Les milliardaires africains : Portrait d’une nouvelle élite.

Référence mondiale pour le classement des plus grandes fortunes, le magazine américain Forbes couvre de façon extensive depuis l'année dernière les africains les plus riches et propose un nombre croissant d'articles sur le parcours de ces (très) grands opérateurs privés. 16 milliardaires en dollars sont aujourd'hui domiciliés sur le continent selon les estimations du magazine. Ils étaient 14 en 2011… et 3 seulement en 2000. L'exposition médiatique nouvelle de ces Crésus africains engendre une curiosité grandissante à leur égard. Au demeurant, pour des acteurs économiques dont les opérations, fréquemment titanesques, peuvent exercer un impact sur des communautés entières (acquisition ou vente de sociétés, investissement dans l'outil de production, création d'emplois ou licenciements…), cette demande accrue d'information apparaît comme légitime et nécessaire. Qui sont-ils ? Où vivent t'ils ? Comment ont-ils fait fortune ? Autant de questions qui nous serviront de fil conducteur. Plongée dans l'univers très élitiste des plus grosses fortunes du continent.

Qui sont-ils ?

Dans le premier classement jamais réalisé par Forbes sur les 40 plus grosses fortunes du continent en novembre 2011, la journaliste Kerry Dolan énonçait une évidence : La totalité des membres de cette caste est masculine. Pas une seule milliardaire africaine recensée, même parmi d'éventuelles héritières. Une absence au plus haut niveau qui est à rapprocher de la part extrêmement faible occupée par les femmes dans la sphère des détenteurs d'actifs supérieurs au milliard de $ (seulement 21 femmes parmi les 1226 milliardaires, et majoritairement "filles ou femmes de…) à l'échelle de la planète. Révélateur d'un environnement économique dynamique, ces milliardaires "Made in Africa" sont d'abord des autodidactes (12 sur 16) dont la moyenne d'âge est de 61 ans. Une proportion de self-made men nettement plus élevée par exemple qu'en Europe où la reproduction capitalistique par le biais de l'héritage y est plus forte, et qui est caractéristique d'économies en transition au taux de croissance élevé. Une autodidactie qui ne signifie pas nécessairement que le grand capitaliste africain (à l'image de ses confrères vivant sous d'autres latitudes) "s'est fait tout seul" stricto sensu, mais qui dénote en tous les cas un sens de l'opportunisme certain dans l'art de saisir les bonnes occasions (lire à ce sujet un article du même auteur). Quant à la durée moyenne nécessaire pour accéder au rang de milliardaire, elle est d'environ 3 décennies. Le temps de poser les fondations d'un modèle économique efficace et capitaliser ensuite sur la durée. Mais tout est dans la notion de moyenne. Entre le jeune quinquagénaire qu'est le sud-africain Patrice Motsepe à qui il aura fallu une dizaine d'années seulement pour décrocher le jackpot, et le vénérable Onsi Sawiris dont le patient travail à la tête de son conglomérat égyptien s'est chiffré à plusieurs décennies avant de lui permettre de franchir le seuil psychologique du milliard de $, il y a tout un éventail de parcours.

Où vivent-ils ?

Sur les 54 pays que compte le continent, les 16 milliardaires africains recensés par Forbes se répartissent entre 4 d'entre eux seulement : Le Maroc (3), l'Egypte (7) , le Nigeria (2) et l'Afrique du Sud (4). Autrement dit les deux bordures du continent (Maghreb et Afrique australe) auquel s'adjoint le géant démographique nigérian. Au-delà d'un certain seuil de fortune, il semble que l'on pourrait reprendre la boutade qui veut que "certains soient plus égaux que d'autres". Ce constat ne signifie aucunement qu'en dehors des 4 pays précités, il n'y aurait point de salut pour ceux qui souhaitent faire fortune sous les cieux africains. Au cours de la dernière décennie, certains pays ont parfois enregistré des taux de croissance à deux chiffres (Guinée Equatoriale, Angola, Mozambique, Rwanda) dont les fruits ont en grande partie été captés par une nouvelle classe d'opérateurs économiques privés aux succès financiers qui n'ont, toute proportion gardée, rien à envier à ceux de leurs confrères cités par Forbes. Mais le Maroc, l'Egypte, le Nigeria et l'Afrique du Sud ont pour eux 3 facteurs décisifs qui expliquent pourquoi les milliardaires africains résident (pour l'heure) uniquement sur leur territoire.

