Le khanga, témoin du patrimoine culturel et historique Swahili

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Femmes de Zanzibar portant le khanga. Source : African Fashion Design.

Khanga, c'est le nom swahili de l'un des tissus les plus répandus en Afrique du Sud-Est. Il est orné de motifs d'une beauté impressionnante, mélange surprenant d'Afrique et d'Orient, et porte toujours un message sur l'une de ses bordures, ce qui en fait un véritable moyen de communication entre les femmes. Le khanga puise ses origines dans un passé alourdi par l'esclavage et sublimé par la résilience d'un peuple : il est le témoin, par son histoire, mais aussi par les messages qu'il porte, de l'Histoire et des bouleversements culturels de tout un pan de la côte swahilie, depuis le Burundi et le Kenya jusqu'aux îles Comores, en passant par le carrefour culturel qu'est l'île de Zanzibar. 

Une étoffe d'amour, de politique et d'autres choses

Le khanga est avant tout une histoire d’amour. Les mères l’offrent à leurs filles à l’âge de la puberté pour célébrer leur passage à l’âge adulte. Symbole de féminité, il les accompagne tout au long de leur vie, orné de motifs qui évoluent avec le temps. Leur particularité, c’est le message qu’ils portent, et que les femmes véhiculent en le portant. Une femme blessée peut arborer un khanga porteur d’un message plein d’un esprit de revanche sur la vie ; deux amies peuvent porter le même khanga où est inscrit un ode à l’amitié ; l’amour n’est pas en reste. Lors de la saison des mariages aux Comores par exemple, les familles des mariés commandent de nombreux khanga aux motifs similaires pour que les femmes les portent durant les danses et fêtes au programme, avec un message évoquant l’amour, les vœux de bonheur, le triomphe de l’amour. Chaque khanga véhicule un message, ce qui fait que chaque khanga est unique : c’est ce qui fait la particularité de cette étoffe, héritage de la rencontre violente entre l’Afrique et l’Occident lors de la traite négrière.

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Un khanga en l'honneur d'Obama, Tanzanie.

Le khanga est aussi un instrument de propagande politique : il se recouvre du portrait des candidats aux élections présidentielles ou gouvernementales, avec force messages et slogans de campagne. C’est aussi un support religieux : à Zanzibar, il peut porter des versets bibiques ou coraniques, célébrer des personnages hautement révérés tels que Jésus, et inciter les gens à s’en remettre à Dieu.

Une étoffe, plusieurs histoires

Il est difficile de retracer l’histoire du khanga. Le nom khanga, qui signifie pintade en swahili, viendrait de ce qu’en général, les motifs du khanga sont dessinés sur un fond de points noirs, imitation du pelage de la pintage. Chaque élément a son nom : le motif, la bordure, toujours noire, et le message (jina). L’histoire la plus répandue fait état d’une mode qui serait née dans les années 1800 à Zanzibar, après que les négriers aient débarqué des esclaves enveloppées dans des étoffes grossières qu’elles se sont ensuite appropriées en les ornant de motifs. N’ayant pas le droit de s’exprimer, elles auraient pris le parti d’inscrire leur pensée sur ces étoffes. Une autre version relate qu’une comerçante zanzibarite a décidé de se procurer des carrés de tissus venus d’Europe pour les orner avec des motifs orientaux et swahilis. Quoi qu’il en soit, le khanga a fait son petit bonhomme de chemin, et constitue aujourd’hui l’élément central de la garde-robe féminine. On les vend par paires, appelées leso, que les époux offrent à leurs femmes tous les deux mois, et que l’on garde précieusement dans un coffre embaumant l’encens.

Une célébration des âges de la féminité

Le khanga sert aussi de relais entre les âges. Tous les khangas n’ont pas la même épaisseur. Toujours en coton, ils sont fins pour les jeunes filles, et s’épaississent et s’anoblissent en fonction de l’âge et du statut social, selon les codes culturels du pays en question. Le plus souvent, on passe à la texture supérieure après trois événements fondateurs d’une vie de femme : la puberté, la maternité, et le mariage de la fille aînée, summum de l’accomplissement pour la mère.

Khanga, 101 uses. Guide de portage du khanga, d'hier à aujourd'hui, par Jeanette Hanby.

