Le service universel de télécommunications: un droit social au concours des politiques publiques de décentralisation administrative, économique et de lutte contre les inégalités

Par Samba Diouf, juriste consultant en droit du numérique et des télécommunications et en droit des affaires

Les territoires africains comptent beaucoup de zones reculées qui sont de densité certes faible, mais qui expriment le besoin d’un réseau de télécommunication ouvert au public, affirme dans cette note Samba Diouf, juriste consultant en droit du numérique et des télécommunications et en droit des affaires.  

Le développement de politiques de Service Universel au sein des Etats africains pourrait avoir un effet d’entraînement sur les taux de couverture nationale relevant des obligations d’ordre public et des engagements conventionnels des opérateurs existants. La politique de Service Universel aura un impact social décisif sur les territoires aussi bien au niveau de leur numérisation, de l’emploi des jeunes que de la vie sociale en général. Les communications électroniques peuvent constituer aussi un levier social à l’intégration économique des organisations sous régionales africaines (UEMOA, CEDEAO, CEMAC, UMA…). 

Biographie de l’auteur

Juriste consultant et enseignant en droit privé des affaires et en droit économique et du système OMC. Chargé de Travaux dirigés à la faculté de droit de l’UCAD jusqu’en 2010, Samba Diouf est responsable du Service Juridique, du Contentieux  et des relations institutionnelles pour l’opérateur de Service Universel  de télécommunication du Sénégal.

Entre 2015 et 2023, Samba Diouf a participé à l’élaboration de l’essentiel des documents stratégiques et des réformes juridiques du Sénégal relatifs aux télécommunications et au numérique

Samba Diouf a participé sous l’égide de l’ARTP Sénégal à l’élaboration d’un modèle juridique pour l’institutionnalisation du Free Roaming en Afrique de l’Ouest. Depuis Mars 2022, Samba Diouf participe au sein du comité de pilotage aux travaux sur la réforme du code des investissements avec l’Agence de Promotion des Investissements et des grands travaux du Sénégal.

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Comment mobiliser l’épargne de la diaspora africaine pour financer l’entrepreneuriat sur le continent africain ?

Par Lucien Kouakou, co-fondateur de l’association Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA)

L’Afrique est le berceau de l’humanité, une terre riche de diversité culturelle et naturelle. Pourtant, de nombreuses régions du continent sont confrontées à des défis économiques et structurels qui entravent leur développement. Dans ce contexte, la diaspora africaine éparpillée aux quatre coins du monde détient un potentiel économique exceptionnel pour contribuer au progrès de leur continent d’origine.

La diaspora africaine est vaste, comptant des millions d’individus ayant quitté leurs terres natales à la recherche de meilleures opportunités. En Europe, en Amérique, en Asie, ou ailleurs, les membres de cette diaspora représentent une formidable force économique et un lien vital entre leur pays d’origine et leur pays de résidence actuel. Leurs efforts, leurs talents et surtout leur épargne sont des atouts précieux pour l’Afrique.

Cependant, malgré ce potentiel considérable, une grande partie de l’épargne de la diaspora africaine reste sous-exploitée, dormant dans des comptes bancaires, des biens immobiliers ou des investissements sans lien direct avec le continent. Les mécanismes de collecte et de transfert de fonds existent, mais ils sont loin d’atteindre leur plein potentiel. Cette sous-utilisation de l’épargne de la diaspora prive l’Afrique de ressources essentielles pour son développement.

Cet article explore cette opportunité inexploitée. Dans les pages qui suivent, nous plongerons dans la taille et la composition de la diaspora africaine, examinant l’importance de cette diaspora en tant que levier économique pour le continent. Nous examinerons également comment l’épargne de la diaspora est actuellement gérée, les mécanismes de transfert en place et les défis qui entravent son efficacité. Enfin, nous proposerons des solutions et des mécanismes innovants pour mobiliser cette épargne au profit de l’entrepreneuriat en Afrique, décrivant comment elle peut contribuer à stimuler la croissance économique, à favoriser l’innovation et à créer des opportunités pour des millions d’Africains.

Il est temps de transformer cette épargne en moteur de changement positif sur le continent. Il est temps que la diaspora africaine réalise pleinement son potentiel en investissant dans l’avenir de l’Afrique. Bienvenue dans notre exploration de ce thème essentiel et prometteur.

A-t-on une idée de la diaspora africaine dans le monde ?

 La diaspora africaine, un phénomène complexe et dynamique, a connu une évolution significative au cours des dernières décennies. De nombreux Africains ont choisi de s’établir en dehors de leur continent d’origine, motivés par des raisons diverses allant des études aux opportunités d’affaires. Cette migration prend différentes formes, allant des séjours temporaires aux décisions de résidence permanente. Depuis 1990, la diaspora africaine a enregistré une croissance marquée. En 2020, sur les 281 millions de migrants internationaux dans le monde, 25,4 millions étaient d’origine africaine, selon les données du (DAES, 2020). Cette dispersion géographique a conduit à la formation de communautés africaines diverses dans le monde entier.

Selon l’Organisation Internationale pour l’Immigration (OIM) les pays africains qui comptent le plus grand nombre d’émigrants se trouvent généralement dans le nord du continent. Ils apparaissent dans la colonne de gauche de la figure ci-dessus, où les pays sont classés selon leur nombre total de migrants (immigrants et émigrants). En 2019, l’Égypte comptait le plus grand nombre de ressortissants à l’étranger, devant le Maroc, le Soudan du Sud, la Somalie, le Soudan et l’Algérie )  (International Organization for Immigration, 2022).

Selon les données de Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (UNDESA), 82% des africains quittant leur pays de naissance réside dans un autre pays d’Afrique. Seulement 4.8% vont en Asie, et 2.6% en Europe. Sur le plan économique, les migrants africains semblent privilégier les pays à faibles revenus, représentant 58,9% de leurs destinations, tandis que 27,18% optent pour des pays à revenus moyens. Les migrations vers des pays à très hauts revenus restent limitées à 3,26%. Cette orientation économique peut refléter les opportunités perçues dans des contextes économiques similaires à ceux d’origine.

Table 1:United Nations Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2020). International Migrant Stock 2020.

Quel potentiel économique représente cette diaspora ?

Selon les données de la Banque mondiale, les flux financiers de la diaspora africaine ont compté pour 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique en 2019 alors que les Aides Publiques au Développement (APD) comptaient que 2,2 % sur la même période. Cette tendance n’a cessé d’évoluer depuis lors. En 2022 par exemple, les africains de la diaspora ont envoyé 95 milliards de dollars en aide sur le continent (World Bank, 2023). Sur ce montant, environ 53 milliards de dollars sont allés vers des pays d’Afrique subsaharienne, avec le Nigéria, le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe en tant que principales destinations. A titre comparatif, seulement 30 milliards de dollars ont été reçu en investissement direct étrangers et 29 milliards de dollars d’aide au développement officielle pour l’Afrique subsaharienne sur la même période. Les transferts de la diaspora sont devenus la principale source de devises étrangères dans plusieurs pays. Par exemple, pour le Kenya, ces transferts sont plus importants que les exportations clés du pays, y compris le tourisme, le thé, le café et l’horticulture (World Bank, 2023). Les pays les plus dépendants des transferts de la diaspora, en proportion du PIB, sont : la Gambie, le Lesotho, les Comores et le Cap-Vert tel que le montre le graphique ci-après.

Cependant, malgré cette contribution financière substantielle, l’Afrique demeure le continent où les coûts de transfert d’argent sont les plus élevés. En moyenne, la diaspora africaine paie des frais de transfert avoisinant les 8% pour envoyer de l’argent vers les familles restées sur place, comme indiqué par le graphique de la Banque Mondiale. Cette réalité souligne le besoin pressant d’initiatives visant à réduire ces coûts et à maximiser l’impact positif de ces transferts.

Mais est-ce seulement de l’argent que peut apporter la diaspora dans le monde ?

La contribution de la diaspora ne se limite pas à un apport financier, mais elle détient également un capital humain précieux. En effet, outre les ressources financières, la diaspora africaine représente un vivier de compétences techniques considérables.

La fuite des cerveaux demeure un défi majeur entravant le progrès en Afrique. De nombreux Africains expatriés possèdent des qualifications élevées dans des secteurs où le continent souffre d’un déficit crucial, notamment dans les domaines des mathématiques, des sciences, des technologies et de l’ingénierie.

Selon un article publié par Gnimassou, la taille de la diaspora africaine dans les pays développés de l’OCDE a connu une augmentation significative depuis 1990. Cela a entraîné une proportion élevée de diaspora africaine qualifiée dans ces pays par rapport à la population ayant un niveau similaire d’éducation dans les pays d’origine. Certains pays africains, tels que l’Angola, le Cameroun, le Ghana, le Libéria et le Sénégal, affichaient un taux de diaspora qualifiée dépassant les 20% en 2010. Pour d’autres, comme la Guinée équatoriale, la Sierra Leone, l’Érythrée et la Mauritanie, ce taux atteignait même les 40%. Cette concentration de compétences constitue un réservoir essentiel pour le développement de l’économie africaine (Gnimassoun, 2021).

Comment peut-on mobiliser ce potentiel de la diaspora ?

Historiquement, les transferts financiers de la diaspora africaine vers les familles restées au pays étaient réalisés par des virements bancaires ou via des services bien établis tels que Western Union, Money Gram, RIA, VISA, Equity Bank (Kenya). Cependant, ces méthodes étaient souvent grevées de coûts élevés tant pour l’expéditeur que pour le bénéficiaire.

Fintechs de la dernière décennie, les transferts de fonds ont été simplifiés et les coûts considérablement réduits grâce à l’émergence des plateformes de transfert d’argent numériques, communément appelées fintechs. Par rapport aux institutions bancaires traditionnelles, les fintechs ont intégré de nombreuses améliorations pour répondre à la demande croissante de transferts de fonds d’une population d’utilisateurs en constante augmentation. Des fintechs telles que Kyshi, Wise , Sendwave, WorldRemit, Orange Money, Nala Money, M-PESA, Upesi Money Transfer, Afriex, Mukuru Africa, Skrill , Chipper Cash, TapTapsend, Dahabshill , Paytoo, Mamamoney, M-Shwari (Kenya), Homesend, MSF Africa, etc. offrent aux Africains la possibilité d’effectuer des virements depuis leur pays de résidence vers leur pays d’origine. Cette évolution simplifie et rend plus accessible la contribution de la diaspora au développement économique de l’Afrique.

Orientations des capitaux transférés par la diaspora africaine vers le continent : Quelle destination pour ce capital massif ?

Malgré le potentiel des investissements de la diaspora, l’analyse de leur impact en tant que moyen de financement du développement a souvent oscillé entre optimisme et pessimisme. La lacune d’informations sur les flux financiers de la diaspora, en général, et leurs destinations d’utilisation, ne permet pas une classification précise de l’utilisation des fonds de la diaspora africaine. Traditionnellement, l’Afrique est perçue comme un continent caractérisé par la solidarité. Il n’est donc pas surprenant que la majeure partie des capitaux rapatriés par la diaspora africaine serve à soutenir les familles restées sur place, notamment à travers l’investissement dans l’éducation, les soins de santé et l’alimentation. Selon l’Agence Française de Développement, environ 80 % des transferts d’argent vers les pays d’origine sont destinés à la consommation et à la couverture des risques familiaux (sécurité alimentaire, santé, éducation). Cependant, la proportion restante, soit environ 20 %, représente près d’un tiers du total de l’Aide Publique au Développement.

Les graphiques issus d’une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A) pour le Sénégal, le Ghana et le Nigéria donnent une estimation des montants transférés et de leurs utilisations respectives par la diaspora. Les diasporas du Ghana et du Nigeria semblent envoyer moins d’aides financières à leur pays d’origine. Cette disparité par rapport au Sénégal peut s’expliquer par divers facteurs, tels que les taux de change entre la monnaie du pays d’origine des fonds et celle du pays bénéficiaire. Cependant, ces montants demeurent significatifs lorsqu’on les compare au PIB par habitant des trois pays étudiés.

Un autre aspect important révélé par cette étude est que la diaspora africaine épargne depuis leur pays de résidence. Cette épargne est soit investie localement, soit transférée vers le continent pour soutenir les familles restées sur place ou financer des projets économiques. Cette dynamique souligne la diversité des usages de la diaspora africaine en matière de mobilisation de capitaux.

Comment peut-on orienter ce capital vers l’économie réel du continent ?

Malheureusement, les pays africains sont toujours confrontés à un énorme déficit de financement pour le développement de l’économie du contient.  Comment peut-on alors susciter plus de flux de la diaspora vers le continent ? et comment l’utiliser plus efficacement pour soutenir le développement économique du continent ?

Aujourd’hui plusieurs solutions se dessinent, et les modèles de réussite se multiplient dans le monde.

Ces paragraphes ci-après font le tour de approchent bien connues à ce jour.

  1. Le crowdfunding

Le crowdfunding, ou financement participatif en français, permet de mobiliser de l’épargne des particuliers à travers des plateformes digitales pour financer des solutions entrepreneuriales. Plusieurs plateformes de crowdfunding spécialement destinées à l’Afrique se constituent et permettent à la diaspora de contribuer au financement des startups et des projets depuis leur pays de résidence.

Selon la contrepartie des fonds envoyés l’on distingue plusieurs types de crowdfunding :

Selon le Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), en 2016, le marché du financement participatif en Afrique était estimé à 182 millions de dollars. Le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya étaient les trois principaux marchés identifiés dans le rapport du CCAF. Les prévisions indiquent désormais que le financement participatif en Afrique subsaharienne pourrait atteindre potentiellement 2,5 milliards de dollars d’ici à 2025.

  • Le Diaspora bond

Des instruments financiers innovants voient le jour pour financer des projets d’envergure nationaux. C’est le cas des « Diaspora bonds » qui sont des titres d’emprunt obligataire émis par les États en vue de mobiliser l’épargne de la diaspora ont pour vocation de briser la spirale de la dette insoutenable des Etats africains en proposants des obligations à des taux plus favorables comparés aux obligations ordinaires des marchés financiers. Ce mécanisme a déjà prouvé son potentiel en Israël et en Inde.  L’Israël et l’Inde ont levé entre 35 et 40 milliards de dollars grâce à ces obligations depuis 1951 (Ratha & Ketkar, 2007). Malgré le potentiel de cet instrument, très peu de pays africains l’ont exploré jusqu’à présent. Seulement quelques pays tels que le Nigéria ont effectué leur première opération de Diaspora Bond avec succès. En 2017, le pays a pu lever jusqu’à 300 millions de dollars à travers le Diaspora Bond. Cependant, ce montant restait significativement très petit comparé aux 21 milliards de dollars reçus à travers les transferts de la diaspora la même année (Kazeem, 2017).

  • Les clubs d’investissement de la diaspora

Plusieurs clubs d’investissement de la diaspora se créent et permettent à des individus de se cotiser leurs épargnes en vue de financer un projet commun sur le continent. C’est le cas de la solution proposée par Nawali, une initiative qui vise à construire des quartiers écologiques au Sénégal à travers l’épargne de la diaspora (Nawali, 2022). Dans la même idée, au Burkina Faso un appel à la diaspora et au peuple a été lancé par le pouvoir public en vue de souscription massive à l’entrepreneuriat communautaire avec comme objectif, la construction de deux usines de transformation de la tomate à Bobo-Dioulasso et à Tenkodogo (AIB, 2023). Dans la même dynamique, au Mali, les ambassadeurs s’unissent pour mobiliser la diaspora à investir dans le pays.

En 2020 le Kenya a créé son premier fonds d’investissement agréé pour sa diaspora, ce qui devrait permettre de canaliser une plus grande partie de l’argent de la diaspora vers des projets de développement dans l’ensemble du pays (African Business, 2020).

  • Les institutions de développement

La problématique du financement de l’économie africaine par la diaspora a bien des supporteurs institutionnels. Des institutions telles que l’Agence Française de Développement (AFD) se mobilisent pour soutenir des Etats à définir un cadre règlementaire, et propice pour canaliser les fonds en provenance de la diaspora. Ainsi, le Sénégal et l’AFD renforcent leur coopération sur le sujet en signant une convention de financement des initiatives des diasporas sénégalaises de France, mais aussi d’Espagne, d’Italie et de Belgique, en faveur du développement du pays (Kaba, 2017)

En 2022, l’Union Africaine a lancé African Diaspora Investment Fund (ADIF). Selon l’Union africaine, l’ADFC sera créé en tant qu’institution financière continentale indépendante, non membre de l’UA. Elle fonctionnera comme une entreprise sociale et collaborera avec les institutions financières, de développement et de la diaspora africaines et mondiales (Negash, 2022).

Des outils méthodiques pour permettre aux états africains d’évaluer le potentiel de la diaspora

Making Finance Work for Africa (MFW4A) en collaboration avec DMA Global et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont développé une boîte à outils dédiée à une meilleure compréhension des investissements de la diaspora en Afrique. Cet outil est l’aboutissement de nombreuses années de discussions qui ont découlé de l’étude intitulée : « Une approche systématique pour soutenir les investissements de la diaspora en Afrique ». L’étude visait à développer une méthodologie pour aider les pays à identifier les opportunités de stimuler le capital de la diaspora comme source viable d’investissement productif, et la meilleure approche pour attirer cet investissement. A travers leur étude, ils sont parvenus à cartographier les principaux canaux pouvant être utilisés pour mobiliser des investissements financiers de la diaspora. Cet outil, bien que destiné aux Etats dans leurs politiques de canaliser les capitaux de la diaspora permets aussi aux privés de saisir l’opportunité d’affaire que la problématique offre.

Cet outil met en évidence deux principaux type d’instruments d’investissement :

  • Les instruments du gouvernement : Obligations d’État, régimes publics de retraite pour la diaspora
  • Les instruments privés : Obligations d’entreprise de la diaspora, portails en ligne de placements collectifs, comptes d’épargne de la diaspora, prêts et hypothèques de la diaspora fonds gérés de la diaspora

Le graphique ci-dessous présente un aperçu des différents canaux d’investissement couverts par le modèle, (Benbrahim, 2020), (Banque Africaine de Développement & Making Finance Work for Africa, 2019).

Les obstacles d’un déploiement massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont divers.

Les défis entravant un flux massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont variés, comme indiqué dans une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A). Cette analyse met en lumière plusieurs raisons qui limitent la contribution de la diaspora, résumées dans les graphiques ci-dessous. Les résultats soulignent clairement que l’absence d’un cadre administratif fiable constitue un obstacle majeur à la participation de la diaspora africaine. De manière unanime, la corruption, le manque d’une entité de confiance pour une gestion optimale des fonds, ainsi que le déficit d’informations sur les projets dans les pays ciblés, se présentent comme les principaux freins à cette contribution.

En adressant promptement et durablement ces problématiques, il est possible d’accélérer l’engagement de la diaspora aux côtés des pays d’Afrique. En effet, la mise en place de mécanismes transparents, la lutte contre la corruption, et une communication efficace sur les projets en cours peuvent contribuer à instaurer la confiance nécessaire pour mobiliser de manière plus importante les ressources de la diaspora.

Quelles propositions  de solutions ?

Nous sommes convaincus que la diaspora peut jouer un rôle significatif dans le développement économique de l’Afrique, en combinant le transfert de compétences et le transfert de capitaux. Cependant, il est impératif d’harmoniser judicieusement ces deux ressources. Des initiatives telles que le crowdfunding et les diaspora bonds semblent très prometteuses. Toutefois, il est essentiel d’établir un cadre réglementaire approprié en mobilisant les acteurs publics et privés compétents pour garantir leur bon fonctionnement, notamment en abordant des problématiques telles que la réduction des coûts de transferts, la sécurité et la garantie des fonds, etc.

Pour notre part, nous croyons que les actions suivantes peuvent avoir de forts impacts sur l’écosystème entrepreneurial du continent.

  1. Prise de participation dans les startups incubées 

 L’objectif de cette approche est d’accompagner les startups dès leurs phases initiales de développement en mettant à leur disposition les ressources humaines nécessaires. Ensuite, la mobilisation de capitaux à travers les membres d’un club d’investissement de la diaspora pour prendre des participations. Cette approche présente un intérêt double : d’une part, pour l’entrepreneur qui bénéficie d’un pool de compétences pour mieux structurer son entreprise et accède aux capitaux nécessaires à la mise en œuvre de ses idées, et d’autre part, pour le club d’investissement qui peut réaliser des profits sur la croissance de l’entreprise.

  • Fond d’investissement de la diaspora

La création de fonds d’investissement spécialisés dans les startups africaines, avec des apporteurs de capitaux issus de la diaspora, permettrait d’aligner les besoins de la diaspora en termes d’investissement sur le continent avec les besoins de financement des startups locales.

Que retient-on de tout cela ?

Cette étude de la mobilisation de l’épargne africaine pour le financement de l’entrepreneuriat sur le continent révèle un potentiel significatif et une dynamique en pleine évolution. La diaspora africaine, à travers ses flux financiers, représente une source cruciale de financement, dépassant même les investissements directs étrangers et l’aide au développement dans plusieurs pays. Ces transferts financiers jouent un rôle majeur dans la satisfaction des besoins fondamentaux des familles restées sur place, tels que l’éducation, la santé, et la sécurité alimentaire.

