Après avoir voté « oui » au référendum de 1958 portant sur la Constitution française de la Vème République, le Sénégal est par la suite devenu membre de la communauté franco-africaine. Cette forme juridique d’Etat n’obéit nullement aux modèles classiques de la Fédération ou de la confédération, c’est un modèle « sui-generis » qui semblerait vouloir cultiver « le lien de solidarité liant la France » à ses anciennes colonies. En 1959, l’Assemblée territoriale donne au gouvernement la possibilité de rédiger un projet de constitution, quand bien même la souveraineté internationale n’était pas acquise. C’est ainsi que l’Assemblée territoriale, érigée en Assemblée Constituante, adopte à la majorité de ses membres la Constitution du 24 Janvier 1959. Socle idéologique et juridique de l’Etat du Sénégal, il pose les principes fondamentaux autour desquels veut se réunir le peuple du Sénégal. C’est notamment la forme républicaine de l’Etat, l’entérinement de la laïcité ou encore la protection des droits et libertés fondamentaux.
Le choix du modèle de la démocratie représentative, teintée d’une onction de la démocratie populaire est évident en ce que la Constitution parle d’elle-même : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exprime par ses représentants ou par référendum. » Se pose ainsi la question de savoir qui sont ces représentants du peuple ? Quelles sont leurs prérogatives ? Dans quelles mesures leurs actions peuvent-elles compromettre la nature du régime politique ?
Né en Grande-Bretagne au 18ème siècle, le régime parlementaire sous-entend une collaboration des pouvoirs, conception souple de la théorie de la séparation des pouvoirs initiée par John Locke puis reprise par Montesquieu dans De l’Esprit des lois, paru en 1748. Ce type de régime favorise, dans l’idéal, l’échange constant entre les différents pouvoirs, notamment l’exécutif et le législatif, l’autorité judiciaire n’étant pas reconnue comme un pouvoir du fait qu’elle n’émane pas d’une élection.
Au Sénégal, l’exécutif est sous la Constitution de 1959, monocéphale et incarné par le Président du Conseil, chef de l’Etat et Chef du Gouvernement. Loin du modèle classique du régime parlementaire reconnu pour son exécutif bicéphale, on comprendra que le poste de président de la république n’est pas créé car le président de la France demeure président de toute la communauté. Le Sénégal, lors de la mise en place du régime parlementaire avec la Constitution de 1959, connait un président du Conseil qui est le poumon de l’Etat. Investi du pouvoir de nommer et de démettre les ministres, il préside le Conseil des Ministres. Il détermine et conduit la politique de la nation et dispose à cet effet de l’administration et de la force armée, contrairement à la France où ces prérogatives sont dévolues au gouvernement aux termes de l’article 20 de la Constitution française du 4 Octobre 1958. Fort de ses compétences, il exerce le pouvoir réglementaire et veille à l’exécution des lois et des règlements entre autres. Se pose ainsi la question de savoir quelle est la légitimité d’une personne en qui se fondent tous ces pouvoirs mais surtout, quels garde-fous sont prévus pour éviter ses dérives ?
D’où le rôle du Parlement comme outil de contrôle et de légitimation du Président du Conseil. Installé sous une forme monocamérale[1] notamment avec l’Assemblée Législative, le pouvoir législatif a, constitutionnellement, des moyens de contrôler et de sanctionner le Président du Conseil qu’il a élu à la majorité de ses membres. Ce contrôle se fait soit par le vote de confiance soit en usant de la motion de censure. On parle de vote de confiance lorsque le chef du gouvernement (ici le Président du Conseil) engage solidairement sa responsabilité et celle de son gouvernement sur le vote d’un texte ou sur une question particulière. Si l’Assemblée refuse de voter le texte ou décide d’ajourner les débats, le gouvernement est désavoué et doit se retirer. Cependant, limiter les outils de contrôle au vote de confiance serait une initiative avortée en ce qu’elle ne permettrait un contrôle du gouvernement que dans le cas où le Président du Conseil soumettrait volontairement son équipe au contrôle des députés. D’où l’importance de la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Président du Conseil et son gouvernement lorsqu’ils estiment que la politique menée par ces derniers doit être sanctionnée.
Sur ce point, le parlement sénégalais avait des prérogatives similaires à celles d’autres parlements, notamment celui de la France. En contrepartie, le Président du Conseil détient lui aussi une arme contre l’Assemblée. C’est notamment son droit de la dissoudre. Ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais son droit de dissolution reste très encadré car ne pouvant être utilisé qu’après délibération du Conseil des ministres, sur consultation du Président de l’Assemblée, et à la stricte condition que deux crises ministérielles soient survenues durant une période de 36 mois[2]. Ce qui est bien loin du droit de dissolution tel qu’il a été connu en France avec François Mitterrand qui, à deux reprises, notamment en 1981 et en 1988, a prononcé la dissolution de l’Assemblée pour se constituer une majorité parlementaire à l’issue de nouvelles élections législatives.
Le Président du Conseil semble alors étouffé mais dans les faits, quelle est la probabilité qu’il ait à faire face à des oppositions farouches des parlementaires étant donné qu’ils viennent du même « hyper-parti », compte tenu du système à parti unique au Sénégal ? Mieux, cet exécutif à une tête ne peut connaître de crise en son sein car le Président du Conseil étant à la fois chef de l’état et chef du gouvernement, incarne à lui seul l’exécutif. Ce type de régime parlementaire avec un exécutif « monocéphale » durera un peu plus d’une année avant de se muer en un régime parlementaire avec un exécutif bicéphale, dicté par la conjoncture politique de l’époque. La Constitution de 1960 montrera les limites manifestes du régime parlementaire dans le Sénégal des indépendances. (A suivre)
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