Si les femmes se sont davantage tournées vers les vêtements occidentaux, mettant en danger l’économie florissante du khanga, celui-ci revient en force, poussé par l’engouement des jeunes stylistes et de leur public pour un retour à la culture des pays d’origine sur le continent, et par l’avènement de la mode ethnique en Occident. Le khanga, messager silencieux, a encore de beaux jours devant lui. 

La Communauté d’Afrique de l’Est : une intégration prometteuse

La première décennie du XXIe siècle (2001-2010) aura consacré en matière géopolitique une tendance lourde qui était déjà à l’œuvre à la fin du siècle précédent : la montée en puissance des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil notamment) et le relatif déclin de l'Occident (le Vieux monde européen plus encore que le Nouveau monde américain). Elle aura aussi mis en relief la nouvelle dynamique de croissance africaine, porteuse d'ambitions et d'espoirs inédits, tout autant que d'une perception renouvelée du continent.

L'Afrique dans l’économie-monde : un continent au poids négligeable….

Pourtant, en dépit des progrès enregistrés au cours des dernières années, l'Afrique part de loin : un septième de l’humanité (1 milliard d'habitants sur les 7 milliards que comptent la planète) sur un cinquième de la surface terrestre (30 millions de km² sur 150 millions de km²) mais pour seulement 2.7 % du PIB mondial (1.7 trillions de $ sur une masse globale de 63 trillions de $ en 2010, bien que cette donnée soit à considérer avec circonspection car elle n’intègre pas l'économie informelle, significative sur le continent africain, et par définition non comptabilisée). L’Afrique jeune et dynamique, milliardaire en habitants, pèse toujours moins que l'Italie vieillissante et à bout de souffle avec ses 60 millions d’âmes (2 trillions de $ de PIB en 2010). La réalité factuelle fait ici office d'impitoyable rappel à l'ordre et elle ne saurait être ignorée.

Il est bon aussi de redire que l'Afrique, en tant qu’entité politico-économique unique et cohérente, n'existe pas. Le continent, loin d’être un ensemble monolithique, est d'abord un agrégat de 54 nations hétérogènes, caractérisé par des situations disparates et aux intérêts parfois contradictoires. Quel point commun entre les préoccupations algériennes et sierra-leonaises, les ambitions sud-africaines et gambiennes ? Et quid d'une comparaison des structures socio-économiques de l'ile Maurice et du Tchad ? L’unité africaine à l’échelle du continent, en tant qu'alliance effective de nations œuvrant résolument en faveur d'un objectif commun, reste pour l'heure une vue de l'esprit. En un mot comme en mille, la totalité du continent pèse peu, même pris "imaginairement" comme un ensemble homogène. Divisé par les forces centrifuges des pays qui le compose, son influence devient carrément négligeable à l’échelle du monde.

… qui gagnerait à renforcer son intégration économique et politique : la Communauté d'Afrique de l'Est comme modèle.

Il existe pourtant une solution à ce diagnostic de double difficulté africaine (faiblesse intrinsèque du continent à l’échelle macro-économique et absence de réel projet fédérateur entre pays) : l’intégration au sein de sous-ensemble qui réuniraient un certain nombre de nations autour d'un communauté de destin, fédératrice des forces vives de toutes les parties prenantes. Une approche inclusive et globale qui sans être parfaite, ni dénuée d’inconvénients, n'en constitue pas moins une sérieuse option. Probablement la meilleure en l’état actuel des choses. Le continent dispose déjà d'un certain nombre d'organisations intégrées économiquement et politiquement (UMA, UEMOA, CEMAC, SADC, COMESA…), mais les résultats obtenus jusqu’à présent sont, au mieux, incomplets et peu concluants. Une communauté intégrée se détache néanmoins progressivement du lot, et ce pour une raison simple : elle est globalement effective.

La Communauté d'Afrique de l'Est (plus connue sous son acronyme anglophone d'EAC (East African Community) comprend cinq pays de l'Afrique de l'Est qui sont le Burundi, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie. Un ensemble géopolitique qui s’étend sur 1.8 millions de km² pour une population totale d'environ 140 millions d'habitants. Elle est entrée officiellement en vigueur le 7 juillet 2000, bien qu'une précédente tentative infructueuse d'organisation commune ait déjà existe par le passé (de 1967 à 1977). La vraie réussite de la Communauté d'Afrique de l'Est est cependant récente puisqu'elle date de 2010 avec l'instauration effective d'un marche commun permettant la libre circulation des biens, du travail et des capitaux sur tout son territoire. Ce marché est le premier du genre en Afrique et nul doute que son évolution sera attentivement suivie. Après moins de 2 ans d'existence, une chose est néanmoins sure : les effets de cette libre circulation se font d'ores et déjà sentir et les conséquences en sont globalement positives. Même pour des pays membres dont les spécificités (exiguïté du territoire, enclavement, relative faiblesse économique) pouvaient laisser penser que ce nouveau défi était à priori difficile a relever. Le Rwanda en est le meilleur exemple.

