L’Union du Maghreb arabe (UMA) voit le jour le 17 février 1989 à Marrakech, à l’initiative du souverain chérifien, feu Hassan II. Le roi et ses hôtes Chadli Bendjedid (Algérie), Zine el-Abidine Ben Ali (Tunisie), Mouammar Kadhafi (Libye) et Maaouiya Ould Taya (Mauritanie) prennent ainsi acte des recommandations du premier sommet maghrébin tenu l’année précédente à Zeralda (Algérie) et donnent enfin une organisation régionale à l’ensemble des nations maghrébines. L’époque est propice au changement et les mutations d’alors à l'échelle mondiale poussent à une nouvelle lecture géopolitique. Face à l'effondrement du bloc communiste et à l'émergence consécutive d'un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis ; face à l'Europe dont la construction communautaire progresse, les États maghrébins n'ont d'autre choix que de s’unir.
Les leaders arabes de l’époque, inspirés par le modèle de la Communauté économique européenne (CEE), ont voulu le nouvel ensemble régional d’abord comme un regroupement économique et non comme une union politique. Un rapprochement économique fondé sur des intérêts communs bien compris, se proposant la libre circulation des biens et des personnes, et susceptible de créer une dynamique inclusive de croissance à l’échelle de la région. Cela sans empiéter sur des souverainetés nationales souvent sourcilleuses et jalouses de leurs prérogatives. Un choix de compromis a minima, contraire aux vœux du « Guide » libyen, qui aurait souhaité un projet plus ambitieux. Mais qui se rangera finalement à cette mouture plus réaliste et pragmatique. La seule qui puisse fonctionner et transcender les dissensions existantes, parfois très vivaces. Notamment celles liées au Sahara occidental et opposant les deux grands de la sous-région, l’Algérie et le Maroc.
Une impasse totale
Aujourd’hui, plus de deux décennies après la création de l’UMA, c’est pourtant la désillusion qui prévaut. Les dissensions du passé n’ont pas disparu, loin s’en faut. Partageant la même langue, la même religion et les mêmes habitudes culturelles, les pays du Maghreb ont pourtant bien des atouts à faire valoir. Mais depuis 1995, les activités de l’organisation sont quasiment à l’arrêt, victimes du différend persistant entre Rabat et Alger au sujet du Polisario. Un blocage qui depuis cette date se traduit notamment par la décision du Maroc d'imposer des visas d'entrée aux Algériens et la fermeture par l'Algérie des frontières terrestres entre les deux pays. Deux pays qui représentent à eux seuls 55 % du PIB et 72 % de la population de l’UMA. Un poids considérable qui explique pourquoi c’est la viabilité même du projet qui est remise en cause.
Mis au ban des nations et frappé par un embargo international à partir de 1992 (mesure abrogée en 1999), le régime de Kadhafi s’est aussi progressivement distancier de l’UMA, pas assez « solidaire ». Avec la chute du Guide depuis 2011, la position libyenne vis-à-vis de l’organisation devrait cependant assez logiquement être reconsidérée sous un jour nouveau. Quant à la Tunisie et à la Mauritanie, leur poids relatif négligeable (15 % de la population et 10 % du PIB de l’UMA) n’a pu que les condamner à suivre le mouvement et non à l’initier. Un mouvement qui s’est malheureusement arrêté depuis. Une situation ubuesque, à des années-lumière des bonnes intentions initiales. L’Union du Maghreb arabe, c’est d’abord le royaume de la désunion.
Le coût de cette désunion est pourtant lourd, sur tous les plans : énergie, banques, transports, agroalimentaire, éducation, culture ou tourisme. Et les aberrations ne sont jamais loin, notamment dans le cas du Maroc et de l’Algérie. Ainsi, l’Algérie importe ses Renault Logan de Roumanie, alors même que le constructeur automobile français dispose d’une usine d'assemblage à Tanger (Maroc) produisant ledit modèle. D’autres entreprises, prises aussi en otages par cette situation saugrenue, sont pour leur part contraintes de transborder les marchandises via l'Europe pour s'approvisionner entre elles. Il en résulte un allongement des délais de livraison et le renchérissement des coûts de transport. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant d’observer que le commerce entre Etats de l’UMA équivaut à seulement 1,3 % de leurs échanges extérieurs (contre 15 % pour la zone UEMOA en Afrique de l’Ouest et 65 % dans l’Union européenne), le taux régional le plus bas du monde. La direction des études et des prévisions financières de l'Union du Maghreb arabe (UMA) a ainsi calculé que le coût de la non-intégration maghrébine correspond à un manque à gagner annuel de 2,1 milliards de dollars (980 millions hors hydrocarbures). Un état de fait qui faisait dire au quotidien Aujourd’hui le Maroc dans un article daté de 2009 que « …cela s’apparente davantage à une punition collective qu’à des considérations politiques, aujourd’hui dépassées, dans un contexte international de regroupements économiques et politiques puissants ». Une marche à rebours de l’Histoire.
Un devenir incertain
Mais l’intégration ne se décrète pas, elle se construit dans la durée. Pas à pas, dans un climat de confiance et de responsabilisation de tous les pays membres. C’est bien là le problème. Car aussi longtemps que les locomotives que sont l’Algérie et le Maroc demeureront à l’arrêt, le train maghrébin restera à quai. Complémentaires sur le plan économique, le Maroc pourrait bénéficier des ressources algériennes en gaz et en pétrole tandis que l’Algérie importerait les produits agroalimentaires (céréales, agrumes, huile d’olive) dont elle a besoin directement du Maroc, et non plus d’Europe comme aujourd’hui. Sans parler de l’effet d’entraînement induit pour l’ensemble du Maghreb. Toujours selon la direction des études et des prévisions financières de l'UMA, les pays membres gagneraient alors 2 points supplémentaires de croissance par an, si l’intégration devenait effective.
Une intégration future qui ne peut cependant qu’être évoquée au conditionnel dans les présentes circonstances. Mais les développements récents au Maghreb (printemps arabe, succession à venir de Bouteflika) pourraient à terme modifier la donne et infléchir le cours des événements. Reste à savoir dans quel sens. En attendant, les populations continuent de payer l’incapacité de leurs élites à concevoir un projet commun. Dans un monde en mutation où les nations s’allient de plus en plus pour créer de grands ensembles régionaux (UE, ALENA, ASEAN, MERCOSUR, UEMOA) le Maghreb reste aux abonnés absents. Et l’UMA, loin d’être un seul bloc aux forces convergentes, continue de donner le triste spectacle d’une organisation statique et impuissante où ses 5 pays membres font cavaliers seuls.
Jacques Leroueil
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Bonjour,
Très bon article.Je rajoutrais que l'influence de certains pays étrangers intervenant dans les politiques interieur de ces pays,n'est pas faite pour faciliter l'union du Maghreb. C'est un sujet non neglgeable dans l'anlyse:dans le pouquoi de cette desunion.
Merci Bertrand pour ce complément d'analyse qui souligne fort justement les "interferences" exterieures comme facteur de désunion. Effectivement, cela aurait pu être aussi evoqué dans le corps de l'article. J'avais pour parti pris de me centrer en priorité sur la mécanique interne des dissenssions de l'UMA, les faceturs externes me semblant un peu en arrière-plan. Une opinion qui n'engage que moi et bien entendu sujette à discussion au vu de l'actualité récente (printemps arabe) et des développements encore à venir.
Très bonne analyse je vous félicité dt vous demande d aller plus loin dans vos recherche