Cependant, des défis subsistent, notamment liés au coût du transfert des fonds, à la transparence, la confiance, et la gestion efficace des fonds. L’absence d’un cadre administratif fiable, la menace de la corruption, et le manque d’informations claires sur les projets entravent le potentiel massif de contribution de la diaspora. Pour surmonter ces obstacles, des solutions innovantes émergent, allant du crowdfunding à l’émission de « Diaspora bonds » en passant par la création de clubs d’investissement. Ces mécanismes offrent des perspectives prometteuses pour orienter davantage les fonds de la diaspora vers des projets d’entrepreneuriat et de développement économique concrets.

Il devient impératif que les gouvernements africains, les institutions financières, et les acteurs de la diaspora collaborent étroitement pour créer un environnement propice, garantissant la transparence, la sécurité, et la rentabilité des investissements. En renforçant la confiance, en éliminant les obstacles administratifs, et en favorisant l’innovation financière, l’Afrique peut libérer pleinement le potentiel de sa diaspora pour stimuler une croissance économique durable et inclusive sur le continent.

Pour notre part, nous croyons qu’une  bonne combinaison des principales ressources de la diaspora  que sont compétences techniques et épargnes financières peuvent aider à changer la donne dans le financement des startups sur le continent .

Bibliographie

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Biographie de l’auteur

Lucien Kouakou est co-fondateur de l’association « Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA) », dont la mission est d’accompagner les entrepreneurs développant des solutions inclusives et innovantes. Issu d’une famille d’agriculteurs établie dans un village de la sous-préfecture de Grand-Béréby, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, il obtient son baccalauréat au Lycée Technique d’Abidjan, série E. Il intègre l’Institut National Polytechnique Houphouët Boigny de Yamoussoukro (INP-HB) après les classes préparatoires, suivies d’un cycle ingénieur généraliste. Après près de deux années dans le monde professionnel, où il a exploré diverses industries telles que le traitement et la distribution de l’eau ainsi que le textile, il recentre sa carrière vers la finance. En 2020, il intègre HEC Paris pour un Master en finance et économie et effectue des stages à BNP Paribas, Akuo Energy et Spayne Lindsay.

Is the CFA Franc pegged to the Euro against the economic interest of the countries in the West African Economic and Monetary Union?

In Senegal, abandoning the CFA Franc is An economic and social demand to regain economic sovereignty, say Souleymane Gueye, professor of Economics, San Francisco College and Abdoulaye Cisse, Ph.D. Candidate, Department of Economics, University of California, Berkeley

Abstract

The recent economic events resulting from major external shocks such as COVID-19 and the Russian-Ukraine war and their impact on the Communauté Financière Africaine (CFA) franc zone have reignited the debate about the usage of the CFA franc in the West African Economic and Monetary Union (WAEMU). This article investigates how the economic performances of the WAEMU in general and Senegal, in particular, relate to the arrangements between the CFA Franc currency union and the Euro and between WAEMU and France. In particular, the paper analyzes the advantages and the disadvantages that stem from the different components of these arrangements and highlights the lack of economic competitiveness of the CFA franc countries caused by the structural overvaluation of the CFA franc, the lack of monetary and fiscal sovereignty, and the no optimality of the CFA franc zone as destabilizing elements of the CFA franc for WAEMU. The paper then proposes a mild reform in the short term and a complete abandonment of the CFA franc for a national currency anchored to a basket of currencies in the long term, in the hope of achieving inclusive growth and poverty alleviation in WAEMU. 

Keywords: CFA franc, competitiveness, foreign reserves, development indicators, economic indicators, economic growth, poverty, debt, monetary policy, fiscal policy, exchange rate system, credit allocation 

Introduction

While the debate over the usage of the CFA franc has been ongoing amongst economists since the early 60s, the issue has never been a major preoccupation of most Senegalese citizens for a long time. But in the last decade, a growing interest in using the CFA has been at the forefront of public/private media and social media[1]. This growing interest of the population in the economic issues surrounding the CFA franc should be welcomed and applauded by policymakers and politicians as it is time to examine objectively the benefits and the costs of the CFA franc’s peg to the euro and ponder about the economic performance of these countries and the role the currency is playing in fostering/hindering the capacity of these countries to alleviate poverty. 

After more than sixty years of independence, it is not obvious that the currency is favorable to the economies of WAEMU in general and Senegal in particular.

Some economists say that the CFA franc affects the member countries in two key areas: 

  1. Loss of sovereignty by tying the WAEMU’s economies to the French market and constraining the scope for an independent monetary policy; hence weakening the states with negative impacts on poverty alleviation
  2. The overvaluation of the currency impairs the competitiveness of exports. 

Other economists argue that it has brought price and monetary stability, fiscal discipline, credibility, and stability to international competitiveness. Furthermore, they argue that a supranational central bank has insulated the CFA zone members’ economies from national treasuries. In contrast, the peg to the euro insulated a higher proportion of WAEMU’s trade from exchange rate fluctuations and encouraged regional convergence and integration. 

These views have been reexamined and debated since the Macron/ Ouattara announcement to replace the CFA with the Echo (1). More voices are calling to sever the financial ties with France and completely abandon the CFA. The arguments for its abandonment range from “this currency is a relic of the colonial era,” “an instrument of the colonial era,” “an instrument of repression,” and “mean of exploiting the colonies.” Why is the CFA Franc, the currency many African countries use, so controversial? 

This article aims to clarify this debate and supply economic arguments to justify severing the economic and financial arrangements at the core of the CFA franc zone. 

What are the economic effects of the CFA franc’s peg to the euro? Should Senegal abandon the CFA franc as its national currency and issue its currency like many independent states or stay in the zone? 

To answer these questions, we will present some institutional background on the CFA franc zone and briefly describe the economic structure of Senegal to provide the basis for an objective assessment of the effects (economic, monetary, and financial implications) of this exchange rate peg that convincingly should incentivize the future Senegalese authorities to exit the CFA zone and start the process of setting up the policy and institutional arrangements necessary for the introduction of a new currency.

I/ Structure / Architecture of the CFA Franc Zone

The monetary cooperation in the CFA franc zone is based on four key principles.

  1. A fixed exchange rate parity between the CFA franc and the euro remained constant from 1949 until 1994 when it was devalued by 50% to 1 French Franc = 100 CFA Franc which corresponds to 1 EUR = 655.957 CFA Franc since the euro replaced the French franc at the beginning of 1999, to help resolve a crisis that was associated with the overvaluation of the CFA franc and the failure of the structural adjustment policies imposed by the World Bank and the International Monetary Fund (IMF)(2).
  2. An unlimited and unconditional guarantee by the French Treasury for the convertibility of the CFA franc into euro at the fixed exchange rate at the Paris Stock Exchange. It is important to note that the warranty has not been used since the early 1990s, in contrast to the heavy mobilization seen before the 1980s. 
  3. The centralization of the members’ net foreign reserves at the two central banks and until 2020, the obligation to deposit half of these reserves in an operating account at the French Treasury. Since April 2021, the operating account has been closed and the funds have been transferred to other WAEMU (West African Economic and Monetary Union) accounts, following the Macron Ouattara reform of 2019(3).
  4. Free capital movements within the CFA franc zone and with France although the central bank can impose exchange controls for transactions with non-member countries of the zone.

The closed operating account functioned like a current account with overdraft facilities and worked like a currency board arrangement, thus providing little scope for an active monetary policy. Consequently, an important indicator, the Reserve cover ratio (foreign exchange reserves/short-term liabilities of the central bank) was used to guide a passive monetary policy. The rule was such that when the reserve cover ratio dropped below 20% for three consecutive months, actions such as an increase in official interest rates and a decrease in refinancing ceilings must be taken to protect parity. In practice, the Reserve cover ratio never reached alarming levels as the WAEMU zone always kept the health levels of reserves. A similar indicator of coverage is the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves to the value of the physical currency in circulation (i.e., physical banknotes and coins).

Figure 1 shows that the requirement to maintain 50% of total foreign exchange reserves (represented by the blue horizontal line) has been respected by the WAEMU countries since 2007. While the share of total reserves kept at the French treasury has sometimes been close to the threshold, it has consistently been higher than that, which means that France has never had to trigger the guarantee that is theoretically in the arrangements. Figure 1 also shows that the coverage ratios have been at healthy levels and that WAEMU countries typically keep sufficient levels of foreign exchange reserves to cover most of the banknotes in circulation. This observation also points to the derisked environment in which the WAEMU countries operate.

Figure 1: Key Indicators Related to Foreign Exchange Reserves

Notes: This figure shows key indicators related to the reserves held in the operating account. The y-axis on the left (in blue) shows the share of total foreign reserves held in the operating account of the French Treasury. The y-axis on the right shows the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves over the value of physical banknotes and coins). The blue horizontal line corresponds to the minimum requirement of total reserves that need to be kept in the operating account. The red horizontal line corresponds to the minimum level of foreign reserves needed to cover the physical currency in circulation. All the raw data are from the annual reports of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Before the closure of the operating account, the WAEMU countries were receiving an interest of 0.75% on their reserves deposited at the operations account (rates based on ECB interest rates.) In case these reserves turned into debt, interest was to be paid to the French Treasury. The French Treasury also guaranteed these reserves’ value against a depreciation of the euro vis a vis the Special Drawing Rights (SDR)[2].

However, several safeguards triggering action by the central bank are applied to ensure the exceptional character of foreign exchange interventions and to avoid a permanent reduction or deficit of the operating account. In case the account of a country goes into deficit for a month, a reduction of 20% of the refinancing ceiling is triggered for the culpable countries. When the surplus is less than 15% of the money supply for a country, a decrease of 10% of the refinancing ceiling is applied (4).

Figure 2 shows the level of foreign reserves held by WAEMU countries in the operating account at the French Treasury over time. Strikingly, we see that these reserves constituted a significant share of nominal GDP for these countries. They fluctuated 10% of nominal GDP between 2007 and 2018. Considering how funding and liquidity constraints WAEMU countries are, this stylized trend alone gives a sense of the drawbacks of the CFA franc.

Figure 2: Foreign Reserves Held by WAEMU in the Operating Account at the French Treasury

Notes: This figure shows the relative and absolute values of the foreign exchange reserves. The y-axis on the left (in blue) shows the level of foreign reserves that were held in the operating account as a share of the nominal GDP of the WAEMU countries. The y-axis on the right (in red) shows the nominal values of foreign reserves held in the operating account. The figure only includes foreign exchange reserves held in the operating account. The rest of the foreign exchange reserves not held in the operating account were excluded from the calculations. All the raw data are from the annual report of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Given the safeguards described above, the time series of data in Figures 1 and 2, and the comparatively small size of the CFA franc zone economies, which currently represent about 5% of France’s GDP (Gross Domestic Product), the risks to France’s public finance remain limited in scope (limitation of potential liability of the French Treasury and at the same time supply a rule-based of credibility and to the fixed parity). It is quite unlikely for the account to go into deficit since it is based on the principle of pooling the reserves of the member states. 

This safeguard mechanism was designed to control the “excesses” to which states are accustomed, taking away their ability to distribute internal capital resources through self-defined development strategies by allowing the central bank to impose a cap of 20% of national fiscal revenues on resource allocation to national treasuries of WAEMU countries. 

For example, when the balance of the operation account is in deficit for three consecutive months, or when the ratio between net external assets and sight liabilities of a central bank is equal to or less than 20% for three consecutive months, refinancing amounts are reduced automatically by 20% and immediate corrective actions are taken by the board of directors, which is now fully composed of African officials and no longer has a French representative since the Macron Ouattara reform.

Therefore, it is the level of external reserves, and not credit needs, that decide credit allocation when it should have been the opposite. Credit allocation is decided by the French government’s monetary and fiscal authorities which will tend to perform it according to France’s view over the zone economies, not based on any development strategies developed by the WAEMU countries (5).

It should be noted that despite the closure of the operating account and removal of French representatives from the board of directors, the inherent structure of the CFA Franc is still such that it presents disadvantages and drawbacks to the WAEMU zone. Indeed, the terms of the guarantee of the CFA Franc and the Euro are still opaque and not fully transparent based on the latest public documents available. While the latest annual reports of the Central Bank of West African States (BCEAO) state that the operating account has now been closed, little to no details are given about the effective changes in the guaranteed mechanisms between the Euro and the CFA franc that resulted in this closure.

In what follows, we argue that France has clear benefits and few disadvantages with the current CFA franc arrangement.

II/ Disadvantages / Drawbacks for The CFA Franc Zone: What is wrong?

There are clear disadvantages and few benefits for the Franc Zone countries. The peg to the euro, before 1999 to the French franc constraints the scope for an active independent monetary policy of the WAEMU.

Overall, the arrangement has resulted in lower inflation (on average 8%) than in other countries in Sub-Saharan Africa, which have an average of 15%. But it has also significantly limited the macroeconomic policy options (fiscal and monetary policies as well as an exchange rate policy) available to the CFA Zone members (6). Indeed, the current exchange rate regime presents several macroeconomic problems that impede these countries’ ability to navigate external shocks such as the COVID-19 pandemic and Ukraine.

First, this principle compounded by a set of legal and institutional arrangements (Board composition and operations), as well as policy and operational features (design of supervisory arrangements within the two sub-zones[3]), are wrapped in a web of unwritten rules and practices with widespread consequences on the economic, monetary, financial, fiscal, and central bank policies of the entire CFA franc zone. Although there is no direct causation between these arrangements/ policies and development outcomes, the structural indicators of the countries in the CFA franc zone, such as the Human Development Index (HDI) and the Corruption Perception Index, are among the lowest in the world, and this suggests some correlation between the CFA franc arrangements and CFA franc countries’ development outcomes (7). For example, the HDI for Senegal in 2023 is 0.512, which decreased by 0.39% compared to the previous year with a rank of 170 while the average for the WAEMU is 0.544. These HDI values are below the HDI values of similar developing countries and none of the zone members is classified in the high HDI or Medium HDI categories in Africa. The extreme poverty rate is 27.5% (rank 32) and the GDP per capita is $1606 (rank 143).

As Table 1 below illustrates, the WAEMU region ranks the lowest in key development indicators including life expectancy, earnings, and schooling. While these figures do not imply any causational link between the currency the regions use and their economic indicators, the picture is still the picture: the WAEMU countries are some of the least developed countries by conventional standards.

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

 HDILife ExpectancyYears of SchoolsGNI Per Capita
Arab States0.70870.98.013,501
East Asia and the Pacific0.74975.67.815,580
Europe and Central Asia0.79672.910.619,352
Latin America and the Caribbean0.75472.19.014,521
South Asia0.63267.96.76,481
Sub-Saharan Africa0.54760.16.03,699
WAEMU0.48660.83.42,692
     

Notes: This table shows some key economic indicators for different regions of the world. Each value shown is the mean of the variable in the first row for the region in the first column. The Human Development Index (HDI) is a composite index measuring average achievement in three basic dimensions of human development—a long and healthy life, knowledge, and a decent standard of living. (“Countries of the Third World – Nations Online Project”) Life expectancy at birth is the number of years a newborn infant could expect to live if prevailing patterns of age-specific mortality rates at the time of birth stay the same throughout the infant’s life. Mean years of schooling gives the average number of years of education received by people ages 25 and older, converted from education attainment levels using official durations of each level. (“Education Index | SpringerLink”) Gross national income (GNI) per capita is the aggregate income of an economy generated by its production and its ownership of factors of production, less the incomes paid for the use of factors of production owned by the rest of the world, converted to international dollars using PPP rates, divided by midyear population. All data are for the year 2021. All the raw data are from the UNDP website.

The persistence of monetary and financial relationships has favored neither structural transformation of the economies nor regional integration and has done even less for the economic development of the CFA countries. For example, 9 out of 14 countries in the WAEMU and the CAEMC zones are among the Least Developed Countries. With regards to health and education, CFA franc-using countries occupy the lowest ranks worldwide, as shown in Table 2.

Looking from a long-term perspective, average real incomes have stagnated or declined in five of the biggest CFA francs-using economies: Cote d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Senegal (4.1% in 2022), and Congo Republic. Extreme poverty has risen by 3% since COVID-19. Countries in the CFA franc zone are the most impoverished in Sub-Saharan Africa despite stable prices (due to their lower inflation rate compared to the other countries in Sub-Saharan Africa). The average poverty rate for CFA countries stands at 40%. The opportunity cost of lower inflation has thus been slower GDP per capita and diminished poverty alleviation. All CFA Franc countries – including Senegal – are burdened by excessive debts and are in the category of Highly Poor Indebted Countries (HIPC)

MAJOR MACROECONOMIC INDICATORS

 2020202120222023
GDP growth (%) 1.35.14.154.1
Inflation (yearly average, %) 2.52.19.76.5
Budget balance (% GDP)-6.4-6.3-6.2-4.9
Current account balance (% GDP)-10.9-13.3-13.2-14.5
Public debt (% GDP) 69.273.275.172.4

Source: World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

These observations are not surprising since these countries have an average credit-to-GDP ratio of 25% compared to an average of 60% for the rest of the countries in Sub-Saharan Africa and 148.5% for France. Furthermore, the amount of credit distributed to the CFA countries’ economies stays exceptionally low with prohibitive interest rates. Most of the loans are oriented towards the export sector and service sector to the detriment of investment in the primary and secondary sectors which employ more than three-quarters of people in the labor force. These countries face credit constraints, and financial repression, and cannot use interest rates to stimulate small and medium enterprises’ development because monetary policy is seriously constrained.

Second, the institution of the CFA is at the heart of the “colonial pact” set up by France in the 1960s when all these African countries were gaining their independence. Many critics of the CFA zone consider it a relic of Africa’s colonial past and a barrier to West African country’s economic progress.

Accordingly, the objective from its origin is to maintain peripheral economies that are ‘complementary’ to the French economy; otherwise, economies that serve as cheap sources of raw material supplies (consider how Senegal, Niger, Ivory Coast, and other countries in the WAEMU region are giving French companies licenses to exploit their natural resources).

Third, the peg to the euro decreases transaction costs and insulates French companies (and all foreign companies operating in euros for that matter) from exchange rate risk. Concurrently, it hampers the level of competitiveness of the domestic private sector in the zone by effectively acting as a subsidy to imports. As a result, most of the countries in the CFA zone run substantial trade deficits. For example, the trade deficit of Senegal stands at 10% of its GDP. Therefore, this structural overvaluation of the CFA franc – in 2020 the CFA franc in the WAEMU was 20% overvalued –, tends to favor imports, including luxury goods, to the detriment of exports. This is one of the reasons the political elite do not want to take the necessary steps to change the framework of the CFA franc zone.

Besides effectively contributing to subsidizing imports, the fixed parity also acts as a trade preference granted to the eurozone, since countries in the Franc zone cannot depreciate the exchange rate to affect the level of competitiveness of their exports or to absorb external shocks such as the Covid 19 or Ukraine war. Therefore, when confronted with trade shocks or crises, the only way to defend the anchor to the euro is a reduction in public expenditure (fiscal policy) and credits to the economy (monetary policy), as well as a recourse to external financing flows (more debt accumulation). In Senegal, public debt has been increasing at an exponential rate reaching 77% of GDP because of excessive borrowing by the government and state-owned enterprises to finance the budget and to invest in the oil and gas sector. The public debt service represents more than 50 % of fiscal revenue (1772 billion CFA francs, with interest payments and depreciation amounting to 502 billion and debt amortization to 1070 billion). The debt sustainability indicators are very close to their threshold (IMF Report, 2023).

The ratio of external debt service/export revenues is 19.1% for a threshold of 21% and the external debt service/ public sector revenue is 18.8% for a threshold set at 23%. This is very worrisome as it points to a severe constraint in the capacity to borrow money when faced with external shocks. The risk position of Senegal has deteriorated (from low to moderate-risk debt that can easily evolve to high-risk debt).

Fourth, the freedom of financial transfer eases the free investment and disinvestment of capital as well as the repatriation of profits, dividends, etc. This freedom is often associated with a massive capital flight -significant financial bleeding in resource-rich CFA countries such as the Republic of Côte d’Ivoire and Senegal (9),

Fifth, besides the handicaps of an overvalued exchange rate and capital outflows due to the outward transfer of local economic surpluses, the behavior of the banking sector keeps its colonial aspects. Most of the financial institutions are subsidiaries of French financial institutions despite the timid implementation of other foreign entities (Middle Eastern and North African countries)

Bank loans are primarily targeted at large companies and governments to the detriment of SMEs in general. This trend continues to hold despite the loss of market share of many French financial institutions in the CFA countries and the dominance of foreign banks. In Senegal, foreign banks control more than 90 percent of banking assets (10).

This situation explains the low level and inadequacy of the credits to the private and public sectors that hinder domestic production in the primary sector and manufacturing sectors. The overvaluation of the CFA franc worsens this decline in domestic production.

Sixth, the current system worsens inequality between urban elites and the rural poor by constraining incentives for commercial agriculture and subsistence agriculture. Furthermore, it has failed to accelerate growth for the poorest members.

Finally, although this monetary bond did not prevent the commercial and financial decline of France in its sphere of influence, it has nonetheless contributed to the institution of centralized political regimes that are more responsive to the priorities of the French government, French companies, and foreign investors than to the interests of their citizens. For example, in oil-exporting CFA countries such as Chad, Gabon, the Republic of Congo, and Equatorial Guinea, the ‘president for life’ model or president looking to extend their term by violating the constitution of their countries still is the norm, despite the frequent organization of formal elections with a foregone conclusion. Unfortunately, Senegal is heading that way with the current president’s determination to select his successor by preventing the main opposition leader from taking part in the upcoming election after awarding all the main public projects and exploitation of the key natural resources to French companies and other foreign entities (Turks, Chinese, Indian, and Middle Eastern countries as well as North African firms).

