Immersion au CTIC de Dakar : Challenge

YannAu cours d’un cours séjour au Sénégal, j’ai eu la chance de me plonger au cœur du CTIC Dakar, le premier incubateur TIC en Afrique Francophone. Aussi, je vous propose une série d’articles pour découvrir le CTIC, ses facteurs clés de succès, ses défis et enfin ses entrepreneurs.

Cet article est une interview de Yann Le Beux, Catalyst à CTIC Dakar, qui nous explique les stratégies de développement du CTIC et les défis à surmonter.

ADI : Pourriez-vous nous raconter brièvement votre parcours et le contexte dans lequel vous évoluez au CTIC ?

YLB : Je suis Yann Le Beux, je suis Français résidant au Sénégal depuis trois ans pour le CTIC. J’ai eu la chance de bénéficier d’une bourse de la coopération allemande qui recherchait un startup advisor pour l’incubateur. Au départ, j’ai fait des études d’ingénerie matériaux avec une spécialisation en management de l’innovation. Après des expériences en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis, je souhaitais en apprendre davantage sur l’évolution et l’impact des technologies en Afrique. L’idéal pour moi était de travailler dans un incubateur afin d’entrer rapidement en contact avec tout un écosystème et mieux comprendre comment les choses se passent. Je ciblais toutes les sciences mais les TIC m’intéressaient plus particulièrement. Au niveau des pays, je ciblais le Kenya, le Ghana et le Sénégal qui offraient il me semblait un environnement plus propice au développement de l’entrepreneuriat Tech.

J’ai donc rejoins l’équipe de CTIC Dakar quelques mois après son lancement en 2011, en tant que « Catalyst ». Nous avions à l’époque une petite équipe et étions donc tous très polyvalents. Pour ma part, en dehors du suivi quotidien des entreprises bien sûr, je me suis intéressé à la conception et la mise en place de nouveaux programmes tels que notre accélérateur de startup, et d’événements, faisant ainsi en sorte que ces derniers participent à la structuration de l’écosystème. Par ailleurs, nous avons réalisé pas mal d’actions sur la question des Business Angels et du financement en général, du lien avec les universités, et nous avons fait en sorte de mieux structurer nos programmes d’accompagnement pour pouvoir les améliorer et intéresser des partenaires. Enfin, je suis parfois l’interface pour les relations internationales. Le fait que je sois étranger peu aussi faciliter les échanges avec l’extérieur.

ADI : Pourriez-vous nous expliquer les particularités du CTIC ?

YLB : Bien que CTIC Dakar soit issu d’un partenariat public-privé, l’idée de l’incubateur provient au départ du secteur privé, notamment du patronat (OPTIC – Organisation des Professionnels des TIC) et la présidence de notre comité de gestion revient d’ailleurs au secteur privé. Au départ, une quarantaine d’entreprises informatiques plutôt traditionnelles (revendeurs de PC, développeurs ou intégrateurs de logiciels, etc.) qui composaient le secteur privé ont ressenti le besoin de créer un incubateur pour créer de l’innovation. C’est pour cette raison que le secteur privé est beaucoup plus influent au niveau de CTIC et que nous sommes beaucoup plus axés business. Légalement, nous sommes une association mais nous ne le disons quasiment jamais ; nous nous percevons davantage comme un cabinet de conseil.

Nous sommes également membre d’un réseau qui s’appelle Afrilabs, le réseau des incubateurs et hubs africains. Nous sommes 32 au total dont seulement 5 francophones (malheureusement). Ce réseau nous apporte beaucoup car il permet de partager des informations pertinentes ainsi que nos expériences, de constater les méthodes qui fonctionnent le mieux et d’adopter les meilleures pratiques pour être plus performant.

Au Sénégal, pour le moment il n’y a qu’un seul incubateur dédié aux entrepreneurs TIC, alors qu’il y en a déjà plusieurs milliers aux Etats-Unis et en Chine. Dans les années à venir, nous en aurons sûrement de plus en plus qui se spécialiseront par secteurs technologiques. C’est pour cela que je trouve fascinant d’être parmi les pionniers de ce domaine en Afrique francophone et d’être dans un centre qui dispose de ressources relativement importantes (10 employés, locaux de 500m2, financement pour les startups, etc.) pour accompagner les entrepreneurs Tech.

ADI : Etant donné que le secteur privé à une place importante dans la gouvernance du CTIC, est-ce que le profil des entrepreneurs sélectionnés est fonction du type d’innovation recherché par les entreprises partenaires ?

YLB : Il n’y a pas de lien entre les deux. Au départ, les entreprises du secteur ne savaient pas exactement quel type d’innovation elles souhaitaient trouver dans l’écosystème. Il s’agissait davantage de leur image et de voir l’émergence de jeunes start-up. Aujourd’hui, nos entreprises incubées sont parfois concurrentes  de celles qui composent le secteur privé, et c’est une bonne chose. Cela prouve que nos entreprises grandissent vite et bien. Dans d’autres cas, certaines entreprises plus grandes sont intéressées par acquérir certaines startups innovantes et c’est une très bonne chose également.

ADI : Quelle est l’implication des entreprises privées dans les activités de l’incubateur ?

YLB : La plupart des grands groupes essaye d’une manière ou d’une autre d’entrer dans une dynamique d’écosystème. Mozilla Firefox, par exemple, a présenté récemment le lancement d’une nouvelle plateforme à nos entrepreneurs afin qu’ils anticipent et adaptent leurs applications à ce type de plateforme. Avec Microsoft, nous fournissons des formations gratuites en développement mobile. Orange également s’implique de plus en plus, notamment via leur nouvelle division «Relations avec l’Ecosystème Numérique » à laquelle nous sommes rattachés. Cette relation met beaucoup de temps à se construire et commence enfin à porter ses fruits avec des initiatives proposées par le groupe telles que le « Data for Development Challenge » dans le cadre de laquelle Orange a ouvert toutes ses données pour la communauté de développeurs. Ce type d’initiative est pour nous très intéressant. Ils soutiennent également certains projets, sont en mesure de fournir des mentors, ils essaient d’ouvrir des portes malgré les nombreux freins qui demeurent encore aujourd’hui. A titre d’exemple, nous aimerions qu’Orange ouvre ses technologies de paiement mobile à nos startups de e-commerce, ou au moins qu’ils offrent des numéros verts ou des numéros courts SMS aux startups du Sénégal, mais à ce niveau-là, il n’y a aucune concession pour le moment bien que plusieurs discussions soient en cours.

ADI : En occident, les entreprises délocalisent énormément les services informatiques en Inde. Atos a annoncé récemment vouloir investir au Sénégal et faire du pays un fournisseur de services informatiques pour l’Europe. De votre côté, avez-vous tenté de positionner vos entrepreneurs sur ces marchés ?

YLB : En tant qu’étranger, il m’arrive d’être sollicité par des entreprises étrangères pour les aider à comprendre l’écosystème dans lequel nous évoluons. Cependant, pour le CTIC, il n’est pas intéressant d’accompagner ce type d’entreprise car notre grande valeur ajoutée se trouve sur le business development local. Nous sommes très forts pour trouver des clients locaux, Sénégalais et, de plus en plus, Ouest-Africains. Donc si l’objectif est de former des développeurs pour servir des clients européens, nous ne pouvons pas être d’une grande aide.

A long terme, ce type d’entreprise peut nous apporter car ils forment très bien les développeurs Sénégalais et leur offrent de très bonnes expériences professionnelles grâce à leurs gros moyens. Mais, à très court terme, ces groupes « pillent » toutes les ressources humaines de nos entreprises. Atos en l’occurrence est arrivé et a embauché la totalité de la dernière promotion de l’ESP – qui est la meilleure école de développeurs au Sénégal – avant même que les étudiants aient quitté l’école. Et maintenant que nos entreprises grandissent, nous nous rendons compte du manque criard d’ingénieurs sur le marché sénégalais : People Input compte une cinquantaine d’employés, Byfilling une vingtaine, Nelam Services une vingtaine également. Atos veut embaucher 200 développeurs la première année et 3 000 sur 3 ans alors que des deux meilleures écoles, l’ESP et l’UGB, ne sortent que 40 ingénieurs compétents chaque année. Ce décalage représente un gros risque pour notre écosystème. Malgré tout, le Sénégal dispose d’un réel potentiel et il serait très bénéfique pour l’image du pays que les groupes étrangers réussissent leur intégration sur le marché.

Yann_de piedADI : Au niveau de l’investissement privé, comptez-vous parmi vos partenaires des Business Angels ?

YLB : Oui nous en connaissons quelques-uns, mais ceux intéressés par les TIC se comptent sur les doigts d’une main au Sénégal. Nous avons essayé de développer un club de Business Angels mais cela n’a pas du tout fonctionné. Nous pensions au départ que de riches hommes d’affaire du Sénégal – car notre première cible était les Sénégalais – auraient été intéressés par le fait d’investir dans des jeunes talents TIC de leur pays. Ce n’est malheureusement pas encore le cas ; ils préfèrent investir dans le bâtiment ou des industries qu’ils maitrisent mieux ; et laissent des groupes tels que Rocket Internet s’accaparer tout le marché du e-commerce. Nous trouvons cette situation dramatique : il y a un vrai manque d’investissement local et de la diaspora. A l’inverse, des investisseurs étrangers tels que Rocket Internet ou Ringier comprennent le vrai potentiel du e-commerce en Afrique et le prouvent depuis deux ans via leurs investissements.

Mais ce n’est qu’une question de temps, plus nous aurons d’entrepreneurs à avoir réussi dans le secteur des technologies, plus ils réinvestiront  et accompagneront des startups donc je  reste confiant. Notre ancien directeur au CTIC, vient d’ailleurs de lancer un fonds d’investissement doté de plusieurs millions d’euros. Par ailleurs, la diaspora représente un gros potentiel, mais nous n’avons pas encore trouvé canal idéal pour la toucher.

ADI : Quelle est votre position sur le projet de ville numérique de Diamnadio ?

YLB : Nous sommes impliqués dans ce projet qui est effectivement très intéressant et il est prévu que notre incubateur soit au centre de cette cité. Pour nous, il s’agit d’une très bonne opportunité. Cela dit, cela fait déjà près de 10 ans que l’on parle de villes numériques au Sénégal et même si le projet est en bonne voie, il ne sera surement pas finalisé avant 3 ou 4 ans. Avec nos modestes moyens et nos 500 m2 nous avons accompagné plus de 60 entreprises et bâti un modèle qui est viable à 75%. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre avant de grandir, la demande est trop forte. Nous travaillons donc sur une extension de 1 500 m2 et l’ensemble de nos partenaires s’est engagé à nous soutenir dans cette démarche.

Propos recueillis par Awa SACKO

Retour d’Abdoulaye Wade au Sénégal: essoufflement ou second souffle?

wadeSous-couvert de patriotisme et de la volonté de sauver son parti, Abdoulaye Wade est rentré au Sénégal. Après avoir disparu de la scène politique pendant 2 ans, il a fait un retour remarqué au Sénégal le vendredi 25 avril 2014. L’ancien Président sénégalais avait quitté son pays pour la France après avoir perdu l’élection présidentielle du 25 mars 2012 face à son ancien Premier Ministre Macky Sall. Son retour a été marqué par quelques péripéties lors de son escale à Casablanca, puisque son arrivée à Dakar a été reportée à plusieurs reprises sans fondement à l’en croire, et pour défaut d’autorisations selon les autorités sénégalaises. Quoi qu’il en soit, le Pape du Sopi a encore accompli, à 88 ans, une démonstration de sa capacité de mobilisation, et surtout de sa position centrale au Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Volontairement ou involontairement, il a revêtu le manteau de la victime lors de son escale de 48 heures à Casablanca, en faisant croire à l’opinion publique que les autorités sénégalaises ont tenté d’empêcher son retour. Ces dernières ont pour leur part évoqué des questions de procédures pour expliquer le report de son vol. Il aurait ainsi modifié le personnel qui avait été initialement annoncé et changé d’appareil entre autres manœuvres, entraînant alors des vérifications supplémentaires pour l’autoriser à atterrir à Dakar.  L’opinion la mieux partagée sur cet épisode est que quelqu’un, du côté de Wade ou du pouvoir, a délibérément provoqué ce retard. Tout étant bien qui finit bien, Wade a été accueilli par une importante foule de partisans et de sympathisants dans la capitale sénégalaise. Dans un élan d’enthousiasme, il a déclaré que le régime actuel était incapable de satisfaire les aspirations des Sénégalais et que son fils, Karim Wade, en détention préventive dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, en est le seul capable. Mais au-delà de ces aspects épisodiques, deux grands enseignements peuvent être tirés de son come-back :

1)      Le Parti démocratique sénégalais est en essoufflement

Selon ses propres termes, Abdoulaye Wade est revenu pour sauver le PDS, qu’il a fondé il y a 40 ans. Le PDS connaît en effet une importante saignée depuis deux ans car beaucoup de ténors du parti l’ont quitté : Pape Diop, qui fut Maire de Dakar, Président de l’Assemblée Nationale ainsi que Président du Sénat sous sa bannière, a quitté le navire pour créer la Convergence démocratique Bokk Gis Gis ; Abdoulaye Baldé, Maire de Ziguinchor (Sud) et plusieurs fois Ministre sous Wade a fait de même en créant l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) ;  Aida Mbodj, Maire de Bambey (Centre) et plusieurs fois Ministre sous Wade a créé un courant politique et a brillé par son absence à l’accueil de l’ancien Président ; tandis que d’autres anciens responsables du parti ont simplement rejoint le pouvoir actuel, comme Kalidou Diallo, Awa Ndiaye, Ousmane Seye, etc.

Tous ces départs témoignent d’une grande désaffection à l’égard du PDS et, in fine, de sa perte de vitalité depuis la défaite de 2012. Cela est probablement dû au fait qu’Abdoulaye Wade, comme les membres du PDS le disent souvent, est la seule constante dans ce parti.  En d’autres termes, il y décide de tout et le parti ne peut pas fonctionner sans lui, du fait du centralisme qui y a prévalu depuis toujours. Ainsi, il semble que personne d’autre n’est apte à diriger le parti à part lui, puisque son leadership est le seul qui y prévaut. La volonté de Wade de sauver le PDS, à deux mois des élections locales prévues en juin 2014, est consécutive à un essoufflement de son parti qui s’est émietté.

