Cette article fait suite à la description du Jour I de la troupe de théâtre.
Jeudi 15/11/2012
10h : Une genèse douloureuse
Atelier théâtre du lycée François Rabelais, rassemblant une vingtaine d’élèves de la seconde à la terminale. Les élèves veulent savoir comment Hamlet, le Danois, devient Hamlet, le Congolais.
Le premier élément de réponse est dans cette destination finale qui nous est commune à tous : la mort. En attendant de connaître la sienne, Hugues Serge Limbvani (HSL) a subit celle de sa mère. Une douleur, mais également une révélation. Le cartésien jeune homme, qui un temps avait fréquenté le séminaire a non seulement connu le désespoir d’un cœur orphelin, mais encore a-t-il vécu l’expérience de recevoir un message de l’au-delà, celui de sa mère. Peu de personnes ont le privilège d’une telle communication. Il n’est pas le plus choyé par hasard. Le deuxième élément de réponse vient d’une autre douleur, celle de la brutalité du mariage forcé : accomplir ses devoirs de femme, de mère, jour après jour, dans une intimité subie. Il l’a vécue à travers l’histoire d’une de ses amies sénégalaises, étudiante en pharmacie, qui pour fuir sa vente forcée, le supplia de l’épouser en premier.
Nouveau bourdonnement : Est-il facile d’adapter un classique ? A cela, HSL confie qu’il n’est pas aisé pour tous de voir un classique revisité. Changer la mise en lumière des personnages peut gêner certains puristes. Il y a même ceux qui prennent position sans avoir vu la pièce. A ceux là : « une mangue, tant que tu ne l’as pas épluchée et mise en bouche, tu ne connais pas sa saveur. ». Pour ce qui est des comédiens qui composent sa troupe, il choisit ceux qui peuvent entrer dans son univers. La flexibilité est de mise, il faut des comédiens capables de changer leur jeu au pied levé. Ainsi, pour interpréter Hamlet dans un village au Niger où la francophonie n’a pas eu le monopole du verbe, des adaptations ont été nécessaires. Toutes les ressources de jeu du comédien sont alors sollicitées : gestes, interprétations, expressions. Les sentiments viennent au secours des mots. Egalement, cette fois où les costumes sont arrivés bien après la représentation ou lorsque la moitié de l’effectif n’avait pu répondre présent pour une représentation, les escales et correspondances ayant par trop rallongées le temps de trajet des comédiens, là encore, polyvalence, inventivité, force du jeu ont été les maîtres mots.
11h : Je me voyais déjà, en haut de l’affiche
Spontanéité, don de soi, les élèves sont conquis par la personnalité d’HSL et sont ravis d’être rentrés dans les confidences de l’artiste. Après la théorie, la pratique, par une initiation aux techniques de jeu : respiration, voix, intonations, en vocalisant sur une chanson africaine. Il transforme la classe en un chœur congolais, psalmodiant la perte de celle qui l’a porté : Maman est partie se plaint l’orphelin, Maman avec qui m’as-tu laissé ? Plus les élèves s’appliquent à rendre la parfaite tonalité, plus l’émotion à fleur de peau, va crescendo. Et HSL de ponctuer avec un « Donc voilà comment on fait », brusque et inattendu. Rires détendus et de soulagement. C’est du tréfonds qu’était tiré chaque son. L’hommage à la mère est fait. La leçon est donnée. Certains élèves repartent en fredonnant la chanson.
14h30 : Expression totale
Tantôt, c’était un sexagénaire ivoirien, canne à sa dextre, chapeau sur un crépu poivre et sel. Et voilà que paré d’un nouveau costume, celui de Polonius le géniteur d’Ophélie, c’est un Diabate Ngouamoué sautant, dansant, livrant une prestation à laquelle la lecture de la pièce ne m’avait pas préparée. Quand est-il en représentation ? Dans la vie, lorsqu’il va d’un pas tranquille et livre ses hautes pensées à qui veut prêter l’oreille ? Sur scène, lorsqu’il livre une prestation époustouflante ? Cette première représentation devant les élèves est suivie d’une rencontre avec HSL, metteur en scène, aka Hamlet. Les élèves ont été surpris par l’adaptation. On y chante, on y danse, on rit de la mort, il y a beaucoup de sexe. Oui, HSL est un homme des arts de la scène. Musique, chant, danse, tous les arts sont représentés et il les embrasse avec énergie et enthousiasme. En Afrique, la formation des artistes est en jeu complet : arts de la palabre, arts du mouvement. Son travail est donc un travail sur l’expression totale.
Par ailleurs, HSL est un partisan farouche du métissage. Cela se voit sur scène. Les comédiens viennent d’horizons divers. Cela s’entend. Le répertoire musical qui habille les scènes va de Mozart l’Egyptien à Nora Jones ; les langues d’expression naviguent entre malinke, lingala, wolof. Et de bazonkion au moonwalk, il se fait également plaisir dans la mécanique corporelle. L’expressivité du corps se retrouve aussi dans la grivoiserie de certaines répliques ou certains gestes. Ainsi la scène torride d’ouverture entre le Camerounais Jean Bédiebé aka Claudius et Marie Do Freval aka Gertrude. On eu dit Mars et Venus. Ou encore, ce baiser qu’il n’a pas été au départ aisé à la jeune comédienne Lucile Delzenne aka Francesca, aka Ophélie, aka une Comédienne, d’échanger avec son partenaire et metteur en scène. A cela, HSL nous rappelle que le sexe est à la base de la vie. De même que cette mort dont il semble privilégier le comique au tragique. L’humour fait partie intégrante de la culture africaine. Elle est utilisée pour désamorcer et apaiser les tensions. On a eu et on a de nombreuses raisons de pleurer. Esclavages, colonisations, expressions négatives du langage, quand c’est noir, ça ne va pas. Rires des élèves.
