer sur un Kodack Bronwie Flash. Il apprit çà et là les bases du métier à une époque où le métier de photographe était peu commun. C’est sans doute pourquoi, il devient d’abord menuisier pour gagner sa vie. La photographie ne le quitte pas pourtant et en 1948, il ouvrit un studio de photo qui suscite très vite un véritable engouement et dans lequel le tout Bamako venait prendre la pose. On raconte qu’il pouvait recevoir jusqu’à 40 clients par jour. Apprécié pour la qualité de ses photos, il avait dans son atelier de très nombreux accessoires (des costumes, des lunettes, une radio, des bijoux et même une vespa etc.) qui permettait d’embellir ses modèles. Ce parcours, exempt de tout formatage, apporte à ces portraits un éclat de modernité.

Un regard moderne

La carrière de Seydou Keita s’étale de 1948 à 1977. C’est l’époque des grandes aspirations où l’on rêve d’indépendance, de progrès et de modernité. L’œuvre de Keita est l’écho imagé de la société malienne d’alors. L’artiste ne se contente pas de fixer le réel, de voler au temps un moment fugace mais, il va chercher à faire sortir le meilleur de chaque modèle. Chez lui tout est calculé. Il est un « témoin actif » qui, à travers une mise en scène précise, embellit pour saisir l’esprit de l’époque. L’exemple le plus frappant de cela est son portrait de « l’homme à la fleur ». C’est le portrait d’un homme d’une vingtaine d’année, portant un costume blanc avec une cravate rayé, une fleur à la main, un stylo dans la poche, des lunettes imposantes sur la figure et une montre bien apparente. C’est là un contraste absolu avec les photographies coloniales, prises en frontale et n’ayant qu’un but ethnographique. C’est l’affirmation d’une fierté retrouvée et d’une modernité qui se veut à l’avant-garde et qui tourne la page coloniale en interrogeant les coutumes de la société malienne. Au-delà de cette modernité, la touche Keita s’exprime clairement dans le choix des fonds (souvent des tissus). C’est aussi ce fond qui fait la singularité de son œuvre.

Une œuvre immense

L’exposition au Grand Palais est riche de 300 tirages (formats 50 x 60 cm et 120 x 180 cm). Ce sont des tirages argentiques modernes et d’époque. Toutes ces photos ont été prises entre 1948 et 1962. En 1962, il devient le photographe officiel de l’état malien. De cette période, nous n’avons aucune trace. Peut-être ces photos ressurgiront-elles un jour ou l’autre. Nul doute qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir encore sur le travail de Seydou Keita. En attendant, on pourra admirer l’œuvre de ce grand photographe au Grand Palais jusqu’au 11 juillet.

 

Amadou Beydi Sangaré

Genèse des viols de masse en RDC

Cette analyse est le fruit de la lecture du récit de Joseph Mwantuali, tiré de l'histoire vraie de Coco Ramazani, une femme congolaise rescapée du conflit qui ensanglante l'Est de la RDC depuis bientôt 20 ans.
 
 

CocoRamazani4L’universitaire Joseph Mwantuali était en quête de données sur les  violences auxquelles les femmes de l’est de RDC doivent faire face depuis la première rébellion qui a suivi la chute de Mobutu. C'est au détour d’un échange dans une famille congolaise, qu'il fait la connaissance de Coco Ramazani. Réfugiée aux Etats-Unis, cette femme congolaise est porteuse du VIH et elle passe par plusieurs tentatives de suicide. Elle a fui l’Est de la RDC et Mwantuali va progressivement recueillir son témoignage qu'il va d'une main de maestro retranscrire.

Il s’agit donc d’un récit, d’une histoire vraie, un parcours quelque part dans le far east congolais. Avant de présenter ce texte, j’aimerais tout d’abord saluer l’écriture de Joseph Mwantuali. Il réussit la prouesse de proposer un texte maîtrisé, avec une plume d’une extrême qualité, sans fioriture sur le plan du style, totalement au service de la narration de Coco Ramazani. Cet effacement de l’intermédiaire, du porte-voix au service de la victime est remarquable et je tenais à le souligner.

Du point de vue de sa structure, ce texte pourrait être découpé en trois parties : Le contexte familial et social nébuleux dans le contexte qui précède la chute de Mobutu, son vécu au coeur d'un mouvement rebelle (RCD) – La vie après la guerre en exil. Le tout n'est pas forcément chronologique.