In other words, the CFA franc existence favors a particular type of political leadership. « Those who can aspire to lead CFA countries are those who will not question its limitations while those who question the underpinnings of the CFA framework will be jailed, exiled, or killed” (Sylvanus Olympio first president of Togo, Thomas Sankara of Burkina Faso). Leaders in the Republic of Côte d’Ivoire, Senegal, Benin, and Togo have enjoyed the active solidarity and support of the French government and the French private sector over the last six decades.

In the face of growing protests of this neo-colonial relic led by pan-Africanists, social movements, patriots, nationalist politicians, and academicians, France, in alliance with Côte d’Ivoire, decided in December 2019 to soften its stance on the West African CFA franc. This proposed reform is meaningless as it is extremely limited in scope. Its main objective is to prevent criticism by renaming the currency, rearranging French representation within the Central Bank of WAEMU, and modifying the control of the French Treasury over the foreign reserves of these states.

These propositions completely ignore the key aspects of the financial and monetary arrangements that many economists criticize: the existence of a formal link of monetary subordination between France and the CFA countries, the fixed parity with the euro, the freedom of transfers, and the existence of two monetary unions that have no other foundation than colonial history.

While the abandonment of the CFA franc does not guarantee that its member countries will develop rapidly with inclusive economic growth, fair distribution of income, and alleviating poverty, the extension of its life expectancy can hinder any prospect of political and economic sovereignty of these countries.

III/ Reform of the CFA Zone

Against this background and considering the cost and benefit analysis performed for the WAEMU economies in general and Senegal particularly, a debate about the dismantlement of the CFA zone is still ongoing among economists and policymakers. The debate is about whether to stick to the existing framework of the CFA franc and change some key features or leave the CFA franc zone. The abandonment of the CFA franc to choose an exchange rate regime will be based on lessons learned from the experience of the economic performance of floaters (countries that allow their currency to fluctuate) and peggers (countries that fix their currency against a major currency or a basket of currencies). Should Senegal advocate for a reform of the CFA (opt out for a break with the peg and envision a semi-flexible or flexible system) or get out of the Zone and adopt its national currency to regain its sovereignty over monetary policy and exchange rate policy? What is the best choice for Senegal?

Short Term: Overhauling the exchange rate framework.

As the CFA members countries in general and Senegal in particular, plan for a post-COVID-19 to grow their economies and alleviate poverty, meaningful reform of the CFA franc zone should be on their agenda instead of what the French president and the Ivorian president proposed in December 2019 ( revision of the monetary cooperation agreement with France as was the case in 1973 after the criticisms of president Eyadema and the renaming of the currency from CFA franc to Eco to take into account the political and identity dimension of money; the end of the centralization of BCEAO’s foreign reserves with the French treasury (hence the closing of the operation account); and the withdrawal of France from the board of directors, the BCEAO monetary policy committee, and the WAEMU banking commission. This proposed reform is not enough and is meaningless. Consequently, one can envision a reform of the Zone since the inflexible CFA Franc monetary and exchange rate arrangement is a major contributor to the lagging economic performances (lower real GDP growth, lower per capita real GDP, lower HDI, higher trade deficit, less FDI) of countries such as Senegal, besides other factors such as bad governance, systemic corruption, inadequate business regulatory environment, human capital building, and a lack of investment in infrastructure.

The current exchange rate framework should be changed to reflect greater monetary flexibility, the possibility of improving competitiveness, adopting export-led growth, and realigning incentives for agricultural producers. To reach these goals, the exchange rate regime should evolve from the peg to the euro because anchoring the CFA to the euro no longer has the same meaning nor does it serve the same interest as it did when the system was set up – export to eurozone has decreased by more than 50% and is currently at about less than 20%. This rebalancing of the trade pattern in favor of China, India, Thailand, and Nigeria justifies a new anchoring of the CFA to a basket of currencies, especially the euro, dollar, and renminbi, reflecting WAEMU’s changing trade patterns with the rest of the world. The price of crude oil can be included in the basket to figure out the value of the exchange rate within a predefined band. Therefore, the benefits in terms of exchange rate stability with the euro are less effective due to less trade between the two zones.

Furthermore, there is a probability of a decrease in value in terms of export earnings because earnings are reported in USD, which must be converted to euros. So, an appreciation of the euro will lead to a decrease in the value of export earnings. It is also detrimental to the level of competitiveness because of the appreciation of the real exchange rate[4], and the only way to offset this negative impact on the level of competitiveness is to improve the term of trade by increasing the price of commodity goods which these countries do not control. This situation has led to a structural current account deficit since the introduction of the euro. It should also be noted that the peg to the euro creates a sentiment of “abandonment of monetary sovereignty” because of the need to follow policies set by the ECB to keep parity. Hence the restrictive policies of the Central Bank of WAEMU that explain the underfinance in these countries are the result of the peg. Indeed, M2/GDP is only 16%, which indicates a very low level of financing of economic activities.

Another reason for moving away from the peg is related to the concept of “optimal” currency area- the geographical region of the CFA zone is far from optimal due to three factors: (i) weak intraregional trade within WAEMU (it is less than 12% of total trade and well below the aim of 25%), (ii) less financial integration between the economies of WAEMU, and (iii) diverse capabilities to deal with asymmetric shocks (supply shocks such as oil shocks, COVID pandemic, or Ukraine war).

Moreover, suppose one uses exchange rate misalignment to measure the level of competitiveness of the CFA zone countries. In that case, there is a significant difference between countries in the zone, making it impossible to set up a single consensus monetary policy.

Finally, the goal of balancing stability and flexibility should make the currency more market-based to support exporters and entrepreneurs with the exchange rate adjustment. On the other hand, regaining monetary sovereignty can widen the options for fiscal and monetary management in a post-pandemic world.

Long Term: Adopting a national currency and setting up the required conditions for an independent central bank of Senegal.

As proved above, the CFA franc’s current financial and monetary arrangement is not conducive to economic growth and development because it hampers exports, hinders investment and industrialization, and creates inflationary pressure due to high inputs prices and commodities prices as well. More than sixty years after political independence or sovereignty, countries like Senegal no longer need neocolonial guarantees for monetary and fiscal management in conducting monetary and exchange rate policies. Overall, compared with the other African countries, economic growth and poverty alleviation, the human development index in the CFA franc zone has been lower since the 1990s due to the prohibitive cost of doing business in a currency pegged to the euro and because of restrictive monetary policies (tight credit policies) in the zone.

This monetary arrangement prevents the possibility of using big-push investments to transform the economies of the CFA countries, because of the fear that has been created in the minds of political leaders, policymakers, and economic managers of the zone by emphasizing the disadvantages of getting out of the Franc zone. But the lessons from the Asian tigers and many Latin American countries and African countries that manage their currencies should convince Senegal that it is possible to overcome the difficulties of having your currency and to manage monetary policy correctly to reach the stated economic goals of economic growth, price stability, job creation, and poverty alleviation. 

Our advice to the future Senegalese government is to start overcoming the burden of this financial and monetary arrangement and start a timeline of setting up the prerequisites (such as setting up an independent central bank modeled after the Federal Reserve system and the institutions to manage our currency). It is time to regain our economic and monetary sovereignty. Senegal has the human resources needed for successfully managing a national currency.

References

1. Public Announcement of Macron/ Ouattara July 2019

2. Souleymane Gueye. “La devaluation du franc cfa: Mesure inevitable ou imputable à l’intersyndicale” published in Walf Quotidien 1993

3. The new terms of the arrangements between the countries in the CFA franc zone and France remain opaque and largely undisclosed. While the latest annual report states that the operating account that previously sat at the French treasury has now been closed since April 2021, it does not disclose the details of the new ways through which the CFA is still guaranteed by the Euro now that the reserves are no longer held at the French treasury.

4. Paul R. Mason and Catherine Pattillo. The Monetary Geography of Africa Brookings Institution Press

5. The view tends to be mercantilist and monopolistic in favor of French state-backed private multinationals that operate within the WAEMU area.

6. Many African countries – Sierra Leone (44.8%), Ghana (43.1%) Gambia (17.8%), and Nigeria (24.08%) – have experienced prolonged periods of inflation. These rates are well above the inflation rate in the CFA zone in general and Senegal (14.1%) in particular. This rate is expected to slow down to 9% in 2023. These high inflation rates result from supply chain disruptions, global commodity price fluctuations, rising food and energy prices, political instability, and currency devaluation in countries with flexible exchange rates.

7. Souleymane Gueye. Senegal: Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes. L’Afrique des idees. 2023.

8. World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

9. Souleymane Gueye. The Determinants of Capital Flight in the West African Economic and Monetary Union. Updated working paper. Berkeley 2021.

10. “Africa’s last colonial currency: The CFA franc story” by N’dongo Sylla et Fanny Pigeaux


[1] See for example ‘Francs CFA: Les termes nouveaux d’une question ancienne’ de Kako Nupukpo, Demba Moussa Dembele and Martial Ze Belinga, or the book “Africa’s Last Colonial Currency: the CFA Franc Story’ by Fanny Pigeaux and Ndongo Samba Sylla, among recent publications on the topic.

[2] Special Drawing Rights are assets created by the International Monetary Fund (IMF) and act as potential claims used by WAEMU countries to supplement their official reserves.

[3] The two sub-zones are the WAEMU (West African Economic and Monetary Union) and CAEMC (Central African Economic and Monetary Union).

[4] This real exchange rate is the Nominal exchange rate*(domestic price/ foreign price).

OMC: à l’heure de la dé-mondialisation, l’Afrique peut-elle rester spectatrice ?

Par Joël Té-Léssia Assoko, journaliste, éditeur associé à l’Afrique des Idées

Alors que l’ordre commercial international est en plein chamboulement, les voix africaines se font inaudibles. A quel prix?

Les intrus sont dans Babylone. Et ses défenseurs hésitent. La décadente citadelle peut-elle encore être défendue ? Mieux: est-elle moralement défendable ? “Pour la première fois en cinquante ans, il n’y a pas d’accord mondial sur le commerce”, affirmait à la mi-septembre, à Genève, l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown, invité vedette du Forum public de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plus diplomate, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’institution multilatérale, s’alarmait d’une “tendance” pouvant mener “à la fragmentation de l’économie mondiale”.

À la coalition hétéroclite – nationalistes, populistes et altermondialistes – s’est joint une toute aussi disparate mais autrement plus puissante confédération de “réformateurs”. Tous insatisfaits de “l’ordre économique mondial” bâti depuis 75 ans “sur l’idée que l’interdépendance parmi les nations à travers l’accroissement du commerce et des liens économiques promouvrait la paix et la prospérité partagée”, comme s’en est émue Ngozi Okonjo-Iweala. Pour l’ancienne ministre nigériane des Finances, “cette vision est aujourd’hui menacée”. Avec elle, le futur d’une économie mondiale “ouverte et aux règles prévisibles”.

Une approche punitive du commerce

Le fait est que, longtemps confinés aux marges de l’économiquement correct, les “sales petits secrets” de la mondialisation sont désormais au cœur de l’agenda des élites. “Des idées qui avaient été discréditées après les ‘erreurs’ des années 1930 reviennent aujourd’hui à la mode”, alerte le dernier “Rapport sur le commerce international”. Selon les économistes de l’OMC, le processus de “démondialisation” aujourd’hui entamé “rendrait l’économie mondiale plus pauvre, moins efficace, moins innovante et plus limitée en ressources, réduisant ainsi les capacité à faire avancer les priorités sociales, environnementales ou sécuritaires”.

Peut-être bien. Quoi qu’il en soit, les mesures protectionnistes (“distortionnaires” dans le franglais de l’OMC) autrefois camouflées via divers subterfuges sont aujourd’hui assumées. Ainsi, le durcissement des règles commerciales vis-à-vis de la Chine décidées par l’administration de Donald Trump n’ont guère été supprimées. Loin s’en faut. Alors que la Chine domine le marché des “minerais critiques” essentiels à la fabrication des batteries électriques, les exemptions fiscales pour l’acquisition de véhicules électriques prévues par la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act – IRA) promulguée par Joe Biden en août 2022, ne sont réservées qu’aux voitures dont au moins 50% des intrants proviennent d’Amérique du Nord, en 2030 ce taux sera de 100%, rappelle Xolelwa Mlumbi-Peter, ambassadrice de l’Afrique du Sud auprès de l’OMC. “Qu’adviendra-t-il si ce n’est un espace commercial mondial fragmenté ?”, s’alarme la diplomate sud-africaine.

L’Union européenne défend son Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism – CBAM). Un ensemble de taxes appliquées à diverses importations (acier, ciment, engrais, aluminium, hydrogène, véhicules) dont la phase transitoire commence en octobre 2023. Bien sûr, ce n’est que pure coïncidence si ces mesures épousent la géographie exacte des points faibles de l’industrie européenne. Il s’agit uniquement de mettre en œuvre “une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits”. Et ce principalement afin de “lutter contre les fuites de carbone [transfert des activités polluantes vers des juridictions moins réglementées, ndlr], dans un contexte de renforcement de l’ambition climatique au niveau européen”. Pour le président français Emmanuel Macron, il s’agit pour l’Europe de retrouver son “autonomie stratégique”. 

“Il est nécessaire de trouver les solutions de décarbonisation les moins restrictives pour le commerce. Le CBAM, par exemple, perturbera considérablement les échanges internationaux, mais ne permettra de réduire que très marginalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela revient à utiliser un bazooka pour tuer une mouche”, répond Xolelwa Mlumbi-Peter.

Équité et dynamique de pouvoir

Le “Sud global” n’est pas en reste. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, s’agrippe à son statut de “pays en développement”, arguant de ses concessions passées. ”Lors de son adhésion à l’OMC, la Chine a accepté des conditions et un traitement très stricts. Par exemple, alors que la limite des subventions a été fixée à 5 % de la valeur de la production agricole pour les pays développés et à 10 % pour les pays en développement, cette limite est de 7,5 % pour la Chine”, explique un haut dirigeant des instances commerciales internationales. 

Il est à noter que le statut de “pays en développement”, est autoproclamé lors de l’adhésion à l’OMC – ce qui requiert l’unanimité des pays membres – et ne peut être abandonné que volontairement. “Le Brésil, Singapour et la Corée du Sud ont individuellement renoncé à bénéficier du “traitement spécial et différencié” réservé dans le cadre de l’OMC aux pays en développement mais n’ont pas formellement renoncé à leur statut de pays en développement”, nous a rappelé ce diplomate, familier des positions du “Sud” dans ces négociations.

Au sein même de l’OMC, “Nord” et “Sud” sont engagés dans une guérilla multipolaire. Avec l’Inde en chef de file, nombre de pays émergents et en développement (d’environ 40 à 90 États selon les sources), exigent la sanctuarisation de la “Détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire”, tandis que d’aucuns, parmi les pays riches surtout, se plaignent que ces achats provisionnels de bien alimentaires “faussent” les échanges “lorsqu’ils impliquent des achats auprès d’agriculteurs à des prix fixés par les pouvoirs publics, dénommés prix ‘administrés’”. Autrement dit : des subventions cachées à l’agriculture locale.

L’ironie étant denrée rare sur les rives du lac Léman, les pays développés s’opposent à toutes réductions de leurs propres subventions agricoles, tant qu’un accord ne sera pas trouvé au sujet des stocks alimentaires. Les solutions intermédiaires avancées par le Costa Rica, l’Inde et la Chine sur des réductions “asymétriques” ou étalées dans le temps des subventions agricoles ne font toujours pas l’unanimité. 

Or, commente un diplomate européen, environ la moitié des 800 milliards de dollars de subventions agricoles annuelles à travers le monde sont considérées comme “ayant un effet de distorsion” sur le commerce. “En comparaison, l’engagement pris lors de la COP21 à décaisser 100 milliards de dollars en faveur de l’agriculture verte n’a toujours pas été atteint”, a-t-il regretté. En plus des subventions, les mesures relatives au contenu local “sont mises en œuvre au mépris total des règles de l’OMC”, ajoute Xolelwa Mlumbi-Peter, qui avoue sa crainte que “l’ordre commercial mondial progresse désormais sur la base d’une dynamique de puissance et non selon l’équité”.

Pour ne rien arranger, note le rapport de l’OMC, le nombre de mesures d’exception liées à la “sécurité nationale” invoquées pour restreindre les échanges commerciaux a radicalement augmenté. Entre 2016 et 2022, elles ont été invoquées pas moins de 43 fois au sein des comités de l’OMC, contre 35 fois durant les treize premières années de l’OMC. Entre-temps, aucun accord n’a été trouvé pour redémarrer la cour d’appel de l’instance de règlement des différends commerciaux de l’OMC, bloquée par le véto des États-Unis qui, encouragés par d’autres pays développés, estiment que cette dernière a outrepassé ses compétences.

Qu’en est-il de l’Afrique ?

Entre clauses discriminatoires et mesures de distorsions, subventions iniques de plus en plus assumées et sabotages explicites de l’OMC – sous-staffée et dont le budget annuel est bloqué à 197 millions de francs suisses depuis dix ans malgré l’inflation -, “il y a peu de raisons d’être optimistes”, a reconnu un délégué de la Banque mondiale. “Lors de la dernière conférence ministérielle sur le commerce, en juin 2022, les États-Unis, la Chine et l’UE ont esquivé les questions sur les distorsions créées par leurs subventions. Elles n’ont pas été mentionnées dans le communiqué final. Tous les coupables sont dans la salle, en toute impunité vu la paralysie du mécanisme de règlement des différends de l’OMC”, a regretté ce haut fonctionnaire international. 

Plus optimiste, Henry Gao, professeur de droit à Singapore Management University, plaide : “Parce qu’ils sont tous des coupables, il est possible de parvenir à un grand accord sur les subventions si le coût de ces dernières devient trop élevé dans un contexte de durcissement des conditions des marchés financiers”. Cela est possible. Mais venons en au fait : tous les coupables sont peut-être dans la salle, mais toutes les parties prenantes y sont-elles ? 

Qu’en est-il de l’Afrique dans ce maëlstrom d’iniquités, dans cette économie mondiale en voie de “démondialisation” ? Il serait injuste de répondre “nulle part”. 

D’un, le système un pays-une voix qui freine parfois l’adoption des décisions accorde de fait un poids colossal à la quarantaine de pays africains membres de l’OMC, comme le prouve leur soutirn à l’Inde au sujet des stocks alimentaires. 

De deux, comme s’évertue à le rappeler Ngozi-Okonjo-Iweala, “aujourd’hui, 75 % du commerce mondial se fait dans le cadre de la ‘Clause de la nation la plus favorisée’”, pilier de l’ordre économique bâti par et autour de l’institution multilatérale. 

Enfin, “lorsqu’il s’agit des questions de politique [policy issues] et des priorités africaines (l’Agenda 2063 tout comme la zone de libre-échange continentale africaine – Zlecaf), l’unité africaine ne fait aucun doute. Nous nous sommes mis d’accord sur les propositions que nous avons présentées”, se félicite Xolelwa Mlumbi-Peter. 

Pour autant, la représentante de Pretoria admet que “le groupe Afrique est confronté à des contraintes de capacités institutionnelles”. L’Afrique du Sud et le Nigeria, uniquement, disposent d’ambassadeurs et d’équipes spécifiquement dédiées à l’OMC, regrette-elle : “Les autres représentations africaines en Suisse sont surchargées”, entre obligations consulaires à Berne et autres missions auprès des instances helvétiques de l’ONU.

Bizarrerie géopolitique

Avec moins de 5% des échanges internationaux de marchandises, le continent ne porte aucune responsabilité dans la dislocation en cours de l’ordre commercial mondial. 

Pour une fois, les pays africains ne figurent pas parmi les “suspects habituels” d’une bizarrerie géopolitique des temps modernes. Ni protagonistes, passablement “victimes”, certainement pas coupables. Mais, s’agit-il vraiment d’un progrès ?

Dans le grand théâtre du monde, l’innocence semble une vertu, mais elle n’a aucune valeur.

Diplômé en économie (Paris Dauphine PSL) et en affaires internationales (SciencesPo Paris), Joël Té-Léssia Assoko est éditeur associé de l’Afrique des Idées. Journaliste économique depuis dix ans, il a dirigé le pôle économie et finance du média panafricain Jeune Afrique entre 2020 et 2022.

L’européanisation des levées de fonds en crowdfunding doit interpeller l’Afrique

Par Jean-Yves Régis Naka, cadre financier basé en Côte d’Ivoire, auteur de l’ouvrage « Le financement participatif : enjeux de développement pour l’Afrique« 2022, l’Harmattan.

Pensant avoir tourné le dos à la crise sanitaire, le continent africain subit à nouveau un ralentissement dans sa marche vers le développement, en raison du conflit russo-ukrainien. En effet, depuis quelques mois, les Africains assistent impuissants à la flambée du coût de la vie. Dans cette tourmente, l’ironie de l’histoire est que ce n’est que maintenant que certains comprennent mieux l’importance de l’autosuffisance alimentaire. Il faut dire que la crise inflationniste qui sévit actuellement en Afrique vient accentuer déjà une situation fragilisée par la crise du COVID-19 et marquée par la hausse de la pauvreté, de la menace terroriste et des impacts liés aux changements climatiques.