2)      Wade cherche un second souffle

Abdoulaye Wade est conscient du désamour que les Sénégalais lui ont exprimé le 25 mars 2012. Il a fait 26 ans d’opposition, dirigé le Sénégal pendant 12 ans, et aura certainement été l’un des personnages les plus marquants de la vie politique sénégalaise. Mais il lui reste un ultime combat : Karim Wade, son fils. En prison depuis près d’un an dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, Karim Wade a été l’une des principales causes de sa défaite, du fait des lourds soupçons sur Abdoulaye Wade de vouloir lui transmettre le pouvoir. L’ancien Président sénégalais ne semble pas pour autant avoir renoncé à l’idée de voir son fils occuper le fauteuil présidentiel, comme il l’a lui-même laissé entendre dans sa déclaration au siège du PDS le soir de son retour. Il souhaite en fait le positionner comme le seul adversaire crédible contre Macky Sall. Et pour ce faire, Abdoulaye Wade cherche un second souffle. Il souhaite remettre sur pied le Parti démocratique sénégalais en faisant revenir les responsables qui l’ont quitté, et surtout en réunifiant la famille libérale. Dans son esprit, Idrissa Seck (Maire de Thiès, Président du Rewmi, et ancien Premier Ministre sous Wade), Pape Diop, Abdoulaye Baldé et… Macky Sall peuvent tous se retrouver pour reconstituer le PDS. Il considère qu’ils proviennent de la même famille libérale qu’il a fondée et doivent pouvoir revenir dans ce parti. Cette réunification servirait bien entendu la cause de son fils biologique, Karim Wade, qu’il rêve de voir diriger le Sénégal. Pour lui, personne d’autre n’en est capable.

Il faut reconnaître à Wade le mérite de vouloir sauver son parti et son fils à un moment aussi difficile. Il faut cependant le faire revenir à la raison : ce rêve est purement utopique. Le PDS a fait sous son règne une gestion calamiteuse des ressources publiques en multipliant les scandales financiers. Ses responsables faisaient preuve d’une grande arrogance vis-à-vis des Sénégalais. Karim Wade a été traité de tous les noms d’oiseaux par les Sénégalais qui lui reprochaient d’avoir été trop associé à la gestion du pouvoir. Il a été à la tête de plusieurs ministères importants et a provoqué beaucoup de frustration dans les rangs du PDS même. Il est de plus soupçonné d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA par une bonne frange du peuple. Peut-il dès lors prétendre être un martyr du simple fait que la justice de son pays le poursuit ? La réponse est non ! Son père peut-il lui servir tout le PDS sur un plateau ? Même réponse négative ! Karim Wade, à son corps défendant, doit rendre compte de la gestion des deniers publics qu’il a effectuée, et expliquer la provenance de son patrimoine. Cela prendra le temps qu’une bonne administration de la justice nécessite. Pour l’heure, il est utopique de vouloir rassembler la famille libérale : les courants idéologiques ne sont pas déterminants dans la vie politique sénégalaise. Ce qui peut paraître comme un retour en héros du Pape du Sopi, et qu’Abdoulaye Wade regarde avec un zeste d’aveuglement comme une occasion de sauver son parti et son fils, témoigne en réalité d'un essoufflement du PDS.

Mouhamadou Moustapha MBENGUE

Finance islamique : une opportunité à saisir ?

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Face aux défis du développement et des contraintes liées à la rareté des ressources financières en dons, les pays africains tentent de trouver des alternatives moins coûteuses aux mécanismes de financement traditionnels. Dans cette optique, ils s’ouvrent de plus en plus au profit des ressources financières asiatiques : chinois et arabes essentiellement. Si des travaux sont en cours sur la stratégie chinoise en Afrique, l’opportunité des ressources financières arabes pour le continent est assez mal connue alors qu’elles semblent susciter un grand intérêt auprès des décideurs du continent. C’est dans ce contexte que le Bureau de L’Afrique des Idées  de Dakar a organisé le 29 mars 2014 une conférence, animée par des spécialistes du sujet : Dr Abdou Karim Diaw[1] et M. Rodolph Missihoun[2]. Cet article fait une synthèse des principaux enseignements sur la finance islamique issus de cette conférence et le rôle qu’elle pourrait jouer dans le processus de développement de l’Afrique.

Très peu connue et demeurée assez longtemps l’outil financier des pays musulmans, la finance islamique intéresse de plus en plus le monde. Outre sa banque qui s’implique dans le développement (la BID), elle dispose d’autres instruments comme les sukuks (similaires aux obligations classiques) qui intéressent de nombreux pays. Londres, centre financier de classe mondiale, veut d’ailleurs se positionner comme pionner de l’insertion de cette finance dans le monde occidental en émettant cette année des sukuks à hauteur de 233 MEUR. Elle a d’ailleurs aménagé sa réglementation à ce propos et abrite de nombreuses formations diplômantes spécialisées en finance islamique. En Afrique, le Sénégal s’apprête à tester le marché financier islamique avec une émission de sukuks pour  un montant de FCFA 100 Mds. Il a d’ailleurs déjà bénéficié de l’accord de la Banque Centrale pour son refinancement. Disposant de centaines de millions USD (près de 1 000 Mds USD fin 2012 contre 300 Mds USD en 1990), le marché financier islamique est en pleine expansion (ses actifs pourraient atteindre 4000 Mds USD à horizon 2020) et a donc de quoi susciter l’intérêt de tous, plus particulièrement de l’Afrique, dont les besoins financiers sont énormes.

Sur son fonctionnement

Il faut avant tout rappeler que la finance islamique présente les mêmes caractéristiques que la finance classique. De fait, elle ne se veut pas philanthropique. La finance islamique s’appuie sur les principes de la Charia, qui considèrent illicites la perception de ressources financières sur des placements financiers par le mécanisme des taux d’intérêt. Les principes de la Charia supposent que chaque gain devrait être motivé par l’exercice d’une activité, ce qui n’est pas systématiquement le cas dans la finance classique. Ainsi les prêts dans le cadre de la finance islamique prennent plutôt la forme d’une prise de participation

Les acteurs pilotes de la finance islamique jouent un rôle d’entrepreneur multitâche aux allures de fonds d’investissement. Deux cas se présentent : le financement d’une activité rentable (prêt pour entreprise ou pour l’exécution d’un projet) ou d’un projet à dimension social (prêt aux particuliers ou à des entités publiques). Dans le premier cas, suivant que les acteurs estiment le projet viable, ils y participeront en tant qu’investisseurs et non en tant que banquiers. Dans ce contexte, les fonds investis dans le projet seront rémunérés en fonction des bénéfices générés et du quota dans le capital. L’avantage dans un tel système est que le prêteur « islamique » subira les risques inhérents au projet. Dans le second cas, le prêteur se prémunit des risques liés à l’investissement.

L’objectif est donc de répondre à un besoin financier réel tout en supportant les risques et en accompagnant l’emprunteur dans la réalisation de ses projets. Pour ce faire, le système financier islamique s’appuie sur un groupe bancaire, qui a les mêmes attributs que le groupe de la Banque Mondiale : la Banque Islamique de Développement ; et un ensemble de banques commerciales islamiques.

La mobilisation de fonds sur le marché financier islamique peut se faire auprès de banques commerciales islamiques, auprès de la Banque Islamique de Développement (BID) dont les activités concernent notamment le développement socio-économiques ou à travers l’émission de sukuks. Les sukuks sont des certificats d'investissement qui fonctionnent selon les mêmes critères présentés précédemment. Ils consistent pour le détenteur à participer à l’achat d’un bien qui sera revendu à un prix majoré au client, qui rembourse alors selon un échéancier sur lequel les deux parties se sont entendues. Il percevra ainsi comme rémunération du sukuk la marge en fonction de son niveau de participation.

La Finance Islamique en Afrique

L’exercice de la finance publique est essentiellement du fait de la BID. Sur les 56 membres de cette banque, 22 sont africains dont 17 en Afrique subsaharienne (12 sont Ouest-Africains). Au troisième trimestre 2013, les engagements de la BID dans le monde aurait atteint une centaine de milliards de dollars. En Afrique ces interventions sont plus concentrées au Maghreb. Pour renforcer sa présence en Afrique subsaharienne, la BID avait mis en place en 2008 un programme spécialement dédié à l’Afrique : le Programme Spécial pour le Développement de l’Afrique doté d’un portefeuille de 12 Mds USD (dont 4 de fonds propres de la BID et les 8 autres auprès de ses partenaires) sur la période 2008-2012 sur des thématiques telles que l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et l’assainissement, l’énergie, le transport, les infrastructures, l’éducation, le renforcement des capacités, la santé et le contrôle des maladies transmissibles. Le bilan de ce programme révèle que ce sont au total 13 Mds USD qui ont été engagés à travers ce programme dont 5 provenant des fonds de la Banque, dont 59% pour l’Afrique subsaharienne.

La BID en soi constitue une institution solide, qui peut mobiliser autour d’elle d’autres bailleurs susceptibles de financer des activités de développement en Afrique. Les principales agences de notation du monde lui attribuent un niveau de risque nul. Comme dans le cadre du PSDA, elle a pu permettre aux pays africains de disposer de 8 Mds USD supplémentaires, mobilisés auprès de ces partenaires. Si la BID ne conditionne pas ces interventions par des critères socio-politiques[3], très fréquents dans le cadre africain et qui pourraient constituer une source de risque, sa force réside dans le choix des projets dans lesquels elle intervient mais aussi à ses principes de fonctionnement fortement ancré dans les principes de la charia.

Elle dispose d’autres outils similaires à la Société Financière Internationale (IFC) de la BM[4] (la Société islamique de développement du secteur privé – SIDSP) et son Agence Multilatérale de Garantie des Investissements[5] (la Société Islamique d’Assurances des Investissements et des Crédits à l’exportation – SIAICE) destinés au secteur privé, très peu connus sur le continent.

Quelques banques commerciales islamiques sont présentes sur le continent mais sont plutôt concentrées dans les pays du Maghreb. Leur émergence dans la zone subsaharienne est contrainte par une mauvaise connaissance du marché financier islamique, à une réglementation qui ne favorise pas leur établissement mais aussi aux conditions d’endettement assez particulières des pays africains auxquels le Fmi exige de n'avoir recourt qu'à des ressources financières comprenant au minimum 35% de dons. 

Il est évident que l’Afrique pourrait profiter de l’expansion de la finance islamique. Les principaux acteurs de ce marché alternatif à la finance classique ont, pour leur part, déjà adopté une stratégie devant leur permettre de s’implanter durablement sur le continent, présenté aujourd’hui comme l’un des moteurs de la croissance mondiale. Quelques bureaux régionaux de la BID ont déjà été installés : une pour le Maghreb, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique de l’est. La BID œuvre déjà pour l’assouplissement du cadre réglementaire afin de favoriser l’implantation de banques commerciales islamiques.  Elle oriente de plus en plus les Etats vers les sukuks. L’Afrique, de son côté, devrait tenter de s’approprier cet outil qui présentent de nombreux atouts, en s’impliquant un peu plus dans le processus de son installation sur le continent à travers la réglementation et en portant une attention particulière sur les approches utilisées dans la détermination des marges mais aussi en développant ses capacités en termes de négociation, qui jusque-là constituent un goulot d’étranglement dans le processus de développement de l’Afrique. 

Foly Ananou


[1]Ph.D. en finances islamiques.

 

 

[2] Economiste principal au Bureau Régionale de  la Banque Islamique de Développement.

 

 

[3] Elle n’intervient d’ailleurs jamais sur des questions d’ordre juridico-politique

 

 

[4] chargé du développement du secteur privé

 

 

[5] qui garantie les investissements étrangers dans les pays en voie de développement. 

 

 

Macky Sall, deux ans après: beaucoup de réformes, peu de satisfaction

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Deux ans après son élection à la tête de l’Etat sénégalais, Macky Sall fait face à un certain mécontentement social. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mis en place d’importantes réformes dans beaucoup de secteurs.

Beaucoup de réformes mises en places

En effet, le régime a enclenché un certain nombre de mesures visant à satisfaire la demande sociale, allant de la réduction des prix des denrées de première nécessité à la baisse des loyers, en passant par la création de bourses de sécurité familiale et celle d’une couverture maladie universelle. De plus, certains instruments importants destinés à stimuler et à soutenir l’activité économique ont été adoptés : le FONSIS (Fonds de soutien aux investissements stratégiques), le FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires), et la BNDE (Banque nationale de développement économique). De même, dans la continuité de la Stratégie de croissance accélérée, des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté, et de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal émergent a été adopté et suit son cours. Ce dernier a enregistré un succès au groupe consultatif de Paris, où il a mobilisé la somme de 3729 milliards de F CFA auprès des bailleurs de fonds multilatéraux du Sénégal, après les 2200 milliards de F CFA obtenus auprès de la Chine pour le financer.  Tous ces programmes visent à atteindre une forte croissance via des réformes macro-économiques financées en partie par les partenaires internationaux du Sénégal. Parallèlement, certains chantiers ouverts par le régime précédent, concernant en particulier les infrastructures (routes, hôpitaux, chemin de fer, port, etc.) ont été maintenus ou améliorés. Plusieurs autres grandes mesures dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’environnement, de l’énergie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du travail, de la sécurité, de la fiscalité (pour ne citer que ceux-là) sont en train d’être mises en œuvre.

C’est ainsi qu’une nette amélioration de la distribution d’électricité a été notée. Un vaste programme de recrutement de plus de 5500 nouveaux agents dans la fonction publique a été effectué. 10 000 autres ont été enrôlés dans une agence dédiée à la sécurité de proximité pour prévenir la petite délinquance et rapprocher la police des citoyens. Il y a eu également une baisse importante de la fiscalité sur les salaires, qui vise à relever le pouvoir d’achat. En outre, l’Acte 3 de la décentralisation est venu modifier la carte administrative en matière de décentralisation, en supprimant des régions, créant des conseils généraux au niveau départemental, et surtout opérant une communalisation générale qui consiste à octroyer aux collectivités locales de base le même statut et les mêmes moyens financiers. Cette réforme qui vise la territorialisation des politiques publiques devrait permettre aux entités locales d’être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat central. Par ailleurs, un programme d’audit de la fonction publique a été mené afin de déceler les erreurs et doublons qui s’y trouvent, ce qui permet de les corriger et d’avoir une plus grande transparence dans la gestion des agents publics. De même, la traque dite des biens mal acquis a été déclenchée dès le début du mandat pour obliger les personnes ayant occupé de hautes fonctions dans le régime précédent à restituer les biens qu’elles auraient acquis de manière illicite. Elle a fait passer devant les tribunaux plusieurs personnalités du Parti démocratique sénégalais telles que Karim Wade (fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade qui était à la tête de plusieurs ministères importants), Bara Sady (ancien Directeur Général du Port autonome de Dakar), Tahibou Ndiaye (ancien Directeur du cadastre) et Aida Ndiongue (ancienne sénatrice et responsable du PDS). Enfin, un travail de réflexion sur les institutions a été fourni par la commission nationale chargée de la réforme des institutions (CNRI).  Ce dernier point mérite d’être examiné un tant soit peu.