1) Le niveau de développement de ces pays les placent de facto dans le haut de la hiérarchie africaine. L'idée force ici est qu'il est raisonnable de penser que si un pays est considéré comme collectivement riche, il y a alors de fortes chances de penser que cette richesse soit aussi observée de façon très "concentrée" à l'échelle d'individus. Le classement des milliardaires africains par Forbes en est la preuve empirique. En prenant comme critère de prospérité l'indicateur perfectible (à défaut de mieux) qu'est le PIB par habitant, il sera par exemple observé que l'Afrique du Sud dispose d'un revenu annuel par habitant d'environ 8.300 $, à comparer à la moyenne africaine d'environ 1.700 $. De même pour le Maroc et ses 3.200 $ de PIB /habitant. L'Egypte, bien qu'en deçà, affiche toujours près de 2900 $ par personne. En revanche, l'argument de ce premier point est en partie caduque pour le Nigeria, qui affiche un PIB/ habitant de 1.500 $ environ, en ligne avec la moyenne africaine (et même légèrement inférieur). Il a cependant pour lui un autre facteur décisif : le poids démographique.

2) Le poids démographique ou l'effet masse
Il est parfois des évidences qu'il est bon de rappeler : c'est la taille du marché solvable qui donne la mesure de sa capacité à absorber une quantité donnée d'offre de biens et services. Une offre proposée au prix du marché par nos entrepreneurs, et qui vient répondre à la demande d'un marché domestique qui demeure le plus souvent leur principal client. Plus ce marché sera conséquent et plus il sera aisé de jouer sur les volumes écoulés… et donc sur l'ampleur des profits. Une logique imparable qui privilégiera automatiquement les grands pays que sont le Maroc (33 millions d'habitants) l'Afrique du Sud ( 50 millions), l'Egypte ( 80 millions) et bien entendu le Nigeria (plus de 160 millions). On l'aura bien compris, il est statistiquement plus facile d'être milliardaire en $ pour un Sud-africain que pour un Gambien !

3) Le prisme de l'évaluation boursière
C'est le dernier élément qui explique pourquoi seuls 4 pays africains disposent de milliardaires en $. La très grande majorité de ces fortunes est représentée sous la forme d'un patrimoine évalué en actions cotées en bourse. Méthode habituelle d'évaluation des principales fortunes, mais néanmoins discutable car elle aura tendance à ignorer les patrimoines d'autres opérateurs ne disposant pas d'actifs financiers cotés (et donc difficilement évaluables) et à favoriser des ressortissants de pays aux marchés financiers relativement matures. Or, quelles sont les principales places boursières du continent ? Johannesburg (Afrique du Sud), Casablanca (Maroc), Le Caire (Egypte) et Lagos (Nigeria).

Comment ont-ils fait fortune ?

Dans son ouvrage "The Narrow Road : A brief guide to the getting of money", le multimillionire britannique Felix Dennis, magnat autodidacte de l'édition, évoque la nécessité de choisir la "bonne" montagne pour entamer son ascension financière ("On choosing the right mountain"). En d'autres termes, trouver un secteur porteur dont les opportunités permettront de faire la différence sur une durée de temps suffisamment longue. La leçon a été parfaitement intériorisée par les milliardaires africains. Télécoms, Finance, Distribution, Agroalimentaire, Construction & Immobilier… Tels sont les principaux secteurs qui ont fait la fortune de ce club très élitiste. L'explosion du marché des télécoms au cours des années 2000 aura par exemple généré dans son sillage la constitution de fabuleux patrimoines sur le continent (Sawiris, Adenuga, Mo Ibrahim, mais aussi à un niveau moindre un Cheikh Yerim Sow en Afrique de l'Ouest). Aujourd'hui, les derniers arrivés marocains de la liste (Benjelloun, Chaabi) sont plutôt actifs dans les secteurs financiers et immobiliers. Quant à Aliko Dangote, première fortune du continent avec 11.2 milliard de $, il a initialement percé grâce à l'importation de ciment, avant d'ériger un puissant empire agroaliementaire (sucre, farine…). Il oriente désormais ses efforts… vers la production de ciment ! Un retour aux sources pour l'ancien petit importateur, et qui bâtie aujourd'hui à coups de milliards de $ des usines flambant neuves aux quatre coins du continent (Nigeria, Côte d'ivoire, Sénégal, Ghana, Cameroun, Zambie, Afrique du Sud, Ethiopie). Avec un objectif clairement affiché : Devenir le numéro 1 mondial en surfant sur l'explosion de la demande africaine. "Quand la marée monte, tous les bateaux flottent (a rising tide floats all boats)" aurait probablement rappelé Felix Dennis.