Toutefois, si l’on fait l’effort d’examiner la situation ne serait-ce qu’avec un brin d’optimisme, les inquiétudes s’atténuent devant le constat suivant : les crises économiques font partie intégrante des cycles auxquelles nos économies sont confrontées et elles finissent par passer. De plus, chacune d’entre elles ouvre de nouvelles opportunités. A titre d’exemple, c’est la crise financière de 2008 qui a propulsé l’industrie du financement participatif ou crowdfunding (en anglais). Dans un contexte de raréfaction du crédit et d’émergence des réseaux sociaux, a émergé le besoin de repenser la finance et le fruit de ce travail à favoriser la mise en service de plateformes dédiées à des levées de fonds en peer-to-peer, c’est-à-dire des lieux d’échanges en ligne où des internautes peuvent financer directement un projet ou une cause partagée par d’autres internautes.

A l’heure où il est question d’imaginer l’Afrique de demain, il est important d’actualiser la stratégie de déploiement des projets phares de l’Agenda 2063 (Agenda de l’Union Africaine) et d’œuvrer davantage afin que les plateformes de financement participatif du continent puissent pleinement jouer leur rôle en tant qu’outil formalisé de financement du développement.

En Afrique subsaharienne, l’intérêt est de plus en plus croissant pour le financement participatif. Mais, bien que l’évolution des levées de fonds ait connu une hausse spectaculaire de près de 481 % en 3 ans (2018-2020), les fonds collectés au niveau local restent faibles. Sur un marché estimé à 1,2 milliards de dollars en 2020, seulement 3% de ces fonds levés sont effectués sur des plateformes locales.

A ce jour, plusieurs obstacles tels que l’absence de réglementation sont pointés comme étant responsables de cette situation. Le dernier rapport (2022) de McKinsey sur l’état de l’adoption du digital en Afrique relève à ce titre que « naviguer dans un environnement réglementaire incertain » n’est pas favorable au succès des fintechs. Par conséquent, il est impérieux de trouver des solutions à ces blocages visant à accroître la mobilisation de capitaux locaux et l’expérience acquise en la matière sur d’autres marchés qui peuvent servir de boussole.

Cet article vise à présenter les innovations du marché européen du financement participatif et à monter comment l’Afrique pourrait s’en inspirer pour accélérer son développement.

Le marché du financement participatif en Europe

Au fil du temps, l’Europe a réussi à créer le plus grand espace économique du monde sans frontière, avec près de 500 millions de citoyens. Sur ce marché unique, le crowdfunding connaît un succès indéniable. Il faut savoir que le financement participatif consiste à mettre en relation au moyen d’une plateforme technologique, des porteurs de projets cherchant du financement et des investisseurs/contributeurs disposés à apporter des fonds pour leur réalisation.

Aujourd’hui, cette pratique est devenue courante dans plusieurs secteurs, notamment les énergies renouvelables et l’immobilier dans l’ensemble des vingt-sept (27) Etats membres de l’Union européenne (UE) ainsi que trois (3) Etats membres de l’Espace économique européen à savoir, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

Au cours des dix (10) dernières années, les plateformes de crowdfunding ont connu une croissance significative en Europe. En effet, leur nombre est passé de 200 plateformes en 2012 à près de 800 aujourd’hui[1][2]. Cette évolution spectaculaire se note également en termes de levées de fonds. Selon les statistiques du Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), le volume du marché européen de la finance alternative (y compris le Royaume-Uni) a connu une évolution importante de 2013 à 2020, passant de 1,5 milliard de dollars en 2013 à 22,6 milliards de dollars en 2020[3].

Si le marché progresse bien en Europe, c’est d’abord parce que le grand public y adhère massivement et que d’importantes mesures d’accompagnement aient été prises par les pouvoirs publiques. Il faut aussi dire que dans cette partie du monde, les citoyens éprouvent de plus en plus un besoin de contribuer positivement à l’économie proximité[4]. Les plateformes jouent simplement leur partition et parmi les trois grandes formes de financement participatif proposées qui sont le prêt, le don et le capital (equity), la plus populaire est le prêt (crowdlending) qui représente 85 % du volume total des fonds levés.

L’envolée du crowdfunding en Europe n’est pas prête de s’arrêter de sitôt. Selon des estimations, le marché européen devrait enregistrer un taux de croissance annuel moyen de 6,30 % jusqu’en 2027 grâce aux efforts des opérateurs pour attirer davantage de jeunes ainsi qu’au développement de l’économie de proximité[5].

La règlementation européenne

En raison de la nature des activités, le financement participatif est soumis à la réglementation bancaire et financière. Un encadrement juridique spécifique a donc été nécessaire pour accélérer le développement du marché.

En 2012, les Etats-Unis ont donné le ton avec l’adoption du JOBS Act et les pays européen ont suivi par la suite. Par exemple, en 2014, la France a introduit deux régimes pour réguler les activités en prêts et en capital à savoir, les statuts de conseiller en investissements participatifs (CIP) et d’intermédiaire en financement participatif (IFP).

Toutefois, du fait des différences observées aux niveaux des cadres nationaux, un nouveau défi est apparu rapidement : celui d’étendre dans la commercialisation des opportunités d’investissement aux investisseurs en dehors des pays de résidence.

Il fait état que les États européens dont les marchés de capitaux nationaux sont plus petits (c’est-à-dire les pays baltes, l’Europe de l’Est, les Balkans) sont plus dépendants des flux transfrontaliers que les marchés dont les marchés de capitaux nationaux sont importants (c’est-à-dire la France, l’Allemagne…)[6].

Pour donner ainsi l’opportunité aux opérateurs de plateformes d’exploiter pleinement le potentiel du marché unique, l’UE a mis en application le 10 novembre 2021 son cadre réglementaire dénommé European Crowdfunding Service Provider Regulation (ECSPR) (règlement UE 2020/1053). En établissant un ensemble harmonisé de lignes directrices, le nouveau règlement crée des conditions de concurrence égales pour les plateformes de crowdfunding dans l’UE.

Le dynamisme des associations professionnelles

Au-delà des aspects juridiques et des opportunités de marché, l’industrie européenne du crowdfunding doit également sa percée à la vitalité des associations et réseaux professionnels engagés à ses côtés.

La capacité d’un opérateur à organiser une levée de fonds pour le financement d’une activité en soi ne sert pas l’économie. Cela représente certes une avancée technologique appréciable en termes de modernisation des outils de collecte de l’épargne, mais sans utilisateurs, la plateforme n’a pas de valeur. Ce sont à la fois les porteurs de projets et les soutiens (investisseurs et contributeurs) qui créent de la valeur.

Il est donc essentiel de susciter de l’intérêt pour les plateformes et ceci constitue l’une des missions principales des associations. Elles jouent un rôle important dans la promotion du concept crowdfunding dans sa globalité. Ensuite, en fonction de ses besoins et orientations, le citoyen éclairé se redirigera vers la plateforme qui lui parait la plus appropriée.

Les associations contribuent aussi au développement des compétences des acteurs du secteur à travers l’organisation d’ateliers et de forums pour échanger sur les bonnes pratiques. Quasiment dans chaque pays, des associations dédiées à la finance participative ont vu le jour et constituent ainsi des groupes de pression pour la défense des intérêts des plateformes face aux pouvoirs publics en particulier les régulateurs pour faire progresser la filière. C’est le cas de Bundesverband Crowdfunding eV, en Allemagne, de Spain Crowdfunding en Espagne, de Associazione Italiana Equity Crowdfunding en Italie, etc.

S’il est vrai que les plateformes de financement participatif accompagnent les initiatives publiques et privées d’une manière admirable, il est néanmoins important d’en connaître l’impact pour mieux apprécier leur plus-value. La mesure du poids économique des acteurs est de ce fait une tâche importante que se sont assignées certaines associations.

Prenons le cas de la France avec son association Financement Participatif France (FPF). Il est fait état qu’en 2022 le pays a enregistré un record dans les collectes de fonds en crowdfunding, avec plus de 2,3 milliards d’euros levés pour plus de 120.000 projets financés. Depuis 2015, le financement participatif global dans ce pays a été́ multiplié par 14 pour un total cumulé de 7 milliards d’euros[7]. Si on est bien d’accord que ces chiffres permettent de relever l’importance de l’industrie dans la vie sociale et économique du pays, il ne faut pas ignorer que c’est l’œuvre de l’association française et de son partenaire Mazars. Depuis 2013, Financement Participatif France fournit des données statistiques en rapport avec l’évolution du secteur au niveau local, à travers la publication d’un baromètre.

Au niveau européen, le continent compte un réseau professionnel puissant l’European Crowdfunding Network (ECN) qui est également impliqué dans plusieurs projets financés par l’UE visant à sensibiliser et à développer l’utilisation du crowdfunding. Ceci traduit assurément la profondeur de l’intégration régionale en Europe et le niveau de maturité du marché du financement participatif sur ce continent, où l’ensemble de l’écosystème a compris que le développement de l’intérêt collectif permettra à terme d’accroître les performances individuelles.

L’Afrique compte à ce jour quelques associations régionales dont la plus importante est l’African Crowdfunding Association (ACfA). D’importants efforts sont encore nécessaires pour susciter davantage l’appui politique et l’engagement citoyen.

La révolution digitale en Afrique

Dans Le Digital Au Secours de l’Afrique, l’ingénieur béninois Sophonie Koboude appréhende l’évolution du monde à partir du 18ème siècle, sous l’angle des révolutions industrielles. Cette approche permet de tirer deux enseignements essentiels : « Le premier grand enseignement est que l’émergence d’un nouveau système technique, bien qu’en ne supprimant pas les symboles techniques du système technique précédent, change les genres de vie à travers des transitions radicales dans la façon de produire, de consommer, d’organiser les entreprises et le système productif. Le deuxième enseignement est en effet un corollaire du premier. Le déploiement d’un nouveau système technique modifie l’ordre des puissances économiques ou, a minima, le poids relatif des économies[8]». A présent, nous vivons dans l’ère de la révolution digitale et c’est une aubaine pour le continent à condition, selon l’auteur, d’avoir un cap qui définit clairement l’horizon africain digital et s’inscrit dans le monde que fait émerger l’informatisation.

Il n’est pas difficile de se rendre compte du pouvoir du digital en Afrique. On assiste depuis plusieurs années, avec le concours d’acteurs locaux, à différents sauts numériques « leapfrogs » qui ont transformé le continent dans tous les secteurs.

Dans la finance digitale, le crowdfunding a encore beaucoup de place pour son expansion quand on sait bien que la question de financement demeure un véritable défi pour les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Même dans les économies avancées, le déficit de financement des entreprises est bien plus élevé que l’on pense.

Selon une enquête de la Commission européenne, une PME européenne sur quatre (1/4) rencontre des difficultés pour obtenir un prêt auprès des institutions bancaires[9]. Les plateformes exploitent ainsi cette faiblesse du système financier pour se développer. A cet effet, d’après le CCAF, les plateformes de crowdfunding en Europe, hors Royaume-Uni, ont levé 4,3 milliards de dollars pour les entreprises en 2019 et 5,2 milliards de dollars en 2020. Les volumes de financement axés sur les PME ont augmenté régulièrement au cours des dernières années, le financement des entreprises représentant 35 % du volume total en 2019 et 52 % du volume total en 2020[10].

L’Afrique gagnerait beaucoup à continuer à miser sur le digital en intégrant dans son dispositif les plateformes de crowdfunding pour formaliser la générosité de ses populations, qui le sait-on est légendaire, en vue de soutenir la transformation économique.

L’avènement de la ZLECAF

La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est devenue le maître mot en Afrique aujourd’hui. Pendant que certains acteurs y voient des possibilités d’expansion de leurs activités grâce à cette ouverture sur l’ensemble des pays du continent, d’autres voient un chemin pour exister, tout court.

Cependant, au-delà de l’effet de mode, il y a une réelle volonté des décideurs politiques de transformer l’Afrique en puissance mondiale de l’avenir et cet esprit se retrouve dans la vision panafricaine partagée, à savoir : « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ».

La ZLECAf est une des initiatives clés, identifiées par l’Union Africaine comme essentielle pour accélérer la croissance économique et le développement de l’Afrique, ainsi que pour promouvoir l’identité commune. Sa réalisation sera une grande réussite pour le continent mais également elle va faciliter celle d’autres projets qui englobent, entre autres, les infrastructures, l’éducation, la science, la technologie, les arts et la culture, ainsi que des initiatives visant à garantir la paix en Afrique.

La zone représente aussi une opportunité pour stimuler le marché africain du crowdfunding au regard des expériences observées dans d’autres endroits du monde en terme déploiement de grands projets. En 2019, l’Union européenne a décidé à travers son Pacte vert pour l’Europe d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’idée est d’arriver à un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone dans l’atmosphère par les puits de carbone. Fait important, pour atteindre cet objectif, le financement participatif a été identifié comme un axe complémentaire pour mobiliser des ressources mais aussi pour susciter la participation du grand public. Selon des acteurs locaux : «si les citoyens sont associés au développement des énergies renouvelables par le biais d’un financement participatif, ils accepteront plus facilement les infrastructures d’énergie renouvelable dans leur région et auront l’impression d’être véritablement partie prenante[11]». Il y a de nombreuses illustrations de la contribution des plateformes au développement des énergie vertes et la centrale solaire de Torreilles située dans le sud de la France en est un exemple. La construction de cette centrale d’une capacité de 9.6MW a nécessité l’apport de 800.000 euros, collectés sous forme de prêt participatif à un taux annuel de 5% pour une durée de trois ans à travers deux plateformes européennes Lumo (France) et Oneplanetcrowd (Pays-Bas). Grâce à l’appui de 480 investisseurs, 5.200 foyers ont eu accès à une source d’énergie renouvelable.

Pourquoi l’Afrique ne pourrait-elle pas elle aussi solliciter le concours de ses plateformes de crowdfunding dans la réalisation de ses grands projets ? Même dans le cas de la ZLECAf, les plateformes pourraient être mises à contribution pour stimuler les échanges commerciaux intra-africains en facilitant l’accès aux start-ups. C’est assurément de ce type d’interventions que le juriste camerounais Beauclair Njoya Nkamga appelle de tous ses vœux quand il fait allusion au renforcement de l’élan de la ZLECAf dans son ouvrage Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Il y souligne, en même temps, l’importance de simplifier le narratif autour de ce concept continental et d’en faire une bonne vulgarisation pour faciliter son appropriation par les populations et acteurs économiques privés, institutionnels et consulaires[12].

Les priorités africaines

L’adoption d’une réglementation européenne pour le crowdfunding va sans conteste dynamiser le marché et accroître la capacité d’impact des plateformes sur l’économie réelle. Les plateformes africaines, elles aussi, bénéficieraient, grandement d’une reforme de cette envergure pour le continent à long terme. Mais pour l’heure, force est d’admettre que les priorités sont ailleurs.

Le premier défi que doivent relever les plateformes africaines est d’attirer plus massivement les citoyens vers elles. Bien vrai qu’il ait une hausse des fonds mobilisés, le financement participatif est encore nouveau sur le continent et les populations sont peu impliquées dans ces levées de fonds. Il n’y a pas que la méfiance qui justifie cette situation mais, aussi le manque de connaissance.

Le développement des plateformes s’accompagne également d’une variété de spécialisations, ce qui peut entraîner plus de confusion à la fois du côté des porteurs de projets que des investisseurs/contributeurs. Il peut arriver dans certains cas que le champ de spécialisation d’une plateforme s’applique à plusieurs catégories. Prenons le cas du crowdfunding immobilier, par exemple. En fonction de la spécialisation de la plateforme, il peut s’agir d’une opération en equity crowdfunding immobilier ou en prêt participatif immobilier. Dans le premier cas, l’investisseur s’engage dans un projet immobilier en échange d’actions et peut récupérer sa mise à la vente du bien. Dans le second cas, l’internaute prête un des fonds pour la réalisation d’un projet et sera remboursé selon un échéancier prévu dès le départ. En effet, tout ceci ne saurait que complexifier la compréhension pour certains.

Le crowdfunding a le potentiel de croître plus rapidement qu’on ne le pense en Afrique. Il est donc important d’accroître la sensibilisation sur les conditions d’utilisation des plateformes pour susciter une plus grande participation des citoyens africains. Pour démarrer une activité, les porteurs de projets ont l’habitude de recourir à des appels aux dons dans leur entourage, cercles familiaux et amicaux. Mais la limite dans ce schéma, c’est que celui ou celle qui n’a pas un bon réseau au départ n’a pas le droit de rêver.

C’est d’ailleurs ce besoin de contribuer à améliorer l’accès au financement en Afrique qui a motivé la publication de mon ouvrage Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. De plus, dans cette publication, cinq (5) axes de réflexions ont été partagés pour créer des conditions de marché plus favorable au développement de ce mécanisme. Il s’agit entre autres du renforcement d’initiatives de cofinancements, notamment avec les acteurs institutionnels ; l’accélération la réglementation des plateformes de financement participatif ; la création de communautés financières plus grandes ; le développement des labels de qualité́ ; et la mise en place de programmes de renforcement des capacités pour les porteurs de projets.

Jean-Yves Régis Naka est expert financier, essayiste et co-fondateur de Guanxi-Invest – la première plateforme de financement participatif en Afrique Centrale.

Bibliographie

Autorité des marchés financiers. 2015. Union des marchés de capitaux: Financement participatif (crowdfunding). 2015.

Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. 9782380672152.

McKinsey & Company. 2022. Fintech in Africa: The end of the beginning. 2022.

Naka, Jean-Yves R. 2022. Le financement participatif: Enjeux de développement pour l’Afrique. s.l. : Editions L’Harmattan, 2022. 978-2140267666.


[1] European Crowdfunding Network, A Framework for European Crowdfunding, October 2012, P. 21

[2] Max Crowdfund, European Crowdfunding Market Outlook 2023, January 24, 2023

[3] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 70

[4] Selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, l’économie de proximité se définit d’abord comme un mode d’organisation de l’économie autour de la relation directe : relation des entreprises avec les consommateurs, relations entre entreprises, ancrage dans la vie locale. Son objectif est d’augmenter le bien-être en valorisant le territoire par les acteurs qui l’habitent et pour eux. Elle se définit ensuite par son rapport au développement local.

[5] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[6] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 85

[7] Baromètre du crowdfunding en France 2022, Mazars – Financement Participatif France

[8] Koboude, Sophonie. 2021. Le digital au secours de l’Afrique. Norderstedt : s.n., 2021. P.31-32

[9] Mordor IntelligenceIndustry Reports, EUROPE CROWD LENDING AND CROWD INVESTING MARKET – GROWTH, TRENDS, COVID-19 IMPACT, AND FORECASTS (2023 – 2028)

[10] Cambridge Centre for Alternative Finance, The 2nd Global Alternative Finance Market Benchmarking Report, June 2021, P. 79

[11] Projet: CrowdFundRES – Le crowdfunding, la solution idéale pour stimuler les projets d’énergie renouvelable – C’est un des projets financés par les programmes‑cadres de l’UE pour la recherche et l’innovation

[12] Beauclair Njoya Nkamga. 2022. Présentation et procédures en Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). P. 20

Protection de la haute mer: quels enjeux pour l’Afrique ?

Par Manzi T. Karbou, Conseiller juridique à la Mission permanente du Togo auprès des Nations Unies

Il y a deux semaines, le 4 mars 2023, au terme de près de vingt années de travaux dont quatre de négociation ferme et directe, un traité sur la protection de la haute mer est né, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, à New York.

Qualifié d’historique, cet accord est destiné à contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité. Il faut le dire, les océans sont l’un des principaux réservoirs de la biodiversité dans le monde, ce sont des puits de carbone essentiels à la régulation du climat et donc indispensables dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ils constituent plus de 90 % de l’espace habitable sur la planète et abritent quelques 250 000 espèces connues ainsi que de nombreuses espèces encore inconnues.

Quelques mois après l’adoption d’un accord lors de la COP15 biodiversité, ce texte présente le double-avantage de réaffirmer la volonté d’atteindre l’objectif 30×30 (protéger 30 % des océans du monde d’ici à 2030) et d’ouvrir la voie à la création d’aires marines entièrement ou hautement protégées dans tous les océans du monde.

Cet accord est aussi important car il n’existe, pour l’heure, quasiment pas un seul texte qui protège la haute mer contre une exploitation et une destruction effrénée.

Samedi 4 mars donc, tard dans la nuit, les Nations unies se sont accordées sur un traité international de protection de la haute mer qui protège les espèces animales et végétales des régions situées à plus de 200 milles nautiques (370 kilomètres) de la terre ferme. Bref, les océans ne seront plus un espace de non-droit.

« C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé, la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique », a déclaré Laura Meller, chargée de campagne océans pour Greenpeace Nordic. Cette organisation et de très nombreuses organisations non gouvernementales étaient bien présentes aux négociations, aux côtés des délégués des Etats, afin de jouer le rôle de pression, parfois de catalyseur, nécessaire à l’adoption de ce texte important.

Intervenant le lendemain, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a félicité les délégués et, par l’intermédiaire de son porte-parole, a déclaré que l’accord était « une victoire pour le multilatéralisme et les efforts mondiaux pour contrer les tendances destructrices qui menacent la santé de nos générations futures ».

Que faut-il donc retenir concrètement de cet accord ?