Dans l’avant-projet de Constitution remis au Président Sall par le Pr Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur Général de l’Unesco, figurent des mesures-clés : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, le monocaméralisme à travers la suppression du Sénat, l’interdiction pour le chef de l’Etat d’être chef de parti, ainsi que les devoirs des citoyens relatifs au respect de l’ordre et de la sécurité publics, etc. Il propose également la création d’une Cour Constitutionnelle en lieu et place de l’actuel Conseil Constitutionnel, ce qui devrait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle, plus indépendante et reflétant la diversité de la société sénégalaise. Ces propositions de réformes divisent la classe politique, et n’agréent pas en particulier le camp présidentiel, mais elles peuvent améliorer la vie démocratique sénégalaise. Il pourrait s’enrichir de la diminution des pouvoirs de nomination du Président de la République qui, actuellement, nomme à tous les emplois civils et militaires. Moult griefs ont été faits à l’encontre des propositions faites par la CNRI, mais ils ne s’avèrent pas fondés. La démocratie sénégalaise est certes dotée d’institutions fortes et stables, mais elle peut sans doute gagner en  progrès et en réformes. Le Sénégal doit adopter l’avant-projet de Constitution de la CNRI sans n’y changer aucune virgule, pour reprendre la formule du Président Diouf lorsqu'un Code électoral consensuel lui avait été soumis en 1992.

Du mécontentement social subsistant

Cependant, malgré tous ces efforts entrepris par l’actuel régime, force est de constater que le mécontentement social ne s’est pas encore éteint et que les Sénégalais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la demande sociale. Il n’est besoin pour s’en convaincre que de se promener dans les rues dakaroises en prêtant attention aux discussions des gens, qui entonnent la même chanson : « Deuk bi dafa Macky ». Cette expression, répétée à longueur de journée, explique suffisamment que la demande sociale, pour laquelle le Président Sall a été élu, n’a pas encore été satisfaite. Malgré la baisse considérable des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, l’huile, le lait et le sucre ainsi que celle des loyers, les Sénégalais rencontrent toujours de réelles difficultés pour se nourrir et se loger décemment. Malgré le recrutement de  milliers de nouveaux agents publics, le problème du chômage des jeunes n’a pas encore été résolu. Malgré les dispositifs de soutien à l’activité économique, notamment ceux de soutien aux PME, l’embellie économique n’est pas encore au rendez-vous.

En outre, l’Acte 3 de la décentralisation n’a pas été mené sur une base très consensuelle, vu que tous les acteurs concernés (élus locaux, organisations communautaires de base)  n’y ont pas été associés. Malgré les efforts de modernisation des secteurs agricole et silvo-pastoral, le milieu rural est confronté à d’énormes difficultés de commercialisation de ses produits comme l’arachide. Quant aux acteurs de la pêche, ils dénoncent la rareté de certains produits halieutiques du fait de la présence de gros navires étrangers dans les eaux sénégalaises. En plus de ces insatisfactions, d’autres facteurs de mécontentement sont nés. L’audit général de la fonction publique a généré un bras de fer avec les enseignants des lycées et collèges qui protestent contre la rétention des salaires qui a été effectuée pour certains d’entre eux. Les étudiants des universités publiques protestent contre une réforme du système de l’enseignement supérieur qui a instauré de nouveaux tarifs relatifs aux droits d’inscription annuels… En gros, un certain mécontement social subsiste.

L’opinion publique est impatiente

Du point de vue supérieur de l’opinion publique, les grandes réformes entreprises et les nombreux efforts déployés par les autorités publiques ne sont que du vent, tant et aussi longtemps que le Sénégalais moyen ne pourra satisfaire ses préoccupations primaires. La croissance économique affichée et les nouveaux plans de développement brandis sont de l’optimisme qui se vend sur les places internationales, mais ne produisent pas des effets immédiats sur son vécu quotidien. Et pour cause : le temps de l’opinion publique n’est pas celui d’une stratégie d’émergence à moyen ou long terme, telle que planifiée par le gouvernement. Les populations sénégalaises aspirent à une amélioration immédiate de leurs conditions de vie, avec une grande impatience. Or, le développement est une affaire de long terme pour un pays pauvre comme le Sénégal. Les sous-jacents économiques fondamentaux ne sont pas entièrement réunis pour permettre une émergence rapide. L’environnement des affaires n’a pas encore connu cette amélioration que les pouvoirs publics sénégalais appellent de leurs vœux. Les démarches et les coûts liés à la création d’une entreprise ou à l’obtention d’un permis de construire sont encore d’importants freins à l’investissement.

L’investissement est le maître-mot !

Le Sénégal est dans une phase de transition consécutive à la gabegie générale dont ont souffert les finances publiques lors du régime précédent. Cette situation transitoire devrait permettre d’assainir les finances publiques et remettre l’Etat sur les rails de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit impérativement garder ce cap de réformes pour atteindre le palier de l’émergence, en s’appuyant aussi bien sur son secteur privé que sur les investissements directs étrangers même s'il y aura des moments difficiles avant qu'elles ne fassent leurs effets.

Une option pragmatique voudrait que les autorités publiques se concentrent sur les priorités économiques : agriculture (parvenir à écouler les productions agricoles), industries (piliers incontournables du développement ; en particulier celles minières et extractives, dont le Sénégal peut encore beaucoup profiter), infrastructures (l’état d’une route comme celle de Fatick-Kaolack est inacceptable), énergie (les coupures de courant freinent l’activité économique), emploi (un des plus grands défis des pouvoirs publics car une jeunesse désœuvrée est un facteur d’instabilité), assainissement et environnement (l’insalubrité publique est une bombe à retardement), etc. Bien entendu, l’éducation et la santé demeurent des secteurs prioritaires pour améliorer le capital humain. Le Sénégal doit poursuivre les efforts qui y ont été fournis. Le maître-mot des politiques publiques, dans les années à venir, devra être l’investissement. Le Sénégal a une certaine facilité pour en mobiliser grâce à sa stabilité politique et à l’efficacité de sa diplomatie économique ; c’est pourquoi il faudra poursuivre les efforts qui sont fournis pour augmenter l’attractivité du pays ainsi que sa compétitivité. L’investissement doit profiter aux productions où le Sénégal a un avantage comparatif (comme l’arachide, le mil, le sel, le coton, les poissons, les phosphates). Il doit également bénéficier aux secteurs à haut potentiel de rendement comme l’agro-business (surtout dans la vallée du fleuve Sénégal et dans les Niayes), les TIC, les énergies renouvelables (solaires, hydrauliques, éoliennes). La conclusion de PPP pourrait être un grand levier car ils facilitent la mobilisation de capitaux pour le financement des services publics. L’investissement (public comme privé) reste une condition sine qua non du développement pour un pays parce que lorsqu’il est bien organisé, toutes les portes lui sont ouvertes. 

                                                      Mouhamadou Moustapha Mbengue

Comment inciter les jeunes à l’entreprenariat ? L’exemple du Synapse Center

Terangaweb_SynapseRacine Demba, membre de Terangaweb – L'Afrique des Idées, a récemment rencontré les responsables du Synapse Center, une organisation basée à Dakar qui accompagne les jeunes Sénégalais dans leurs projets d'entreprenariat. Résumé de leur entretien.

« Enrichir le Sénégal de sa relève et changer le monde à notre échelle » voilà par où commence Mariama Diaz, en charge du volet marketing et communication à Synapse, lorsqu’elle parle, avec le sourire, de son organisation.

Synapse Center est une organisation à but non lucratif de droit sénégalais fondée en 2002 par M. Ciré Kane, qui en assure la direction. Avec l’ambition affichée de libérer l’énergie créatrice de la jeunesse africaine, l’organisation accompagne des jeunes sénégalais, dans leur insertion socioprofessionnelle. Elle entend ainsi co-créer les conditions d’un développement durable et œuvre notamment dans le social business, l’employabilité, la promotion d’un nouveau type de leadership dans un Sénégal – et une Afrique en général – où les réalités sont souvent contraignantes pour ceux qui veulent entreprendre.

Au fil des années, Synapse a initié et mis en œuvre divers programmes qui ont pour objet d’insuffler chez les bénéficiaires l’esprit d’entreprise, et de les accompagner dans la concrétisation de leurs projets à fort impact social. Dans un contexte où d’importants défis sont à relever et ce dans tous les secteurs, l’organisation affirme que les solutions à ceux-ci ne peuvent être laissées à la seule charge de l’Etat. C’est ainsi qu’elle prône le « social business », la création d’entreprises hybrides, combinant impact social et viabilité économique, portées par des acteurs de changement.

Leader en matière d’accompagnement des jeunes au Sénégal, Synapse a su élaborer et éprouver un processus innovant qui met l’individu au cœur de sa démarche. Allant de la découverte de soi au choix de son impact dans sa communauté, en passant par l’ouverture à son environnement, Synapse propose à ses bénéficiaires un dispositif intégré qui leur permet d’ « oser inventer l’avenir ». Le Processus en U, puisque c’est ce dont il s’agit, comporte 3 phases clés, Observation & recherche – Retraite – Incubation. Ce modèle a été répliqué par d’autres organisations au Brésil et en France.

En dix ans d’activités et à  travers ses différents programmes, dont Promesse Sénégal, Challenge avec deux composantes, Empacto et Passeport Pour l’Emploi, Synapse exchanges et l’incubateur Tagg-at entre autres, l’organisation a accompagné à ce jour, près de 15000 jeunes, établis dans 124 villes et villages du Sénégal, du Burkina, du Mali et de la Côte d’Ivoire. Devant ces chiffres assez éloquents, Marianne Diaz remercie les partenaires, Artemisia International, IYF, USAID, FCYF, Microsoft, Africans In The Diaspora et bien d’autres tout autant importants qui ont rendu tout cela possible, ainsi que les bénéficiaires. « Nous n’aurions pu parvenir à cette étape de notre odyssée sans leurs concours et leur confiance. Ils ont permis à notre organisation de grandir et d’avancer à grand pas dans la matérialisation de notre vision commune d’une Afrique émergente, unie dans sa diversité et forte de sa jeunesse » ajoutera-t-elle.

En cette année anniversaire, Synapse réaffirme son engagement auprès de la jeunesse en initiant et en mettant en œuvre en sus des autres, les programmes « Innove4Africa » et « Jeunes Agriculteurs (JA) ». Ce dernier programme accompagne de jeunes agriculteurs, de la production à la commercialisation de leurs produits en passant par la transformation et le transport. Il concerne 400 jeunes « agropreneurs » – pour utiliser le charmant néologisme de Synapse – issus de trois régions du Sénégal : Dakar, Thiès et St-Louis. L’initiative contient aussi un volet communication très important. Il s’agit ultimement de conscientiser les populations, afin de les amener à consommer local avec en toile de fond, l’ambition de participer à relever le défi l’autosuffisance alimentaire.

Innove4Africa pour booster l’entreprenariat jeune en Afrique francophone

Innove4Africa est un programme destiné aux jeunes entrepreneurs d’Afrique francophone, âgés de 18 à 29 ans et ayant au moins six mois d’impact. Il leur offre l’opportunité d’intégrer un réseau dynamique d’entrepreneurs sociaux, d’avoir un accompagnement, ainsi qu’un appui financier de deux millions de francs CFA chacun, pour développer leur entreprise. Promu dans les 25 pays d’Afrique francophone, Innove4Africa, à travers une rigoureuse sélection, retiendra 25 bénéficiaires. Il ne s’agit nullement de choisir un jeune par pays, mais plutôt de prendre les meilleurs projets. La présélection a ainsi été faite par les organisations partenaires pays,  et la sélection finale par un comité sous régional, composé de divers membres avec une grande expertise dans leurs domaines respectifs.

Innove4Africa est donc, comme l’explique M. Ba chargé de programme à Synapse Center : « le premier programme de fellowship en entreprenariat social de l’Afrique francophone. Il célèbre et encourage les jeunes à innover d’avantage et à apporter des solutions face aux défis que rencontrent les populations africaines ». 

Les 25 entrepreneurs retenus suivront d’abord une retraite de formation et de renforcement de capacités sur le leadership, puis un coaching qui leur permettra d’avoir accès à des mentors, ainsi qu’à des plateformes de financement. Le but étant d’accompagner des entrepreneurs sociaux et de susciter des vocations à travers des exemples de réussite.

La retraite du programme est prévue du 17 au 24 janvier prochain dans la capitale sénégalaise. Une grande cérémonie de remise de prix sera organisée pour, selon les initiateurs, présenter Innove4Africa et ses bénéficiaires au grand public. 

Echos du Terangaweb Talk

Après le « Rendez-vous Terangaweb », journée de lancement de ses activités au Sénégal en avril 2013, le Bureau de Dakar de L’Afrique des Idées a organisé le « Terangaweb Talk » le samedi 7 septembre 2013 à la Place du Souvenir Africain, à Dakar. Le « Terangaweb Talk » a été une tribune qui a présenté des visages reflètant le dynamisme de l’Afrique actuelle. Le but de cette nouvelle forme de rencontre, jusque-là inédite pour l’association, fut de découvrir une autre facette du Continent à travers les parcours, rêves, inspirations et vision des speakers invités, pour une Afrique qui bouge prenant en main son propre destin.

Nous avions choisi comme thème : « Pourquoi a-t-on besoin d’idées en Afrique ? », et invité six intervenants à venir partager leur expérience et faire part de leur regard nouveau qu’ils portent sur des sujets importants de la vie économique, politique et sociale de l’Afrique contemporaine.

Les six speakers étaient : Alioune Badara Cissé, Ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Mamadou Sangharé, mathématicien, fondateur de l’AIMS, Mame Yacine Sy, Styliste, créatrice de la marque Gnéméma, Ndongo Ndiaye, ancien de la NBA, Conseiller Jeunesse et Sport de Macky Sall, Basile Niane, Blogueur, web-activiste et Abdoulaye Ndiaye, Ingénieur Polytechnique Paris et membre de la rubrique Economie de Terangaweb.

Nous avons eu droit à des interventions de haute facture de la part des intervenants qui avaient pour la majorité préparé un support ainsi qu’un discours pour la circonstance.

tw talk MsLe Pr Mamadou Sangharé a évoqué l’idée qui a conduit à la fondation de l’AIMS-Sénégal. L’objectif est la construction de l’Afrique au travers de la science dans une optique de développement. In fine, il s’agit de promouvoir la science sur le Continent à travers la formation, la recherche fondamentale et appliquée et l’engagement citoyen. Il s’agit également d’être à l’avant-garde de la transformation de l'Afrique à travers une formation scientifique innovante, des progrès technique et des découvertes novatrices qui profitent à l'ensemble de la société.