Pour conclure

En 2000, il y avait 470 milliardaires dans le monde, dont 3 (0,6 % du total) résidaient en Afrique. En 2012, la totalité de la planète en compterait 1226, 16 (1.3 %) d'entre eux vivant désormais en Afrique. Le continent a donc sur-performé le reste du monde, mais il part de très bas. La seule ville de Londres comptabilise ainsi plus de milliardaires (41) que la totalité du continent (16). Sans parler de Moscou, record mondial (79) devant New York (59). La bonne performance africaine de la décennie doit donc être relativisée et il serait probablement plus juste de parler de "rattrapage". Pour la première fois cependant, les grands médias spécialisés s'intéressent aux grands capitalistes du continent, signe le plus évident que les choses changent. Le magazine Forbes montre ainsi la voie depuis peu en proposant des articles exclusivement centrés sur le Corporate Africa. Impensable il y a encore une décennie. Il faut cependant envisager avec circonspection ce type de littérature. Non pas tant en raison de la qualité intrinsèque des articles proposés sur l'Afrique (souvent d'excellentes factures) que par la nature même de l'ambition visée : Comptabiliser la richesse du monde. Une tâche démesurée qui montre très vite ses limites et qui bute sur la définition même de ce qu'est la fortune et sur la façon de la quantifier.

Cette difficulté n'est pas propre au continent africain. Ainsi, dans sa dernière édition parue ce mois-ci des milliardaires de la planète, la revue américaine comptabilise par exemple 14 milliardaires français en $. A titre de comparaison, le magazine économique français Challenges qui s'est fait une spécialité depuis de nombreuses années dans le suivi des plus gros patrimoines de France, évalue pour sa part à 51 le nombre de milliardaires français en € (dont la valeur est pourtant supérieur au $) pour son dernier classement de 2011 ! Idem pour le Hurun Report de Chine qui estime à 271 le nombre de milliardaires en $ résidant dans l'Empire du Milieu, alors que son confrère américain n'excède pas les 95. Le magazine chinois prend d'ailleurs soin de préciser qu'il s'agit d'une estimation "basse" de la réalité, les individus recensés ne constituant qu'une partie d'une classe d'hyper-riches probablement encore plus importante. En partant de l'hypothèse que les observateurs les plus proches sont généralement les plus informés, on pourra à bon droit accorder un certain crédit aux évaluations divergentes des confrères de Forbes lorsqu'ils s'agit de mesurer leurs propres milliardaires. Le même raisonnement pourrait à fortiori être appliqué à l'Afrique. Alors, combien de milliardaires africains ? Au vu de la complexité de l'exercice, aucun chiffre probant ne pourra être avancé et on restera dans le domaine des supputations. Une chose est sûre néanmoins : Il y a plus de 16 milliardaires en Afrique, ne serait-ce que parce qu'un certain nombre de chefs d'Etat présents et passés, ne font pas partie de cette liste d'opérateurs privés. La captation des richesses nationales par le contrôle de la machine étatique est malheureusement une possibilité qui est encore envisagée et pratiquée par certains dirigeants du continent. Et là encore, le décidément incontournable Forbes a proposé sa propre liste des dictateurs africains les plus riches. L'avers et le revers d'une même médaille : celle de la richesse en Afrique, légitime ou non.

 

Jacques LEROUEIL

Les nouveaux milliardaires africains

Comme chaque année, le palmarès Forbes des plus grosses fortunes de la planète apporte immanquablement son lot de commentaires plus ou moins inspirés ; les uns pour critiquer des niveaux de richesse qui friseraient l'indécence au regard des difficultés et de l'indigence du plus grand nombre, les autres pour encenser le triomphe de la prise de risque calculée et rémunératrice. Avec 1210 milliardaires et une fortune cumulée s'élevant à 4.5 trillions $ (un montant supérieur aux PIB combinés de la France et de l'Italie en 2010), la classe des hyper-riches aura vu ses effectifs progresser de près de 170 % depuis 2000. Il y avait alors 454 milliardaires, la moitié d'entre eux étant citoyens américains contre un tiers aujourd'hui.

En dix ans, une nouvelle répartition géographique de la richesse s’est progressivement mise en place, consacrant plus que jamais le statut des grandes puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil…). Et dans ce mouvement de balancier planétaire de la prospérité, à côté de ses pairs asiatiques et latino-américains, une grande gagnante : l'Afrique.