C’est le 24 décembre 2017 que, par sa résolution n°72/249, l’Assemblée générale des Nations Unies a convoqué, une conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer (en anglais : « conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction – BBNJ »). Ce processus s’inscrit dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite Convention de Montego Bay. Les travaux de la conférence ont débuté avec une première session en septembre 2018, suivie d’une deuxième en mars 2019. La troisième session s’est tenue en août 2019. La quatrième session se tiendra deux ans plus tard en mars 2022, les pays membres ayant refusé d’envisager des discussions en ligne, dans la droite ligne de la nouvelle normalité que nous avaient imposé les conséquences de la covid-19. La cinquième et dernière session s’est déroulée en deux rounds : le 1er en août 2022 et le 2ème en mars 2023.

L’accord en lui-même s’articule autour de quatre piliers principaux, sur lesquels les Etats s’étaient déjà accordé depuis 2011. Véritable épine dorsale de cet instrument juridiques, les quatre piliers se déclinent comme suit :

  • Les ressources génétiques marines, notamment le partage des bénéfices :

Longtemps, les discussions ont été ralenties notamment en raison de désaccords sur le financement de la protection des océans et de la mise en œuvre des accords sur la pêche. Mais le principe du partage des bénéfices des ressources marines génétiques collectées en haute mer demeure un sujet sensible. Il a d’ailleurs cristallisé toutes les attentions lors des négociations. Les pays en développement, ne disposant pas des moyens de financer des expéditions et recherches coûteuses ont lutté pour être pris en compte par un partage équitable des ressources marines génétiques et du partage des bénéfices anticipés issus de la commercialisation de ces ressources.

Ainsi portée au cœur des débats, l’utilisation de ces ressources génétiques marines, demeure d’une importance capitale pour les recherches scientifiques.

« La Terre ne serait pas habitable sans les services rendus par les océans », rappelait Sophie Arnaud-Haond, chercheuse à l’Ifremer en écologie et évolution des organismes marins.

Grouillant de vie et d’espèces de tous genres, la haute mer abrite un nombre insoupçonné d’enzymes et de molécules potentiellement utiles pour les travaux des industries pharmaceutiques, agroalimentaires ou cosmétiques. « Un litre d’eau de mer contient un milliard de virus, des centaines de millions de bactéries, près de 100 000 microalgues et quelques zooplanctons », décrit Romain Troublé, le directeur général de la Fondation Tara Océan. Il ajoute que grâce à leurs expéditions, « nous avons découvert près de 200 millions de nouveaux gènes et surtout notre ignorance. On connaît un peu moins de 5 % des micro-organismes marins. Entre 500 000 et plus de 10 millions d’espèces différentes vivraient dans l’océan, dont seulement 280 000 ont été recensées ».

Dans cet univers, les experts pensent que les micro-organismes des océans sont à l’origine de la vie sur Terre. Ils fournissent des services écosystémiques essentiels à la vie. En particulier, ils génèrent 50 % de l’oxygène que nous respirons et captent le carbone que nous émettons. Des vaccins à ARN messager contre le Covid aux traitements contre le cancer en passant par les thérapies anti-sida, la découverte de ces ressources génétiques marines a permis des avancées scientifiques. « Il y a aussi des molécules phosphorescentes que l’on utilise pour l’imagerie médicale, d’autres encore nous intéressent pour leur capacité à résister à de fortes pressions ou à détoxifier leur environnement, ce qui permettrait de lutter contre les pollutions causées par des hydrocarbures », détaille Sophie Arnaud-Haond.

Les micro-organismes marins sont également utilisés pour comprendre comment le changement climatique affecte la biodiversité marine, qui est déjà affectée par l’acidification des océans et la perte d’oxygène dans certaines régions.

Il est bien connu que l’importance des ressources génétiques marines n’est plus à prouver et la course à leur recherche et à leur développement ne fait que commencer. Alors que la plupart des pays comprennent l’importance de protéger la biodiversité marine, il est tout aussi clair que les pays développés exploitent et bénéficient déjà de cet énorme potentiel qu’offrent nos océans.

C’est pourquoi les négociations ont longtemps butté sur la question de la répartition des bénéfices en haute mer. Même si la haute mer n’appartient à personne, peu de pays ont la capacité de collecter ces ressources génétiques marines, ce qui nécessite la mobilisation de moyens financiers et techniques importants.

C’est donc à juste titre que les pays en voie de développement demandent un pourcentage des bénéfices issus des brevets qui reposent sur ces ressources. 

Le texte propose donc l’instauration de royalties.  Les entreprises qui découvrent des molécules intéressantes en haute mer devraient payer un pourcentage des bénéfices de la commercialisation des brevets basés sur la même molécule. Ces revenus financeront la protection des aires marines protégées (AMP) et pourront financer la recherche dans les pays en développement. Pour donner un exemple très précis, si Pfizer développait un nouveau vaccin basé sur des ressources génétiques de haute mer, il devrait verser une certaine somme au fonds créé à cet effet. L’argent devra également servir à développer des projets internationaux pour le bien commun avec des chercheurs de haut niveau.

  • Les outils de protection de la biodiversité marine, en particulier les Aires Marines Protégées (AMP) 

Les services rendus par l’océan et ses écosystèmes constituent un patrimoine naturel extraordinaire. Malheureusement, les pressions anthropiques et les impacts liés au changement climatique affectent le milieu marin, ainsi que les économies nationales et les populations qui en dépendent.

C’est pour réduire ces impacts que les Aires Marines Protégées (AMP) ont été créées par des pays avec pour but d’améliorer la conservation de la biodiversité marine dans les zones qui sont sous leur juridiction. Jusqu’alors, la majeure partie des AMP se trouve dans les eaux territoriales et donc sous juridictions nationales.

Tout le mérite de cet accord est d’instituer des AMP dans des eaux qui n’appartiennent à aucune entité spécifique. Ainsi, dans le cadre de cet accord, les AMP auront pour objectifs, entre autres, de protéger, préserver, restaurer et maintenir la biodiversité et les écosystèmes, notamment en vue d’améliorer leur productivité et leur santé, et renforcer la résilience aux facteurs de stress, y compris ceux liés au changement climatique, à l’acidification des océans et à la pollution marine. Ils visent également à renforcer la coopération et la coordination dans l’utilisation des outils de gestion par zone, y compris les aires marines protégées, entre les États, les instruments et cadres juridiques pertinents et les organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels compétents.

Pour ce faire, il est prévu qu’un fonds soutienne les États parties en développement, en particulier les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral, les États géographiquement défavorisés, les petits États insulaires en développement, les États côtiers d’Afrique, les États archipels et les pays en développement à revenu intermédiaire, en tenant compte de la situation particulière des petits États insulaires en développement, par le renforcement des capacités et leur développement ainsi que le transfert de technologies marines dans l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi, la gestion et l’application d’outils de gestion par zone, y compris les zones marines protégées.

Il faut relever tout de même que cet objectif est un enjeu assez complexe dans la mesure où l’application du droit international est de manière générale un peu compliquée. On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque usager de la mer. On devra donc s’orienter à travers des outils technologiques tels que l’imagerie satellitaire qui permet d’avoir une surveillance globale de ces aires. L’enjeu c’est aussi que les plans de gestion de ces futures aires prévoient les moyens nécessaires à la surveillance des activités et l’application des futurs plans de gestion. Pour cela, on peut se reposer sur de plus en plus d’outils développés par des États, et des organisations non gouvernementales pour avoir un suivi régulier des flottes de pêches par exemple.

  • Les évaluations d’impact environnemental des nouvelles activités humaines en haute mer

Obligation est faite aux Etats parties du futur traité de conduire des études d’impact sur l’environnement avant toute activité en haute mer. Le texte prévoit un système commun, rigoureux, intégré, indépendant et fondé sur la science pour évaluer, gérer et surveiller les impacts individuels et cumulés des activités humaines et du changement climatique sur la biodiversité marine en haute mer. Il est important que les activités affectant la biodiversité soient évaluées par rapport à des normes communes et élevées et que les pays développent des évaluations environnementales stratégiques pour former une base de connaissances partagée et prendre les décisions nécessaires pour protéger la biodiversité marine.

Il établit que tout Etat partie ayant juridiction ou contrôle sur une activité planifiée qui doit être menée dans des zones marines relevant de sa juridiction nationale détermine que l’activité peut entraîner une pollution substantielle ou des modifications importantes et nuisibles du milieu marin dans des zones situées au-delà de sa juridiction nationale. Si tel est le cas, qu’il puisse établir les études conformément, soit aux normes prévues au plan international, soit en vertu de son droit national, et dans ce dernier cas, en veillant à respecter des conditions établies par le texte et qui seraient précisées par les prochaines étapes de la mise en œuvre de l’instrument.

  • Le renforcement des capacités et le transfert des technologies marines au profit des États en développement

En adoptant le texte, les États parties, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, encouragent la coopération dans les domaines du renforcement des capacités et du transfert des technologies marines pour aider les pays en développement à atteindre les objectifs du prochain traité.

Il s’agit donc d’un enjeu clé pour la mise en œuvre du futur instrument. Les négociateurs ont élaboré des types et des modalités de renforcement des capacités et de transfert de technologie marine, ainsi que des centres d’échange envisagés à cet effet.

Les documents de négociation énumèrent divers types d’activités de transfert de technologies marines et de renforcement des capacités, telles que les infrastructures, les capacités de recherche scientifique, le partage d’informations et de technologies, la diffusion d’informations ou la création de centres régionaux d’excellence.

En ce qui concerne les modalités de transfert des techniques marines par exemple, le document propose plusieurs options fusionnées qui permettront de créer des « package » dont la mise en œuvre pourrait se décliner de différentes manières. 

En tout état de cause, cette étape est très cruciale pour les pays en développement puisque le renforcement des capacités sera, de toutes les façons, basé sur les besoins des bénéficiaires.   

Que retenir pour l’Afrique ?

L’Afrique a été bien représentée au cours des négociations ayant abouti à l’adoption du BBNJ.  Partie sur la base d’une position commune africaine, l’équipe de négociateurs des pays africains a pu également compter sur le soutien de la Commission de l’Union africaine, notamment à travers le bureau du Conseiller juridique de l’UA, mais aussi d’un engagement salutaire du bureau des affaires juridiques de la Mission permanente d’observation de l’UA auprès des Nations Unies à New York.

Il est important de préciser que c’est grâce à l’engagement (personnel et consciencieux) des négociateurs issus des pays africains et de la mise en œuvre d’un position commune africaine que la voix de l’Afrique a pu être entendue dans le déroulé des négociations de cet instrument. Mais alors que gagne l’Afrique ?

  • Enfin un instrument qui fait face à la sur-exploitation et la sur-pêche dans les eaux internationales

Contrairement à plusieurs autres instruments avant lui, l’accord portant sur le BBNJ est un instrument juridique contraignant, au sens onusien du terme, c’est à dire que les Etats l’ayant ratifié auront l’obligation de mettre en œuvre ses dispositions. L’accord contient également en son sein un système de suivi et de contrôle du respect de ces obligations.

Autre élément, l’océan est l’objet d’une surexploitation massive. Avec la mondialisation du commerce, plus de 90% des marchandises issues du commerce international passent par les océans. Il y a donc de plus en plus de bateaux et de cargos de transport en circulation, entrainant des pollutions chimiques et plastiques de masse ainsi que des nuisances sonores d’un niveau tel qu’elles perturbent tout l’univers sous-marins et les écosystèmes connus et inconnus.  

Mais l’océan est aussi un milieu riche que l’on exploite aussi pour produire de la nourriture.

La surpêche est désormais un problème bien connu : de nombreuses espèces menacées d’extinction éprouvent de plus en plus de difficultés à se reproduire et se renouveler à cause du développement massif de la demande en produits halieutiques et ce à un rythme trop rapide. Des techniques de plus en plus invasives sont utilisées dans le monde entier pour pêcher de plus en plus de poissons de manière toujours plus rapide et moins coûteuse. Le problème est que ces méthodes, telles que le chalutage en eaux profondes ou la pêche électrique, ont des conséquences énormes sur les écosystèmes marins et détruisent une bonne partie de la faune et de la flore.

  • La haute mer devient « patrimoine commun de l’humanité », après un marathon de 15 ans de négociations

Ce point fait partie, sinon, est le dernier de ceux qui ont tenu en haleine les discussions et qui les ont prolongés les dernières heures. Il faut dire que c’est un enjeu majeur pour les pays en développement, plus précisément les pays africains.

Dans l’esprit des textes juridiques qui, depuis 1958, se sont penchés sur l’identité juridique ou l’utilisation et l’exploitation des mers, la haute mer a presque toujours été qualifié de « vaste espace de liberté pour tous ». Et malheureusement, cette définition trop romanesque de la mer a provoqué chez l’homme toutes sortes d’utilisation de cet espace, entrainant pollution et surpêche.

A l’heure où les enjeux climatiques et environnementaux ont plus que jamais besoin d’un océan résilient, où les entreprises privées et leur théorie de maximisation des profits tendent à supplanter l’intérêt collectif au profit des leurs, il est devenu essentiel de protéger ce domaine maritime qui représente 70% de la surface des océans.

L’on peut se réjouir que toutes les régions océaniques aient désormais un statut institué par un nouveau traité pour la protection de la biodiversité en haute mer adopté ce 4 mars 2023.

Guerre en Ukraine et crise alimentaire en Afrique: Etat des lieux et perspectives pour le continent africain

Par Dominique Nkoyok, analyste à l’Afrique des Idées

« Que les gens aient faim en Afrique au 21ème siècle n’est ni inévitable ni moralement acceptable », écrivait en 2006 l’organisation internationale Oxfam dans son document d’information sur les causes de la faim en Afrique[1].

Mais force est de constater la récurrence des crises alimentaires qui continuent de frapper le continent Africain depuis les années 1970. En 2021, plus de 278 millions d’Africains étaient en situation d’insécurité alimentaire[2]. De nombreux observateurs et organisations internationales et régionales[3] ont alerté sur le risque d’aggravation de la famine en Afrique en raison de la crise ukrainienne qui a débuté en février 2022.

L’Afrique des Idées a souhaité porter le débat sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la crise alimentaire en Afrique, et sur les causes identifiées et les réponses envisagées pour combattre ce fléau qui frappe le continent africain depuis plusieurs décennies.

Etat des lieux : l’Afrique en proie à des crises alimentaires récurrentes

L’Afrique a connu plusieurs crises alimentaires depuis les années 1970. Après les crises alimentaires de 1972[4] et 1984 qui ont touché l’Afrique subsaharienne, la famine et la malnutrition ont touché l’Afrique australe en 2006. En 2008, le continent a connu une nouvelle crise suite à l’augmentation des prix des denrées alimentaires, qui a donné lieu aux émeutes dites « de la faim » en Afrique subsaharienne. En 2011, c’était au tour de l’Afrique de l’Est de traverser une crise alimentaire, avant que les populations d’Afrique de l’Ouest ne soient de nouveau confrontées à l’insécurité alimentaire en 2012. En 2017, la famine a touché plusieurs pays de la corne de l’Afrique, dont la Somalie, le Kenya et le Soudan du Sud.

Depuis, la situation alimentaire ne s’est pas améliorée. Selon la Banque mondiale, 14,4 millions de personnes a<vaient besoin d’une aide alimentaire en 2020 en Afrique sahélienne. Ce chiffre est passé à 23,7 millions en 2021[5]. La Corne de l’Afrique pourrait quant à elle connaître sa plus longue période de sécheresse depuis 40 ans selon le centre climatique régional de l’Organisation Mondiale Météorologique pour l’Afrique de l’Est, ce qui aurait des conséquences graves sur la région déjà touchée par la famine et la malnutrition.

L’impact de la guerre en Ukraine sur la famine en Afrique

Comme le rappelle l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans son rapport de mai 2022[6], la Russie et l’Ukraine occupent une place centrale dans l’agriculture mondiale en tant que principaux pays exportateurs de produits agricoles et de denrées alimentaires sur les marchés mondiaux. La Russie est le premier exportateur mondial de blé avec 18% des exportations mondiales en 2021. L’Ukraine se classe au 6e rang des exportateurs de blé la même année, avec 10% des exportations mondiales.

Les deux pays réalisent également à eux deux, près de 80% des exportations de maïs, d’orge, de colza et d’huile de tournesol sur les marchés mondiaux depuis 2018. Par ailleurs, la Russie est l’un des plus grand/important exportateurs d’engrais à l’azote, au potassium et d’engrais au phosphore.

Selon l’Agence Française de Développement, 33 pays africains importent 90 % ou plus de leur consommation de blé. Les plus grands importateurs étant les pays d’Afrique du Nord, et notamment l’Égypte qui importerait plus de 60 % de sa consommation de blé, l’Algérie 75 %, la Tunisie 62 % et le Maroc 38 %. Les céréales provenant de la région de la mer Noire représenteraient notamment 100% des importations de l’Érythrée, plus de 90% pour la Somalie et entre 70 et 80% pour la République Démocratique du Congo, selon le rapport 2022 d’iPES Food[7] et le rapport FAO 2022. En Afrique de l’Est, 84 % du blé serait importé en grande partie d’Ukraine et de Russie.

Le tableau ci-dessous, issu du rapport FAO 2022[8] présente les pays qui dépendent fortement des importations de blé en provenance de la Russie et de l’Ukraine en 2021.

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Le 3 juin 2022, le président du Sénégal et de l’Union Africaine, Macky Sall, a rencontré en Russie par son homologue Vladimir Poutine pour demander la facilitation de l’exportation des céréales ukrainiennes vers le continent africain. Le 23 juillet 2022, la Russie et l’Ukraine ont conclu à Istanbul, dans le cadre d’une médiation menée par la Turquie et sous l’égide des Nations Unies, un accord pour le déblocage des exportations de céréales et produits agricoles, portant notamment sur 20 à 25 millions de tonnes de grains bloquées en Ukraine[9].

L’accord de juillet 2022 est une avancée importante pour pallier la hausse des prix des céréales et produits agricoles sur les marchés mondiaux et aux conséquences néfastes pour les millions de personnes souffrant de la faim, notamment sur le continent africain.

Néanmoins, plusieurs experts agricoles et économistes, rappellent que l’origine de la crise alimentaire en Afrique n’est pas la guerre en Ukraine, mais la fragilité des systèmes alimentaires sur le continent.

Selon Matthieu le Grix, expert agricole au sein de l’AFD, « la situation est effectivement alarmante, mais (…) l’Afrique subsaharienne en particulier n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour être dans une situation très préoccupante du point de vue de la sécurité alimentaire. En Afrique de l’Ouest, la situation se dégrade depuis trois ans maintenant »

Ces propos font écho à la déclaration du directeur de la Banque africaine de développement, Akinwumi Adesina qui indiquait qu’avant le début de la guerre en Ukraine, « quelque 283 millions de personnes souffraient déjà de la faim » sur le continent africain.

De même, selon le rapport 2020 du Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA)[10], le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire est déjà en nette augmentation depuis ces cinq dernières années.

En 2021, la moitié de la population mondiale confrontée à la faim (768 millions de personnes) se trouve en Asie et un tiers en Afrique.

Situation de la faim dans le monde selon la FAO

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Source : The state of food security and nutrition in the world 2022, FAO

Remédier aux causes des crises alimentaires

S’il est clair que la crise ukrainienne perturbe de façon majeure les marchés agroalimentaires mondiaux et menace d’exacerber la famine en Afrique, nombres d’experts internationaux tels que l’iPES Food[11] mettent en avant le fait que les faiblesses des systèmes alimentaires mondiaux amplifient les effets du conflit ukrainien sur la sécurité alimentaire. A cet égard, l’Afrique fait face à plusieurs défis nécessitant des actions :

  • La dépendance des pays africains à l’égard des importations alimentaires

De nombreux pays africains sont devenus dépendants des importations alimentaires, au détriment du développement du secteur agricole et de la construction de politiques alimentaires efficaces et résilientes au niveau national. 

Réduire la dépendance vis-à-vis des importations nécessite que les Etats africains s’acheminent vers l’autonomie alimentaire. Pour cela, il est nécessaire de repenser les politiques agricoles sur le continent.

  • Repenser les politiques agricoles pour une souveraineté alimentaire

Selon la Banque africaine de développement, l’Afrique dépense près de 64,5 milliards de dollars par an pour l’importation de denrées alimentaires qui pourraient pourtant être produites par le continent.

Les politiques alimentaires doivent favoriser la sécurisation de la base productive et le développement des infrastructures rurales. Pour ce faire, des politiques publiques efficientes et leur mise en œuvre effective pour faciliter et prioriser l’accès au financement pour les projets agricoles, le soutien et la formation des agriculteurs aux nouvelles techniques de production améliorant les rendements et le développement d’infrastructures rurales sont essentielles.

  • Favoriser l’augmentation de la production par l’usage approprié des engrais

L’augmentation de la production agricole est l’un des leviers de la lutte contre la faim. Accroître l’utilisation des engrais tout en promouvant un usage tourné vers l’écoagriculture est à encourager. Or en 2020, l’application moyenne d’engrais par hectare de terre cultivée en Afrique subsaharienne par exemple avoisinait les 17 kg, contre une moyenne mondiale de 135 kg. Par ailleurs, l’Afrique dépend encore largement importations d’engrais.

Il est nécessaire de soutenir la chaîne de valeur des engrais en favorisant l’accès aux engrais pour les petits exploitants agricoles, la recherche sur les engrais biologiques, la production locale d’engrais à grande échelle, et la circulation des engrais à travers le continent.