M. Sangharé a décliné l’initiative Next Einstein Initiative (NEI) qui ambitionne de trouver le prochain Einstein africain. L’idée du NEI, à travers le nom d’Einstein est de trouver non pas un homme, mais des découvertes novatrices à l’instar de celles du maitre de la théorie de la relativité. A ce propos, l’AIMS peut se prévaloir de quelques réalisations concrètes : 442 étudiants formés (30% de femme) de 35 pays Africains, 63% sont actuellement en Afrique, 36 ont terminé leur PhD , 29% poursuivent leur Masters, 29% poursuivent leur PhD et 19% travaillent actuellement dans le secteur académique et 5% dans le secteur de l’industrie.

tw talk nnNdongo Ndiaye a développé quant à lui un discours axé sur la jeunesse et son nécessaire engagement sur les grandes problématiques de son temps. Il a fustigé la gérontocratie qui conduit l’Afrique, Continent le plus jeune, a quasiment avoir le leadership le plus âgé et déconnecté des réalités du monde actuel. Il a appelé les jeunes à ne pas se mettre en marge de l’action politique par souci de se préserver.

C’est selon lui la meilleure façon de laisser la voix aux médiocres et aux politiciens professionnels dont l’agenda est en déphasage avec l’exigence de rigueur, de talent, de volonté, d’efficacité et d’honnêteté qui doit gouverner la pratique politique.

tw talk mysLa styliste Mame Yacine Sy a étalé son parcours surprenant et inspirant. Après un diplôme dans une grande Ecole de commerce, elle refuse le chemin de l’insertion pour tenter l’aventure. Passionnée par la mode et la création, elle s’est lancée dans la voie de l’entreprenariat avec de maigres moyens. Son discours volontariste, sincère et entreprenant a conquis un auditoire visiblement subjugué par le courage de cette jeune entrepreneur de seulement 25 ans.

 

tw talk andAbdoulaye Ndiaye a axé son intervention sur l’exigence d’instaurer en Afrique des normes sociales qui doivent accompagnement tout processus de développement. En matière de politique de santé, de politique d’éducation et de citoyenneté, il a donné des exemples de pratiques souvent coutumières qui vont à l’encontre du changement des mentalités et de la prise charge de façon nouvelle les problématiques de notre société.

Il est aussi revenu sur la question de la protection et de la préservation de l’environnement, question cruciale en Afrique, dans un contexte où le développement durable est devenu un concept qui s’est imposé aux décideurs.

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Basile Niane a raconté son rêve. Celui de voir une « Afrique connectée ».  Il a montré en quoi les médias sociaux ont changé le rapport que les individus avaient avec le monde qui les entoure.

Il a montré que cet outil dont la jeunesse s’est saisi très tôt pour accomplir de grandes choses dans tous les domaines peut à lui seul change notre rapport au monde. Au plan politique, le printemps arabe a selon lui été la première révolution 2.0. En économie, les jeunes africains entreprennent de plus en plus des dans des initiatives avec le potentiel que confère le les TIC…

Il a fini son « rêve » en lançant un appel à de grands investissements sur la technologie et l’innovation qui peuvent être de vrais moteurs de développement en Afrique.

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Alioune Badara Cissé a conclu la partie réservée aux intervenants avec un discours percutant sur la jeunesse africaine. Il a avancé que l’Afrique avait bel et bien besoin d’idées. Des idées novatrices, dynamiques, ingénieuses et en phase avec une seule ambition : le progrès politique, économique et social du Continent. Il a fustigé le morcellement du Continent qui le laisse à la traine dans un monde où les potentialités de développement n’ont jamais été aussi à sa portée.

Il a appelé la jeunesse à faire bouger les lignes, pousser la vieille garde à la sortie, prendre la place qui est la sienne dans l’appareil d’Etat et dans les milieux économiques…En somme, « se mettre en situation » de gouverner, de changer les choses et de redresser le cours de l’histoire. L’intervention de Me Cissé a mis fin à la première édition du Terangaweb Talk.

Un mot de remerciement aux intervenants, aux partenaires (Ministère de la Culture du Sénégal, Place du Souvenir Africain, Senenews.com), aux invités et aux membres du Bureau de Dakar a été prononcé par votre serviteur. Seule fausse note : la pluie qui s’est invitée durant quasiment toute la rencontre a empêché de nombreuses personnes à assister au Terangaweb Talk. Quoi qu’il en soit, ce fut un très bon moment d‘échange. Un très agréable moment pour les Idées. Rendez-vous a été pris pour le prochain événement de L’Afrique des Idées à Dakar avec le public dakarois.

Hamidou Anne

Interview de Laurent Liautaud, social-entrepreneur au Sénégal

laurent-liautaud-et-marc-rennardLaurent Liautaud, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai 36 ans, je suis au Sénégal depuis 2 ans. J’ai travaillé auparavant dans des marchés émergents et des marchés matures principalement dans l’industrie de la grande consommation et du conseil. Et donc je voulais entreprendre depuis longtemps en Afrique subsaharienne parce que je pense que c’est là que vont se dérouler les plus grandes innovations notamment dans le domaine de l’entreprenariat social qui m’intéresse beaucoup.

Qu’est ce que la plateforme Niokobok ?

Niokobok est un site internet sur lequel des gens, partout dans le monde, peuvent commander des produits qui sont disponibles au Sénégal pour leurs familles qui elles ont la possibilité de les retirer dans notre magasin partenaire aux Parcelles Assainies (banlieue de Dakar) ou bien de se faire livrer ; mais on fait majoritairement de la livraison. On fournit aussi des équipements solaires avec deux partenaires : Total et Station Energie Sénégal, une startup qui s’est lancée ici il n’y a pas longtemps.

Niokobok est vraiment une organisation à but lucratif mais qui a une ambition sociale de transformer la manière dont on peut prendre soin de ses proches à distance. Cet engagement social c’est ce qui fait, par exemple, qu’on a choisi comme premier élargissement de gamme le solaire. Parce que les énergies renouvelables, c’est intéressant au Sénégal et c’est important. On essaie aussi de faire des choses pour l’agroalimentaire local, tout ce qu’on vend vient du Sénégal car malheureusement dans ce pays, il y a beaucoup de choses importées. On aimerait être un canal qui aide à pousser des produits fabriqués ici.

Quels sont les modes de paiement que tu as développé?

On a la carte bleue Paypal et le virement bancaire qu’on a proposé mais qui est rarement utilisé. C’est intéressant de parler du mode de paiement car on a abordé la manière de faire adhérer les gens et justement ce fait est une barrière.

Pourquoi avoir choisi le Sénégal ?

Je crois que le Sénégal est à la fois un pays stable, un pays où il y a beaucoup de problèmes et de défis sociaux à relever mais un pays où il y a des infrastructures. C’est cela qui est intéressant. Le fait qu’il y existe beaucoup de difficultés structurelles et en même temps un cadre incitatif pour lancer des choses nouvelles.

On note que le Doing Business 2013 classe le Sénégal 166e sur 183 pays. Par rapport à ton expérience personnelle comment qualifierais-tu l’environnement des affaires dans ce pays ? Je pense honnêtement que la bonne surprise c’est qu’on n’ait pas beaucoup de difficultés dans le « doing business » pour l’instant. Créer une entreprise par exemple est une chose qui va très vite quand on a tous les papiers nécessaires.

N’as-tu pas noté une certaine lourdeur administrative ?

Non je crois qu’on ne peut vraiment pas se plaindre du processus de création d’entreprise. Après la complexité vient plus pour les plus gros. Nous, en tant que startup liée à internet, sommes tout de suite dans le secteur formel. Tout ce qui concerne le montage juridique et fiscal ainsi que la réglementation est compliqué certes, mais c’aurait été compliqué partout. En plus, ce n’est pas un handicap insurmontable. En fait pour l’instant moi je ne ressens pas du tout la 166e place dont on faisait référence.

Revenons sur l’agroalimentaire local, Niokobok a-t-il une stratégie visant à mettre en avant les produits faits ici ?

On va le faire. On a commencé par le solaire d’abord. Pour les produits locaux, on a commencé à lister du riz local d’abord, on l’a ajouté à notre gamme alors qu’il n’y était pas au début parce que des clients nous l’ont demandé. Mais le lancement de nouveaux produits nécessite de communiquer avant, avoir une stratégie plus ambitieuse et surtout un temps de réalisation.

Y a-t-il d’autres entreprises ici, dans la sous-région ou en Afrique qui font la même chose que Niokobok ?

Oui, il y a effectivement des initiatives similaires dans d’autres pays d’Afrique. Je pense que le e-commerce est un domaine en pleine ébullition sur le Continent.

As-tu l’ambition d’implanter Niokobok ailleurs qu’au Sénégal ?

Ultimement oui mais pour l’instant on est très occupé avec le Sénégal. Rien que pour la partie agroalimentaire, on ne fait que la région de Dakar. Donc l’objectif est de s’étendre partout au Sénégal. C’est un modèle qui peut être dupliqué dans d’autres pays mais pour l’instant on n’en est pas là.

N’as-tu pas l’impression qu’il faut une communication plus large pour mieux faire connaitre ce que tu fais au public ?

Si, le marketing est un enjeu important pas seulement pour faire connaitre mais pour que les gens aient confiance et essaient. C’est-à-dire que même des gens qui nous connaissent ne commandent pas, n’essaient pas tant que certains de leurs amis ne l’ont pas déjà fait. Donc oui le marketing est un aspect important pour ce genre de business mais je pense qu’on est dans le changement des comportements. C’est une alternative au transfert d’argent. Peut-être que ce n’est pas fait pour le remplacer totalement. Il faut que les gens prennent l’habitude de faire autrement, et c’est un grand défi marketing qui consiste non seulement à se faire connaitre mais en plus à ce que les gens utilisent nos services. Donc un double défi.

Niokobok a déjà obtenu deux récompenses internationales. Lesquelles ?

Il s’agit du troisième prix Orange de l’entreprenariat social en Afrique. Orange nous a ainsi apporté un appui financier et un accompagnement technique. On a aussi reçu une distinction dans un programme du Département d’Etat américain qui est le GISTECH HI. Ce sont là des choses qui nous ont fait gagner de la crédibilité auprès de nos premiers clients.

Y a-t-il eu un avant et un après prix Orange?

Oui parce que ça nous a permis de gagner en notoriété et de régler quelques problèmes d’ordre juridique notamment. Et puis on reçoit des conseils de pas mal de gens du groupe sur plein de sujets. Donc oui  il y a eu un avant et un après. D’ailleurs, la campagne du prix Orange 2012-2013 va démarrer et j’encourage tous le monde à y participer.

Enfin, peux-tu nous parler de Jokkolabs ?

C’est un endroit intéressant. C’est un espace de co-working où des entreprises et des freelances viennent pour partager un espace de travail et puis aussi pour adhérer à une communauté. A l’origine Niokobok était un projet de magasin comme les boutiques de référence, une chaine de magasins périurbaine et rurale.

En fait, je me suis installé à Jokkolabs et j’étais en contact avec d’autres entrepreneurs des TIC et j’ai vu qu’aujourd’hui dans le commerce, comme dans tous les secteurs, ne pas tenir compte des TIC est une folie. Et le projet a donc évolué ici grâce aux contacts avec d’autres gens. Mon premier voisin de bureau – parce que ça change tout le temps- , c’était Ludovic Lima qui a créé l’agence 3W, la première agence au Sénégal à avoir obtenu l’accréditation Facebook. Quand je travaillais sur mon projet de boutique, initialement dans la région de Kaolack (Centre), je faisais des allers retours, je le voyais lui s’occuper de ses campagnes Facebook et je me disais : « il faut en tenir compte ». Je pense que c’est des endroits très intéressants pour permettre des rencontres entre des gens qui travaillent sur des choses différentes et entre des entrepreneurs. Il y a des choses très modernes comme le co-working que moi personnellement j’ai découvert au Sénégal même si c’est une tendance mondiale.

Entretien réalisé pour Terangaweb – L'Afrique des Idées par Nima Daff et Racine Demba

Un [autre] discours de Dakar

image tw6Le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar, j’écoutais, incrédule, Nicolas Sarkozy débitant des propos insultants sur l’Afrique. Le 27 avril 2013, il s’agissait, au même endroit, dans le même bâtiment, de déclamer un autre discours de Dakar, adressé à la jeunesse africaine. Cette fois, il porte le crédo de l’afro-responsabilité. Qui mieux que des fils du Continent pouvaient disserter sur l’avenir de l’Afrique, identifier ses défis dans un monde en perpétuel mouvement et prôner des solutions concrètes, durables et inclusives ? C’est le pari réussi par le Bureau dakarois de Terangaweb – L’Afrique des Idées, lors de la journée de lancement de ses activités sur le Continent.

Au-delà du faux-dilemme éternelle lamentation/volonté farouche de prendre le large, il convient de préciser une autre alternative pour la jeunesse africaine. Celle du choix de rester/retourner en Afrique et de porter haut le flambeau de la lutte pour l’émergence politique et sociale. C’est cela aussi la vocation de Terangaweb – L’Afrique des Idées. Loin du prototype du regroupement de « salonards »*, il était d’une impérieuse nécessité de s’installer aussi sur le Continent lorsqu’on se définit comme un cadre promouvant le débat d’idées sur l’Afrique.

Dès le départ, nous avons refusé la posture de l’intellectuel de la diaspora aux « mains propres » qui, de Paris, lance de temps en temps des salves de banalités sur la corruption, la mal gouvernance, les crises institutionnelles, en prenant bien soin de garder cette attitude moralisatrice et supérieure, savante et pédante .

Le mandat que nous avions ainsi reçu était de permettre la création d’un cadre d’échanges sur l’Afrique à Dakar, en vue de porter un message nouveau plein d’espoir sur l'Afrique mais pleinement lucide sur l’immensité des défis qui nous interpellent.

Ce cadre existe dorénavant! Ce samedi, à Dakar, nous avons vu la jeunesse africaine débattre, échanger, identifier des problèmes et décliner des solutions. Elle a assouvi le temps d’une journée, dans un pays où le débat politique ne cesse de décevoir, son profond désir d’être écouté et entendu.

Le paradoxe de l’Afrique, c’est d’être un continent jeune dans un monde qui vieillit, tout en refusant à sa jeunesse l’accès aux strates de décisions et d'influence. Il faut qu’en Afrique la jeunesse cesse d’être un péché, une maladie honteuse qui sera bien vite guérie, une promesse, mais pleinement un potentiel sur lequel doit impérativement reposer toute stratégie de développement.

Un autre Discours de Dakar a résonné ce week end dans les allées de l’UCAD portant deux messages fondamentaux sur l’identité de Terangaweb.

 Il s’agissait d’abord d’un appel à la réforme de nos Etats pour qu’enfin la puissance publique puisse jouer son rôle en répondant aux préoccupations des populations. Ensuite, la responsabilisation d’un nouveau leadership en Afrique qui devra prendre le relais de la génération de nos pères dont le bilan est tout sauf reluisant.