L'Afrique et son milliard d'habitants, c'est une classe moyenne évaluée à 100 millions de personnes (contre 27 millions en 1980 selon les estimations de l'agence française de développement…), coiffée d'une minorité ultra-privilégiée de 100.000 millionnaires en $ selon le World Wealth Report 2010. Enfin, au sommet de la cime capitaliste, dans l'atmosphère raréfiée des grands financiers et capitaines d'industrie, se trouvent les Crésus africains (dont 14 détiennent une fortune supérieure au milliard $). En somme, une nouvelle Afrique élitiste, triomphante et conquérante, à des années-lumière de l'afro-pessimisme qui a souvent nourri une perception complaisante et misérabiliste du continent noir.

Un passage en revue de quelques-uns de ces nouveaux tycoons permettra de mieux cerner le parcours type de cette richisssime caste.

Aliko Dangote : A tout seigneur, tout honneur, le premier profil est celui de l'homme le plus riche du continent, Aliko Dangote. Milliardaire nigérian à la fortune valorisée à 13.8 milliards $ par le magazine Forbes, il est l'archétype de ces nouveaux titans du capitalisme africain, dont le terrain de jeu est le continent tout entier et l'unité de mesure le milliard $. Dangote est issu d'une grande famille de commerçants musulmans originaire de la région de Kano (où se concentre historiquement la production industrielle du Nigéria), et dont la fantastique saga commence à la fin des années 70.

Son histoire professionnelle aurait commencé lorsque son prospère grand-père aurait confié au jeune Dangote un capital fixe conséquent (une petite flotte de camions pour le transport) et une ligne de crédit importante et sans intérêt. A cela, ajoutons un environnement familial favorable à l'apprentissage des ficelles du commerce, où nombre de proches parents sont déjà de riches praticiens. Le jeune Dangote se spécialise très tôt dans l'importation et la vente de ciment. Le succès venant vite, il lui faut changer d'échelle, quitter sa province pour s'approcher du cœur du réacteur économique : Lagos, capitale économique du Nigéria. Peu après son arrivée, le nouveau régime de putschistes militaires met aux arrêts les principaux hommes d'affaires de la ville, réputés corrompus. C’est la chance de sa vie, qu’il saura saisir. Trop faible par rapport aux grands compétiteurs récemment déchus, il est en revanche suffisamment puissant pour s'imposer face aux autres concurrents de plus petite dimension. La nature ayant horreur du vide, c'est lui qui occupera les places laissées vacantes, notamment dans les domaines hautement lucratifs du commerce du sucre et de l'importation du riz.

L'homme a depuis poursuivi sur sa lancée et l'empire s'est considérablement étendu (ciment, sucre, agroalimentaire, immobilier, hydrocarbures…). Les intérêts du groupe Dangote (qui représente le quart de la capitalisation de la bourse de Lagos !) recouvrent désormais l'ensemble du continent africain.

Patrice Motsepe : L'Afrique du Sud a longtemps été le seul pays africain à disposer d'un cercle très restreint de milliardaires en $, issus des grandes dynasties blanches de capitaines d'industrie (les Oppenheimer et Rupert étant les plus connus). Mais les temps ont changé depuis la fin de l'Apartheid et la nouvelle success story de la nation Arc-en ciel a trouvé en Patrice Motsepe son modèle le plus achevé. Cet ancien avocat, crédité d'une fortune de 3.3 milliard $, est ainsi devenu le premier noir (et seul pour l'heure, ses pairs appartenant encore à la minorité blanche) milliardaire d'Afrique du Sud en bâtissant un puissant groupe dans le secteur minier, African Rainbow Minerals.

A l'image d'Aliko Dangote, notre entrepreneur sud-africain a su exploiter au mieux les opportunités qui lui étaient offertes. Né au début des années 60 dans une Afrique du Sud dominée par le régime d'Apartheid, le jeune Motsepe a cependant la chance d'appartenir à la classe moyenne noire. Le père, propriétaire d'un débit de boissons alcoolisées, parviendra à financer les études supérieures du fils jusqu'à son obtention du diplôme d'avocat. Nous sommes à la fin des années 80 et l'Histoire s'accélère. De nouveaux droits sont accordés à la majorité noire et l'horizon s'élargit brusquement. Patrice Motsepe intègre un cabinet d'avocat et se spécialise dans le droit minier et des affaires.