  • Favoriser une réponse régionale pour anticiper les crises alimentaires

Le Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA) porté par l’Union Africaine depuis 2003 dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), qui a notamment pour objectif l’accroissement de l’approvisionnement alimentaire et la réduction de la faim sur le continent africain offre un cadre d’intervention politique et stratégique qui pourrait être davantage exploité à l’échelle régionale.

De même, le développement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en mettant l’accent sur les denrées alimentaires et les produits agricoles favorisera non seulement la consommation des denrées produites sur le continent mais aussi la chaîne d’approvisionnement des engrais.

Enfin, le renforcement des stocks publics nationaux et régionaux comme le fait déjà la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est également à encourager.

  • Le risque lié à la spéculation sur les denrées alimentaires

Les pays africains dépendants des importations de denrées alimentaires et produits agricoles subissent de plein fouet les augmentations de prix sur les marchés mondiaux. Or, les pays exportateurs auront tendance à limiter leurs exportations alimentaires pour garantir les disponibilités sur leur territoire en période de crise, ce qui intensifie les pénuries, faisant davantage monter les prix sur les marchés internationaux au détriment de pays pauvres et moins développés.

Ces chocs de prix étant manifestement exacerbés par la spéculation des investisseurs financiers, la lutte contre la spéculation sur les denrées alimentaires est un sujet central dans la lutte contre la faim sur le continent africain.

  • L’impact de la pauvreté, de conflits politiques et armés, et du changement climatique sur l’insécurité alimentaire

Malgré une diminution de la pauvreté en Afrique depuis 2000, une part importante de la population africaine vit toujours en dessous du seuil de pauvreté. La pauvreté est considérée comme l’une des principales causes de la faim. La pauvreté et l’insécurité alimentaire se renforçant mutuellement, la lutte contre la pauvreté est l’un des premiers piliers dans la lutte contre la faim[12]. Il en va de même pour l’’instabilité politique et les conflits qui ont un impact significatif sur la sécurité alimentaire en Afrique.

Sur le plan environnemental, l’adoption de solutions durables et résilientes pour lutter contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement est essentielle dans la lutte contre la faim, afin de préserver le secteur agricole des perturbations qui entravent la croissance des cultures et les récoltes.


[1]  Les Causes de la Faim : examen des crises alimentaires qui secouent l’Afrique, Document d’information Oxfam, juillet 2006.

[2]  FAO, IFAD, UNICEF, WFP and WHO. 2022. The State of Food Security and Nutrition in the World 2022. Repurposing food and agricultural policies to make healthy diets more affordable. Rome, FAO.

[3]  Dont entre autres, l’Union Africaine, l’Agence Française de Développement, le Bureau régional pour l’Afrique de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme Alimentaire Mondial , l’International Panel of Experts on Sustainable Food Systems, ou encore Aronu Chaudhuri, économiste au sein de la société d’assurance COFACE, Pierre Jacquemot économiste, Maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Paris, Sciences-Po Paris.

[4]  Retour sur la famine au Sahel du début des années 1970 : la construction d’un savoir de crise, Vincent Bonnecase, Politique africaine 2010/3 (N° 119).

[5]  Banque mondiale, Répondre à la crise alimentaire au Sahel en s’attaquant aux urgences et aux déficiences structurelles du système alimentaire ouest-africain, 10 mai 2022, accessible sur  https://www.banquemondiale.org/fr/results/2022/05/15/afw-responding-to-the-food-crisis-in-the-sahel.

[6] Impact du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale et questions connexes relevant du mandat de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Mai 2022.

[7]  Comment l’incapacité à réformer les systèmes alimentaires a permis à la guerre en Ukraine de déclencher une troisième crise mondiale des prix alimentaires en 15 ans, et comment éviter la prochaine, Rapport spécial d’IPES-Food, mai 2022.

[8]  Impact du conflit russo-ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale et questions connexes relevant du mandat de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Mai 2022.

[9]  Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le premier navire humanitaire affrété par les Nations Unies pour transporter des céréales ukrainiennes a quitté le port de Pivdenny en Ukraine le 16 août 2022, en direction de la Corne de l’Afrique.

[10]  CSAO/OCDE (2020), Crise alimentaire et nutritionnelle 2020, analyses & réponses, Maps & Facts, no3, novembre 2020.

[11] International Panel of Experts on Sustainable Food Systems.

[12] Pierre Janin. Les politiques alimentaires en Afrique de l’Ouest : réponse au risque ou facteur d’insécurité ? Emmanuel Grégoire, Jean-François Kobiane, Marie-France Lange. L’Etat réhabilité en Afrique : Réinventer les politiques publiques à l’ère néolibérale, Karthala, pp.165-188, 2018.ird01525293.


La politique freine-t-elle la réalité d’une communauté économique ouest-africaine?

Par Foly Ananou (L’Afrique des Idées) et Beringer Gloglo (Cercle des Economistes Africains)

Le déclin successif des anciens empires du Ghana, Mandingue et Songhaï, a donné lieu à plusieurs nouveaux États souverains qui forment, aujourd’hui, la zone Afrique de l’Ouest. Fort de leur proximité civilisationnelle, avec des peuples partageant un héritage historique commun, les nouveaux Etats ouest-africains nouvellement indépendants ont formé, dès 1975, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette organisation vise la création d’une union économique et monétaire ouest-africaine à termes. Quelques décennies plus tard, des traités de libre circulations des biens et marchandises et des personnes régissent désormais la zone. Cependant, l’application des textes et l’ambition de la zone monétaire élargie, notamment au Nigéria et au Ghana, les deux plus grandes économies de la sous-région, restent encore des défis majeurs. Avant la pandémie de la Covid-19, le projet de la nouvelle monnaie unique ECO a revivifié les débats sur la zone monétaire élargie à la CEDEAO, sans pour autant aboutir à une concrétisation.

Les dernières crises socio-politiques dans la région occidentale d’Afrique ont remis au centre des débats la question de la pertinence de la construction d’une union économique et monétaire élargie dans la région. Le regain d’un élan souverainiste dans la région porte sur le projet un coup que même la simple convergence économique plébiscitée par les économistes des zones monétaires ne suffirait pas pour que la Communauté soit effective. En effet, le consensus chez les économistes et les chercheurs est que l’effectivité d’une zone monétaire élargie et d’une véritable union économique est tributaire du renforcement de l’intégration économique (coopération), laquelle est appréhendée, notamment par la convergence des cycles économiques ou encore par l’intensité des échanges commerciaux entre les pays et la similitude des chocs. Dès lors, les recommandations pour parvenir à cette intégration sont essentiellement orientées vers l’adoption des réformes qui promeuvent la coordination des politiques et une coopération plus accrue entre les États – le fameux modèle de Mundell.

Or, cette perception de l’intégration malgré son bien fondée scientifique, revêt un caractère purement économique, et ne permet pas d’examiner la question sous l’angle des implications politiques en termes d’architecture institutionnelle et de gouvernance. En d’autres termes, le développement d’une vie plus intensifiée en communauté implique des sacrifices ou des compromis au niveau individuel pouvant limiter l’influence du pouvoir politique sur le plan national. D’ailleurs, pour le cas de la Cédéao, si le projet a tenu longtemps, c’est d’abord du fait d’une volonté politique plus ou moins marquée. Cela a plusieurs implications. Alors que les pays ne trouvent pas toujours de points de convergence sur les questions liées à la gouvernance, sont-ils prêts à délaisser leur autonomie politique comme c’est le cas dans les pays européens pour voir émerger une communauté économique ou le projet n’est qu’un leurre, un instrument utilisé pour se débarrasser de personnalités politiques mal aimées dans la région ?

Dans une étude[1] récente, s’appuyant sur le trilemme politique de l’économie mondiale de Dani Rodrik, des économistes de l’Afrique des Idées et du Cercle des Économistes Africains montrent que les pays d’Afrique de l’ouest semblent globalement converger politiquement, bien que très lentement toutefois, vers une union économique et monétaire, malgré la persistance de velléité souverainiste.

  1. Comprendre le trilemme politique de l’économie mondiale de Rodrik

Le trilemme de Dani Rodrik (2011, p. xviii)[2] évoque l’impossibilité, de poursuivre simultanément la démocratie, la souveraineté nationale et la mondialisation économique. La poursuite de deux de ces biens politiques exige l’abandon du troisième. Son modèle peut être résumé par le schéma suivant :

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Les trois nœuds du trilemme sont définis par Rodrik comme suit : l’État-nation est une entité territoriale et juridictionnelle dotée de pouvoirs indépendants de création et d’administration du droit. La démocratie fait référence à un système politique où le droit de vote n’est pas limité, où il existe un degré élevé de mobilisation politique et où les institutions politiques sont sensibles aux groupes mobilisés. L’apothéose de l’intégration économique internationale serait une économie mondiale parfaitement intégrée dans laquelle les juridictions nationales n’interfèrent pas avec l’arbitrage sur les marchés des biens, des services ou des capitaux ; les coûts de transaction et les écarts fiscaux sont négligeables, la couverture des prix des produits de base et des rendements des facteurs est presque totale.

Autrement dit, les pointes du triangle sont l’État en tant que polarité souveraine disposant d’un monopole décisionnel sur les affaires qui le concernent ; la démocratie connote la réactivité de la société aux questions de distribution ; et la mondialisation consiste à se diriger vers une asymptote qui est l’intégration des économies nationales dans un marché mondial unifié. Ainsi, pour Rodrik, il est possible de combiner mondialisation (ouverture) et démocratie, mais seulement si nous déplaçons nos structures politiques au niveau international (et, à terme, mondial) et que nous renonçons à la souveraineté nationale. A contrario, si l’on veut conserver la capacité de faire des choix politiques autonomes au niveau national, il faut soit abandonner la mondialisation et se retrancher derrière les murs des communautés démocratiques nationales, soit abandonner la démocratie et accepter que les règles nécessaires pour gouverner la mondialisation soient fixées par des négociations internationales et des élites technocratiques.

La validité du modèle a été démontrée par les travaux empiriques de Aizenman et Hiro (2020).[3] Ils ont démontré que pour les pays de la zone euro, l’intégration se justifiait et fonctionne car les pays ont une préférence pour des systèmes démocratiques, avec une ambition d’insertion dans l’économie mondiale et ont abandonné leur souveraineté nationale. Les États-Unis favorisent plutôt l’insertion mondiale et leur souveraineté, ce qui se traduit par des systèmes politique peu démocratique relativement à ce qui est observable dans les pays européens. Cette trajectoire est suivie par plusieurs pays émergents et pauvres.

La transposition du trilemme de Rodrik à l’échelle d’un groupe de pays formant (ou désireux de former) une union met ainsi en évidence les trois options stratégiques de principe disponibles pour la future gouvernance de l’union potentielle. Mais à la différence du processus général de mondialisation par la libéralisation des échanges auquel Rodrik fait référence, l’intégration monétaire, dans la présente configuration, implique une décision institutionnelle délibérée d’abandonner les prérogatives nationales sur le taux de change et la fixation du niveau du taux d’intérêt dans le but d’établir une monnaie commune. Toutefois, cela implique une intensification de l’exposition de chaque pays membre aux économies des autres pays formant l’union. A cet effet, l’intégration monétaire est plus contraignante pour les économies et les politiques nationales que ne l’est, normalement, la mondialisation.

2. Une analyse de la situation en Afrique de l’Ouest

Nous avons testé la convergence des pays de la CEDEAO au sens de la thèse de Rodrik. Pour ce faire, et en s’appuyant sur les travaux de Aizenman et Hiro (2020), nous avons analysé la position des pays de la région quant à leur insertion dans le monde, la souveraineté, et le processus de démocratisation.[4]

La Figure 1 (en dessous) montre que les pays dans la sous-région sont assez divergents entre eux sur le plan de la gouvernance. Les ambitions ne sont clairement pas les mêmes. D’un côté, il y a des pays (cas de la Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso) qui tendent à abandonner leur souveraineté pour se positionner comme des démocraties avec une ambition de s’insérer dans le monde. D’un autre côté, certains pays comme le Sénégal ou le Nigéria, bien que disposant d’institutions démocratiques tiennent davantage à leur souveraineté et ambitionnent de s’insérer sur le marché international. Cette divergence indique ainsi que le projet de Communauté pour la région reste encore un objectif lointain. Toutefois, il convient de préciser que sa réalisation ne paraît pas utopique.

Figure 1. Nuage des variables et des individus

Note : Cette figure présente le nuage des variables (figure de gauche) et des individus (figure de droite) issues de l’estimation d’une analyse en composante principale.

La figure 2 (qui décrit l’évolution de chaque dimension) montre que les pays de la zone ont connu des évolutions majeures, qui laissent penser que la nécessité de se constituer en communauté s’imposera effectivement au pays de la zone. Dans les années 90, la majorité des pays étaient très souverainistes. A la fin des années 1990 et dans le sillage des années 2000, on constate un relâchement de la souveraineté nationale dans certains pays. Cette période coïncide avec la création de l’union économique et monétaire ouest-africaine (début 1994) qui rassemble le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Globalement, l’ensemble de la période est marqué par une tendance à l’ouverture au monde dans l’ensemble des pays de la région. Cela s’accompagne d’un renforcement de la démocratie. Cependant, les divergences restent marquées entre les pays parce que la dynamique reste assez hétéroclite entre les pays. Même s’il y a une tendance générale à l’abandon de la souveraineté nationale, certains pays semblent encore très animés par la volonté de disposer d’autonomie dans la gestion de leurs affaires. Par ailleurs, le maintien voire le renforcement de la souveraineté nationale, notamment depuis le début de la crise sanitaire, dans certains pays jette des doutes sur la volonté d’une réelle unification.

Figure 2. Évolution des indicateurs

Note : Cette figure présente la dynamique des différents indices relatives à l’insertion dans le monde (Globalization), à l’autonomie de décisions (Sovereignty) et au développement démocratique (Democratization), par pays entre 1990 et 2016. Ces indices sont déterminés à partir de l’ACP appliqué sur un ensemble de variables décrivant ces différentes dimensions.

Somme toute, il apparait que le projet mis en place d’une communauté économique en Afrique de l’Ouest n’ait clairement pas utopique. Notre analyse montre que les pays de la zone sont sur une tendance, du moins sur le plan de leur gouvernance et de leur position dans le monde, qui inéluctablement va les amener à se constituer en union économique et monétaire pour être pertinents. Il apparait ainsi que la volonté des dirigeants politiques de la région pour renforcer les pratiques démocratiques dans la région constitue une vraie affirmation de leur volonté de voir ce projet se concrétiser. Cette volonté devrait se matérialiser davantage dans les marqueurs économiques pour que cette communauté, si, quand elle sera réelle, puisse contribuer à améliorer les conditions socio-économiques (le bien-être social) pour les populations de la zone. 


[1] Prendre attache avec les auteurs pour plus de détails.

[2] The Globalization Paradox – Democracy and the Future of the World Economy.

[3] Aizenman, J., Hiro, I., 2020. The Political-Economy Trilemma. Open Economies Review 31(5) : 945-975

[4] L’insertion dans l’économie mondiale est mesurée par les indices de globalisation produite par KOF Globalisation index, la démocratisation est mesurée par Polcon (un indicateur produit par l’Université de Wharton qui mesure la capacité de coercition des institutions publiques et autres acteurs politiques sur le pouvoir exécutif) mais aussi par Polity2 (un indicateur qui mesure le degré d’autocratie d’un régime politique, produit par Systemic Peace). La souveraineté est mesurée par Exec (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir est considéré comme un parti nationaliste ; 0 sinon), Allhouse (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir a la majorité au sein du pouvoir légistatif ; 0 sinon), Herfgov (un indicateur qui mesure si le gouvernement est dominé par les membres du parti du président en cours d’exercice) extrait de la Database of Political Institutions. Pour les dimensions qui sont mesurées par plusieurs variables, nous avons aussi construit des indices composites.

Les banques africaines à l’ère des règles prudentielles de Bâle III

La crise financière de 2007-2009 a mis en lumière les défaillances du système financier. En réponse, le Comité de Bâle pour la supervision du système financier a proposé un ensemble de mesures pour renforcer le dispositif de supervision du système financier. Ces mesures dites de Bâle III sont en cours de mise à œuvre à l’échelle mondiale, depuis 2015.

Spécifiquement, il est demandé aux banques de détenir plus de fonds propres qu’avant et suffisamment de liquidité pour être en mesure de répondre aux demandes liquidité en cas de crise sur une période d’au moins un mois ; et de limiter le risque de transformation. Bien que les pays africains de la zone Franc n’aient pas été touchés par la crise et qu’ils n’aient pas contribué activement à la conception de ces mesures[1], ils ont aussi pris le parti de les adopter. Toutefois, l’opportunité d’une telle démarche reste discutable. 

Que dit le nouveau Bâle III?

Le cadre prudentiel défini par les mesures de Bâle III vise à prévenir de nouvelles crises financières et à renforcer la résilience des banques vis-à-vis de potentielles futures crises. L’objectif est donc de maîtriser au mieux la prise de risques par les banques. Or, les banques de la zone Franc apparaissent, en majorité, saines et liquides. En UEMOA, par exemple, le ratio de solvabilité (fonds propres sur risques) se situe à environ 13%, un niveau largement supérieur à la norme de 8% qui était requise pour chaque établissement dans le dispositif prudentiel. Le coefficient de liquidité ressort à 75% contre 25 à 35% dans d’autres régions d’Afrique. Ce résultat tient de l’application stricte du dispositif prudentiel par les autorités bancaires, toujours hantées par les crises généralisées de liquidité et de solvabilité qui ont frappé les banques africaines jusqu’au milieu des années 1990. Cela pousse les banques à une grande prudence dans la conduite de leurs activités, préférant des placements sûrs et lucratifs comme les titres publics aux projets privés. Ainsi ne contribuent-elles pas suffisamment au financement de l’activité économique. En UEMOA, par exemple, le ratio crédit intérieur fourni par le secteur bancaire sur PIB s’établit à environ 25% dans la sous-région contre 78% en Afrique sub-saharienne et même 30% en moyenne parmi les PMA. Les crédits de court-terme, destinés à financer les besoins de trésorerie des entreprises, en constitue la majorité.

Dans ce contexte, un durcissement de la réglementation bancaire n’apparait pas forcément nécessaire. En effet, globalement, les banques de la zone ne montrent aucun signe de fébrilité, qui pourrait justifier ces nouvelles exigences. Leur mise en place pourrait potentiellement limiter la contribution des banques à l’économie à la mesure où une plus grande prudence est exigée des banques. Néanmoins, il convient de préciser que l’occurrence d’une telle situation tient aussi de l’environnement économique. Les travaux réalisés par les chercheurs spécialisés sur le secteur bancaire sur des pays fortement bancarisés et avec une contribution significative des banques au financement de l’activité, concluent que la mise en place de Bâle III ne devrait pas affecter significativement les crédits bancaires[2]. Ainsi, le risque de voir les crédits intérieurs à l’économie se réduire apparait substantiel car les économies de la zone sont marquées par une faible bancarisation et les banques estiment que les demandes de crédits pour des projets privés sont peu rentables et très risqués. Un approfondissement des mesures visant à renforcer l’inclusion financière et à favoriser le financement de l’activité économique par les banques devraient donc nécessairement accompagner ce processus de mise à niveau du dispositif prudentiel.

Une démarche utile

Cette évolution du cadre de supervision bancaire vient d’ailleurs servir ce dernier objectif. D’abord, parce qu’il permettra de redéfinir l’architecture du système bancaire dans la zone. Une réduction du nombre des acteurs est quasi-inévitable dans la mesure où tous les établissements ne pourront pas respecter les nouvelles normes, notamment celles portant sur les fonds propres. Finactu dans un rapport récent estimait à 1000 milliards les ressources que devront mobiliser les banques de la zone pour respecter les normes de solvabilité de Bâle, et indiquait que cela pourrait entrainer une disparition de certains acteurs du système bancaire dans les pays de la zone.

Les pays africains de la zone Franc concentrent 179 banques, soit 6 banques pour 1 million de personnes en CEMAC et 5 en UEMOA, sans que cela n’affecte les taux d’intérêt ou ne favorise la transmission effective de la politique monétaire et complexifie la supervision du système bancaire dans son ensemble. Un paysage bancaire plus concentré, bien que dommageable, serait néanmoins plus opportun dans le contexte des pays de la zone Franc où seulement une partie de la population a accès aux services bancaires. Cela permettrait d’assurer un meilleur contrôle et une mise en œuvre plus efficace de la politique monétaire par une raffermissement de la collaboration entre les Banques Centrales et les banques commerciales.

Ensuite, parce qu’en encourageant les banques à participer activement au financement de l’économie, notamment les PME, ces dernières s’exposent à des risques nouveaux que le dispositif prudentiel actuel ne suffirait pas à contenir. Dannon et Lobez (2014)[3] ont montré, pour le cas de l’UEMOA, que si les banques de cette zone, apparaissent aujourd’hui globalement saines, elles prennent de plus en plus des participations sur des actifs risqués qui pourraient à terme entraîner une crise financière sévère pour la zone. Dans un tel contexte, le passage aux normes de Bâle III pour la supervision des banques dans les pays de la zone Franc constitue une démarche qui va approfondir et garantir la stabilité et la solvabilité du système bancaire dans la zone. 