Hier, une jeunesse africaine du Sénégal est venue assister à la formalisation en Afrique d’un cadre neuf de réflexion et d’échanges dans le respect de nos différences et dans une ambition de responsabilité.

Tant pis si les politiciens ont préféré les bavardages des éternels thuriféraires de l’action présidentielle, plutôt que de venir échanger avec une jeunesse qui confrontée à un chômage endémique, se trouve parfois à épouser l’université comme moyen de repousser l’échéance de la sortie dans la vie active.

Quoi qu’il en soit, à Dakar, un discours sur la responsabilité et la prise de conscience sur les défis du Continent a été lancé à la jeunesse africaine. Il convient de le relayer suffisamment pour qu’ensemble nous contribuions à l’émergence politique et à la transformation sociale du Continent, à la circulation des idées sur l’Afrique, pour l’Afrique et dorénavant en Afrique.

Pour faire suivre les actes à ce discours de Dakar, jeunesses d’Afrique, n’hésitez plus, rejoignez-nous.

Hamidou Anne

Responsable du Bureau de Dakar

de Terangaweb – L’Afrique des Idées

* Salonards est une allusion aux Africains qui – par uniquement les mots –  font et refont l’Afrique dans les salons feutrés des beaux quartiers parisiens, sans aucun engagement politique ni associatif. 

Macky Sall, un an après: une diplomatie qui retrouve des couleurs

thumbnailMacky Sall mouhamed 6La première année de Macky Sall tarde à promettre de réelles avancées au plan économique tellement l’horizon proposé semble plus que confus. Il y a trois jours, Moustapha Mbengue mettait à nu la cacophonie politicienne(1) qui barrait les Unes de la presse dakaroise, marquant ainsi les difficultés auxquelles faisait face Macky Sall dans l’exercice de ses fonctions.

Mais dans cet océan d’incertitudes où les bravades à l’encontre des anciens pontes du régime d’Aboulaye Wade côtoient les conjectures sur les prochaines échéances régionales, municipales, et rurales, la diplomatie semble être le seul domaine où les succès sont incontestables.
Si la diplomatie est un domaine réservé du Chef de l’Etat, le choix porté sur les hommes qui mettent en œuvre une politique étrangère est essentiel dans la déclinaison d’une vision et d’une ambition pour un pays. 

Et à ce propos, Macky Sall a fait de bons choix. D’abord avec Alioune Badara Cissé, personnage baroque, haut en couleurs et numéro deux du parti au pouvoir avec lequel le président s’est séparé au bout de 6 mois. Ensuite, avec celui qui trône actuellement à la Place de l’indépendance : le secret et expérimenté Mankeur Ndiaye, diplomate de carrière, ancien Directeur de Cabinet pendant 10 ans de Cheikh Tidiane Gadio qui a été nommé au poste prestigieux d’Ambassadeur à Paris, après la victoire du 25 mars 2012.
Ces deux hommes, chacun en ce qui le concerne, ont conduit de manière efficiente une diplomatie que Wade avait fini de rendre inaudible avec des déclarations et des rodomontades aussi inopportunes que puériles.

On peut mettre au bilan de cette première année de mandat de Macky Sall, l’obtention de l’organisation du prochain Sommet de la Francophonie en novembre 2014. Au-delà d’un juste retour aux sources pour un pays qui, avec Senghor, a été à l’avant-garde du combat francophone, ce sommet servira à célébrer la sortie de la scène internationale d’Abdou Diouf, Secrétaire général de l’OIF. 

Le Sénégal a aussi accueilli de nombreuses visites d’éminents leaders du monde. Cela refait de Dakar une étape importante dans la conduite des affaires internationales et notamment africaines. On se souvient du [contre] discours de Dakar prononcé par François Hollande au Parlement sénégalais qui voulait refonder la relation de la France avec le Continent.

Sur la scène africaine, la visite du Roi du Maroc, pays aux relations séculaires privilégiés avec le Sénégal, vient confirmer une relance jadis prédite de l’axe Dakar-Rabat, après le froid connu ces dernières années suite notamment à la mésentente issue du dossier de la défunte compagnie Air Sénégal International.

Sur Terangaweb, l’on a déjà analysé les réformes(2) entreprises par les nouvelles autorités sénégalaises dans le domaine de la diplomatie. Et la lecture faite plusieurs mois après, confirme que l’intérêt souligné alors pour le raffermissement des liens avec les pays de la sous-région reste constant.
La première sortie de Macky Sall effectuée en Gambie, sa visite récemment en Guinée Conakry et la tenue en février de la 11ème session de la Commission mixte sénégalo-mauritanienne confirment valablement la prééminence d’un discours de proximité et d’une ambition sous-régionale. D’ailleurs, les fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères sénégalais n’appellent pas par hasard la bande frontalière qui entoure le pays « ceinture de sécurité », comme pour montrer l’importance capitale que le pays accorde à l’établissement de relations sûres et solides avec ses voisins frontaliers. Le péril djihadiste qui infecte le Sahel confirme encore plus la pertinence d’un tel choix.

Il s’y ajoute la visite d’amitié et de travail que le président par intérim du Mali vient d’effectuer à Dakar deux jours durant, confirmant ainsi la place centrale que le Sénégal doit occuper dans le conflit malien. Il convient de rappeler que l’envoi uniquement de 500 soldats par Dakar a été jugé insuffisant voire peu ambitieux eu égard au vécu des deux pays qui sont partis à l’indépendance ensemble dans le cadre de la Fédération du Mali.

Néanmoins, si Wade a symbolisé jusqu’à la caricature les relations privilégiées avec l’Asie, notamment la Chine, les monarchies pétrolières du Golfe et même la…Corée du Nord, les tenants actuels du pouvoir semblent plus prudents concernant les interactions fréquentes et proches avec cette région. Il y eut juste la visite, il y a une semaine, du président Michel Sleiman du Liban et le rétablissement (pour le moment prudent) des relations diplomatiques avec l’Iran après leur rupture fracassante sur fond de livraison d’armes aux maquisards du MFDC.

Outre-Atlantique, au plan du symbole, le numéro un sénégalais sera reçu par Barack Obama, le 28 mars prochain. Il convient de rappeler qu’Abdoulaye Wade avait couru des années durant derrière un tête-à-tête avec le Président américain. Dans cette course toujours insatiable vers les honneurs et la gloire, Wade s’était attaché en vain les services d’intermédiaires et de lobbyistes apparemment inefficaces voire véreux.
Cependant, à coté du satisfecit béat que décline le camp du pouvoir sur ce prochain « événement », une lecture attentive permet rapidement de montrer que cette audience entre Sall et Obama ne saurait être surprenante après le discours très élogieux tenu par l’ancienne Secrétaire d’Etat Clinton à l’université de Dakar où le modèle démocratique sénégalais a été célébré et encouragé.

Mais au-delà de la résurgence diplomatique indéniable, est-il certain que des résultats au plan économique seront tirés ? La question est pertinente compte tenu de la faible compétence des diplomates sénégalais sur les questions économiques, celles liées à la promotion des investissements étrangers, la promotion touristique et la stimulation dans leurs pays d’accueil des exportations du pays.
Le plus grand risque que coure la diplomatie sénégalaise est de rester dans le symbole et de ne point faire en sorte que le pays tire profit de sa notoriété internationale portée par une stabilité politique et une démocratie exemplaire en Afrique. Le débat aujourd’hui est à l’émergence économique, et les Affaires étrangères doivent servir à aiguiller l’ambition pour le développement. 

Hamidou Anne

1 http://terangaweb.com/macky-sall-un-an-apres-le-temps-des-cafouillages/

2 http://terangaweb.com/la-diplomatie-senegalaise-a-lheure-de-la-reforme/

Macky Sall, un an après: Le temps des cafouillages

 

Le pouvoir de Macky Sall, un an après, connaît d’importants cafouillages qui sont autant de facteurs d’inquiétude. Aux dissensions internes dans la coalition politique au pouvoir, Bennoo Bokk Yaakar, s’est ajouté un impressionnant tumulte au sein du gouvernement au sujet de la traque des biens mal acquis. Enfin, une fois de plus, un sérieux débat juridique sur la réduction du mandat présidentiel se fait jour.

Des élections locales en rangs dispersés

Les élections locales prévues en mars 2014 constituent de plus en plus un sujet de discorde pour les différents partis de la coalition majoritaire Bennoo Bokk Yaakar. Suite à la victoire de Macky Sall au second tour du scrutin présidentiel de mars 2012, un gouvernement de coalition, qui a intégré presque toute l’ancienne opposition, a été formé. Cette coalition, reconduite aux élections législatives tenues en juillet 2012, risque cependant de ne pas survivre jusqu’aux prochaines joutes électorales. En effet, les alliés de Bennoo Bokk Yaakar  iront certainement en rangs dispersés aux élections locales de mars 2014. Le renouvellement des instances politiques issues de la décentralisation fait l’objet de vives concurrences entre les responsables de l’APR (Alliance pour la République), du PS (Parti socialiste), de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et du Rewmi.

Ainsi, Mbaye Ndiaye, éminence grise de l’APR, a récemment lancé un appel du pied à Khalifa Sall, Maire PS de Dakar, à rejoindre les rangs du parti présidentiel s’il tenait à conserver son fauteuil à la tête de la capitale du pays. De même, le Président Macky Sall et le député Abdou Mbow, responsable des jeunes de l’APR, ont clairement fait savoir que leur parti pourrait confectionner ses propres listes dans certaines circonscriptions électorales. Quant à l’AFP, parti du Président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, elle a jusque là observé un certain mutisme sur cette question. Son leader compte vraisemblablement rester aux côtés de l’APR autant que faire se pourra, mais rien ne garantit que les responsables du parti s’alignent sur cette volonté. Le Rewmi d’Idrissa Seck, Maire de Thiès et ancien Premier Ministre sous Wade, est pour sa part dans une posture d’indépendance par rapport à l’alliance Bennoo Bokk Yaakar. Idrissa Seck prend souvent ses distances, en menant par exemple une grande tournée en solitaire dans plusieurs localités du Sénégal. En somme, de véritables fissures risquent d’éclater au grand jour, à mesure qu’approchent les élections locales.

L’épisode malheureux de la médiation pénale

Par ailleurs, la coalition au pouvoir peine à affirmer une réelle cohésion d’ensemble dans la communication gouvernementale. Un épisode ahurissant a été la question de la médiation pénale dans l’affaire dite des biens mal acquis. Cette proposition faite par l’avocat de l’Etat, Me El Hadji Diouf, et défendue par le Ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance et Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a fait long feu. La médiation pénale aurait consisté à convaincre les responsables du régime de Wade soupçonnés d’enrichissement illicite à rembourser 80% des sommes détournées pour éviter la prison. Mais très rapidement, Madame Aminata Touré, Ministre de la Justice, s’est inscrite contre cette idée de son collègue. Ce qui est regrettable, c’est qu’il puisse exister une telle mésentente parmi les membres du gouvernement. Ce défaut de cohérence dans la communication est décrié comme une cacophonie au sommet de l’Etat.

 La réduction du mandat présidentiel en questions

Enfin, la question de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, promise par Macky Sall lors de la campagne présidentielle, divise au sein de la classe politique. Certains juristes, dont l’éminent Ismaila Madior Fall, défendent l’idée d’un référendum pour l’opérer. Selon eux, une loi adoptée par l’Assemblée Nationale pour y arriver, ainsi que le préconisent certains hommes politiques,  violerait la Constitution du Sénégal. En effet, l’article 27 de la loi fondamentale stipule que la durée du mandat présidentiel « ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Ainsi, si l’on s’en tient à cette analyse, seule une loi référendaire permettrait de la modifier. Mais le juridisme serait alors poussé à son bout, et le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car l’organisation d’un référendum prendrait beaucoup de temps et d’argent. Les ressources budgétaires de l’Etat sénégalais sont déjà assez maigres. Le gouvernement peine à satisfaire la demande sociale pour laquelle le président de la République a été élu il y a un an. Des élections locales pointent à l’horizon. S’y ajoutent les redoutables inondations et montées des prix des denrées alimentaires. Est-il raisonnable de privilégier l’organisation d’un référendum sur d’autres solutions plus pragmatiques ? Si l’on tient vaille que vaille à respecter la Constitution, il reste une dernière solution qui peut faire consensus. Elle consisterait en la démission du Président de la République à l’issue des cinq premières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance du pouvoir, avant de désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim et organiser l’élection présidentielle. Cette solution aurait le mérite de préserver les sommes importantes que coûterait un référendum, tout en conférant une grande sagesse à Macky Sall, qui respecterait un engagement électoral sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Dakar et ses discours…

Senghor, le pape Jean Paul II, De Gaulle, Malraux, Kadhafi, Sarkozy…Avant le discours de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton le 2 août dernier à Dakar, la capitale sénégalaise a vu, accueilli et écouté, au cours du demi siècle écoulé, nombre de personnalités qui par les paroles et les actes ont livré des visions différentes du continent en rapport avec sa culture, son histoire, son développement, son avenir…

1958 : De Gaulle et l’indépendance

« Je veux dire un mot d'abord aux porteurs de pancartes. Voici ce mot : s'ils veulent l'indépendance à leur façon, qu'ils la prennent (…) Mais s'ils ne la prennent pas, alors, qu'ils fassent ce que la France leur propose : la communauté franco-africaine ». Charles de Gaulle, en campagne dans les colonies françaises d’Afrique noire pour les convaincre de ne pas aller dans le sens d’une indépendance totale vis-à-vis de la France, s’exprimait ainsi avec un brin d’énervement devant l’accueil réservé par les dakarois. Ayant effectué les étapes précédentes, ivoirienne et congolaise notamment, sans la moindre anicroche, il est surpris par cette foule constituée majoritairement de jeunes qui, à travers des pancartes portées fièrement, exigent une accession immédiate à l’indépendance. Le général tout à son énervement, les met au défi de la prendre. C’est un tournant dans ce périple qui s’annonçait sous les meilleurs auspices. A l’étape suivante, celle de la Guinée, il est accueilli contrairement à Senghor et Mamadou Dia absents à Dakar, par Sékou Touré lui-même qui a décidé de le prendre au mot en lui annonçant que l’indépendance, la Guinée avait décidé de la prendre. Les autres pays suivront un à un pour ce qui sonnera la fin de l’idée de communauté si chère à De Gaulle.