Signature des accords instituant la Communauté d'Afrique de l'Est

Un certain nombre de tendances récentes suggère que l'environnement économique évolue dans le sens d'une intégration réussie (voir à ce sujet le rapport "Doing Business in the East African Community" [en anglais] de la Banque Mondiale). A l’échelle de la sous-region, le commerce transfrontalier de biens et services enregistre partout des hausses significatives (allant parfois jusqu’à 50 % de progression) et ce mouvement d'accroissement n'en est encore qu'à sa phase initiale. L’Ouganda exporte avec succès ses compétences en matière de santé et d’éducation, tandis que les kényans sont les plus en pointe en matière de services financiers. La Tanzanie bénéficie de nombreux projets d'investissements liés à l'exploitation de ses terres et de son sous-sol, alors que le Rwanda cherche à compenser la faiblesse de son marché intérieur en devenant un hub régional de prestations à haute valeur ajoutée. Plus important encore est le nouveau sentiment partagé par le monde des affaires qui voit la Communauté de l'Afrique de l'Est comme une occasion historique de progresser, et non comme une menace au statut quo. Il s'agit désormais de raisonner non plus en lobbying protectionniste de défense des acquis nationaux, mais en économie d’échelle dans un cadre économique unique considérablement dilaté, et qui est le foyer de 1 africain sur 7. Au vu de l'influence que peut exercer cette caste dirigeante sur le reste de la société, on imagine sans peine les conséquences en cascade que cette inclination forte pourrait avoir dans le succès durable de ce nouvel ensemble.

Car au-delà de cette première étape réussie pointent déjà de nouvelles échéances destinées à renforcer encore un peu plus l’intégration de la Communauté d'Afrique de l'Est. Le prochain rendez-vous majeur n’étant rien de moins que l'instauration d'une monnaie unique. Le nom de cette devise commune en devenir est connue – le Shilling est-africain – et sa date de lancement initialement prévue aussi – 2012. La plupart des responsables proches de ce dossier reconnaissent volontiers en privé que cette date ne sera pas tenue en raison de la complexité de sa mise en place, mais que l'introduction de cette monnaie communautaire ne fait quant à elle aucun doute. Le lancement est simplement reporté, certains observateurs tablant désormais autour de 2016. Le contretemps est fâcheux, certes, mais si les réalisations déjà accomplies peuvent servir de caution à la bonne fois des parties prenantes, il semble alors raisonnable de leur accorder le bénéfice du doute.

Il serait cependant erroné de croire que le projet n'est qu’économique. Il est aussi, et surtout politique. Après l’adhésion du Burundi et du Rwanda en 2007, les dirigeants de la Communauté d'Afrique de l'Est se proposent aujourd'hui d'y inclure le Malawi, la République démocratique du Congo et la Zambie. Sans parler du Soudan du Sud, dernier pays africain à accéder a l’indépendance, et qui a d'ores et déjà posé sa candidature. Il est considéré par nombre d'analystes comme le prochain membre le plus probable, et ce dans un délai relativement court. La Communauté d'Afrique de l'Est est donc amenée à s’élargir et à se renforcer encore un peu plus. C'est le préalable nécessaire vers l'ultime objectif visé : la Fédération d'Afrique de l'Est. Une union politique qui agrégerait la totalité des pays membres en un état fédéral souverain (à l'image de l'exemple américain) et dont la date proposée d'instauration est fixée à 2015. En l’état actuel des circonstances, il y a tout lieu de penser que cette échéance ne sera là aussi pas respectée, car elle présuppose tant une consolidation économique avancée (qui n'est pas encore le cas, notamment s'agissant du retard rencontré avec la monnaie commune) qu'une volonté politique suffisamment forte pour pouvoir abandonner une logique de souveraineté nationale étroite au profit d'une démarche fédérative inédite. Deux conditions qui ne sont pas encore remplies à l'heure actuelle. Mais qui pourraient l’être dans un avenir pas si éloigné.

 

Jacques Leroueil