Cette semaine, notre focus sur l’Afrique du Sud, inauguré par l’article de Racine Demba sur le dernier congrès de l’ANC, s’intéresse à l’état de la liberté de la presse dans ce pays. Felix Duterte nous en parle dans les lignes qui suivent.
Le 10 décembre 2012, une lettre anonyme était envoyée au comité de direction de la South African Broadcasting Corporation (SABC), la première compagnie publique de radio et de télévision sud-africaine. Cette lettre, probablement rédigée par des journalistes, producteurs et présentateurs du groupe, dénonçait des pressions et des menaces opérées à l'encontre du personnel, quand celui-ci refusait de se plier à certaines « directives » éditoriales. Etaient notamment mentionnées des attaques, venues indistinctement des hautes sphères de la classe politique, suivant une couverture jugée "inadéquate" de l'actualité du président Jacob Zuma, ou un traitement "différent" de l'information entourant le dissident Julius Malema. Ailleurs, la lettre dénonçait des déprogrammations et des licenciements aussi brutaux qu'inexpliqués de journalistes et d'experts.
Sans surprise, le porte-parole de la SABC rejetait immédiatement les accusations, et l'ANC ne faisait aucun commentaire. L'affaire, révélée par The Times, aurait pu créer de graves remous ; elle ne fit ici les titres que de quelques journaux en ligne et indépendants. La source de ce silence est-elle l'indifférence, la résignation? Ou les médias sud-africains seraient-ils, pour reprendre l'expression populaire, tous pourris ? Difficile de faire la part des choses tant, depuis la seconde moitié des années 2000, les scoops révélant des interférences du big government et/ou du big business dans les médias n'ont eu de cesse de se multiplier.
Pouvoir d'influence
La SABC, en particulier, n'a pas manqué de faire parler d'elle, ironiquement. Il faut dire que son statut et son histoire ne jouent pas en sa faveur. A sa fondation en 1936, notamment par un ancien de la BBC, John Reith, la compagnie avait des principes et objectifs bien clairs : indépendance et neutralité politique, et éducation et amélioration de son auditoire… exclusivement blanc. Il s'en fallait donc de peu pour qu'à l'élection du National Party en 1948, lesdits principes soient quelque peu écartés, et que le groupe devienne un instrument d'Etat de premier ordre. En un bref glissement, les chaînes d'information de la SABC devenaient dès lors non plus des chaînes publiques, mais des chaînes officielles, des canaux de propagande, et allaient le rester pendant plus de quarante ans ; bien assez pour créer des liens suffisamment solides pour survivre à des changements de personnel aussi conséquents que ceux qu'ont connu la classe politique et le monde des médias en 1994.
La fin de l'apartheid a permis aux médias publics d'acquérir une dimension nationale. Aujourd'hui, la SABC est la première source d'information pour la population. Ses quatre chaînes de télévision (trois publiques et une privée – deux chaînes régionales supplémentaires sont en développement depuis 2005) attirent, si l'on se fie à ses chiffres, 74% des téléspectateurs adultes sud-africains. Ses nombreuses radios (qui émettent notamment dans des langues africaines) sont écoutées, au total, dans presque dix millions de foyers, soit plus des trois-quarts de la population. En comparaison, en 2011, l'ensemble de la presse quotidienne indépendante ne s'imprimait pas à plus d'1,3 millions d'exemplaires.
"African National Congress Broadcasting Corporation"
C'est donc d'un pouvoir d'influence hors norme dont jouit la compagnie ; cela a de quoi susciter les convoitises chez un parti qui, depuis son accès au pouvoir il y a tout de même déjà plus de quinze ans, n'a eu de cesse de voir sa côte de popularité baisser. Et de fait, malgré les restructurations en profondeur qu'ont connu les chaînes d'information publique depuis 1994, les pratiques d'antan n'ont pas substantiellement changé. Le monde de la presse publique sud-africaine est resté un terrain de choix pour les petits jeux et intrigues politiques, où viennent s'entrechoquer pressions et intérêts personnels, et où les enveloppes marrons continuent de circuler sous la table.