Plus tard, lorsque Nelson Mandela devient président en 1994 et initie la politique du Black Economic Empowerment visant à mieux répartir le pouvoir économique dans la nouvelle Afrique du Sud, l'avocat saura mettre à profit son expertise du secteur minier pour entrer à des conditions avantageuses dans le capital de sociétés minières, restructurer habilement l'outil de production à sa disposition (notamment en exploitant avec succès des champs de production miniers considérés comme trop petits et peu rentables par les grands groupes) et bâtir progressivement son empire.

Dernière variable à prendre en compte quand on cherche à s'expliquer la réussite insolente de Patrice Motsepe : la conjoncture longue, favorable depuis le début des années 2000 aux matières premières. Cette tendance à la hausse du prix des matières premières, notamment minières, aura contribué a accroître significativement la marge opérationnelle des entreprises du secteur. Et partant, la fortune de leurs propriétaires. Etre au bon endroit, au bon moment, et avec le bon savoir-faire. Ce triptyque reste à coup sûr l'un des plus efficaces pour qui veut comprendre les conditions nécessaires au succès ; bien qu'il ne suffise pas à lui seul. Patrice Motsepe en est le parfait exemple. 

Cheikh Yerim Sow : le dernier personnage de ce bref tour d'horizon est le plus jeune, le seul également qui ne soit pas recensé comme milliardaire par le magazine Forbes. Le plus énigmatique enfin. Comparativement à Dangote et Mostepe, l'homme d'affaires sénégalais Cheikh Yerim Sow pèse assurément moins lourd. Un récent article de l'hebdomadaire Jeune Afrique évaluait sa fortune à 150 milliards de francs CFA, soit environ 330 millions $. Mais cette différence s'explique avant tout par le manque de "profondeur" des marchés sur lesquels il intervient. Principalement le Sénégal et la Côte d'Ivoire, locomotives de l'Afrique de l'Ouest francophone, mais poids plume face aux géants nigérians et sud-africains. Pour le reste, le tycoon sénégalais n'a rien à envier à ses pairs. Bien au contraire. Dans cette partie du continent, il est sans conteste la figure de proue du grand capitalisme, brûlant la politesse à d'autres figures de l'establishment financier ouest-africain (Oumarou Kanazoe, Serigne Mboup, El Hadj Mamadou Sylla…).

Télécoms, immobilier, banque… La liste des secteurs où opère l'investisseur sénégalais se confond avec les réservoirs de croissance les plus dynamiques d'aujourd'hui, et la réputation de Midas qu'a Yerim Sow, transformant tout ce qu'il touche en or, n'est plus à faire. A bon droit certainement. L'historien français Fernand Braudel dans son ouvrage La dynamique du capitalisme évoquait le grand capitaliste en ces termes : " Il a pour lui la supériorité de l'information, de l'argent, de l'intelligence. Et il sait mieux que quiconque saisir autour de lui ce qui est bon à prendre – les rentes, les immeubles, la terre." Parfaite définition du mode opératoire de nos trois magnats.

Ce n'est cependant pas minorer ses évidentes aptitudes que de rappeler que Cheikh Yérim Sow est un "fils à papa". Habile, talentueux et fin stratège, à n'en pas douter. Mais aussi chanceux, car né sous la bonne étoile. Le père, Aliou Sow, est en effet le fondateur du prospère groupe de BTP la Compagnie Sahélienne d'entreprise (CSE). Lui-même déjà un capitaine d'industrie puissant, et qui saura opportunément aider son fils en lui confiant un énorme capital de départ (un milliard de francs CFA selon l'article précité de Jeune Afrique) lorsque celui-ci se lancera à grande échelle dans les affaires au milieu des années 90. La suite fait partie de l'Histoire et à ce rythme, il est raisonnable de penser que Cheikh Yerim Sow fera un jour pas si lointain partie du très select club des milliardaires de Forbes. Il aura alors définitivement bouclé la boucle.

Une logique d'enrichissement universelle 

Aliko Dangote, Patrice Motsepe, Cheikh Yérim Sow : aucun de ces trois tycoons africains n’a bâti à la seule force de ses poignets sa fortune. N'en déplaise au mythe du self-made man. Le cadre familial et ses sollicitudes, le réseau et ses bons contacts, l'argent et ses facilités, tout cela compte. Et pour peu que le talent, la persévérance, la faculté à avoir l'esprit de synthèse, et un art consommé du timing soient de la partie comme dans le cas de ces tycoons, "the sky is the limit " (le ciel est la seule limite) comme le répète à l'envie l'antienne anglo-saxonne.

Jacques Leroueil