17h : Ophélie ou la condition féminine. HSL ou la condition masculine
Ophélie est une jeune fille courtisée par un prince, Hamlet. Son père, son frère, la mettent en garde : les assauts du jeune homme ne sont que pour lui prendre sa virginité, sans jamais en faire une épouse. Elle doit préserver sa vertu. Qu’est-ce qu’une femme qui s’est ouverte mais à qui on a gardé closes les portes de l’union sacrée ? Ophélie n’est pas naïve. Mais Ophélie est retrouvée morte. A sa prochaine représentation, allez voir la pièce, vous vous ferez votre idée sur la question.
HSL est un homme d’aujourd’hui. Entre deux cultures, comme Hamlet dans son adaptation. Souvent parti, comment gère-t-il sa vie de famille ? « Difficile de tout concilier. Mais je leur transmets aussi la valeur travail». Et avec un papa globe-trotter, si les périodes d’absence sont toujours désagréables, la géographie elle, s’apprend naturellement et dans le plaisir. Les enfants ont grâce à ça une conscience aigüe de faire partie d’un monde plus vaste que l’univers de leur quotidien.
19h30 : Réunion HSL et sa troupe : Passion doit rimer avec économie
Le manager est face à son équipe. Je ne suis pas autorisée. J’en profite pour siester.
20h30 : Etre ou ne pas être conquis par Hamlet Congolais
C’est l’heure de la seconde et dernière représentation de la saison. Le bilan après huit années ? Le public est en premier lieu séduit par l’originalité de la démarche. D’autres sont fortement émus quant à certaines scènes. En effet, les Africains par exemple, ne se reconnaissent pas toujours dans cette Afrique contemporaine, confrontée à l’évolution du monde, « où l’amour perd sa pureté, la famille sa solidarité et l’homme son identité ». C’est vrai qu’il y a encore quelques décennies, voir quelques années, il était inconcevable et ressenti comme une honte de laisser errer des enfants, d’insulter ou battre ses parents. Ah !
Globalement en France, Cartoucherie, Fontainebleau,… la pièce a été bien reçue. A Chinon, le silence des élèves pendant la première représentation a été pour HSL, un silence bavard, témoignant de l’intensité de ce qu’ils vivaient en regardant la pièce. En sortant de la salle, j’ai capté ça et là des « je suis ravie », « on ne s’y attend pas, n’est-ce pas ? » et des mines réjouies.
23h : Nous sommes avant tout des hommes
Les parents de Franck Betermin aka le spectre, aka Guildenstern, aka un Comédien, aka 2ème fossoyeur étaient du public. Bonheur et stress d’être vu par les siens. La soirée se termine autour d’un buffet avec différents artistes du Festival Plumes d’Afrique, comme les marionnettistes du Burkina Faso, qui ont ramené de très loin d’autres géants. Le Festival Plumes d’Afrique est un festival initié par le Réseau Afrique 37, un collectif départemental des associations de coopération avec l’Afrique, qui a à cœur de montrer à ses concitoyens un visage autre que celui par trop connu du misérabilisme qu’on colle habituellement à l’Afrique. Rendez-vous bisannuel, très attendu par les habitants du département, le festival en est à sa sixième édition. Il crée un tel engouement, qu’à chaque année de nouvelles communes veulent elles aussi recevoir cette Afrique de richesses, de cultures, de savoirs. HSL n’aime certes pas les ghettos, être ramené à sa couleur, à sa race ou que sais-je, au lieu d’être simplement considéré dans sa dimension artistique. Cependant, c’est avec honneur qu’il a représenté son Congo, à Chinon, dont le directeur artistique, Dominique Marchès, a fait le choix et le bon, en l’invitant en marge du festival.
04h30 : Intermittent du spectacle, permanent de la vie
Le théâtre est une passion qui ne nourrit pas encore suffisamment Vict Ngoma aka Horatio. Ne pouvant y puiser sa seule source de subsistance (et d’intérêt), nous l’accompagnons HSL et moi avant le chant du coq à la gare de Tours, pour qu’il puisse prendre un train pour Paris et être à l’heure à sa formation en management, à neuf heures pétantes.
08h : Fin de saison pour Hamlet. Et après ?
Nous remontons notre cheval mécanique pour rejoindre Paris. HSL adore Shakespeare. Cet anglais aborde pour lui les faits de société avec une vision particulièrement africaine. Sa philosophie se prête très bien aux expressions imagées de l’Afrique. Cet auteur est classique, certes, mais très simple, si ce n’est le plus simple à adapter. Après Othello en 1999, Hamlet en 2004, sa prochaine œuvre qu’il attaquera : Romeo et Juliette. Cette fois, la transposition se fera entre la Palestine et Israël.
Cependant Shakespeare n’est pas le seul à avoir les faveurs d’HSL. Il a adapté la célébrissime Les bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène, publiée en 1960 et relatant la lutte syndicaliste d’ouvriers africains d’une colonie française. Et il a eu le privilège de travailler avec l’auteur sur cette adaptation. C’est durant cette résidence que naîtra Hamlet. En 1992, il donnait A B C de notre vie de Jean Tardieu, au théâtre Mouffetard. En 1994, la Déchéance d’après Jazz et vin de palme d’Emmanuel Dongola, au théâtre Silvia Monfort. En 1996, les noces posthumes de Santigone de Sylvain Bemba, à Ouagadougou. En 1997, la valse interrompue, à Avignon off. Il anime également des stages à l’international. A quelle heure se repose HSL ? Je ne sais pas. Moi je suis ko. Je ne suis pas coutumière de tels rythmes !
Gaylord Lukanga Feza
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