La vie avant l'occupation rwandaise et ougandaise

La première partie du récit de Coco Ramazani porte le témoignage de son enfance. Celle d’une enfant a perdu sa mère très tôt. En une quinzaine d’années, c’est plusieurs environnements qu’elle va côtoyer étant parfois soumise à la misère la plus profonde où le système « D » (Débrouillez-vous pour vivre) est insuffisant pour traduire ce contexte hostile. Fille menue, chaque fois que Coco Ramazani débarque chez une de ses sœurs, c'est pour les tâches domestiques, pour prendre soin des rejetons de ses soeurs, elle est la bonne à tout faire en incapacité de partager ses challenges personnels, les premières prédations masculines.

Joseph E. Mwantuali – source Présence Africaine

C'est aussi le propos d’une femme qui exècre profondément son père pour avoir livré sa très large progéniture (22 enfants, pour 5 épouses) à la misère la plus profonde. Un père disparu très tôt dans un accident de circulation. Et une famille paternelle qui laisse la charge des enfants en bas âge aux aîné(e)s tout en s’appropriant tous les biens matériels récupérables du défunt. La légendaire solidarité africaine…

Cette première phase est particulièrement instructive et elle ressemble aux descriptions qu’un Jean Bofane ferait de la vie des petites gens à Kinshasa dans  son fameux roman Mathématiques congolaises. Elle explique aussi certains choix incompréhensibles que fera Coco Ramazani plus tard. Un point dominant de cette période qui se termine avec l’arrivée des troupes Rwandaises à Bukavu, est l’harcèlement sexuel dont elle – adolescente pré-pubère – va faire l’objet par un pasteur évangélique pédophile. La solitude de l’orpheline, les mauvais traitements, une forme de reconnaissance vont enfermer la jeune femme dans cette relation perverse. Les figures masculines sont donc mises à mal à juste titre. Entre le père qui se reproduit à satiété, le frère aîné qui refuse d’assumer l’héritage paternel fait d’une ribambelle de bouches trop nombreuses à nourrir, le pasteur prédateur sexuel, des enseignants qui exercent un droit de cuissage sans vergogne et ni retenue, l’homme décrit tout au long de cette première phase dite pacifiée est déjà en guerre contre la gente féminine…

Une femme dans le mouvement du RCD : le viol comme arme de travail

Le problème que pose ce récit est illustré par la violence organisée au sein même du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Nous sommes là, c'est ma lecture, dans la genèse des viols de masse en RDC. Pour rappel, ce mouvement politique qui va connaître deux mouvances, à savoir celle de Goma (pro-rwandaise) et celle de Kisangani (pro-ougandaise) est un produit de la deuxième invasion que va connaître la RDC. Un mouvement politique avec des pantins congolais à sa tête pour servir de caution sinon de couverture à une exploitation des ressources assaillants étrangers qui ne retombent dans la première erreur de partir jusqu’à Kinshasa.

Coco Ramazani, secrétaire, agent administratif, n’a pas de protecteur attitré au sein de ce mouvement qu'elle a intégré après une ou deux années universitaires. A plusieurs reprises, elle fait l’objet de viols par les dirigeants de ce parti qui a la prétention de diriger ce pays. Naturellement, n’importe quel lecteur phallocrate objectera en soulignant "pourquoi reste-t-elle dans le mouvement ?". Et je pense que c’est tout l’intérêt de ce récit que je ne peux dévoiler complètement. Le contexte de la guerre fait que la jeune femme n’a que très peu de marge de manœuvre lorsqu’elle se retrouve à Kisangani, loin de sa famille, sans ressource dans un mouvement qui prend bien soin de ne pas rémunérer ses employés, les livrant à la merci des responsables. Parler de genèse de viol de masse peut paraître excessif, et ce n'est pas le propos de Mwantuali. 

Là où l’ouvrage devient très pertinent, c’est dans le partage de la petite femme de rien du tout. En dehors de subir certaines agressions, elle observe les valeurs de ces « rebelles », ces gros cervaux qui ambitionnent constituer une alternance crédible pour ce pays et qui se prostituent auprès de l’occupant étranger. Des hommes capables pour sauver leur peau lors de l’évacuation de Kisangani – après la destruction du siège de leur mouvement par les Rwandais – d’abandonner une demi-douzaine de femmes congolaises de leur mouvement (dont Coco) dans un camp bourré de soldats ougandais ? Faut-il vous faire un dessin ?