1966 : Malraux et l’art africain

 « Nous voici donc dans l'histoire. Pour la première fois, un chef d'État prend en ses mains périssables le destin spirituel d'un continent. Jamais il n'était arrivé, ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique, qu'un chef d'État dise de l'avenir de l'esprit : nous allons, ensemble, tenter de le fixer ». André Malraux parlait en ces termes de son ami le président Léopold Sédar Senghor  qui avait décidé d’organiser le premier festival mondial des arts nègres dans le dessein de montrer à la face du monde l’apport de la culture africaine au patrimoine de l’humanité. L’écrivain et homme politique français y parla de danse, de musique et de sculpture, le plus grand des arts africains selon lui, avant une réflexion poussée sur la culture, la diversité des connaissances, les émotions, la liberté et les transformations sociales. Il termina par un constat suivi d’une prière très actuelle : « l'Afrique est assez forte pour créer son propre domaine culturel, celui du présent et du passé, à la seule condition qu'elle ose le tenter (…) Puisse l’Afrique conquérir sa liberté »

1980 : Senghor et le pouvoir

 « Sénégalaises, sénégalais(…) je suis venu vous présenter mes vœux et vous faire mes adieux ». Le discours à la nation du président Senghor  du 31 Décembre 1980 a été incontestablement un moment charnière dans l’histoire politique et l’histoire tout court du Sénégal. Il fut aussi à n’en pas douter un grand moment à l’échelle du continent. En effet, dans une Afrique de partis uniques, de leaders s’éternisant au pouvoir et de coups d’Etat, un président décide de s’en aller de son plein gré pour passer le témoin à une génération plus jeune. Bien sûr, il y a beaucoup à redire sur le mode de transmission du pouvoir à Abdou Diouf par le biais de l’article 35 de la constitution sénégalaise, mais il n’en demeure pas moins que par cet acte Senghor créait un heureux précédent et administrait une leçon à beaucoup de ses pairs qui s’accrochaient à leur fauteuil souvent malgré une impopularité grandissante et un bilan économique calamiteux.

1992 : Jean Paul II et la traite des noirs

 Après avoir visité la maison des esclaves de l’île de Gorée, lieu chargé d’histoire, le Pape Jean Paul II s’exprimait en ces termes : « je vous fais part de ma vive émotion, de l’émotion que l’on éprouve dans un lieu comme celui-ci, profondément marqué par les incohérences du cœur humain, théâtre d’un éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre la grâce et le péché. Gorée, symbole de la venue de l’Évangile de liberté, est aussi, hélas, le symbole de l’effroyable égarement de ceux qui ont réduit en esclavage des frères et des sœurs auxquels était destiné l’Évangile de liberté ». Il continuait son discours : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été amenés sur ce sol étroit, arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour y être vendus comme des marchandises ». Avant d’ajouter : « Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu (… ) De ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel ».

Un moment historique et des paroles à méditer venant d’un ami de l’Afrique qui n’a cessé, sa vie durant, d’œuvrer pour la concorde et la solidarité entre les peuples.

2006 : Kadhafi et la présidence à vie

Le 4 avril 2006, soit un quart de siècle après le renoncement de Senghor au pouvoir, Mouammar Kadhafi invité d’honneur du président Wade à la célébration de l’indépendance du Sénégal déclarait ceci après le défilé : « Les sénégalais doivent élire le président Wade à vie », devant une assistance médusée et un Abdoulaye Wade ravi. Ironie de l’histoire, c’est ce même Abdoulaye Wade qui, cinq ans plus tard, escorté par des avions de chasse de l’armée française, se déplace jusqu’à Benghazi, fief de la rébellion anti-Kadhafi, pour demander au Guide de la Jamahiriya « les yeux dans les yeux » de partir. Quelques mois après la chute violente de ce dernier, il quittera lui aussi du pouvoir, mais par les urnes. Comme quoi la présidence à vie est plus facile à théoriser qu’à réaliser.

2007 : Sarkozy et l’homme africain

« Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », la phrase choc de quarante minutes de discours au cours desquels Sarkozy a fait la leçon aux gouvernants africains, parfois à raison, s’est perdu dans des conjectures sur l’histoire du continent et n’a pas une seule fois cité son ‘’hôte’’ Cheikh Anta Diop dont l’université qui abrite ce grand moment d’incompréhension historique porte le nom. Attitude somme toute compréhensible car un bref coup d’œil sur l’œuvre de l’auteur de Nations nègres et culture est suffisant pour battre en brèche toute cette théorie adossée aux thèses Voltairiennes et Hégéliennes considérant le nègre, l’africain noir comme un sous homme. Thèses nourrissant une histoire africaine falsifiée, contre lesquelles Cheikh Anta Diop s’est battu sa vie durant.

Beaucoup d’intellectuels africains ont par la suite écrit pour tenter de remettre les choses à l’endroit. Henry Guaino quant à lui, désigné comme étant le rédacteur de ce qui est communément appelé : le discours de Dakar, affirmait récemment sur la chaîne France 24 que l’histoire était sujette à interprétation et que chacun décide arbitrairement de considérer l’interprétation qu’il juge convaincante. Tout est dit.

2012 : Hillary Clinton et le développement

Après avoir rendu hommage à la démocratie sénégalaise considérée par les Etats Unis, selon elle, comme un modèle en Afrique, Hillary Clinton a axé son speech sur le développement. Résumant son propos, elle déclarera que l’Afrique : « a besoin de partenariats et non de parrainages ». Le constat est qu’entre la communauté de De Gaulle et les concepts de partenariat ou de parrainage utilisés par Clinton il n’y a pas une grande différence. Pourtant plus de cinquante ans et beaucoup de choses se sont passées entre les deux discours  mais l’Afrique en est encore à se faire dire comment gérer son présent et aborder son avenir par d’autres qui, désignés par le nom de partenaires ou celui de parrains, gèrent d’abord et surtout leurs propres intérêts.  

Prendre l’indépendance, pour paraphraser De Gaulle, c’est surtout refuser de se faire dicter sa conduite même amicalement et tracer sa propre voie en toute responsabilité.

 

Racine DEMBA

 

 

Le droit des affaires: un levier de développement pour l’Afrique

Terangaweb : Comme avocat d'affaires, vous ne conseillez pas seulement de grands groupes internationaux. Vous accompagnez aussi des Etats. Est-ce qu’en Afrique votre valeur ajoutée est perçue à sa juste valeur ?

Barthelemy Faye : En Afrique, il y a souvent un problème dans la mesure où beaucoup de dirigeants de nos Etats ne comprennent pas la valeur ajoutée qu’apporte le conseiller professionnel externe. Ainsi, il nous arrive souvent, lors des négociations aux côtés des investisseurs privés, d’avoir en face de nous des équipes de négociation de pays africains composées essentiellement de fonctionnaires qui ne maîtrisent pas la problématique de l’investissement international ni les stratégies des investisseurs à qui ils ont affaire.

Un des avantages d’avoir un conseil professionnel de dimension internationale est que celui-ci sait ce qui se passe ailleurs et connaît les règles du jeu applicables. Il saura par exemple dire à un Etat qu’en manière minière voici ce que tel autre Etat a obtenu face à un opérateur minier, qu’il ne faut pas prendre telle position excessive car cela vous ferait perdre du crédit aux yeux du partenaire, que vous vous pouvez invoquer tel précédent pour justifier telle prise de position, etc… Il y a une culture du conseil qui est en déficit dans nos Etats et cela porte préjudice aux intérêts de nos pays dans les négociations avec les partenaires internationaux. Nos Etats doivent comprendre cela, c’est d’autant plus urgent dans un monde globalisé.

Terangaweb : Est-ce que le droit des affaires est un enjeu de développement en Afrique ? Si l’on prend un espace juridique intégré comme l’OHADA, est-ce un levier pour favoriser le développement économique de l’Afrique ?

Barthelemy Faye : Pour se développer, le monde des affaires a besoin d’un cadre juridique lisible servi par des praticiens ayant l’expertise professionnelle requise pour comprendre ou anticiper les préoccupations et les objectifs des acteurs économiques et les mettre en œuvre de façon juridiquement sécurisée. L’environnement juridique doit être adapté aux besoins des investisseurs locaux et internationaux. Ce cadre est administré et nourri par des praticiens du droit des affaires qui, grâce à leur prise directe sur la vie des affaires, insufflent l’esprit d’innovation et la sophistication nécessaire pour apporter des réponses aux questions qui se posent dans le milieu des affaires. Aux Etats-Unis comme en France, les avocats d’affaires sont souvent mis à contribution pour améliorer le cadre des affaires et nos pays africains ont besoin de cet apport.

L’enjeu est d’analyser l’état du droit par rapport aux besoins économiques que le droit est censé servir. Encadrer la pratique des affaires et promouvoir ainsi l’activité économique, tel est aussi le rôle de facilitateur de l’avocat d’affaires lorsqu’il aide l’autorité publique à améliorer le cadre des affaires.

Il existe aujourd’hui en Afrique une tendance des Etats à revoir les réglementations sectorielles afin de proposer un environnement plus attractif aux investisseurs. Même dans ce cas, les Etats ont besoin de s’entourer de conseils. J’ai été engagé par certains gouvernements pour accompagner leurs réformes minières. Mon intervention peut permettre dans ces cas à l’Etat de profiter du benchmarking provenant de l’expérience internationale de notre cabinet et de faire ainsi évoluer la législation d’une manière cohérente et équilibrée. On est dans un contexte de concurrence mondiale où les Etats ont besoin de l’éclairage des spécialistes pour ne pas adopter des mesures déraisonnables, contre-productives ou dont l’impact n’a pas été suffisamment apprécié.

Terangaweb : Vous avez l’air d’insister sur le fait de rester dans le domaine du raisonnable. En quoi est-ce donc si important ?

Barthelemy Faye : Dans nos pays, l’impact économique de la loi ou du règlement n’est pas toujours perçu avec clarté et précision par l’autorité publique qui légifère. Quand on modifie le code minier ou le règlement de l’électricité, cela a un impact direct sur la possibilité des acteurs d’intervenir dans le secteur concerné. En droit des affaires, toute intervention du législateur ou du régulateur doit être mesurée et prise sur la base d’une analyse précise de ce que cela entraînera du point de vue économique.

Terangaweb : Avez-vous en tête des cas de réformes qui sortiraient du domaine du raisonnable ?

Barthelemy Faye : Un cas souvent débattu est la législation adoptée par l’Algérie il y a deux ans pour interdire le contrôle par des étrangers d’une entreprise algérienne (toute entreprise algérienne devant désormais être contrôlée à au moins 51% par des Algériens). Dès lors qu’on parle de mondialisation, ce type de mesure ne doit être prise que si l’on est assuré qu’elle ne pénalise pas sur l’économie locale. La Chine, par exemple, peut se le permette car elle est en position de force. Mais les pays africains ont plutôt besoin d’attirer les investisseurs. On peut arguer que l’Algérie, étant un pays pétrolier, n’a pas besoin de capitaux étrangers. Sauf que l’argent du pétrole ne va pas toujours dans des secteurs qui en ont besoin. Il y a en effet des risques que le secteur privé peut prendre et que la personne publique ne prend pas, même si les fonds sont disponibles. Le tout est que chaque décision soit prise après un travail méthodique d’évaluation des risques, des avantages et des inconvénients. Cette démarche doit être encouragée dans nos pays.

Terangaweb : Par rapport à l’Afrique, vous intervenez souvent comme expert juridique en financement de projet. Quelle appréciation faites-vous sur les investissements en Afrique ? Répondent-ils suffisamment aux besoins de développement du continent ?

Barthelemy Faye : L’époque où les investisseurs se limitaient aux secteurs des ressources naturelles africaines est un peu révolue. On ne peut plus dire que les investisseurs ne sont pas en phase avec les besoins de l’Afrique. Les fonds de Private Equity se sont beaucoup développés et ils cherchent à investir dans tout projet porteur : dans l’agrobusiness, la grande distribution, les services financiers, etc. Et cela va aller croissant. Il y a de plus en plus de fonds d’investissement qui constituent une alternative au financement bancaire et c’est souvent plus adapté aux besoins de nos pays. Mieux, ce sont des fonds qui, en plus de mettre de l’argent sur la table, s’investissent au quotidien auprès des managers pour les aider à exécuter des business plans à 3, 5, voire 10 ans. Sur ce point, il y a donc un effort de pédagogie qui est très bénéfique par rapport aux banques classiques.

Par ailleurs, les banques elles-mêmes font un effort par rapport à il y a dix ans : il existe aujourd’hui de nouvelles banques et une nouvelle génération de professionnels de la banque qui cherchent à proposer des solutions adaptées aux entreprises.

Quant à la technicité des types de financement, il convient de multiplier les outils des entreprises en quête de financement. En zone OHADA, il faut par exemple clarifier le régime des valeurs mobilières composées pour permettre aux entreprises de disposer de cet outil de financement. Le dispositif des partenariats public-privés (PPP) peut aussi mieux ouvrir les environnements réglementaires pour favoriser la prise en charge par le privé des investissements. Ce travail de modernisation des outils et cadres juridiques est en cours.

Terangaweb : Vous venez de l’évoquer, le partenariat public-privé (PPP) constitue un mode de financement dont on parle beaucoup aujourd’hui. Quel diagnostic faites-vous de l’état actuel du PPP en Afrique ?

Barthelemy Faye : Le PPP constitue l’exemple même de la mode intellectuelle dans le domaine juridique. Si ce terme est relativement nouveau, la réalité qu’il recouvre date de très longtemps. On a toujours eu des collectivités publiques qui faisaient intervenir le secteur privé dans la réalisation d’ouvrages et d’infrastructures publiques. Aujourd’hui le discours sur le développement a tendance à se doter de formules magiques comme le PPP.

Cela dit, il reste nécessaire pour l’autorité publique de moderniser son cadre juridique et réglementaire pour faire face aux contraintes spécifiques du secteur privé lorsqu’il intervient dans un projet aux côtés du secteur public. En fonction du projet spécifique, il s’agit d’imaginer l’arrangement qui marche bien en permettant à l’Etat de préserver certaines prérogatives légitimes liées à son statut de service public et aux investisseurs de satisfaire leur besoin de rentabilité.

On peut considérer que l’engouement quasi-médiatique qui entoure le thème des PPP a pour effet d’attirer l’attention sur le travail à faire en termes d’amélioration du cadre pour une meilleure prise en compte des attentes et contraintes respectives du secteur public et du secteur privé.

Terangaweb : Constatez-vous un décrochage de l’Afrique francophone par rapport à l’Afrique anglophone en termes de climat des affaires et de capacités des pays à attirer des investissements durables ?

Barthelemy Faye : C’est très difficile de comparer ces deux groupes de pays sans être sans être amené à forcer le trait. Je ne sais pas s’il y a un décrochage de l’Afrique francophone. Mais, clairement, l’héritage du droit public français et du modèle français en matière juridique est considéré, du point de vue des acteurs économiques, comme rigide dans la mesure où il fait une large part aux prérogatives de la personne publique et n’est pas assez pragmatique par rapport au modèle anglo-saxon. Cette comparaison des deux modèles se réplique par rapport à la pratique de l’Etat dans ces deux environnements. Il y aurait un pragmatisme plus prononcé dans les pays anglophones.

