Que Laurent Gbagbo ne porte pas la responsabilité exclusive des violences postélectorales de 2010/2011 en Côte d’Ivoire ne signifie nullement qu’il n’en porte aucune. Et c’est bien le minimum qu’il ait à s’en expliquer devant la justice. Et il faut cesser rapidement ces enfantillages. Non, le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Haye n’est pas la victoire de la Françafrique. Et non, Laurent Gbagbo n’est ni Nelson Mandela, ni Kwame Nkrumah, ni Patrice Lumumba.
Les actes de guérilla urbaine menée par son armée, les obus lancés à l’aveugle sur des quartiers entiers, les tirs à balles réelles contre les civils, le pillage de la BCEAO, la nationalisation forcée des banques, les enlèvements, les exécutions sommaires et les viols commis par les milices qu’il fit ou laissa armer, le recrutement de mercenaires, la liberté de manœuvre inconsidérément laissée à ses compagnies d’élite, tout cela est de son fait. Responsabilité indirecte peut-être, mais responsabilité pleine et entière. Le Commandant Suprême des armées qu’il était, avait ou aurait dû avoir le contrôle sur ses forces. Qu’il les laissa faire ou leur intima l’ordre de réduire la « rébellion » par tous les moyens est de sa seule responsabilité. Qu’il ait été Président de la République au moment de ces faits ne lui confère aucune sorte d’immunité. C’est justement pour ce type de situation que la Cour Pénale Internationale a été créée. On est pour ou contre le droit. On ne peut pas l’être à moitié.
Que Laurent Gbagbo ait à répondre de ses actions devant la justice n’a rien de scandaleux. Ni de très surprenant. Considère-t-on sérieusement qu’il aurait fallu le laisser en liberté ? Organiser ce procès à Abidjan ? Soyons sérieux : le choix fait par Alassane Ouattara était le seul logique, le seul pratique, la seule solution. Imagine-t-on le Maréchal Pétain sénateur à vie sous la Ve République ? Certes, la justice des hommes n’est pas la justice cosmique. À la fin du film tous les coupables ne finissent pas, en même temps, au pilori. Mais, Laurent Gbagbo a perdu le bras de fer qu’il mena contre le bon sens, la communauté internationale et l’intérêt de son pays. En prenant la décision de braver le conseil de sécurité de l’ONU et d’employer tous les moyens nécessaires à la reconnaissance de sa « victoire », Laurent Gbagbo s’est affranchi de mille contraintes légales et humaines. Le pari qu’il prenait ne menait qu’à cette alternative : gagner la guerre ou se suicider. Il l’a perdue et s’est rendu. Tout le reste n’est que littérature. En Côte d’Ivoire, comme jadis au Vietnam ou aux États-Unis, c’est toujours le Nord qui gagne la guerre.
Il ne faut pas l’oublier : si Laurent Gbagbo avait eu le dessus, à la suite des affrontements post-novembre 2010, les actions qu’il mena ou laissa mener durant ces événements l’auraient de toute façon « qualifié » pour la Haye. Il n’aurait peut-être pas eu à rendre compte de ses actions aussi rapidement, mais les crimes dont on l’accuse aujourd’hui n’en seraient pas moins réels. Qu’il le fasse, bon gré, mal gré, quelles que soient les circonstances, est une bonne nouvelle. Des crimes contre l’humanité, des crimes de guerres et d’autres horreurs ont été commis systématiquement et à grande échelle, en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 et peut-être même depuis décembre 1999. On sait que tout cela a commencé, réellement, par le coup d’état manqué fomenté, entre autres, par le sergent Ibrahim Coulibaly et Soro Guillaume. La rébellion a certainement déclenché le désastre et y participa avec un enthousiasme et une férocité jamais connus sous ces cieux. La réponse de Laurent Gbagbo a été incohérente, pusillanime, balbutiante et en fin de compte sordide, jusque dans ces derniers moments. On se souvient peut-être de l’humiliation du 11 Avril 2011 et du couple présidentiel martyrisé par une bande de troufions. Ce qu’on retient moins c’est la décision absolument ahurissante prise par Laurent Gbagbo de réunir sa famille élargie et ses proches collaborateurs dans cette espèce de camp retranché, pilonné par l’ONU et les forces françaises – brutale évocation du suicide collectif des membres du temple du peuple.