Le viol des femmes en RDC est une image terrifiante de celui de ce pays par ses élites corrompues. De la même manière que les violeurs du RCD Kisangani, selon la narration proposée par Joseph Mwantuali, disposent des femmes comme d’objet à disposition – dans un autre contexte on aurait parlé d’esclaves – ces élites prédatrices se servent pour leur satisfaction personnelle des richesses de ce pays trop doté par la nature. Mais il me semble que le plus douloureux ici, c'est la récurrence du viol. Comme ces femmes, la RDC est dans un rapport constant d'exposition à l'agresseur sans que des mesures de protection ne soient conçues par ses leaders politiques, proposées aux populations, aux femmes avant tout.

 

Au-delà du cas de la RDC, Tu le diras à ma mère de Joseph Mwantuali interpellera chaque lecteur. Si la violence ici décrite est crue et nous retourne l’estomac, elle prend des formes différentes dans d’autres pays comme le Congo voisin par exemple. L’alternance après laquelle chaque nation africaine soupire a le devoir de s’extraire de cette prédation animale qui intègre l’idée vendre père, mère et femme pour satisfaire une soif de pouvoir inextinguible. 

L'exil

Coco, elle, se meurt quelque part dans un exil qui n'est point doré. Marquée à vie par la violence des hommes, se pensant abandonnée par un Dieu qu’elle finit par croire indifférent à ses souffrances puisque c’est dans sa « maison » qu’ont commencé les premières agressions subies par Coco Ramazani, elle tente une reconstruction en Lui parlant, partagée entre raison et folie. L'objectif des violeurs est atteint : briser une femme, détruire un pays pour en abuser encore et encore. Une femme qui résiste malgré tout, ce livre en est la preuve.

Laréus Gangoueus

Tu le diras à ma mère, Joseph Mwantuali (Editions Présence Africaine, 2015) 

Source photo – Editions Présence Africaine

Congo RDC : loin des conflits, la peinture qui relie

Photo de l'exposition Paroles de Femmes à la Maison des Métallos, Paris.
Kushiripa. Coywright Matthieu Lombard

La première fois que j’ai entendu parler de peinture Kushiripa, c’était avec Manon Denoun, doctorante en anthropologie. Elle s’est penchée sur cette pratique qui consiste, entre le Congo Kinshasa et le nord de la Zambie, à agrémenter les façades des maisons avec des ornements divers. Ce qu’elles ont de particulier ? Elles sont une vitrine sur plusieurs mondes, elles sont différentes d’un village à l’autre, et surtout, elles cristallisent des relations. Entretien.

Une pratique domestique avant tout

Les décorations murales comme la peinture sont un phénomène assez répandu. On pourrait se demander en quoi celles de Mudenda, en Zambie, de Makwacha et de Calcielo, au Congo Kinshasa, sont particulières. Certaines de ces créations murales ont donné lieu à une exposition à la Maison des Métallos de Paris*, en mars 2014. On pouvait y voir, entre autres, des références à l’industrie pétrolière, des fleurs, des références à la bande dessinée. Une forme de résistance face à la mondialisation et au climat électrique qui règne dans la capitale du Congo Kinshasa ?

Manon Denoun n’est pas de cet avis : Je n’inscrirais pas ces pratiques dans la résistance. C’est  quelque chose de  propre à chaque village, c’est  le but de ma recherche. La première raison d’être de ces décorations est  domestique : à Calcielo, il y a quelques années, ce sont les habitants qui payaient un artisan pour réaliser des tableaux dans leurs maisons. En période pérenne, ils sont preneurs d’artisans. J’insiste sur la dimension domestique, qu’il ne faut pas sous-estimer ; c’est un foyer, on l’agrémente.

S'inscrire dans la mondialisation

Alors il s’agit probablement d’une manière de s’approprier les aspects de la mondialisation. Et cependant, il semble que chaque village, dans cette région de la Copperbelt, cultive son propre style :

MD : J’ai trouvé qu’il y avait des styles qui se renforçaient dans chacun des villages. On peut observer des bases et des motifs récurrents : les fleurs reviennent souvent, même si elles ne sont pas dessinées de la même manière. Des citations bibliques, des imprégnations Rastafari, de la part des jeunes qui font de la musique, et se projettent dans un idéal d’humanité  « peace and love ». Bob Marley  apparaît de temps à autre sur les façades.