Vérité et droit à l'information y sont pris d'assaut de toute part, y compris de l'intérieur. A une rhétorique politique hostile, qui prend la forme de pressions et menaces souvent discrètes (et dès lors difficiles à prouver), parfois carrément ouvertes (le meilleur exemple restant The technology of Thunderstruck slot machines has also changed a lot over the years. l'ancien président Mbeki qui, chaque vendredi ou presque, s'offrit un réquisitoire bien senti des médias dans la newsletter de l'ANC), s'ajoutent des catapultages flagrants de proches du pouvoir online casino slots chargés de faire le ménage. En juin 2006, dans un reportage qui allait faire date, le Sowetan révélait l'existence d'une "liste noire" établie par Snuki Zikalala, commissaire de l'ANC en exil durant l'apartheid et alors directeur des informations de la SABC, visant journalistes et experts jugés critiques de l'administration Mbeki. L'affaire conduirait à son éviction et à des excuses de la chaîne. Six ans plus tard, en décembre 2012, Hlaudi Motsoening, personnage sans qualifications mais proche du président Zuma, était nommé directeur général, pour s'assurer d'une couverture correcte des élections internes de l'ANC…
Gouvernance louche, fraudes et corruption se retrouvent à tous les échelons. Une enquête poursuivie entre 2007 et 2009 révéla R111 millions (environ dix millions d'euros) d'irrégularités diverses dans les comptes de la compagnie, à coups de salaires versés deux fois ou aux nombres de zéros injustifiés, et ce malgré une situation financière difficile. En octobre 2012, la directrice financière Gugu Duda était suspendue de ses fonctions pour fraudes, huit mois seulement après avoir été choisie pour redresser le groupe. La même enquête pointait 1465 employés possédant des intérêts online casino non déclarés dans des compagnies extérieures. Ces découvertes se superposent aux soupçons de pots-de-vin versés en échange de gros titres les moins défavorables possibles.
Quand tant d'intérêts personnels sont en jeu, on peut comprendre la complaisance zélée des médias eux-mêmes vis-à-vis du pouvoir. Au sein de la SABC comme dans beaucoup d'autres journaux, privés comme publics, conseils de direction, comités de rédaction et journalistes influents font régner l'autocensure. Avis trop critiques et affaires houleuses sont soigneusement écartés des ondes, des plateaux de télévision et des colonnes quotidiennes sans que l'ANC n'ait toujours à se faire entendre. Une allégeance bien dangereuse pour le droit à l'information, que Karima Brown, ancienne journaliste à la SABC, résumait dans un article du Business Day paru en juin 2006 : "Derrière un semblant de transformation, la SABC a été prise d'assaut par une bande de laquais du gouvernement, qui s'imaginent être les seuls à savoir ce que le public doit voir et entendre". Lesdits laquais doivent certainement y trouver leur compte.
Au prix, sans nul doute, de leur crédibilité. Car le public ne s'y trompe pas : les parts d'audience de la chaîne sont en chute, avec plus d'un million de téléspectateurs manquants entre octobre 2011 et janvier 2012. La perception populaire aujourd'hui, souligne Frank Kruger, professeur en journalisme à l'université du Witwatersrand, est celle d'un milieu "corrompu et irrémédiablement pourri". Mais pour quelle alternative ? La majeure partie de la population, plus particulièrement celle vivant dans les zones rurales reculées, ne possède bien souvent que la radio pour s'informer. L'accès à Internet, où officient la plupart des journaux indépendants, reste le luxe d'une minorité, quoiqu'en augmentation grâce à la popularisation des Smartphones : 41,5 millions n'y avaient pas accès en 2011, pour une population de 50 millions.
"Des forces opposées au changement"
Pour les autres, heureusement qu'il reste ces médias indépendants. Face à une presse publique servile et corrompue, le Mail & Guardian, le Sunday Times, parmi d'autres, continuent d'offrir online roulette un travail d'information et d'investigation exemplaire, sans concession aucune avec le gouvernement. Zapiro, caricaturiste-phare des deux journaux, est l'un de ces derniers dessinateurs à encore oser attaquer de front le président Zuma (c'est lui qui a rendu populaire l'image du "Shower Man", un Zuma affublé d'un pommeau de douche sur le crâne), et à tenir tête aux menaces de ce dernier. Dernier fait en date, un procès intenté en 2010 contre le dessinateur pour avoir représenté le président sur le point de violer une allégorie de la justice ; la fermeté de Zapiro, de surcroît soutenu par d'importantes personnalités nationales et internationales, força finalement Zuma à retirer sa plainte fin octobre 2012. Une affaire à l'image de ces journaux intransigeants, devenus trop rares, mais qui continuent de résister vigoureusement aux attaques de la sphère politique.