Le départ de Laurent Gbagbo pour la Haye a été l’occasion d’explosion de joie sur bien des forums et sites internet traitant de la situation en Côte d’Ivoire. Ce serait une nouvelle réjouissante, si ses motifs n’étaient pas aussi imbéciles : il y a un groupe d’Ivoiriens pour qui la crise en Côte d’Ivoire a démarré en novembre 2010. Pour scandaleuse qu’elle puisse paraître à certains, je maintiens cette comparaison, ce groupe me semble moralement équivalent aux Allemands qui considèrent encore aujourd’hui qu’Hitler avait peut-être vu juste ou aux Américains en faveur de l’exécution sommaire des candidats à l’immigration clandestine. À ceci près qu’ils sont plus audibles sinon proportionnellement plus nombreux en terre d’Éburnie. Cela ne les rend aucunement moins méprisables ni abjectes. Jusqu’à preuve du contraire, crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont imprescriptibles Que Soro Guillaume soit en liberté, pour le moment, ne signifie pas que Laurent Gbagbo ne mérite pas son sort. La vie politique n’est pas un fleuve tranquille. Bien des alternances peuvent se produire… En définitive, il faut souhaiter longue vie à Soro Guillaume et à ses sbires des ex-forces nouvelles.
Joël Té-Léssia
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Le jeu d'équilibriste pratiqué dans cet article n'est pas très réussi. En effet, cet article reprend textuellement tous les arguments des adversaires de LG. Il part du postulat que le combat mené par LG n'avait aucun sens (cf "Laurent Gbagbo a perdu le bras de fer qu’il mena contre le bon sens, la communauté internationale et l’intérêt de son pays"). C'est assez ahurissant de lire cela. Car je ne vois pas en quoi exiger d'avoir un résultat qui réflète la réalité (en recomptant les voix et en annulant les résultats dans les bureaux qui affichent plus de votants que d'inscrits dans des proportions incroyables) dans une élection qui a coûté énormément à l'Etat de Côte d'Ivoire est contre le bon sens. S'il faut respecter les désidératas des occidentaux à chaque fois, autant ne pas faire d'élections et leur demander directement qui doit être président. Cela serait plus économique et moins hypocrite.
Quant aux agissements de la CPI, la célérité avec laquelle le cas Gbagbo est traité montre son caractère partisan. Depuis 2004, toutes les organisations internationales pointent les crimes de masse commis par les rebelles, elle ne s'est pas précipitée pour enclencher des poursuites. Qu'on nous dise clairement que la justice des vainqueurs est en marche et le débat sera clos.
Ceci dit, cela n'empêchera pas des centaines de jeunes à l'esprit "Gbagbo" (qui refuse les absurdités de l'occident) de prospérer sur le continent. La roue de l'Histoire est donc en marche. Ce n'est pas parce qu'on enlève les panneaux de direction que la route ne mène pas à l'endroit. Gbagbo déporté, le combat continue et l'Afrique fière, insoumise et décomplexée gagnera in fine.
qui est gbagbo demander bien à ouattara il le connait ce n'est pas encore fini mais le retour
Analyse délicate dans le contexte miné de la Côte d'Ivoire. D'ailleurs, je pense a parfaitement réussi ce que Samory Touré faisait quand il luttait contre les pouvoirs coloniaux : la politique de la terre brûlée. Le pays est ingouvernable; l'insécurité à son comble. Laurent Gbagbo va avoir à La Haye, une tribune nouvelle et parfaite pour passer pour la victime complète. Car finalement, pourquoi lui et pas Ouattara ou Soro? Le TPI ne poursuit que les perdants ou les responsables de crimes en masse?
Hors, Gbagbo n'a rien du héros antifrançafrique que veulent ériger ses partisans. Depuis 2002, il n'a été qu'une girouette qui ne s'est pas donné les moyens d'une politique à laquelle il ne croyait pas. Sinon, les troupes françaises seraient parties depuis.
Je pense, cher Joël, que le must serait que tu procèdes à une analyse comparative de deux leaders : Kadhafi et Gbagbo confrontés aux contraintes des puissances occidentales. Elle serait riche d'enseignement.
Laurent GBAGBO n'est – il pas livré pour favoriser la dévaluation du franc CFA?
En tout cas, l'injustice française vient une fois de plus frapper à nos portes; pourquoi l'avoir traduit seul devant la justice alors que le camp Ouatarra a fait aussi des victimes?
Ainsi grandit l'Afrique quand nous livrons nos frères aux bêtes occidentales !