Mais alors, comment cette pratique purement domestique s’est-elle retrouvée à la Maison des Métallos ? Les habitants ont-ils décidé d’exporter leur art ?

MD :  Le propre de ces décorations, c’est que c’est public, c’est une offrande aux passants. Parce que Makwacha est en bord de route, pas mal de voitures passent par cet axe. Il s’avère qu’un jour le directeur du centre culturel français de Lumumbashi est passé par cet axe routier, et s’est arrêté pour rencontrer les habitants. Une sorte de partenariat est né avec un collectif artistique de Lumumbashi, qui se sont mêlés aux habitants de Makwacha, et de ces échanges sont nées de plus en plus de décorations murales, travaillées par ces rencontres. A Makwacha, la décoration des maisons reprend beaucoup d'éléments figuratifs.

Faire tomber les clivages 

Exposition Paroles des femmes, Maison des Métallos, mars 2014.
Femme devant peinture murale. Copywright Picha

D’ailleurs, la plupart des œuvres exposées étaient réalisées par des femmes.. De quoi titiller la fibre féministe chez certaines d’entre nous, moi y compris. Très vite, l’idée d’une pratique artistique d’abord exclusivement féminine, sorte de revendication d’un espace propre aux femmes, me traverse l’esprit. Encore une fois, la réalité du terrain vient nuancer mes emportements :

MD : Si la pratique est principalement féminine, c’est parce qu’elle renvoie au soin de la maison, de l’habitat, chose traditionnellement dévolue à la femme. J'ai également rencontré des   hommes qui habitaient seuls et prenaient prennent plaisir à illustrer et enjoliver leur habitat.

Cette exposition au monde, cette ouverture artistique, n’ont-elles pas altéré, en quelque sorte, l’authenticité des oeuvres ?

MD: Je suis contre le procès d’intention concernant la production, cette sorte de clivage entre ce qui serait authentique et ce qui serait altéré. De manière subjective, je dirais que certaines choses sont très jolies… il est vrai que d'autres me paraissent vouloir plaire de manière trop évidente aux visiteurs. Des personnes sont sensibles et désirent encourager certains talents : reconnaître la dimension marchande ou l'influence d'une forme de mécénat n'enlève rien à la qualité et au plaisir associés à ces décorations. C'est une manière plus saine, à mon avis, d'aborder la question.

Poursuivez le voyage sur le blog de Manon Denoun.

* Cette exposition présente pour la première fois au public français l’art mural du village de Makwacha au sud de la province du Katanga en République démocratique du Congo (RDC).

A voir en Zambie : Le Moto Moto Museum, où sont conservées des traces de la pratique Kushiripa dans le cadre d’un rituel.

 

Mongo Beti, le pauvre Christ de Bomba

MongoBeti_PauvreChristdeBombaDans le cadre de sa comédie littéraire intitulée La couleur de l’écrivain déjà chroniquée sur l'Afrique des idées, l’essayiste togolais Sami Tchak propose au lecteur, au détour d’une séquence consacrée au romancier Mongo Beti, de redécouvrir sino
n d’aborder le travail littéraire de l’homme de lettres Camerounais. Si Sami Tchak a une vision très nuancée de l’engagement en littérature – il en parle  d'ailleurs très bien dans cette essai-comédie – il ne manque pas d’interpeler et encourager le lecteur à aller à la rencontre de cet auteur engagé sur le champ littéraire pour lui épargner la mort attendue par ceux qui combattaient son discours pertinent et dérangeant sur la Françafrique en le confinant à la marge : la mort littéraire.

Pour ma part, j’ai pris commande du Pauvre Christ de Bomba. Un ouvrage publié en 1956 aux éditions Robert Laffont réédité depuis aux éditions Présence Africaine. La première réflexion que je me suis faite concerne la jeunesse de l’écrivain au moment de la publication de ce roman. Déjà auteur de Ville cruelle sous le pseudonyme d’Eza Boto, le Camerounais a déjà marqué les esprits. Avec le Pauvre Christ de Bomba, il place le lecteur au cœur d’une mission catholique quelque part dans l‘arrière pays camerounais. Là, il nous donne de suivre le R.S.P, un fervent prêtre d’origine suisse, le père Drummond. Le poste d’observation proposé par Mongo Beti est Denis, un jeune boy sur la mission qui nous narre avec ses yeux d’adolescent le contexte et les faits qui vont conduire au naufrage de cette œuvre missionnaire. Le RSP porte un intérêt particulier pour l’accompagnement des femmes-mères, il est en guerre ouverte contre les pratiques liées à polygamie. L’équilibre semble toutefois stable quand cet homme engageant se décide à faire le tour de la mission en s’orientant chez les Talas, population particulièrement réfractaire à l’Evangile ou au changement imposé par la nouvelle religion.