Somme toute, l’évolution du dispositif prudentiel dans les pays de la zone Franc n’apparait pas nécessaire. Cependant, elle est utile. Elle va permettre d’assurer une meilleure supervision du système bancaire aussi bien en ce qui concerne son développement (expansion) que sur ses activités[4]. Toutefois, il est nécessaire d’accompagner ce processus par un approfondissement des politiques visant le développement de l’inclusion financière et à accroître la contribution des banques à l’économie.


[1] Seul l’Afrique du Sud est membre du Comité de Bale

[2] Ryan Banerjee and Hitoshi Mio (2018). « The Impact of Liquidity Regulation on Banks.” Journal of Financial Intermediation 35.

[3] Pascal H. Dannon et Frédéric Lobez (2014). La régulation bancaire dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine est-elle efficace ? Revue d’économie financière 116 : 279-304

[4] Pour rappel, le taux de banalisation dans les pays africains reste faible, en moyenne autour de 10%.

La dette publique africaine : Vers plus de transparence

Résumé : Les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est ce qu’on pourrait se dire quand on observe l’évolution de la dette africaine au cours de la dernière décennie, ayant en tête les expériences passées en matière d’endettement. En effet, pris dans le tourbillon postcolonial du rattrapage économique combiné à une mauvaise gouvernance à l’ère de la mondialisation et de la financiarisation économique, beaucoup de pays Africains se sont embourbés dans le piège du surendettement. Ainsi, les dettes publiques extérieures africaines dans les années 90 étaient telles qu’elles ont forcé ses bailleurs multilatéraux à l’instar de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) à en effacer une grande partie. Les partenaires bilatéraux membres du club de Paris se sont eux aussi joints à cette initiative d’allégement de la dette africaine. S’en est suivi une période noire, que les experts qualifient de « décennie perdue », durant laquelle les pays africains ont subi des réformes drastiques et de sévères politiques d’austérité sous l’égide des institutions de Bretton Woods (BM et FMI). Celles-ci ont eu des conséquences désastreuses sur les plus démunis notamment suite aux injonctions de réduction de la dépense publique. Les capacités des administrations publiques ont été amoindries et les services sociaux sont devenus chancelants. Il importe toutefois de souligner qu’on a pu observer une embellie économique eu égard aux taux de croissance élevés lors de cette décennie. Ceci s’explique notamment grâce aux conditions favorables sur le marché international des matières premières. Néanmoins, l’évolution récente de la dette extérieure en Afrique appelle à la prudence. C’est donc dans cette optique que nous nous proposons d’analyser la situation de la dette publique extérieure africaine.

Veuillez télécharger l’intégralité de l’article rédigé par Cédric Deguenonvo et Héry Maholisoa ci-dessous :

La place de l’Afrique dans les chaînes de valeur mondiales

Les théories économiques se sont toujours penchées sur l’origine de la richesse des nations et ont mené dans ce sens des réflexions afin de proposer des voies pour leur prospérité. C’est ainsi que le père de la science économique moderne Adam Smith proposait dans son ouvrage « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations » publié en 1776, la division du travail qui stipule en partant de la manufacture d’épingles que : chaque nation devrait se spécialiser dans la production du bien pour lequel elle détient un avantage absolu. Cette approche bien que novatrice dans l’analyse économique présente le désavantage d’exclure de la sphère économique certains peuples n’ayant pas une suprématie dans la production d’un bien. Par ailleurs, un autre classique David Ricardo viendra corriger cette limite et renforcer cette pensée en proposant la théorie des avantages comparatifs qui prône la spécialisation des nations dans la production du bien pour lequel ils ont un avantage comparatif. A la lumière de ce qui précède l’on pourrait dire que tous les continents devraient se spécialiser sur les biens dont ils ont un avantage comparatif. La contextualisation de cette pensée nous suggère d’analyser les chaines de valeur mondiales, lesquelles chaines de valeur « sont le fait d’entreprises qui optimisent leurs stratégies d’approvisionnement en séparant les stades de production».[1] Cette analyse est d’autant plus motivée par la contribution importante du commerce en termes de valeur ajoutée dans les PIB nationaux (30 % dans les pays en voie de développement et 18% dans les pays développés en moyenne)[2] et que les chaines de valeur mondiales ont une incidence sur l’emploi et les niveaux de revenu[3].

Les pays africains quoiqu’étant les grands fournisseurs de matières premières participent à hauteur de 2 à 3 %[4] du commerce mondial. Ce qui rend pertinent d’examiner leur place dans les chaines de valeur mondiales en vue de déceler les facteurs explicatifs de ce paradoxe. En d’autres termes dans quelles mesures le continent africain présente un avantage comparatif dans les secteurs d’activité et quelles peuvent être les blocages qui freinent sa participation au commerce international ? Quelles peuvent également être les pistes à explorer pour une meilleure participation du continent dans les chaines de valeur mondiales ? Dans la suite, il s’agira d’abord de mettre en exergue les opportunités qui s’offrent aux pays africains pour une contribution importante dans le commerce international. Il sera ensuite question de convoquer ses faiblesses dans les CVM avant d’examiner enfin les facteurs qui permettraient au continent de redynamiser ces échanges internationaux pour une meilleure place dans les chaines de valeurs mondiales.

  • Les forces de l’Afrique pour intensifier sa part dans les échanges mondiaux

Le continent africain regorge de potentialités énormes du fait de la richesse de son sous-sol. Il dispose, en effet, d’une dotation généreuse en ressources naturelles. A lui seul, il détient 97% des réserves mondiales de cuivre, 80% de coltan, 50% de cobalt, 57% d’or, 49% de platine, 60% de diamants; sans compter les nouvelles découvertes de ressources énergétiques telles que le pétrole et l’uranium ( et le phosphate) dont ses parts sont déjà respectivement de 14% et 23% des réserves mondiales[5].

Cette richesse naturelle du continent devrait lui permettre de décoller économiquement. C’est dans cet ordre d’idées que l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale JUSTIN YIFU LIN affirmait dans un entretien publié le 10. 02. 2014 sur le site d’information SENEPLUS ECONOMIE que « L’Afrique dispose de tous les atouts pour réaliser un développement économique similaire à celui de la Chine ». En effet, cette déclaration quoiqu’elle semblerait flatteuse ne devrait empêcher d’en déceler la quintessence si l’on sait que la Chine est aujourd’hui l’usine du monde du fait de ses exportations estimées à 2,487 milliards de dollars US courant en 2018 selon les données de la Banque mondiale[6] et donc par ricochet, une participation intensive au commerce international.  Cette comparaison entre l’Afrique et la Chine suggère les avantages que le continent africain pourrait avoir sur les chaines de valeur mondiales. En effet, disposant d’un avantage comparatif en termes de ressources naturelles, l’Afrique est en phase d’accroitre ses parts dans le commerce international avec l’implantation des multinationales qui y trouvent leur matière première en abondance et à des couts réduits.

L’autre force des pays africains dans les chaines de valeur mondiales est la disponibilité de sa main d’œuvre et à bon marché[7]. Jadis, les entreprises se ruaient vers l’Asie en général et la Chine en particulier pour bénéficier de la disponibilité de sa main d’œuvre avec des rémunérations relativement faibles. Aujourd’hui, avec la revalorisation des salaires, le déficit de main d’œuvre et les politiques démographiques, ces conditions de facilité sont réduites en Chine. A ce stade, l’Afrique demeure une destination privilégiée pour les multinationales dans la mesure où le continent offre ces opportunités aux entreprises. Ce qui permet au continent d’être dans une optique d’accroissement de son poids dans les échanges internationaux.

Toutefois, malgré cette tendance haussière à la participation des pays africains aux chaines de valeur mondiales et leur volonté de plus en plus affichée et réaffirmée, il convient de signaler que le continent africain rencontre des difficultés dans l’élaboration de stratégies pour intensifier sa contribution aux chaines de valeur mondiales.

  •            Les faiblesses de l’Afrique dans les CVM

Les difficultés rencontrées par le continent africain dans les CVM sont nombreuses :

La première difficulté réside dans le manque de formation de sa jeunesse, si bien que quelque avance que le continent prend sur les autres en matières de disponibilité de la main d’œuvre, il est aussitôt devancé en termes de productivité par le personnel qualifié des autres continents. En effet, un tiers de la jeunesse[8] en Afrique subsaharienne n’a pas achevé son éducation primaire, ce qui compromet toute éventualité de formation qualifiante. Ce faible taux de formation rend difficile le respect des normes internationales et donc de s’adapter aux chaines de valeur mondiales. Ce qui a pour conséquence directe de freiner ou du moins d’amoindrir la pénétration des produits africains dans les marchés internationaux. Aussi, faudrait-il noter la faible participation des entreprises locales dans les échanges internationaux. Ces deux facteurs à savoir le manque de formation de la main d’œuvre et la faible participation des entreprises locales africaines combinés aux technologies peu adaptées fragilisent la position des Etats africains dans les CVM en ce sens que leur production en termes de valeur ajoutée demeure marginale.

La deuxième préoccupation demeure l’insuffisance d’infrastructures viables qui, ne favorise pas la libre circulation des personnes et des biens au sein du continent. Or les CVM supposent des déplacements fréquents du fait de la spécialisation et de la division des tâches. Mais ces déplacements sont compliqués par la mauvaise qualité des routes. A cela s’ajoute les barrières tarifaires et non tarifaires assez conséquentes. En effet, on peut lire à la page 23 du livre de Harry G BROADMAN intitulé la Route de la soie en Afrique : « Une entreprise chinoise en Afrique du Sud estime qu’envoyer des produits de l’Angola vers l’Afrique du Sud est aussi coûteux que de les expédier en Chine ». Outre ces barrières, on peut noter le niveau de corruption qui gangrène les efforts africains dans la participation aux CVM.

Le troisième obstacle que rencontre les pays africains dans leur élan pour un meilleur engagement dans les CVM reste l’environnement des affaires peu favorable.  En effet, selon le classement du Doing Business de 2020, seuls deux pays africains sont dans le top 50. Il s’agit de l’ile Maurice qui occupe le 13iém rang mondial et du Rwanda qui occupe la 38ième place. Ceci traduit la difficulté de la mise en œuvre des CVM qui se manifeste par une fiscalité élevée, des difficultés d’installation des entreprises avec des retards dans le raccordement en électricité et en eau et des problèmes de sécurité dus à la fréquence de contestations sociale et/ou politique. Cet environnement hostile ne favorise pas l’implantation des investisseurs étrangers sur le continent. Il réduit les capacités d’attraction d’investissement des pays et mine par ailleurs leur pénétration dans les CVM.

Ces trois freins à la facilitation de sa contribution dans les CVM précités, ne sont en fait que le reflet des problèmes de transformations structurelles que connait le continent. En effet, une participation massive au commerce international nécessite une organisation sophistiquée allant de la disponibilité de la main d’œuvre qualifiée à l’encadrement étatique par la mise en œuvre d’un environnement favorable en passant par des infrastructures viables et un engagement considérable des privés locaux. Vu l’ampleur du chantier, le continent a manifestement du chemin à faire pour se tailler une place de choix dans les CVM et l’espoir de l’y voir émerger semble se dissiper. Toutefois, l’heure n’est justement pas au découragement mais au recensement et à l’exploration de pistes susceptibles de mener le continent au cœur des échanges internationaux.

  •  Quelques pistes en faveur de l’Afrique dans les chaines de valeur mondiales

Le nœud du principal problème du continent africain dans sa participation aux CVM étant décelé à savoir la transformation structurelle, le continent doit se donner les moyens d’y parvenir. Celle-ci passe par la formation de la jeunesse pour obtenir une main d’œuvre qualifiée. Ce qui pourra la rendre capable de s’adapter et de permettre aux entreprises dans lesquelles elle est employée d’amorcer une phase de production à forte valeur ajoutée au moyen notamment de technologies adaptées. Ceci passe par la mise sur pieds d’infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires pérennes afin de faciliter la mobilité des personnes et des biens, laquelle mobilité est facilitée par la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires et l’établissement d’une concurrence saine afin de permettre à tous de tirer parti des CVM. Il est opportun de rappeler que la matérialisation des accords sur la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) de l’agenda 2063 des Etats africains et la création d’union monétaire régionale permettraient de noter des avancées significatives dans ce sens.

Dans cet objectif, il est important que les gouvernements soient à l’écoute des entreprises locales en prenant en compte leurs préoccupations dans les secteurs d’activité à privilégier et en leur facilitant le financement. A cet effet, les pays peuvent s’inspirer de la Chine à travers notamment ses Zones Economiques Spécialisées (ZES) qui ont fait leurs preuves en ile Maurice et en Ethiopie avec un décollage respectif dans les secteurs d’activités du textile et de la fabrication de chaussure. Il serait judicieux toutefois de prendre en compte l’aspect environnemental et humain dans l’application des ZES pour s’inscrire dans la durabilité.

L’autre levier, sur lequel pourrait s’appuyer l’Afrique, devrait être les chaines de valeur régionales. Ces chaines de valeur ont l’avantage d’avoir des normes moins contraignantes que les CVM. Ainsi, les pays africains auront plus de facilités à s’y implanter en attendant de se conformer aux normes internationales. Cependant cette phase d’attente ne doit perdurer, elle devrait être une phase de transition vers la standardisation internationale.

Aussi, les services entrent dans cette orientation. En effet, leur élaboration facile combinée aux outils de télécommunications de plus en plus accessibles et de bonne qualité permet aux pays de s’y lancer. L’Afrique doit continuer dans ce sens puisque l’établissement des services d’intermédiation financiers pourrait lui permettre de mobiliser les épargnes des agents économiques et faciliter l’accès au financement des entreprises locales.

L’hôtellerie pourrait être également un maillon important dans la percée des pays dans les CVM. En effet, les dotations naturelles de l’Afrique en termes de ressources naturelles, de parcs, de faunes, de fleuves, de lacs, de cascades, de montagnes… permettent d’attirer un nombre conséquent de touristes chaque année. En effet, en 2017 par exemple, le Sénégal et l’Ethiopie ont accueillis respectivement 1,3 millions et 900 mille touristes[9]. Cet accroissement du nombre de visiteurs permet au continent de disposer de devises étrangères facilitant ainsi ses échanges internationaux.

Le développement des technologies de l’information et de la communication permettrait de mieux organiser ce secteur par la disponibilité de l’information à travers les sites internet des voyagistes et hôtels. Ce qui rend possible les réservations et paiements en ligne.

Le continent devrait multiplier ses efforts dans ce sens et favoriser les services dans les activités manufacturières si l’on sait que d’après l’OCDE et l’OMC, ils permettent directement ou indirectement de créer plus de 30 % de la valeur ajoutée[10] dans les activités de distribution manufacturières.

  • Conclusion

En définitive, il convient de noter que le taux de participation du continent africain dans les chaines de valeur mondiales est important. Toutefois cette contribution n’a pas su créer de la valeur ajoutée à la hauteur de son intensification. Le continent africain regorge cependant des atouts lui permettant de redynamiser sa place dans les CVM par l’entremise de ses ressources naturelles et de la disponibilité de la main d’œuvre et à couts réduits. Des difficultés freinent toutefois ces opportunités. Qu’il s’agisse du faible taux de formation de la main d’œuvre et du faible engagement des entreprises locales. Qu’il s’agisse de l’absence d’infrastructures viables, de barrières à la circulation des personnes et des biens et donc du caractère défavorable de l’environnement des affaires. Qu’il s’agisse en bref des problèmes de transformation structurelle. Néanmoins, la volonté de voir les pays africains occuper une place privilégiée pourrait être matérialisée. Cette volonté peut s’appuyer sur la transformation structurelle avec un accent mis sur la formation des jeunes, la concertation des gouvernements avec les entrepreneurs locaux et l’accessibilité de leur financement. Elle pourra par ailleurs s’adosser à l’intensification des chaines de valeur régionales et à la massification des services notamment d’intermédiation financiers, d’hôtellerie et de distribution de produits manufacturiers.

Il apparait fondamental de souligner que le développement économique de l’Afrique ne saurait être le seul fait des chaines de valeur mondiales. Il est donc primordial de déceler les facteurs bloquants son décollage économique et d’y remédier en vue de pouvoir faire bénéficier au continent la valeur ajoutée tirée des Chaines de valeur mondiales. Cependant ces CVM en particulier et le commerce international en général connaissent des dysfonctionnements. C’est à ce propos que l’historien Walter Rodney affirmait « Lorsque que les termes de l’échange sont fixés par un pays d’une manière entièrement avantageuse pour lui-même, alors le commerce est généralement préjudiciable pour le partenaire commercial »[11]. De quoi orienter le débat vers le commerce équitable.

Auteur : Sidy TRAORE, Elève Ingénieur Statisticien Economiste, ENSAE-Dakar

 

[1] ÉDITION THÉMATIQUE : Perspectives économiques en Afrique 2014

[2] Voir https://unctad.org/fr/Pages/PressRelease.aspx?OriginalVersionID=144

[3] Voir https://unctad.org/fr/Pages/PressRelease.aspx?OriginalVersionID=144

[4] Commission économique des nations unies pour l’Afrique, rapport économique sur l’Afrique 2015 : l’industrialisation par le commerce, P-100

[5] Abdelhak Bassou, Ressources naturelles et réalités géopolitiques de l’Afrique, 25 mai 2017

[6] https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/TX.VAL.MRCH.CD.WT

[7] La population africaine est estimée à 1,3 milliards d’habitants en 2020 avec plus 400 millions âgés entre 15 et 35 ans (voir https://au.int/fr/developpement-de-la-jeunesse et Contrymeters.com)

[8] Voir https://fr.unesco.org/gem-report/sites/gem-report/files/gmr2012_PR_ssa-fr.pdf

[9] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/10/09/l-afrique-veut-jouer-la-carte-du tourisme _6014875_3212.html

[10] Perspectives économiques en Afriques 2014, page 69.

[11] Walter Rodney, Et l’Europe sous-développa l’Afrique : analyse historique et politique du sous-développement, 1972

Enquête sur les attentes des jeunes Africains en matière de formation

Cette enquête constitue une première tentative pour comprendre les facteurs qui déterminent
les choix de formation des jeunes Africains et ce qu’ils espèrent autour de leur formation
pour améliorer leur employabilité. Bien que les résultats fournissent des indications générales
sur les attentes des jeunes Africains, elles ne devraient pas être considérées comme des faits
stylisés. On retient tout au moins les besoins des jeunes Africains en matière de formation pourrait
trouver une réponse dans l’ETFP, dont le potentiel reste très marginalement employé en Afrique.Enquete sur les attentes des jeunes africains en matière de formation

La Couverture Santé Universelle en Afrique : Défis et faiblesses

La santé pour tous ! Une problématique qui préoccupe les pays du monde entier du fait d’une perpétuelle recherche de rationalisation des ressources financières limitées. Pour la majorité des pays africains, la pauvreté de la population, la prépondérance du secteur informel et la faible performance des systèmes de santé, sont autant de facteurs à considérer dans l’élaboration des politiques d’accès aux soins et de financement des systèmes de santé. Pour la majorité des pays africains, les dépenses de santé sont largement en deçà de ce qui est recommandé. L’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) estime qu’en 2014 un tiers des pays africains avaient des dépenses de santé par habitant en dessous du seuil acceptable, fixé à 38$ USD courant[1]. Le financement de la santé dans ces pays passe habituellement par les programmes de santé financés par des organismes internationaux ou des associations humanitaires. En l’absence de ces derniers, les dépenses de santé sont financées par la population au travers des paiements directs qui représentent environ 90%  des dépenses de santé totales. Ces paiements directs représentent pour la majorité des ménages des dépenses catastrophiques, conduisant généralement à un renoncement aux soins. Malheureusement, il n’existe pas de nos jours des politiques de Couverture Santé Universelle (CSU) pouvant favoriser l’accès aux soins de manière équitable et pérenne.

Les politiques de gratuité et d’exemption

Dans les années 90, des politiques de gratuité et d’exemption de paiement en santé ont été mises en place dans certains pays, notamment au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire. Ces politiques visaient à réduire les barrières financières, favorisant ainsi un accès équitable aux services médicaux, en particulier pour les groupes les plus vulnérables. Elles portaient donc sur une catégorie précise de soins et/ou de la population. Ainsi, on observe des politiques orientées vers les enfants, les femmes enceintes, et/ou portées sur la vaccination des enfants, les soins primaires, le paludisme, ou encore les soins anténataux et postnataux. Bien que ces politiques aient généralement un impact positif sur l’utilisation des services de santé, elles présentent quelques faiblesses qui entravent leur efficience et leur pérennité. D’abord, on observe une prise en charge partielle du parcours de soins du bénéficiaire. En effet, certains coûts directs médicaux (exemple des médicaments) et non médicaux (exemple du transport et des frais de l’accompagnant) restent entièrement à la charge du bénéficiaire. Au Mali(1) par exemple,  la politique de gratuité des césariennes n’incluent pas les coûts de transport en ambulance en cas de complications. Or, ces coûts de transport, bien que pouvant s’avérer plus élevés que le coût de la césarienne, restent entièrement à la charge du patient et de sa famille. Ces derniers devront rassembler rapidement ces fonds afin de bénéficier des soins adéquats. Aussi, ces politiques sont rapidement confrontées à une insuffisance de ressources financières et médicales (comme le personnel, les médicament et l’équipement sanitaire) à cause d’une mauvaise anticipation de la demande et des besoins financiers. Ce fut le cas de la politique d’exemption des frais de consultations et de médicaments des enfants de moins de 5 ans au Niger(1). En effet, la pénurie de médicaments, due au retard de remboursement des centres de santé par l’Etat, a conduit le personnel soignant à prescrire des ordonnances de médicaments payants aux patients ; ces médicaments pouvant parfois être vendu illicitement par les agents de santé en étant prélevés sur les stocks du centre de santé.