Mais pour combien de temps encore ? Le président Zuma, plus que ses prédécesseurs, a l'air décidé à faire plier ceux qui mettent le nez dans ses affaires. C'est qu'il n'est pas avare en petits arrangements à cacher. Révélé par le Mail & Guardian (copieusement passé sous silence par la SABC), "Zumaville" est le scandale le plus récent à ternir le mandat déjà bien houleux du président : dans un contexte de pauvreté endémique et de difficultés économiques conjoncturelles, il se serait fait construire une imposante résidence dans sa ville natale de Nkandla, dans le Kwazulu-Natal… en puisant de l'argent dans les fonds publics. Le président a accueilli ces accusations, comme toutes les autres, avec les habituelles réfutations et rhétoriques menaçantes et complotistes.
En chantier depuis 2007, un vaste programme de musèlement de la presse indépendante est actuellement discuté par les parlements nationaux. Adoptée en novembre 2012 puis légèrement amendée et très probablement ré-adoptée courant 2013, la Protection of State Information Bill (ou Secrecy Bill) introduit des peines de prison sévère pour tout individu se trouvant en possession de documents classifiés, et ce même si la publication de ces documents venait à révéler des cas de corruption ou d'abus de pouvoir. Une loi qui a clairement quelques journalistes dans le collimateur. Depuis 2007 se discute également la création d'un Media Appeals Tribunal. Derrière ce nom austère se cache une entité parlementaire qui possèderait la capacité d'agir, légalement, contre un organe de presse si ce dernier s'avérait diffuser des informations « biaisées » ou « portant atteinte à la dignité d'un individu » ; des termes suffisamment vagues pour, on l'imagine, laisser cours à toutes les dérives imaginables contre la liberté de la presse. Ces propositions ont été accueillies avec de virulentes critiques, notamment de la part de la société civile, auxquelles le gouvernement n'a fait que tendre la sourde oreille.
Pourquoi un tel acharnement ? Pour Nic Dawes, rédacteur-en-chef du Mail & Guardian, il faut y voir une manifestation du sentiment conspirationniste cultivé au sein de l'ANC, durant l'Apartheid : "Il y a ce sentiment omniprésent parmi [les membres de l'ANC] que l'on vit dans un monde d'ennemis, et qu'une couverture de presse négative doit être comprise dans le contexte de quelque conspiration visant à affaiblir le mouvement – le produit d'intrigues de forces opposées au changement." Plus prosaïquement, on peut aussi y voir les manœuvres, à terme contre-productives, d'individus cherchant à étendre et protéger leur capital politique, économique et social ; des manœuvres d'individus conscients que la poursuite de leurs intérêts se fait au-delà de la légalité, ou, bien au contraire, que c'est une poursuite historiquement légitime, en d'autres termes une mécanique compensatoire ; dans les deux cas, des manœuvres destinées à consolider des ambitions personnelles contre le jugement biaisé du commun.
La récupération des canaux publics d'information, et le musèlement progressif de la presse indépendante, se fait au détriment du droit à l'expression et à l'information. En cela, l'ANC se tire une balle dans le pied. A court terme, la classe politique pourra peut-être continuer de mener ses réformes et ses intrigues personnelles avec plus d'assurance ; à long terme, c'est tout l'édifice démocratique qu'elle met à mal et, par là, les perspectives de développement qui sont menacées. La liberté de la presse, la promotion de l'éthique et de l'honnêteté sont des gages de pluralité de l'opinion, essentielle pour des institutions de qualité. La transparence des acteurs publics est une condition de la solidité du contrat qui lie citoyens et gouvernants. L'information est une source d'éducation et, de fait, de l'autonomie des individus.
A l'occasion de la Journée Mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2012, le South African National Editors Forum (SANEF) mettait en garde le gouvernement contre ses dérives autoritaires et l'incitait à reprendre la lutte pour la liberté de la presse – un combat sans frontières. Huit mois plus tard, ses recommandations restent d'actualité. L'Afrique du Sud s'est engagée dans une pente glissante, qui risquerait bien d'écorner le rôle de modèle continental qu'elle cherche à se donner. Ironiquement, trois jours avant la lettre du 10 décembre, The Citizen, journal en ligne indépendant, titrait "La SABC devrait plutôt se faire appeler ANC-BC". Chaque jour qui passe donne un peu plus raison à cette affirmation malheureuse.
Félix Duterte
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Merci Felix pour cet état des lieux complets de l'état déplorable de la presse en Afrique du Sud. Dommage que ce pays qui, par sa trajectoire, aurait du cultiver l'amour de la liberté, entre autres valeurs, en soit réduit à subir ces pratiques d'un autre age.