Cette tournée va durer près d’un mois. Elle va être très riche en enseignement, en surprise. L’approche prise mongo-beti-1par Mongo Beti est particulièrement édifiante et révélatrice de l’empreinte qu’il donnera à ses prises de position. Le roman décrit essentiellement deux choses. La posture du RSP se traduit par le désir de réduire les résistances à la doctrine catholique qu’ils observent chez les Talas. Ces actions sont téméraires pour réduire les « usurpateurs » qui sapent l’amplification de son discours dans son espace de jeu. Mais l’audace de ce religieux européen repose-t-elle sur sa foi en Dieu ou sur le pouvoir colonial qu’incarne sa couleur de peau ? Cette question est exprimée par le père Drummond qui n’est pas dupe et ne se ment pas. D’ailleurs dans des échanges avec le jeune administrateur colonial Vidal, il a conscience que l’église catholique (dans ce contexte) joue finalement un rôle de refuge dans une stratégie du bâton et de la carotte. Les inhumanités des travaux forcées et autres répressions poussent une population fébrile dans les bras de l’église. Dans la description qu’en fait Mongo Beti.

C'est étonnant combien les hommes peuvent avoir soif de Dieu quand la chicote leur strie le dos.

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 67

A propos des travaux forcés, les mots du RSP Drummond.

Vois-tu, Zacharie, des Blancs vont maltraiter des Noirs et quand les Noirs se sentiront très malheureux, ils accourront vers moi en disant : "Père, Père, Père…", eux qui jusque-là se seront si peu soucié de moi. Et moi je les baptiserais, je les confesserais, je les intéresserais. Et ce retournement heureux des choses, je le devrais à la méchanceté des Blancs!… Moi aussi je suis un Blanc!…

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 189

La critique la plus subtile de Mongo Beti et son argument matraque sont dans l’affirmation que le ver est dans la pomme et que l’évangélisation n’a jamais pris corps dans ce qui constitue à la mission de Bomba. Le dépucelage forcé du jeune narrateur introduit le lecteur au cœur de la dite-corruption du système sensé être par essence vertueux. L’aveuglement du RSP est consternant de ce point de vue pour le lecteur. Je n’irai pas plus loin afin de laisser au lecteur de découvrir un final pour le moins…

Mon avis de lecteur est que Mongo Beti écrit un livre à charge contre le système colonial et l’église catholique. Et même si le livre a le défaut des œuvres de fiction imprégnées par une pensée politique, il est difficile d’ignorer la qualité du traitement des personnages par Mongo Beti. Le lecteur s'attachera autant au passionné et passionnant homme de Dieu et du pouvoir colonial, qu'à son boy, Denis qui nous narre cette histoire. J’avoue que la réflexion qu’offre Chinua Achebe dans Un monde s’effondre est beaucoup plus engageante justement parce que l’auteur Nigérian choisit de se mettre en retrait et ne nous soumet que les faits d'une confrontation intéressante entre missionnaires et les autochtones en pays igbo.. Il n’empêche que Mongo Beti offre là un texte unique, étonnant, drôle, subversif.

Pour la route, un dernier extrait d'un chef de village dont le RSP Drummond vient d'exploser un instrument  de musique, le père catholique ne supportant pas l'idée de ces populations dansant au rythme de cette musique envoûtante…

Je vous en supplie, frères, laissez-moi écraser cette sale vermine sous mon seul pied gauche et vous n'en entendrez plus jamais parler. Qu'est-il venu ficher dans notre pays, je vous le demande? Il crevait de faim dans son pays, il s'amène, nous le nourrissons, nous le gratifions de terres, il se construit de belles maisons avec l'argent que nous lui donnons; et même nous lui prêtons nos femmes pendant trois mois

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 94

Lareus Gangoueus

 

Mongo Beti, Le pauvre christ de Bomba, Editions Robert Laffont, 1956 – Réédition Présence Africaine