Les conséquences de ces faiblesses se traduisent d’une part par des prescriptions non observées et un mauvais suivi médical pour le bénéficiaire, et, d’autre part, pour le personnel soignant, par un mécontentement causé par le retard de paiement de l’Etat Or le surcroît d’activité n’est pas rémunéré. Il en résulte une dégradation progressive de la qualité de la prise en charge offerte. Malheureusement, ces politiques se révèlent être inefficientes à long terme car des dépenses de santé considérables sont engagées alors que les résultats de santé attendus ne sont que partiels.

L’Assurance-Maladie obligatoire et les mutuelles de santé

Un autre mode de financement de la santé en Afrique est l’Assurance-Maladie obligatoire. Son adhésion est cependant limitée aux fonctionnaires et à certains employés du secteur privé. Depuis une vingtaine d’années, on observe une forte affluence des mutuelles de santé qui proposent des couvertures santé variées. Elles sont caractérisées par une adhésion volontaire et un paiement ex ante permettant de couvrir le risque maladie. Or le nombre d’adhérents reste limité par la forte proportion de personnes à revenu faible et/ou irrégulier du fait de la part considérable du secteur informel et du taux de chômage élevé parmi les jeunes actifs. D’ailleurs, plusieurs études empiriques ont montré que la capacité financière des ménages et le niveau d’éducation sont les principaux déterminants de l’adhésion aux mutuelles(2). Ainsi, malgré leur popularité, la faible capacité contributive(3) freine leur développement et leur pérennisation.

Quelques pistes de réformes

Les modes de financement précédemment présentés peuvent ensemble contribuer à la construction d’une Couverture Santé Universelle (CSU). Le facteur éducatif jouant un rôle primordial sur la demande de soins et l’adhésion à une mutuelle(4), la construction d’une société civile sensibilisée aux risques sanitaires est un facteur clé de succès d’une politique de CSU. Toutefois, les politiques de gratuité et d’exemption doivent cibler les ménages à faibles revenus. Elles doivent proposer une prise en charge globale, portée sur un parcours de soins ([2]) complet lié à une maladie plutôt que sur un acte isolé, afin d’assurer le suivi médical des bénéficiaires. L’Assurance-Maladie obligatoire ne devrait pas se restreindre à une catégorie socio-professionnelle donnée, dans la mesure où le secteur informel constitue une part majeure des populations africaines. Il convient de « formaliser » ce secteur afin de pouvoir offrir à cette population une couverture santé à caractère obligatoire en échange de cotisations à des tarifs adéquats. Ces cotisations représenteront non seulement un moyen de responsabiliser les bénéficiaires en vue d’une consommation rationnelle des services de santé, mais aussi une source de financement de la couverture offerte. Par ailleurs, la participation du secteur privé reste une contribution à fort potentiel qui nécessite d’être développée dans un cadre juridique bien défini par l’Etat.

En Afrique, une politique de Couverture Santé Universelle pérenne nécessiterait un budget suffisant, défini au préalable. Elle devrait également passer par l’éducation sanitaire, l’emploi des jeunes et la formalisation du secteur informel.

[1] Source : https://read.oecd-ilibrary.org/development/perspectives-economiques-en-afrique-2017/depenses-de-sante-par-habitant-dans-les-pays-africains-2014_aeo-2017-graph35-fr#page1

[2] Le parcours de soins est défini ici comme étant l’ensemble de soins nécessaires à une prise en charge complète d’une maladie (analyses biologiques, examens radiologiques, médicaments…).

La malédiction des matières premières en Afrique : fantasme ou réalité ?

Dans son rapport sur les investissements dans le monde en 2018, la Commission des Nations Unies sur le Commerce et le développement (Cnuced) fait état d’un recul de 21% des investissements directs étrangers vers l’Afrique en 2017. Selon l’institution, la baisse généralisée du cours des matières premières serait la principale raison à ce recul d’intérêt pour les pays africains. Ce constat vient témoigner davantage de l’importante dépendance des pays africains à leurs ressources naturelles. Cette forte richesse des pays africains en ressources naturelles, qui détermine leur trajectoire économique, est souvent considérée comme une malédiction. Un terme trop souvent associé au continent parce qu’ailleurs dans le monde, les ressources naturelles ont servi de base pour le développement ou l’émergence de certains pays. C’est le cas de la Norvège et de plusieurs pays du Moyen-Orient. Le cas des pays africains est-il alors singulier ? La richesse en matières premières des pays africains constitue-t-elle une entrave au développement ?

Nous proposons dans cet article de porter un regard sur la question, en analysant la relation entre abondance des ressources naturelles, niveau de revenu par habitant et profondeur de la paix dans les pays africains.

Selon Richard Auty (1994)[1], précurseur de cette théorie, les économies axées sur l’exploitation de matières premières se développent plus lentement que les autres et font face à de la corruption et des violences internes. Ainsi selon cette théorie, les pays africains dont l’économie est fortement dépendante de l’exploitation de matières premières devraient afficher des niveaux de développement relativement faible et un climat social délétère.

Pour mesurer cela, considérons le revenu par habitant pour mesurer le niveau de développement[2], l’indice de globale de paix proposé par l’Institute of Economics and Peace[3] et le poids des rentes tirées de l’exploitation des matières premières dans le Pib. Le graphique[4] suivant combine ces trois dimensions et apporte quelques éléments de réponses.

La lecture de ce graphique permet d’établir deux constats majeurs. D’une part, la quasi-totalité des pays se concentre dans le coin droit du rectangle de bas à gauche, indiquant que sur le continent, le degré de pacifisme est plutôt moyen – ce que souligne à juste titre l’Institute for Economics and Peace dans son rapport 2018. En outre, le graphique met en exergue que l’exploitation des matières premières n’auraient pas d’incidence majeure sur la qualité de la paix et sur la stabilité socio-politique. Toutefois, dans certains pays, l’indice de paix est plus dégradé et il reste difficile d’attribuer cela au seul fait de l’exploitation des matières premières, sans toutefois écarter leur contribution. Au Nigéria[5] comme en RDC[6], par exemple, la persistance des conflits est liée à l’exploitation des ressources naturelles.

D’autre, part, les pays dont l’économie dépend fortement de l’exploitation de leurs ressources ont des niveaux de revenus par habitant plus faibles que ceux dont l’économie est moins dépendante. Plus impressionnant encore, on constate que ces derniers pays sont les plus paisibles et compte parmi les pays avec les niveaux de revenu par habitant les plus élevés du continent. Plus généralement, pour « un même niveau de paix » donné, les économies peu dépendantes de leurs ressources ont des revenus par habitant relativement plus élevés que les autres, à quelques exceptions près.

Si les ressources naturelles semblent avoir un impact peu significatif sur la paix, il semble qu’elles pénalisent fortement tout progrès économique. Toutefois, ce constat ne suffit pas pour établir un lien de causalité entre abondance de ressources naturelles et situation socio-économique ; parler de malédiction serait ainsi abusif. L’expérience d’autres pays non africains montrent que plusieurs autres facteurs entrent en jeu comme potentiels catalyseurs. Le cas de la Norvège est particulièrement édifiant dans ce sens : l’environnement économique et politique – gouvernance, environnement des affaires, corruption, etc. – apparait déterminant dans le rôle des ressources naturelles sur les trajectoires nationales de développement.

Le graphe[7] ci-après présente le positionnement des pays par rapport au niveau de corruption et à l’importance de l’exploitation des ressources naturelles dans le PIB. La corruption est mesurée par l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International[8] et le niveau de maturité de l’environnement des affaires par l’indice de liberté économique élaboré par The Heritage Foundation.[9]

Le constat majeur est que les économies les plus dépendantes de l’exploitation des ressources naturelles comptent parmi les plus corrompus du continent avec un environnement des affaires peu attractif. C’est le cas de la RDC, du Congo, de la Guinée Equatoriale, de la Guinée, de l’Algérie ou de la Mauritanie. Le cas du Libéria est assez singulier. Le pays sort d’une longue période de crise et l’exploitation des ressources naturelles constitue pour l’heure sa principale source de revenus d’une part et l’environnement des affaires reste à améliorer d’autre part. On note aussi que les pays les moins dépendants de leurs ressources naturelles (tels que le Rwanda, la Namibie et le Botswana) affichent un faible niveau de corruption et sont plus attractifs pour les affaires. Pour les autres pays, la situation est plutôt mitigée : certains pays relativement peu dépendants de leurs ressources naturelles affichent des niveaux de corruption élevés avec un environnement des affaires qui reste perfectible (cas du Togo, du Kenya, Djibouti, etc.) alors que d’autres dont l’économie repose sur l’exploitation de ressources naturelles apparaissent meilleurs en termes de corruption et plus attractifs (cas du Burkina et du Ghana, etc.). Et cela transparait dans le niveau des revenus par habitant.

L’abondance des ressources annuelles semble contribuer assez fortement à la corruption, sans néanmoins l’être de façon systématique. Le cas de plusieurs pays du continent permet de déjouer tout hypothétique lien de causalité entre exploitation de ressources et corruption. Toutefois, la première peut entretenir la seconde, si elle existait déjà et que l’environnement des affaires présente des défaillances. Des pays comme le Congo, la RDC, l’Ouganda ou encore la Guinée illustrent parfaitement ce triste phénomène.

Les pays africains ne sont pas maudits par leur richesse en ressources naturelles et les pays dépendants de leurs ressources ne se trouvent pas systématiquement dans des situations socio-économiques critiques. Ils souffrent surtout d’un environnement institutionnel défavorable, qui exacerbe les dérives que peut engendrer une grande richesse si elle n’est pas correctement gérée. La trajectoire du Ghana l’atteste : avant la découverte du pétrole – dont l’exploitation a démarré en 2010 –  le pays avait un environnement des affaires et institutionnel meilleur que celui que du Nigéria, de l’Afrique du Sud ou encore de la Guinée Équatoriale. Il ne s’est donc pas embourbé dans les travers de corruption qu’ont connus par les pays précités. Il est ainsi bon d’espérer que le Sénégal, l’un des pays les moins corrompus du continent, avec un environnement des affaires plutôt favorable, ne connaisse pas de semblables travers avec l’exploitation de son gaz.

La découverte de gisement de minerais ou de combustibles tend malheureusement à s’instituer en sport continental pour financer les programmes de développement des pays. Pour en profiter au mieux, les pays devraient renforcer leur institution et améliorer leur environnement des affaires, afin d’assurer la diversification de leurs économies. Les Gouvernements doivent plutôt viser à considérer l’exploitation des ressources naturelles comme une activité économique parmi d’autres ou/et, user de façon plus efficiente les revenus générés par ces ressources pour financer l’expansion de leur économie.

 

 

 

 

[1] Richard Auty (1993). Industrial policy reform in six large newly industrializing countries: The resource curse thesis. World Development 22, 11-26.

[2] Cet indicateur peut souffrir d’un effet de base liée à la population et ne suffit pas à juger de façon pertinente du niveau de développement. Cependant, il permet d’appréhender au mieux la situation socio-économique d’un pays.

[3] Cet indicateur mesure le degré de pacifisme dans un pays. en s’appuyant sur la participation du pays à des conflits armés (internes ou externes), le niveau de sécurité interne (criminalité, terrorisme, instabilité politique, pression policière et/ou politique, population carcérale, etc.) et le niveau de militarisation . Plus le score est faible, plus le pays est considéré comme paisible. Plus de détails sur le site de l’IEP.

[4] Pour tenir compte de l’échelle, les données sur les rentes ont été augmentées de 10. Ainsi, pour Maurice par exemple les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles sont nulles et ne représentent pas 10% du Pib. Pour chaque pays, la donnée réelle est donc celle présentée sur le graphe à laquelle il faut soustraire 10.

[5] Exploitation du pétrole et rébellions dans le delta du Niger

[6] Congo : la guerre des minerais, le récit d’un désastre

[7] Réduire de 10 les statistiques sur les rentes tirées de l’exploitation des ressources naturelles.

[8] Nous avons pour l’exercice, considéré le complément à 100 du score fourni par Transparency International, de sorte que les pays avec une corruption moindre se retrouveraient le plus à gauche du graphique.

[9] Cet indice mesure pour un pays donnée, la capacité à y mener des activités économiques sans contraintes légales majeures. Elle va plus loin que le Doing Business, à la mesure où elle tient compte du poids de la pression fiscale, de l’ouverture économique et de l’environnement légale pour les affaires.

En Afrique la ville est fabriquée en permanence par la planification et par l’informel.

Le constat d’une urbanisation galopante n’est plus à démontrer dans les villes africaines : d’après les prévisions des Nations Unies et de l’OCDE, en 2050, environ 60 % des Africains devraient vivre dans des villes. Les villes s’urbanisent à outrance, car elles sont perçues comme des lieux d’opportunités économiques et sociales, comme des eldorados qui offrent des conditions de vie meilleures aux populations modestes, provenant principalement des zones rurales (plus de 50 % des ruraux migrent vers les villes : exode rural). Cette forte urbanisation massive qui prend forme depuis 1960 — date à laquelle plusieurs pays africains sont devenus indépendants — n’est pas proportionnelle au niveau de développement économique des villes concernées. Ainsi se pose le problème de l’occupation anarchique, informelle des espaces périurbains. La majorité des grandes villes a une configuration spatiale duale — voire marxiste — avec d’une part, un pôle urbain qui abrite les principaux services publics, privés et les quartiers résidentiels aux alentours pour les riches et d’autre part une périphérie qui s’étale horizontalement, animée par des habitations éparpillées d’une couche de population modeste. La prise en compte de cette configuration spatiale — appelée autrement centre-périphérie — est particulièrement intéressante pour comprendre le processus de fabrication des villes africaines. En effet, si des plans d’urbanisme et d’aménagement existent depuis les indépendances dans la plupart des villes, leur application est défaillante, car des dysfonctionnements sont constatés dans l’espace vécu. Les documents d’urbanisme existants sont appliqués dans les différentes politiques urbaines — cela renvoie à la dimension formelle de la planification des villes — cependant, les villes africaines sont également fabriquées foncièrement par l’informel. En effet, s’il existe des textes juridiques qui régissent l’occupation des espaces, une analyse lucide de la réalité permet de comprendre que les habitants — surtout les plus pauvres — sont des acteurs importants dans le processus de fabrication des villes, à travers notamment des pratiques informelles.

   Comment la prise en compte du maillage entre les pratiques formelles et informelles peut permettre de comprendre la fabrication des villes africaines ?

Dans cet article, il s’agit d’analyser, dans un premier temps, les particularités des documents d’urbanisme dans villes africaines ; ensuite, de montrer en quoi les villes africaines s’autoconstruisent avec l’informel ; enfin, de proposer quelques pistes pour trouver un équilibre entre le formel et l’informel pour une planification harmonieuse des villes africaines.

     Nous vivons dans des villes où les citadins aux catégories sociales variées ont des intérêts divers : ils ont besoin de se loger, de se déplacer, de se divertir. Les besoins sont nombreux, mais les intérêts des uns et des autres sont antagonistes. Ainsi, pour veiller à la qualité de vie de tout un chacun dans le temps et dans l’espace, les acteurs doivent faire de sorte que l’intérêt général soit assuré. Cela nécessite une planification. L’objectif de la planification c’est d’organiser les espaces urbains de sorte qu’ils soient occupés de manière rationnelle avec une bonne gestion des transports et mobilité, du foncier et la création des conditions de développement économique pour les habitants.

Dans les villes africaines, les plans d’urbanisme existent, mais c’est plutôt leur opérationnalité par rapport aux réalités africaines qui mérite des réflexions. Si ces documents ont permis de rationaliser en partie l’occupation des espaces urbains, force est de constater que l’évolution et l’état actuel de la plupart des villes africaines ne permettent pas de valider l’efficacité de ces plans qui, en réalité, ne sont pas mis à jour et restent des vœux pieux jamais opérationnalisés entièrement. Les plans, faits généralement par des bureaux d’étude étrangers qui ignorent les aspects sociologiques africains, sont inadaptés. De plus, leur production prend du temps et leur application est souvent programmée sur le long terme : planifier une ville à l’horizon 2065, alors qu’il existe des problèmes urgents en 2018 : voilà l’incohérence des documents d’urbanisme dans les villes africaines ! « L’Afrique est un cimetière de plans mort-nés », caricaturait Philippe Hugon en 1985. En effet, entre le début et l’élaboration du plan, les dynamiques économiques, sociales et surtout démographiques de plusieurs villes africaines évoluent complètement. Il est tout à fait intéressant de planifier, car on ne peut pas continuer à faire abstraction de l’occupation anarchique des espaces, notamment dans les zones périurbaines du fait de la croissance démographique et de l’inaccessibilité des centres urbains pour les populations modestes. Cette planification nécessite un réajustement régulier des documents d’urbanisme pour qu’ils puissent répondre aux enjeux changeants et évolutifs des villes. Ainsi, s’il existe bel et bien une dimension formelle de l’organisation des villes — bien que celle-ci cause des problèmes évoqués plus haut —, il est tout de même intéressant de comprendre que les villes africaines s’autoconstruisent en permanence dans l’informel.

Les villes africaines sont aussi fabriquées par l’informel. En effet, lors de la première phase d’urbanisation des villes, les espaces périurbains représentaient des réserves foncières. Lorsque l’urbanisation est accentuée, les plus pauvres sont rejetées dans ces espaces sans que ces derniers aient de documents de planification prévus pour leur organisation. Loin des considérations politiques et institutionnelles, les habitants se font leur propre conception de la ville, l’auto-organisent en permanence et de façon circonstancielle en fonction de leurs activités : ils se fixent leur propre limite de la ville, définissent les zones d’activités commerciales à travers d’installations de boutiques ou stands informels, autoconstruisent des infrastructures (bricolage de dos-d’âne, système d’irrigation dans les rues en période hivernale) pour pallier à leur manque de confort dû à un déficit d’infrastructures publiques formelles, s’autoérigent comme des propriétaires fonciers dans ces espaces périurbains s’autodélimitent des espaces d’habitat informels — faits souvent avec des matériaux trouvés — quitte à empiéter sur les voies publiques. Les conditions de vie de ces espaces sont souvent marquées par une grande précarité : insécurité, contiguïté du voisinage, défaillance des réseaux publics d’assainissement, d’adduction en électricité, en eau potable, absence de voiries publiques : c’est l’exemple du quartier Guinaw Rail, à Pikine, à la banlieue de Dakar. Ces espaces informels — construits en permanence dans l’illégitimité sur plusieurs décennies — traduisent une réponse informelle face au caractère inadaptable des documents d’urbanisme classiques et l’insuffisance de l’offre formelle des acteurs publics. Ils font partie — au même titre que les centres urbains planifiés — dans le processus de fabrication de la ville.

Que faut-il donc faire pour trouver l’équilibre entre le formel et l’informel dans la planification des villes africaines ?

D’une part, il faudrait encadrer davantage les espaces formels. Pour ce faire, il est important de prendre en considération des réalités sociologiques. Aujourd’hui, les documents de planification existants sont en décalage avec les réalités locales, soit par le temps (car les pratiques évoluent et les documents sont destinés à des périodes différentes), soit par l’espace (les espaces changent également) ; ils sont donc inefficaces. Les règles de bases prescrites dans les documents doivent être ajustées par rapport aux contextes locaux pour conduire un programme de restructuration progressive des quartiers informels, en concordance avec les pratiques des habitants et les moyens techniques et financiers des collectivités locales.

D’autre part, il s’agit de « formaliser l’informel », on ne peut pas déloger des habitants (des acteurs entiers de la fabrication des villes) qui habitent depuis des décennies dans un endroit sous prétexte de planification qui, à terme, risque de produire des mêmes effets : nous pouvons citer l’exemple de la cité Jaxaay créée par l’ancien président du Sénégal, Wade, pour déloger les habitants des quartiers informels de Médina Gounass, touchés alors par des inondations. Jaxaay connaît le même sort : de terribles inondations, car des règles d’occupation de l’espace y étaient quasi-absentes.

La formalisation du secteur informel part de la mise en œuvre de modalités strictes : délimiter la trame urbaine, interdire et sauvegarder des espaces non propices à l’habitat (les zones à risque et les zones naturelles et agricoles), veiller sur l’occupation des espaces destinés aux équipements publics.

En définitive, au regard du caractère ambivalent de l’occupation des espaces — avec le formel d’une part et l’informel d’autre part — il est important de comprendre que les villes africaines ne sont pas fabriquées uniquement par les planificateurs ; elles sont aussi fabriquées de façon informelle par les habitants sur le long terme (les représentations individuelles et collectives : les différentes formes d’appropriation de l’espace urbain). C’est l’informel et quelques restrictions très rudimentaires des documents d’urbanisme qui font foncièrement la ville. La volonté de planifier la ville africaine doit impérativement partir de la prise compte du secteur informel comme un indicateur fondamental, sans quoi toute analyse, toute politique relèverait d’un pur fantasme.