Par exemple, en droit public francophone, la réalité économique de l’intervention de la personne publique dans le champ économique est appréhendée à travers des catégories juridiques rigides (concession, affermage, gestion déléguée, etc). Dans l’approche anglo-saxonne, on n’a pas ces catégories ; on cherche plutôt à appréhender les projets dans ce qu’ils ont de particulier au lieu de recourir à des catégories pré-établies à l’intérieur desquelles on cherche à faire rentrer des réalités économiques.

J’ai tendance à plutôt rattacher cette question de la manière dont les dirigeants africains, qu’ils soient francophones ou anglophones, appréhendent la question du développement de leur propre pays. C’est vrai que si on prend le cas des pays francophones, la Françafrique les a maintenus dans un type de rapport avec la France qui fait que nos économies locales restaient structurées en bonne partie en fonction des rapports politiques et économiques que nos Etats entretenaient avec la France. Nos banques étaient des filiales des banques françaises. Nos pays constituaient plus une sorte de marché réservé pour les entreprises françaises. Cela paraît aujourd’hui difficile à croire, mais pendant longtemps, par exemple, les voitures japonaises n’avaient pas droit de cité dans nos pays dans les mêmes conditions que les voitures de fabrication française. Tout cela a favorisé un manque d’initiative de nos opérateurs économiques et un manque d’ouverture qui expliquent peut-être que des pays comme le Nigéria et le Ghana aient gagné plus vite en autonomie. Je pense que ce type d’approche n’a pas aidé l’Afrique francophone.

Par ailleurs, lorsque j’interviens comme avocat d’affaires, je fais l’expérience de plus de contraintes et de plus de rigidités dans les pays francophones. Mais tout cela est entrain d’évoluer rapidement grâce notamment aux efforts entrepris dans le cadre de l’OHADA pour rendre plus attractives les régions CEMAC et UEMOA pour les investisseurs privés.

Terangaweb : Vous suivez de très près ce qui se passe en Afrique. Quel peut être l’apport de la diaspora dans l’essor du continent ?

Barthelemy Faye : Je ne suis pas de la diaspora ! On est membre de la diaspora lorsqu’on se projette principalement dans son pays d’accueil. Je suis Sénégalais, et même si je ne suis pas au Sénégal, je vis les défis auxquels la société sénégalaise est confrontée de façon très réelle. Sur ces questions, je raisonne comme un Sénégalais du Sénégal, qui a la chance d’avoir vu comment cela se passe ailleurs. Nos pays ont localement des gens tout à fait capables de faire le travail pour impulser et mettre en œuvre le développement. Ce dont souffrent nos pays en premier lieu, ce n’est pas l’absence de capital humain capable ; c’est plutôt le manque de leadership, de volonté politique de mettre à la place qu’il faut les hommes qu’il faut. C’est toute la problématique de la mal-gouvernance que le seul fait d’inviter les africains à revenir sur le continent ne va pas résoudre. Il y a dans nos pays des gens tout à fait capables de relever les défis. On n’a pas besoin d’aller chercher la diaspora sauf dans des domaines spécifiques où une expertise particulière est nécessaire.

Cela dit, mon sentiment est qu’il y a quelque chose qui distingue le jeune africain professionnel établi en Europe ou en Amérique du jeune occidental. Nous sommes tous redevables d’avoir étudié grâce à l’argent du contribuable de nos pays d’origine. Et de ce point de vue nous devons tous quelque chose à ces pays. Je pense qu’il y a une sorte de responsabilité liée à cela. De ce fait, là où nous sommes, nous devons avoir un devoir d’exigence vis-à-vis de nous-mêmes. Ce que nous faisons là où nous sommes doit servir la cause de nos sociétés africaines. On est dans un monde où la bataille symbolique est très importante. Il y a une réappropriation de notre image et du discours sur l’Afrique à laquelle nous devons contribuer là où nous sommes. On peut, tout en restant à l’étranger, participer à cette défense de la cause de l’Afrique à différents niveaux et de différentes manières. C’est cette responsabilité dont chacun d’entre nous doit inventer les modalités d’exercice plutôt que de parler de problématique du retour ou de fuite des cerveaux.

Interview réalisée par Khady Thiam, Nicolas Simel et Emmanuel Leroueil 

Les talibés du Sénégal, un problème de société

50 000, pas moins. Avec une population de 13 millions d’habitants, le Sénégal fait fort de compter un tel nombre d’enfants âgés de 3 à 14 ans qui vivent sans leur parents, et passent la plupart de leur temps à mendier dans les rues des villes du pays, exposés à tous les dangers dont celles-ci regorgent. Les talibés – ainsi que les appellent les Sénégalais – sont supposés étudier le Coran sous les auspices d’un maître, le « marabout », qui est censé les former à la dure pour réussir dans ce qu’ils entreprendront après leur sortie du daara, ou école coranique. Et pourtant, la réalité des choses ne pourrait être plus éloignée de cet idéal éducatif venu d’un autre temps. Pour mieux comprendre le fossé qui sépare l’imaginaire du daara de sa réalité, enfourchons notre machine à remonter le temps pour explorer les origines de ce fait social.

Naissance et évolution des daaras
Les populations sénégalaises se convertirent pour la plupart à l’Islam à partir du 19ème siècle. Face à la puissance colonisatrice française, les chefs locaux considérèrent qu’il était plus important que tout de sauvegarder leurs coutumes, fût-ce au prix d’une conversion religieuse. Ils trouvèrent en l’Islam soufi un substitutif dont les valeurs coincidaient avec les leurs, et dans les leaders de ce mouvement religieux un support solide dans la confrontation aux Français. L’Islam apportait aussi aux chefs locaux une éducation alternative à l’enseignement obligatoire que la France tentait de leur imposer. Dès le départ, l’instruction coranique s’était posée comme un signe de résistance à l’envahisseur et représentait une volonté de préserver des valeurs locales de l’influence des « écoles françaises », expression toujours utilisée pour désigner l’enseignement public sénégalais…Au départ, les daaras étaient uniquement situés dans le milieu rural. Les talibés travaillaient dans le champ du marabout en échange de quoi celui-ci leur fournissait une instruction musulmane, et prenait soin d’eux. La mendicité occupait alors une part minime du temps des enfants, son rôle était alors de leur apprendre la patience, l’humilité, et le partage, car ils devaient mettre en commun tout ce qu’ils récupéraient. Finalement, évoluant dans le village ou à sa proximité, ils restaient dans un environnement familier et peu dangereux. Période de passage à l’âge adulte, le séjour au daara formait des hommes prêts à s’intégrer dans la société.

La métamorphose des daaras se fit au courant des années 1980 et 1990. Elle a pour cause les crises économiques et agricoles qui secouèrent le Sénégal, non sans l’aide des plans d’ajustement structurel imposés par le F.M.I. de John Wolfhennsson, dont la dureté marque encore l’imaginaire sénégalais. A cause de la réduction des budgets dédiés à la santé, l’éducation, aux aides sociales et aux subventions agricoles, le tissu social traditionnel qui favorisait l’entraide perdit vite de sa substance. Au même moment, plusieurs sécheresses accablèrent l’intérieur du pays, réduisant la sécurité alimentaire et poussant un nombre croissant de parents à se défaire de leur nombreuse progéniture auprès des marabouts, plutôt que de l’école publique qui, bien que gratuite était accompagnée de nombreux coûts (transport, fournitures etc). Mais les marabouts étaient confrontés aux mêmes difficultés que les parents, et, très vite, ils délocalisèrent leur daara au sein des villes, où l’activité économique avait déjà repris.

Les nouveaux daaras
Face à ce nouvel environnement, les daaras changèrent beaucoup : ne pouvant plus fonctionner sur la récolte du champ du marabout comme c’était le cas à la campagne, il fallait que les talibés passent plus de temps dans la rue afin de récolter assez d’argent et de nourriture. En ville, les talibés sont exposés à toutes sortes de dangers : accidents de la circulation, trafic de personnes, brutalités… Loin de leurs familles et encore jeunes, ils ont peu de repères ou de moyens de se défendre en cas d’abus dans la rue ou de la part du marabout. Ce dernier, d’ailleurs, n’est plus confronté à la pression sociale qui dans le village le poussait à réellement enseigner quelque chose aux enfants et à prendre soin d’eux. La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l’absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l’encadre. Certains possèdent même plusieurs daaras et s’enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents. La vétusté des daaras est un fait connu, les maltraitances des talibés maintes fois médiatisées.

La vie après le daara
Au-delà même des questions de la vie au daara se pose la question de la vie après le daara : que faire dans la vie si l’on ne parle pas français (la langue officielle au Sénégal) et que l’on ne possède que peu de compétences professionnelles ? Les meilleurs deviennent marabouts à leur tour, où encore enseignants d’arabe, mais qu’en est-il du reste ? Durant toute leur enfance, âge où l’on apprend la vie en société, ils furent à l’écart de tous, à cause de leur odeur, de leurs vêtements et de la peur des parents des autres enfants. Il leur manque aussi les compétences nécessaires à la recherche d’un emploi, fût-il précaire ! La jeunesse d’aujourd’hui est la société de demain, dit-on. Quel genre de société construit-on ainsi ? Il ne faut pas se leurrer, une éducation musulmane se doit d'être complétée de compétences techniques ! La vérité, c’est que si une fois à l’âge adulte ces talibés se retrouvent sans compétences, ni emploi, ils seront perdus pour la société, et iront grossir le lot des hors-la-loi qui rendent les villes sénégalaises de plus en plus dangereuses.

Ainsi, d’une période d’apprentissage de la vie en société, le passage au daara est devenu un centre de fabrication à la chaîne de futurs exclus sociaux… Mais que font les Sénégalais, et l’Etat sénégalais ?

Talibés, la défaite de la société sénégalaise

A vrai dire, il semblerait que tout le monde profite du statu quo sur la question des talibés. Tandis que les parents des talibés se débarassent d’un fardeau jugé trop lourd, les marabouts s’enrichissent sans efforts. Même les « bons samaritains » qui donnent des offrandes aux talibés s’acquittent par la même occasion de leurs devoirs de musulman voire même, ô surprise, des offrandes recommandées par leur marabout afin de chasser les mauvais esprits. L’Etat, quand à lui, tente tant bien que mal de montrer sa bonne volonté en signant et ratifiant tous les textes proposés par les organisations internationales et les ONG, tout en se gardant bien de les appliquer, de peur de réveiller la fureur des confréries religieuses. En 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta tant bien que mal de rendre illégale la mendicité en ville. Mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses et la population que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application. Pour les Sénégalais, donner l’aumône fait partie de l’ordre des choses, que ferait-on s’il n’y avait plus de talibés ? Comment pourrait-t’on s’attirer la réussite et éviter d’être marabouté par des envieux ? Bien qu’elle s’offusque des traitements infligés aux talibés, la société sénégalaise ne semble pourtant pas si encline que cela à perdre la possibilité de donner l’aumôme… Bien entendu, il y a beaucoup de « faux » marabouts, mais dit-on « la plupart enseignent le Coran aux enfants », et puis, il ne faut pas critiquer ce qui se rapporte à la religion, « cela ne peut rien nous apporter de bon ». Alors on continue d’oublier la souffrance silencieuse de ces pauvres enfants, et l’on ferme les yeux sur des atrocités d’un autre âge.

Le rôle des religieux

Quand aux chefs religieux, ils se gardent bien de lutter contre ces daaras, qui constituent leur réseau de présence au niveau local, et leur permet par la suite d’enrôler ces jeunes sans avenir parmi les rangs de leurs fervents supporteurs. Ceux-ci suivront à la lettre le ndiguel, ou orientation politique proposée par le chef religieux. Les talibés seront aussi les premiers contributeurs aux projets lancés par les chefs religieux, en échange de quoi ces derniers leur fournissent les aides que l’Etat ne semble pas pouvoir apporter (logement, nourriture, vêtements, femme !) . Ainsi, les confréries religieuses gardent un rôle important tant en politique que dans la société (voir la partie 1 et la partie 2 d'un article de Nicolas Simel Ndiaye consacré à ce sujet).

Propositions

Il ne s’agit pas aujourd’hui de rompre cet équilibre social qui s’est créé. Plutôt, il faudrait une recherche de solutions préparées afin d’améliorer le quotidien et le futur des talibés. A cet effet, j’aimerais proposer deux mesures. La première serait la création d’un label de « bon daara » par les autorités religieuses et la confréries, en accord avec l’Etat et la société civile. Un tel label permettrait aux parents des talibés de remettre leurs enfants à un « bon marabout ». On pourrait ainsi cartographier les daaras et s’assurer que ceux possédant le label soient encouragés et que les enfants y bénéficient de meilleures conditions de vie et d’une formation professionnelle. D’autre part, il faudrait supporter les daaras ruraux, en les aidant à mettre en place des activités génératrices de revenus, afin de limiter l’exode rural des populations jeunes, qui sont censées constituer la force du secteur agricole très peu motorisé du Sénégal. Quelle société peut se dire moderne si elle ne prend même pas soin de ses enfants ?

 

Présentation et parcours de Barthélemy Faye, avocat d’affaires international

Terangaweb : Pourriez-vous nous décrire votre parcours, votre formation et le métier que vous exercez ?

Barthelemy Faye : Je suis originaire de Baback, un village de la région de Thiès au Sénégal. J’ai fait mes études dans mon pays jusqu’à l’obtention de mon baccalauréat. Je suis ensuite venu en France pour faire mes classes préparatoires au Lycée Louis le Grand. Puis, je suis entré à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, où je me suis spécialisé en philosophie dont je suis agrégé. J’ai ensuite enseigné cette matière pendant trois ans, notamment à l’université d’Aix en Provence.

En parallèle, j’avais souhaité approfondir mes connaissances dans une science sociale et à l’époque, j’avais notamment hésité entre l’économie, la sociologie et le droit. Mon choix s’est finalement porté sur le droit à la faveur de cours suivis à Harvard en auditeur libre. Après une maîtrise de droit à l’université Paris 2 Assas, j’ai quitté la France pour aller faire un Master en Droit aux Etats-Unis, à Yale Law School en 1997-1998. C’était la période des premières introductions en bourses des sociétés de la nouvelle économie et à ma sortie, j’ai reçu des offres pour travailler dans deux grands cabinets d’avocats de New York. C’est ainsi que j’ai rejoint Cleary Gottlieb et après près de quatre ans à New York, je suis venu au bureau de Paris dont je suis l’un des Associés aujourd’hui. Ce retour à Paris m’a permis d’avoir une pratique professionnelle davantage liée à l’Afrique. Devenu ainsi avocat d’affaires, je n’ai pas pu terminer ma thèse de philosophie commencée après l’Ecole Normale Supérieure ; mais le métier et le cabinet dans lequel je suis me permettent de continuer à nourrir une curiosité sur les différents aspects de la vie sociale, de l’économie et de divers autres domaines.

Terangaweb : En quoi consiste le métier d’avocat d’affaires ? Quels sont vos types de clients et quelle est la valeur ajoutée que vous leur apportez ?

Barthelemy Faye : Il existe deux grands métiers en droit : le métier d’avocat spécialisé en conseil et celui de l’avocat spécialisé en contentieux. Pour ma part, je suis spécialisé en conseil et je ne vais quasiment jamais au tribunal. Mon travail consiste à aider le client qui a des opérations à négocier à les monter sur le plan juridique et à les mettre en œuvre. Au quotidien, je travaille avec de grandes entreprises internationales, y compris du CAC 40 ou des multinationales américaines, les grandes institutions financières et les gouvernements. Mes secteurs de prédilection sont les investissements internationaux, le financement de projets et le conseil en matière de dettes souveraines.

Vous demandez quelle valeur ajoutée apporte l’avocat d’affaires.  Cela dépend du dossier concerné. Prenons le cas des financements. Je rappelle qu’il y a plusieurs manières de se financer. Une première façon consiste à emprunter des capitaux auprès d’une banque. En l’occurrence, il s’agit de se rapprocher d’une banque et de négocier avec elle les termes de l’emprunt souhaité : durée, garanties, sûretés, modalités de remboursement, etc.  Eh bien, dans cet exercice, le rôle du juriste ou avocat d’affaires est très important car, tout d’abord, il lui appartient de négocier la convention de crédit, qui peut être un document très complexe lorsque les montants en jeu sont élevés. Ensuite, avec sa connaissance des usages commerciaux en matière de financement, il conseille la société emprunteuse sur les termes qu’il est raisonnable d’accepter ou de rejeter, et sur la marge de manœuvre dont elle dispose par rapport aux clauses que cherche à lui imposer la banque.  Cela peut lui faire économiser beaucoup d’argent et lui éviter bien des contraintes  et des restrictions: c’est cela négocier un contrat. Remarquez qu’il y aura aussi un avocat ou juriste d’affaires du côté de la banque prêteuse, dont le rôle consistera à contester les arguments avancés par la société emprunteuse et son avocat.  Ce double jeu d’argumentation et de contre-argumentation, c’est cela négocier un contrat et c’est censé permettre aux deux protagonistes de parvenir à un contrat équilibré, donc conforme à l’intérêt des deux parties.

La deuxième façon consiste à lever des capitaux et à inscrire la société qui le fait dans une relation avec le public anonyme des investisseurs qu’il faut convaincre d’acheter les actions ou obligations émises. L’avocat d’affaires intervient, auprès des conseils financiers, pour établir et négocier les termes de l’opération boursière envisagée. De même, lorsqu’une société comme Total veut obtenir une concession de pétrole au Nigéria, par exemple, la démarche est à peu près similaire. Il faut comprendre le contexte de l’investissement, identifier les éventuels risques à travers un audit juridique et réglementaire, rédiger un contrat de concession et le négocier avec les autorités locales.

Le métier d’avocat d’affaires est un métier qui vous met au cœur des préoccupations de votre client, dès lors qu’il s’agit d’identifier et d’analyser tous les risques significatifs qui vont impacter la réussite du projet et proposer au client des moyens juridiques pour prendre en compte ou mitiger ces risques ou des modalités d’allocation de ces risques entre les parties concernées. Il existe à cet effet des outils inventés par la pratique internationale des affaires, dont les avocats sont les principaux dépositaires. C’est avec cette expertise et cette expérience que j’interviens pour aider nos clients à tirer le meilleur parti des négociations de contrats. C’est en cela qu’on apporte une vraie valeur ajoutée. Quand j’aborde un projet, je le fais avec la grande expérience développée par les avocats de Cleary Gottlieb dans le secteur concerné, et c’est cela qui me permet de dire au client que dans tel cas particulier il convient d’adopter telle position. C’est un travail qui ne peut pas toujours être effectué par une société en interne, car plus le projet est important et complexe plus on a besoin de l’expertise de professionnels juristes spécialisés dans le domaine concerné.

Terangaweb : Et pour assister vos clients, vous êtes alors amené à travailler avec des financiers ?

Barthelemy Faye : On travaille toujours de façon étroite avec les conseillers financiers, notamment en matière boursière.  Qui dit finance, dit gestion de risques car le retour sur investissement est corrélé à la gestion de risques ; c’est la raison pour laquelle pour les projets à gros enjeux financiers le recours aux avocats d’affaires est essentiel. Monter un projet suppose d’en connaître l’environnement, d’en identifier au préalable les risques et de les traiter dans la documentation contractuelle ou réglementaire du projet. Il faut pour cela une bonne connaissance des règles juridiques applicables, ce qui permet une certaine créativité dans l’intérêt du client. A titre d’exemple, quand en 1999 la BNP lance une offre publique d’achat (OPA) à la fois sur la Société Générale et sur Paribas peu après l’OPA lancée par la Société Générale sur Paribas, c’est la connaissance des règles boursières et la créativité qui permettent à BNP de renverser la situation en sa faveur dans cette bataille boursière.

Terangaweb : Pour travailler sur des sujets aussi diversifiés au-delà même d’un cadre strictement juridique et en lien avec des partenaires financiers entre autres, est-ce que la seule formation juridique suffit à faire un bon avocat d’affaires ?

Barthelemy Faye : L’image de l’avocat dans nos sociétés africaines est aujourd’hui un peu désuète. En Afrique, c’est socialement valorisant d’être avocat et les gens sont quelquefois intimidés devant les avocats. Dans la manière dont moi j’exerce mon métier on est complétement débarrassé de cette posture car on n’est plus dans cette image traditionnelle de l’avocat auréolé de son accès direct au juge qui dit le Droit et à la Justice. L’avocat d’affaires, telle que la pratique nous en vient des Etats-Unis, comme créateur de valeur, au même titre que le banquier d’affaires et le consultant, suppose un état d’esprit différent de cette posture traditionnelle et des compétences plus élargies.

En termes de formation, précisément parce qu’on a besoin de quelqu’un qui puisse appréhender la logique économique ainsi que les préoccupations commerciales du client, il faut une formation qui soit plus ouverte à la dimension financière et commerciale. C’est pour cela qu’en France un cabinet comme Cleary Gottlieb recrute en majorité des étudiants qui ont fait des écoles comme HEC ou l’ESSEC, et qui sortent du parcours juridique classique. On recrute certes toujours des étudiants de droit lorsqu’ils sont très brillants. Mais en priorité on est à la recherche de l’esprit bien fait qui a le sens du raisonnement juridique et qui saura mettre ce raisonnement au service d’autres logiques, elles pas toujours juridiques. C’est cela qui fait que nos cabinets accordent beaucoup de prix à la double formation et la pluridisciplinarité.

Interview réalisée par Khady Thiam, Nicolas Simel et Emmanuel Leroueil

Macky Président : quelles perspectives ?

"Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Ces propos sont ceux de Macky Sall lors de sont tout premier discours en tant que 4ème Président de la République du Sénégal. Il y'a on ne sait quoi de grand chez cet homme à la stature imposante et qui distille rarement un mot plus haut que l'autre. Une dignité non feinte qui se retrouve dans cette référence à tous ceux et celles qui sont morts par la faute du seul entêtement d'un homme de 86 ans et de son clan. Les enseignements de ce second tour, avec la chute de Wade, le consensus autour de Macky Sall et les perspectives ouvertes par ce scrutin.

La triste chute du Président Wade

Cet entêtement à se présenter contre la loi et en dépit des morts a été sanctionné, entre autres dérives, par un score historique au second tour de cette Présidentielle. En effet avec seulement 32% des suffrages, le Président sortant Abdoulaye Wade est en passe d'obtenir un score plus faible qu'au premier tour, ce qui ne ferait que confirmer la "jurisprudence du sortant condamné dès le 1er acte" (Diouf 2000, Gbagbo 2010) : car dès le 26 Février 2012 les sénégalais ont clairement dit qu'ils ne voulaient plus d'Abdoulaye Wade, ils l'ont confirmé ce 25 Mars.

Et comme l'a si justement dit Albert Bourgi au lendemain du 1er tour, c'est d'abord la manière d'exercer le pouvoir qui a été sanctionnée : un pouvoir géré de manière familiale, reclus dans ses certitudes, ignorant les complaintes des populations (vie chère, crise scolaire), enfermé dans ses berlines et ses scandales financiers, hautain à l'égard de ses opposants et donc à l'égard de ceux que ces derniers représentent. La liste pourrait s'allonger mais ces éléments sont peut-être les plus marquants et ceux qui ont coûté le plus cher au Président Wade malgré un bilan plus qu'honorable, notamment dans les infrastructures, la modernisation de la fonction publique et le désenclavement des zones rurales. Un sacré monstre politique et un président controversé vient de s'en aller comme il est arrivé : par les urnes et dans la liesse. Son successeur : Macky Sall.

Macky Sall : Par ici M. Le Président !

Il est à la fois la surprise et l'homme attendu de cette présidentielle. Surprise car son score du 1er tour était déjà exceptionnel pour un néo-candidat ayant un "bébé parti" (l'APR est né en 2009), semi-surprise par le consensus qu'il a réussi à faire autour de lui lors de ce second tour. Avec 68 % des voix, Macky Sall a fédéré toute l'opposition, tous les sénégalais car malgré les lignes de fractures qui traversent notre pays (sociales, confrériques etc), il a réussi le tour de force de rassembler et il serait trop réducteur, à mon humble avis, de tout mettre sur le compte du "Tout sauf Wade !" car il est peu probable qu'un Idrissa Seck aurait réussi à avoir un tel score, s'il était arrivé au second tour.

Cette capacité à faire consensus autour de lui me fait donc dire que Macky Sall était également un peu attendu à l'occasion de cette présidentielle. Il symbolise la rupture générationnelle réclamée par les formations politiques (AG Jotna, FSD BJ) et dictée par la démographie d'un pays où 6 millions de personnnes n'ont pas encore 18 ans. Telle est la raison pour laquelle l'honorable Moustapha Niasse ne pouvait pas gagner cette élection : les sénégalais voulaient un président jeune, ils ont choisi Macky Sall, 51 ans, le premier Président né après l'indépendance de 1960.

Le candidat programmé pour gagner

Mais au delà de l'atout de la jeunesse, Macky Sall dégage quelque chose d'assez énigmatique qui a parlé aux sénégalais, il semble leur inspirer confiance ou en tout cas il suscite rarement le rejet chez eux et on n'arrive pas tellement à trouver matière à polémiquer contre lui : car malgré ses 8 ans passés dans le PDS de Wade et ce aux plus hauts postes de responsabilité de l'Etat, Macky Sall est très peu voire jamais cité dans des affaires de gros sous et cela l'a beaucoup servi. Il a même lancé à l'occasion de la campagne, un très offensif "Si Wade et son régime ont des dossiers contre moi, qu'ils les sortent ! ".

Outre les apports des candidats malheureux du 1er tour, Macky Sall a également bénéficié d'un vote large car il a sillonné les routes, dormi chez des sénégalais lambda lorsqu'il allait dans les régions pour implanter son parti et préparer cette écheance, il a bénéficié de sa connaissance minitieuse de la carte électorle sénégalaise, lui le scientifique rigoureux directeur de campagne victorieux en 2007. Enfin, il a mis la diaspora dans son escarcelle à l'aide de nombreux voyages or cette diaspora même si elle ne vaut même pas la le tiers du département de Pikine, a une grande influence et un fort poids financier conséquent dans la vie de millions de sénégalais. Fort de tout cela, Macky était un sacré client : il a confirmé son potentiel et est devenu le 4ème Président du Sénégal.

Les perspectives : Entre urgences sociales, gestion du pouvoir et questions clés.

"Dundd gi metti na !" Ce cri relatif à la vie chère est sur toutes les bouches ou presque, il n'est ni l'appanage des villes , ni celui des zones rurales et Macky Sall sera très attendu sur ce point. Son équipe devra être capable de limiter les impacts d'un contexte économique mondial perturbé, avec des matières premières sous forte pression et des céréales (riz, blé) de plus en plus chères. A moins qu'il apporte réellement la rupture en privilégiant davantage le consommer local et en renforçant drastiquement les capacités agricoles dans la vallée du fleuve, ce qui est d'ailleurs écrit dans son programme "Yoonu Yokkute". L'accès aux soins pour le plus grand nombre est également un priorité dans un pays où une radiographie coûte 15.000 FCFA, soit la moitié du salaire mensuel d'une femme de ménage à Dakar.

Outre la brulante question des grêves récurrentes dans l'Education nationale, Macky Sall devra se démarquer, s'il veut être réélu et pour le bien du Sénégal surtout, de la gestion qui était devenue désastreuse vers la fin du second mandat d'Abdoulaye Wade. Macky Sall doit mettre fin à l'ère des scandales à répétition, des distributions arbitraires d'argent (lutteurs, militants) et du train de vie extraordinairement élevé de l'Etat avec 100 Milliards de FCfa de budget annuel de la Présidence, 40.000 euros par voyage en jet privé du Ministre Karim Wade, pléthore d'agences nationales inutiles et budgétivores etc. Il doit également gérer dans la transparence, étendre les prérogatives des organismes de controle (ARMP, Cour des Comptes, IGE) et éviter les distributions politico-politicardes de postes afin de privilégier la compétence. C'est un voeu qu'il a lui même émis, esperons qu'il tiendra parole. En tout cas, en bons patriotes, nous lui mettrons la pression pour qu'il change cette manière de faire car maintenant que nous savons que la vigilence paye nous continuerons à faire de la veille citoyenne.

Enfin, il faudrait profiter de l'accession au pouvoir d'un président jeune et brillant (tous les témoignages sont unanimes là dessus) pour soulever les questions de fond, les questions clés comme la sortie de cette camisole de force que constitue le Fcfa, l'exploitation des richesses minières et bientôt pétrolières au bénéfice réel des populations et non des multinationales (cf. Or de Sabodala, bientot de Massawa), l'urgence de l'union sous-régionale et le réglement définitif de la crise casamançaise, par la force ou par la négociation.

Je terminerai sur les premiers mots de notre nouveau Président "Mes pensées vont tout d'abord aux martyrs de la Nation, qui se sont battus pour le respect de notre constitution". Nous ne vous oublierons jamais…Vive le Sénégal, vive l'Afrique.

Fary Ndao